L'Educateur n°3 - année 1964-1965

Octobre 1964

Manifeste de L'ECOLE MODERNE

Octobre 1964

 

Vie du mouvement

Octobre 1964

 

Le mouvement des choses

Octobre 1964

Lorsqu'au bout de dix années de métier, j’ai pu lire Essai de Psychologie sensible appliquée à l’Education, je me suis réjoui : « Enfin, quelque chose de lisible, de compréhensible, d'utilisable dans l’immédiat ».

Freinet m'avait fait découvrir une bonne piste et, depuis, j’ai eu souvent l’occasion de vérifier le bien-fondé de sa conception. Un concours heureux de circonstances m'a permis de m'en pénétrer vraiment et d'en apprécier toutes les richesses. J'ai pu savoir, par moi-même, combien elle pouvait apporter aux pédagogues si démunis dans leur si difficile métier. C’est pourquoi j'ai éprouvé le besoin d'en faire également bénéficier les camarades. Et pour cela, à partir du livre de Freinet, de ses premières enquêtes et de mes propres observations, je me suis amusé à construire un schéma. Je n'ai rien obtenu de magnifique, ni de définitif. Mais je crois que ce schéma permettra aux camarades de faire un pas en avant dans cette direction. Et cela est déjà plus que suffisant.

J’ai donc rédigé quelques pages sans prétention qui paraîtront probablement dans L’Educateur-Magazine. Mais ma cervelle s’emballant parfois, je me suis un jour avisé que, si cette conception était juste, il fallait l'appliquer à toute chose en éducation. Aussi, je me suis déjà livré à plusieurs expériences dans le domaine pratique. Dans les pages qui suivent, je rends compte de ces expériences et je livre en même temps les idées qui me sont venues et plus particulièrement les modifications de programmes qu'elles supposent. Pour les camarades qui n'auraient pas lu mon petit exposé du tâtonnement dialectique expérimental, je le résume ici en quelques lignes parce que j'y ferai souvent allusion. Mais, auparavant il faut que je m'explique sur le mot dialectique. C’est un mot sur lequel j'ai buté pendant de longues années niais, soudain, il m'est apparu très compréhensible quand j'ai lu :

« La dialectique, c’est la science du mouvement des choses et de leurs connexions ». (Lénine)

Je pense qu'on peut ajouter ce mot, parce qu'il met en relief ce qui fait la nouveauté pédagogique de la théorie de la connaissance de Freinet à savoir : le fait de l'insertion progressive des individus dans un milieu que l’on n'accepte plus d’ignorer et qui se trouvé lui-même en évolution.

Voici en quelques mots comment on devrait pouvoir résumer notre théorie,

« En face des faits de la vie, l'individu qui a toujours souci de généralisation émet une première hypothèse. Puis par des corrections successives destinées à serrer de plus en plus près la vérité, il aboutit à une hypothèse très affinée qui prend valeur de loi, Le palier de la loi une fois atteint, l'individu procède alors à une série de répétitions. Elle a, d’abord, pour but de permettre une vérification de la loi puis, son assimilation, son intégration à l’être. Brusquement, en cours d'assimilation, sous la poussée de la critique des faits ou des individus, on prend conscience des limites de la loi. D'autres chemins sont alors découverts, d'autres domaines encore inexplorés et dans lesquels le même processus se reproduit :

Tâtonnement—> palier de la loi —> répétition et en cours d'intégration de la loi —► bifurcation : découverte des limites de la loi et accès à des pistes nouvelles ».

Et l'on recommence.

Mais, avant d'aller plus loin, je crois qu'il faudrait s’arrêter à une notion qui me semble l’une des richesses de la pensée marxiste, à savoir ; l’unité des contraires.

J’en ai trouvé une première expression dans une brochure assez récente de Freinet :

« La lecture n’est ni totalement synthétique, ni totalement analytique, mais les deux à la fois ».

