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L'autorité et la classe coopérative

Dans :  Formation et recherche › Techniques pédagogiques › organisation de la classe › 
Mars 2002

Quand on parle de gestion de la classe, on fait comme si tout allait de soi, comme si l'on s'adressait à des enfants sages, disciplinés, voire dociles. La réalité nous offre un tout autre visage : indiscipline, chahut, incivilités, non-respect des règles... Notre engagement pédagogique nous invite à inventer d'autres moyens que la punition ou l'autoritarisme de l'adulte pour régler ce genre de difficulté. Cependant, la solution coopérative ne va pas de soi et n'élimine pas d'emblée le rapport à l'autorité. Loin d'offrir une solution, ces quelques éclairages nous permettront peut-être de mieux comprendre ce que nous faisons dans nos classes.

 

Qu’il est difficile de faire classe ! 

En formation initiale, la question de l’autorité est rarement posée. Pourtant, les retours de stages de nos jeunes collègues PE2 sont souvent douloureux : indiscipline, bavardages incessants, inattention, opposition, provocation. Dès lors, les grands discours didactiques sur la mise en place de situations d’apprentissage sont relégués au second plan puisqu’il s’agira pour eux, avant tout, de « tenir » la classe et d’installer un climat propice au travail. 

« Mais comment faites-vous pour tenir votre classe ? » 

La question n’est jamais posée. Elle est de l’ordre du tabou. Oser avouer que l’on rencontre des difficultés avec la tenue de la classe serait avouer une incapacité à enseigner. La discipline serait le degré zéro de la pédagogie. Mais souvenons-nous quand, jeunes enseignants, nous avons dû faire nos preuves face aux parents, aux collègues, aux enfants. La tâche a-t-elle été toujours aussi facile ? N’avons-nous pas été partagés entre le désir d’organiser la classe comme un espace pré-démocratique, de donner l’image d’un maître compagnon et la réalité d’utiliser des moyens de coercition qui vont parfois à l’encontre de nos convictions ?

 

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Il se raconte dans les cours de récréation que certains auraient une autorité naturelle, un ascendant sur les enfants, une sorte de rayonnement qui fait qu’ils sont respectés. Un regard, un geste, un mot suffit pour que tout aille de soi. On pourrait parler de charisme. Certains en seraient pourvus naturellement alors que pour d’autres, ce serait le bras de fer, la voix qui monte, la menace, la punition. Combien d’enfants se tiennent en classe grâce à une invisible épée de Damoclès. L’ordre règne apparemment, mais au prix de quelles stratégies.

Dans ces conditions, peut-on tenir une classe si l’on ne possède pas de charisme ? Et allons jusqu’au bout de la logique, si cette question apparaît comme rédhibitoire, pourquoi ne pas en faire l’une des conditions d’accès au concours ? 

L’indispensable autorité en matière d’éducation 

Une autre logique peut-être moins radicale, et surtout binaire, consiste à mener une réflexion sur l’autorité et de savoir ce que nous faisons quand nous agissons dans nos classes. Bien des chercheurs se sont penchés sur l’autorité et l’éventail des réponses peut laisser perplexe. Selon Hannah Arendt, il n’y a pas d’éducation sans autorité,  « l’autorité implique une obéissance dans laquelle l’homme garde ses libertés. Là où la violence s’exerce, c’est que l’autorité a échoué.(1) » Chantal Del Sol lui emboîte le pas. En effet, pour elle « l’autorité ne peut pas être une oppression cachée mais un processus de participation à la grandeur entendue comme réalisation d’un idéal. Une société qui bannirait les relations d’autorité deviendrait tout entière médiocre, fade, incolore. 

L’autorité est une disposition personnelle permettant de se faire obéir sans employer la force. Ce n’est pas un principe de légalité ou de violence mais plutôt de légitimité. Il doit y avoir acceptation d’obéissance pour que l’autorité s’exerce. Cette acceptation refuse la contrainte. 

