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La rentrée en maternelle : pratiques d'école

Dans :  un niveau scolaire › Techniques pédagogiques › organisation de la classe › 
Juin 2001

Ce dossier, préparé par le secteur maternelle de l’ICEM, réunit des témoignages, des réflexions, des expériences sur ce moment privilégié de la vie d’une classe : la Rentrée.

 
Il nous propose des outils, élaborés collectivement, pour aider à mettre en place un accueil réussi des enfants.
 
Il a donné la parole à Maryvonne Rouillier, rééducatrice en psychomotricité à la maternelle Marcel Cartier de Rouen, qui apporte un regard distancié sur la séparation pour mieux comprendre ce qui se joue au moment de la séparation, mais aussi pour permettre à l’enseignant d’adapter ses pratiques et ses attitudes face aux tout petits.

 

 

Une rentrée chez les petits

ou l’amnésie collective

 

Une rentrée qui se passe difficilement, écho d’autres rentrées tout aussi difficiles, qu’on a enfouies au fond de ses souvenirs... Est-ce une fatalité ? Faut-il tous les ans en passer par les mêmes interrogations, le même découragement ou inventer des outils qui permettent à tous d’aborder une nouvelle année plus paisiblement ?
 
Le secteur maternelle de l’ICEM ouvre quelques pistes.
 
Septembre 2000
 
Cette année, la rentrée m’a paru très difficile : un effectif très lourd dans l’école (30 élèves dans chacune des 5 classes dès la rentrée) et pas de décharge de direction. Dans ma classe, 30 petits, jamais scolarisés, sont rentrés, dans le cadre d’un pseudo échelonnement se cantonnant à accueillir un demi- groupe une journée, et l’autre demi-groupe le lendemain. Dès le troisième jour, les 30 enfants étaient présents, avec une demande très pressante des parents d’une scolarisation à temps complet (cantine et garderie). Ma classe est composée pour les deux tiers d’enfants nés entre octobre et décembre 1997.
 
Echanges avec les parents
 
Lorsque je négocie une prise en charge allégée avec les parents des enfants les plus fragiles (mi-temps, voire 1 heure), j’ai l’impression de quémander. Certains parents ne perçoivent pas la douleur de leur enfant, et vivent mal cette demande insistante que je suis obligée de formuler.... j’avais oublié !
 
Echanges avec les collaboratrices
 
Nous sommes trois à l’accueil : Nicole, (l’ATSEM), Sofia (l’aide-éducatrice) et moi dans la classe et le dortoir, utilisé le matin comme espace de déambulation et d’utilisation de gros jeux.
 
Le premier jour, après ce qui m’a semblé un accueil d’apocalypse, il m’a fallu refaire le point avec mes collaboratrices : rappeler comment accueillir les enfants, comment les consoler, quelle attitude adopter, quel est notre rôle et quels sont nos objectifs. Qu’il est normal que les enfants pleurent, nous sommes là à la fois pour les rassurer, les consoler, mais aussi, leur proposer une ouverture. Qu’il ne sert à rien de prendre un enfant dans les bras s’il n’y a pas d’échange réconfortant, qu’il vaut parfois mieux un accompagnement plus distant. Qu’il est nécessaire d’adapter son attitude à chaque enfant. Mettre en mots, accompagner l’enfant dans ce nouvel univers, lui apprendre à se détacher de l’adulte pour aller découvrir ce monde nouveau, sont indispensables. Le câlin exclusif n’est pas constructif, il faut que l’enfant puisse se diriger vers l’extérieur et les autres en toute confiance... “Il faut les laisser venir”. Ce qui me semble évident ne l’est pas pour toutes et le domaine de l’implicite est redoutable… j’avais oublié !
 
Mise en place de “la classe”
 
Très vite, tout se passe mieux à l’accueil : chacune trouve sa place, les enfants trouvent leur référent, élaborent leur rituel de séparation et ce moment ressemble maintenant plus à une classe qu’à un abattoir où on égorge une dizaine d’agneaux !!!
 
Il n’empêche que je déploie tout au long de la journée une énergie formidable pour “garder le contrôle”, ce qui n’est pas évident !
Je retrouve de l’eau dans la semoule. De la semoule dans la cuisine. Les perles, les abaques et les “boutons” mélangés dans un tiroir du coin poupée. Les poupées dans la bibliothèque. Les pickies et les cartes de lotos transformés en extraordinaires projectiles volant partout dans la classe... bref, le capharnaüm !
 
C’est vrai, on surnomme les enfants de cet âge les “déménageurs”...j’avais oublié !
 
Pour les regrouper, nous ne sommes pas trop de trois pour arriver à les cantonner dans l’espace réservé à cet effet. Il faut que je reste bien au milieu pour capter ceux qui sont en place, pendant que mes deux collaboratrices vont à la pêche aux adeptes des poupées, voitures, pâte à modeler ou tout autre chose bien plus intéressante que ce que je vais proposer… j’avais oublié !
 
Bien sûr, une fois leur attention captée... ça marche ! Ouf ! Deux minutes de quiétude et de semblant de socialisation ! (qui s’allongeront assez rapidement, il faut l’avouer).
 
Evidemment, le midi, le soir, je suis vidée, épuisée, mais il faut continuer, préparer, ranger, trier, mettre en valeur les travaux de la journée pour que leurs productions prennent du sens et que très vite, ils sachent ce qu’ils viennent faire à l’école.
 
Toute cette douleur
est-elle nécessaire ?
 
Je me sens loin de la pédagogie Freinet, et malgré les années de métier, je me retrouve avec les mêmes doutes qu’à mes débuts... l’épuisement en plus !
 