De même, le progrès de la connaissance ne peut se faire par la seule induction ou la seule déduction, mais par un emploi alternatif des deux processus qui sont, en fait, deux éléments inséparables, deux aspects complémentaires d'une même chose. Cette dualité, cette lutte des contraires apparaît dans beaucoup de cas et les dernières découvertes de la physique moderne (matière et anti-matière) semblent aussi confirmer la théorie de Hegel. Ainsi que la lumière, à la fois ondulatoire et corpusculaire. Et la polarité indivisible de l’aimant qui se reconstitue quand on coupe l'aimant en deux. Et le conflit hérédité-adaptation. Sans parler du travail-jeu, de l’électromagnétisme, des analyses politico-sociologiques, et de l’anarcho-syndicalisme.

Hegel parle aussi d'unité de la diversité. Nous la ressentons quand nous sortons en classe-promenade, et surtout le soir, quand nous devons écrire sur nos tablettes, le compte rendu de la journée. Malheur ! était-on « en » géographie, en histoire, en sciences? Bah ! écrivons : étude du milieu. Oui, mais à un moment donné, c’était tout de même du français et même de la poésie, et de la philosophie et de l’économie politique,,.

Et l’art enfantin, est-ce de l’art, de la géométrie, de la psychologie ou tout cela à la fois, sans compter le reste?

J’éprouve le besoin d’écrire cela parce que j’ai déjà commencé à travailler sur les textes qui suivront. Je m’aperçois qu’il est ridicule d’essayer de traiter une chose à fond puis une autre (en supposant qu’on ne le puisse jamais). Non, tout se tient, tout est contingent. A cause de « l’interconnexion universelle ».

On ne peut plus considérer l’être comme une simple juxtaposition de parties nettement séparées, ainsi que cela se faisait. Pour la commodité de la recherche, on a souvent, avec Descartes, procédé à une analyse en parties distinctes, mais on a peut-être oublié, par la suite, de tenter la synthèse. Il faut dire, qu’à l’époque, l'analyse suffisait déjà à occuper l’esprit des chercheurs.

A la télé, j’ai entendu, un jour, un chirurgien (émission Barrère et Lalou) qui disait : « On a peut-être trop négligé l'aspect psychologique de l’être humain au profit de l'aspect physiologique. Il faut dire que, avec les instruments de mesure dont nous disposions, cette partie était la plus facile à considérer. Mais on en revient maintenant à une conception plus unitaire de l’être humain. L'homme est un tout : il faut maintenant songer à pratiquer une médecine de la Personne » (sous-entendu : de la personne entière).

Eh ! bien, il faut également pratiquer maintenant une pédagogie de la Personne.

Ah ! Pauvres de nous ! Finis, donc, les cloisonnements si faciles entre grammaire, vocabulaire, rédaction, calcul, algèbre, lecture, écriture?

Eh ! Mais c’est que nous allons le regretter. A franchement parler, nous qui avons l’esprit mécaniste, nous préférerions que ça reste comme avant. Impossible, mes agneaux, c’est à prendre ou à laisser !

Alors, puisqu'il n’est pas question de laisser, prenons l'homme comme il est ou, plutôt essayons de le prendre, car nous ne savons pas encore très bien de quoi il est fait.

Je crois qu'il est maintenant impossible d'avancer dans quelque domaine que ce soit sans se référer aux divers aspects insécables de la question. Et, en pédagogie, attendons-nous, oui ! à trouver des mathématiques et de la psychologie dans la gymnastique et de l’affectivité dans les mathématiques (au stade du jeune enfant, tout au moins).

Tout cela pour vous dire que je m’efforcerai de présenter les choses avec assez; de clarté, mais il y aura nécessairement interpénétration des domaines considérés. Aussi bien, ce n’est pas une ligne droite infinie que nous contemplons. Non, nous regardons à l'intérieur d'une sphère au contenu complexe et en mouvement (avec des ressemblances, des différences, des oppositions, des contradictions internes) et elle se trouve en relation avec d'autres sphères, ce qui fait un tout complexe et en mouvement (avec des ressemblances, des différences, des oppositions, des contradictions).