Le détenteur d’autorité appelle le respect. Cela suppose qu’il n’excite pas la jalousie ni l’envie, mais l’admiration. L’enfant est prompt à l’admiration parce qu’il cherche inconsciemment la figure de ce qu’il souhaiterait devenir.(2) »

 

« Celui qui incarne l’autorité voit toujours sa taille rehaussée : portant couronne ou bonnet carré, il parle plus haut et plus fort, avec autorité comme on dit, du haut de l’estrade du professeur, du balcon papal ou du trône royal. Dans l’exercice de son autorité il ne se place jamais au même niveau que ses assujettis ; on le regardera de bas en haut parce qu’autrefois l’enfant devait lever les yeux pour dévisager ses parents. Et que dire de la prosternation orientale, du pliement de genou, de la révérence, de la tête respectueusement inclinée, qui accroissent encore la petitesse de l’assujetti par rapport à la grandeur de qui est ou de qui a l’autorité. » 

Gérard Mendel,

"Pour décoloniser l'enfant".

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Contre toute autorité

 

A l’opposé, Gérard Mendel, psychanalyste et sociologue, affirme que « l’autorité n’est que le masque mystifiant de la violence (3)» et ne considère l’autorité que comme un phénomène de soumission.

Les premières manifestations toutes puissantes et arbitraires en seraient l’autorité de la mère, la seconde celle du père, ces deux dernières laissant place petit à petit à la soumission au pouvoir. Ce qui fait dire à Roger Mucchielli (4) que l’autorité transforme le sujet humain en objet, s’appuie sur la violence, impose la dépendance et considère l’obéissance comme le résultat d’un conditionnement précoce. 

En guise d’alternative, Gérard Mendel propose d’ailleurs de favoriser chez les enfants une “conscience de classe” afin d’organiser la révolte contre les adultes et les autorités en général. Il revendique le droit de vote à 12 ans.

neduc-137-0021.JPG (16984 bytes) Les sept figures de l’autorité 

Autorité du contrat  (infraction : fraude ou tricherie) : chacune des parties est liée par son propre consentement. C’est l’autorité de la règle sur les joueurs, celle du projet sur ceux qui l’ont conçu et accepté, de l’institution démocratique. 

Autorité de l’expert (infraction : imprudence) : on suit l’avis sans même le comprendre parce qu’on reconnaît sa compétence, parce qu’il fait “autorité” en la matière (avis, ordonnances, rapports, conseils...) 

Autorité de l’arbitre (infraction : désobéissance) : tranche un conflit par une décision que l’arbitre n’a pas toujours à justifier. Il vaut mieux un verdict arbitraire qui mette fin à un conflit qu’un conflit sans fin. 

Autorité du modèle (infraction : inculture) : suscite l’admiration. Le modèle rayonne de son prestige (artistes, vedettes...) 

Autorité du leader (fanatisme ==> pas d’infraction) : moins rationnelle. Son ascendant répond chez ceux qui le subissent à un double besoin : admirer et obéir, au sens où l’obéissance rassure et dispense de vouloir. C’est dans le cas où l’autorité adulte devient défaillante ou inhumaine que les jeunes se rangent derrière des meneurs. 

Autorité du roi-père (infraction : sacrilège) : chef charismatique, monarque absolu. Pas d’explication, pas de discussion, l’autorité est déjà là, irrévocable.

Remplacer l’autorité par l’éducation

 

Dans une perspective plus dialectique, Olivier Reboul (5) propose une approche différente. En effet, s’il conçoit l’autorité comme un rapport vertical du maître sur l’élève, de l’adulte sur l’enfant, il constate que l’autorité est de plus en plus contestée (directivité, pouvoir, modèles, institutions...). Et si l’autorité est le pouvoir de faire faire quelque chose à quelqu’un sans avoir recours à la violence, il la décline sous sept figures différentes. Le problème étant alors de savoir quelle autorité est la plus propice à éduquer, c’est à dire à former la liberté. Toujours pour Olivier Reboul, l’Education nouvelle ne rejette pas toute forme d’autorité. Elle se reconnaît essentiellement dans celle du contrat dans le sens où les enfants sont libres de choisir ce qu’ils veulent apprendre mais ils doivent aller au bout de leurs projets et respecter les décisions prises en commun. Le principe serait alors de glisser d’une autorité à l’autre, d’aller de la contrainte à l’auto-contrainte, ce serait alors davantage un problème d’éducation, la fin de cette dernière étant de se passer de l’autorité. 