Cette complexité pourrait effrayer, mais pourquoi? Il nous faut absolument essayer de voir plus clair. C’est absolument nécessaire. Ne reculons pas : acceptons le réel tel qu'il est et ne pleurons pas inutilement sur celui dont nous aurions rêvé.

Moi, je me console de l'infini parce que je n'en ai pas l'ambition. La seule façon d'y remédier, c’est d'ailleurs d'essayer de mettre en marche des forces elles-mêmes infinies. On comprendra donc que je n'essaie pas d'avoir raison. Mais si, en ayant un peu raison, je réussissais à mettre en marche une foule de personnes, je serais plus heureux qu'actuellement. Parce qu'actuellement, je vais vous dire, les choses ne sont pas ce qu'elles devraient être. Ça ne va pas bien parce qu'on ne se résout pas à les regarder en face. Alors, étudions le mouvement des choses... et leurs connexions.

P. Le Bohec Trégastel (C-du-N)

 

Notre exposition d'Art Enfantin à Deauville

Octobre 1964

 

Un air Valdotain

Octobre 1964

 

Connaissance de l'enfant : Le tâtonnement expérimental

Octobre 1964

Vous ne pouvez vraiment conduire avec maîtrise et sûreté une machine que si vous la connaissez bien. Sinon, au moindre accroc, vous ne saurez comment réagir, ou vous ferez une fausse manœuvre.

Si vous connaissez mal vos élèves — machines si délicates et si subtiles — vous commettrez de même très souvent des erreurs parfois irréparables.

Comment connaître vos élèves?

Avec la pédagogie théorique et abstraite qu’on vous a enseignée, avec des manuels impersonnels qui n'agitent que la croûte des personnalités ; avec, par-dessus tout cela, des classes trop chargées, vous connaîtrez peut- être vos élèves scolairement ; vous pourrez peut-être déterminer leurs caractéristiques et leurs défauts scolaires, mais vous ne connaîtrez pas vos élèves en vrai.

Nous avons la prétention de vous offrir du nouveau et de l'efficient pour cette connaissance.

— D'abord une pédagogie d'expression libre qui vous aidera à découvrir vos enfants tels qu'ils sont effectivement.

— Des techniques qui leur permettront de s'affirmer et de se libérer. Et nous dirons, expériences à l’appui, pourquoi nos techniques sont thérapeutiques.

— Et enfin une conception nouvelle des processus de vie : le tâtonnement expérimental.

Il faut que nous insistions sur ce principe car il est à la base de l’opposition fondamentale entre notre pédagogie et la pédagogie traditionnelle.

Les acquisitions, les conquêtes, les apprentissages qui permettent à l'enfant nouveau-né de devenir plus tard un homme, se font-ils selon un processus pseudo-scientifique comme on le dit et le croit communément?

L’usine fabrique avec soin les pièces détachées. On les monte selon des schémas établis ; on anime avec un moteur, et la machine est en marche. L'école fait faire elle aussi des exercices qui montent les mécanismes ; elle fait étudier les règles et les lois qui président aux assemblées intelligentes. Il suffit alors d'un coup de pouce, et l’individu s'avance vers la culture.

Il suffit alors de préparer techniquement, pédagogiquement et intellectuellement les enfants à bien « assimiler » les principes de base, les notions essentielles, les idées indispensables. Et avec ces produits «assimilés» nous ferions des hommes ! La préparation s'en ferait d'ailleurs dans des usines spéciales, qu’en l'occurrence on appelle écoles, qui sont prévues et organisées pour préparer ces pièces détachées et pour opérer ces montages — en dehors des processus naturels de vie. C'est comme une deuxième personnalité qui se constituerait ainsi et qui acquerrait ce que l’Université appelle la culture.

Or — et nous le disons aujourd’hui en toutes connaissances de causes — cette conception et cette théorie sont totalement erronées. On les croit vraies parce qu’on nous les a toujours présentées ou imposées comme telles ; que les gens en place les disent vraies et efficientes et que ceux qui les estiment fausses profèrent un anathème. Et pourtant nous affirmons et prouverons qu'elles sont fausses et que l’individu se construit selon un autre processus, général, naturel et universel :

Le tâtonnement expérimental

Nous en rappelons rapidement la genèse : au début, à sa naissance, pour réagir contre le milieu qui l’oppresse, l’enfant exécute au hasard certains gestes. Si, par hasard, la main ainsi agitée touche un hochet, elle a une tendance mécanique à la refermer pour s’en saisir.

C’est une première réussite. Et toute réussite tend automatiquement à se reproduire ; les échecs sont au contraire inhibiteurs et font barrage.

C’est par une série complexe d'actes semblables que l'individu construit sa personnalité.

Nous souhaitons à ceux de nos lecteurs qui veulent approfondir ce problème de lire notre Essai de Psychologie sensible appliquée à l'éducation (1).

Ce n'est d'ailleurs pas par la théorie que nous entreprendrons cette étude mais par l’observation et l'expérience.

1°. - Je fais un appel particulier aux jeunes camarades qui ont un enfant, même et surtout très jeune, pour qu'ils en étudient l'évolution par tâtonnement expérimental j

Dans les tout premiers gestes ;

— Dans l'apprentissage de la marche ;

— Dans l'apprentissage de la langue (nous avons prêt à l'édition les observations méticuleuses — vraiment scientifiques — établies par nos amis Cabanes au temps où Mariette faisait ses premiers pas dans la vie).

2°. - Si vous n'avez pas d’enfants, observez un jeune chien ou un jeune chat. C'est peut-être même par là qu'il nous faudrait commencer. C’est comme dans les observations des mouches du vinaigre. Le chien et le chat deviennent adolescents en 3 4 mois. L’enfant le devient à 15 ans. De ce fait les processus sont plus rapides et les résultats plus faciles à noter.

Or, la loi du Tâtonnement Expérimental qui est générale et universelle, est valable pour tous les êtres vivants, aussi bien pour le haricot qui enroule ses vrilles autour de la rame que pour le bousier qui pousse sa boule, et le chien ou l’enfant qui font connaissance avec la vie.

Cette notion d'universalité sera pour nous foncièrement éducative.

3°. - Et puis nous nous attaquerons à une question délicate : le médecin agit-il vraiment scientifiquement ou ne participe-t-il pas tout simplement du Tâtonnement expérimental?

Et le chirurgien? Et l’homme de science? Et l’orateur? Et le mécanicien? Et l’écrivain?

Il faut que, par des observations minutieuses et précises, nous dénoncions la fausse conception scolastique dans tous les domaines.

4°. - La conclusion de ces recherches sera la nouvelle présentation de notre profil vital que nous vous enseignerons, à pratiquer.

 

***

La place nous manque pour publier et les schémas de recherches et les résultats d’observation dans notre Educateur. Il ne s’agit pas pour l'instant d’ailleurs de divulguer mais de travailler pour opérer les mises au point préalables qui s’imposent.

Pour cette étude — et pour tous nos travaux pédagogiques en général — nous sommes beaucoup plus à l’aise dans notre périodique intérieur Techniques de Vie qui est exclusivement réservé aux travailleurs.

Les camarades qui accepteront de participer activement à nos recherches et à nos observations recevront gratuitement notre revue dont le premier numéro culturel polygraphié va paraître incessamment.

Au travail donc pour la mise au point de notre psychologie nouvelle,

C. F.
(1) Ed. de l’Ecole Moderne, Cannes.

 

La réforme de l'Education

Octobre 1964

 

Bien s'organiser pour bien travailler

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Jurys de jeunes - Festivals pour jeunes - Gijon et venise 1964

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LES STAGES I.C.E.M. 1964

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Dans les classes terminales

Octobre 1964