On voit bien ici le glissement vers l’éducation. Et c’est bien le propos de Jean Houssaye (6) : entre l’école et l’autorité, il faut choisir... Sa critique de l’autorité se fonde sur  la question du « vivre ensemble ». En effet, « l’autorité se découvre fondée sur la peur de soi, sur la peur de l’autre, sur la peur de ne pas parvenir à se donner et à maintenir la loi ensemble. Elle n’est rien d’autre que la peur de vivre ensemble, que le refus d’éduquer... L’éducation est la prise en compte de la nécessité de la socialisation ; elle désigne cette nécessité de la prise en compte et de la construction du rapport à l’autre et à la loi. » 

C’est bien d’éducation et de rapport à la loi dont il s’agit dans nos classes. A ce sujet, Eirick Prairat (7)  nous propose un remarquable ouvrage de synthèse dans lequel il définit la notion « d’autorité éducative ». Le travail éducatif consiste à construire la loi avec les enfants. « Non pas une loi coercitive et extérieure, mais une loi que l’on peut modifier aux tendances et aux besoins du groupe... une loi qui est construction progressive et autonome. Nous sommes ici au cœur du travail éducatif car le vivre ensemble ne se déduit jamais de manière mécanique et immédiate de la seule co-présence, il se construit ».  

Et dans les classes coopératives ? 

On pourrait penser que faire le choix d’une pédagogie coopérative, c’est d’une certaine manière imposer de façon autoritaire un mode de fonctionnement et des outils que les enfants n’auraient pas choisis. Mais ce serait oublier que nous refusons (comme Célestin Freinet d’ailleurs) le terme « méthode ». La pédagogie Freinet n’a rien de méthodique. C’est ce qui en fait sa richesse et sa complexité. La pédagogie Freinet est d’abord un engagement, un positionnement politique. C’est un choix éthique qui nous fait poser un regard différent sur l’enfant. Un regard de confiance, de respect, d’humanité. Alors, si nous proposons (de façon autoritaire ?) une structure coopérative aux enfants (travaux en groupes, plans de travail, moments de tâtonnement, conseils...), c’est bien pour leur offrir un espace d’auto construction, un espace pré-démocratique, un espace de parole au sein duquel ils vont pouvoir  programmer leur travail, organiser le vivre ensemble, autonomiser leurs apprentissages. Les débats et les décisions prises par les enfants pendant les conseils coopératifs sont autant de moyens qui vont leur permettre d’accéder au statut d’êtres libres. Il ne s’agit pas alors de substituer l’autorité de l’adulte à celle de l’enfant, mais bien de préserver quiconque (enfant ou adulte) d’une autorité toute puissante d’un Roi-Père (prise de pouvoir par l’adulte charismatique) ou d’un enfant-roi (phénomène de leadership).  

Nous nous sommes toujours considérés comme des éducateurs. Nous avons toujours été davantage tournés vers des logiques éducatives. Et qu’est-ce qu’éduquer sinon guider, accompagner, faire émerger. Nous agissons bien de façon globale sur les enfants.  Et si nous dénonçons les formes d’autorité aliénantes, « servilisantes », nous sommes convaincus du rôle d’accompagnement de l’adulte. Ne sommes-nous pas alors dans une forme d’éducation qui propose d’autorité une structure de classe que les enfants vont pouvoir pénétrer, s’accaparer, adapter à leurs besoins, leurs désirs, pour accéder à la conquête de leur autonomie... et de la liberté.

 

 

Dominique Tibéri

Groupe départemental

de Meurthe et Moselle

 

1. Hannah Arendt, La crise de la culture, folio essais, 1972.

2. Chantal Del Sol, L’autorité, Que sais-je ? 1994.

3. Gérard Mendel, Pour décoloniser l’enfant, Payot, 1971.

4. Roger Mucchielli, Psychologie de la relation d’autorité, E.S.F. 1986.

5. Olivier Reboul, La philosophie de l’éducation, Que sais-je ? 1989.

6. Jean Houssaye, Autorité ou éducation ? E.S.F. 1996.

7. Eirick Prairat, La sanction, l’Harmattan, 1997.

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