Je suis traumatisée d’imposer à ces petits un effectif si important, un rythme si éloigné du leur et une durée inadaptée.
 
En quelques jours, (quelques semaines pour les plus fragiles), tout va rentrer dans l’ordre. Ils auront pris leurs repères, ne pleureront plus à l’arrivée, ni à chaque changement d’activité, sauront repérer à quel moment ils iront en récré, à la cantine, ou l’heure des parents... et ils prendront même du plaisir à venir !
 
Mesure-t-on les dégâts de ces premiers jours sur les enfants même si quelques temps après, plus rien ne paraît. Faut-il faire confiance dans leur capacité de résilience ?
 
Sait-on, peut-on savoir quelles traces cette rentrée peut imprimer dans leur capacité à appréhender actuellement et ultérieurement :
 -l’école ?
 -la séparation ?
 -l’accès aux autres ?
 -l’accès au savoir ?
 -une situation nouvelle ?
 -un univers nouveau où tout est inconnu ?
 
Pourquoi nous impose-t-on d’accueillir les enfants, en première scolarité, en tel nombre, à ce prix ?
 
Cette rentrée m’a paru plus difficile que les précédentes. Or, j’ai retrouvé un journal de bord écrit il y a deux ans. Je me suis aperçue que j’avais le même épuisement, les mêmes doutes, les mêmes questions (c’est l’époque où je parle de changer de métier !) et… j’avais oublié !
 
Combien sommes-nous à mal vivre les débuts d’année... et ne plus y penser dès que la classe tourne ?
 
Combien sommes-nous à perdre le souvenir de ces difficultés lorsque nous recommençons une année ?
 
Ce qui est si violent chez les petits du fait qu’ils n’ont jamais été scolarisés (par conséquent ne possèdent aucun code, aucun repère du milieu dans lequel ils se trouvent plongés), existe sans doute à n’importe quel niveau.
 
Nous accueillons un nouveau groupe avec en mémoire celui que nous avions quitté en Juin... quel deuil à effectuer ! Quel chemin à parcourir à nouveau !
 
Je ne veux plus oublier ce “mal joli” (c’est ainsi que l’on qualifiait la douleur de l’accouchement), je ne veux plus l’accepter surtout !
 
Pour éviter que chaque rentrée ne soit un enfer, nous pourrions peut-être élaborer des outils qui nous permettraient de mieux préparer ce moment, à tous de moins souffrir ?
 
Muriel Quoniam - Rouen
Secteur Maternelle de l’ICEM
 
Lors de la visite de la maternelle, en juin, par les enfants qui y rentreront en septembre et par leurs parents, Muriel Quoniam donne à chacun un livret d’accueil présentant tous les aspects de la vie dans l’école : temps forts, personnel, activités… Nous vous présentons quelques pages de ce document.
 
De l’intérêt des “mélanges”...
Une rentrée en milieu rural
 
Je travaille dans un RPI de 5 classes. La classe du CE1- CE2 (25 enfants) se trouve dans le village à côté et dans mon village, il y a 2 classes primaires : le CP-CE1 (25 élèves) et le CM1-CM2 (28) et 2 classes maternelles : MS- GS (26), TPS-PS-MS (27 ).
 
Les locaux des classes primaires se trouvent dans le même lieu que l’école maternelle qui comprend : 2 classes, 1 dortoir, 1 salle de toilettes, 1 tisanerie, 1 salle de motricité.
 
J’accueille dans ma classe les enfants de 2 à 4 ans. Sur les 27, 15 sont nouveaux, 12 sont mes petits et tout-petits de l’année précédente.
 
La rentrée se passe plutôt bien grâce à mes « anciens » qui facilitent grandement les premiers jours d’école à la maîtresse et aux nouveaux.
 
Le jour de la rentrée, les enfants et leurs parents sont accueillis dans la classe par mon ATSEM et moi-même.
 
J’essaie de consacrer un petit temps à chaque nouveau et à ses parents, je retrouve avec plaisir mes «anciens ». Ceux-ci entrent dans la classe de façon tranquille et assurée, ils « montrent » par cette attitude aux nouveaux que ce lieu n’est pas forcément angoissant. Ils sont en « territoire connu » et peuvent m’aider en :
-préparant du matériel
-conduisant gentiment un nouveau vers une activité (un enfant se laisse plus facilement guider par un de ses pairs plutôt que par un adulte).
 -mettant en place, dès le premier jour, quelques règles de vie (quand tu as fini le jeu, tu le ranges.)
 
Je trouve que ce mélange d’enfants (anciens, nouveaux, TPS, PS, MS) très riche, permet une adaptation à l’école plus en douceur et dédramatise beaucoup ce moment difficile qu’est celui de la séparation d’avec son milieu familial
 
Pendant le temps de la récréation,nous faisons cour commune avec les primaires, mais les maternelles disposent d’un quart d’heure, seuls, avant la sortie des grands.
 
Les enfants profitent donc de ce moment où ils sont peu, pour faire connaissance et apprivoiser ce lieu nouveau qu’est la cour.
 
Lorsque les primaires sortent, les enfants de maternelle retrouvent leurs frères ou leurs sœurs, leurs voisins... Les grandes filles prennent plaisir à prendre en charge les plus petits, à les promener, à les câliner.
 
L’intégration des nouveaux se trouve encore facilitée par cet autre “mélange”.
 
Patricia Boust - 76 Motteville
 
 
 
 
Une étiquette pour se connaître...
Une rentrée en banlieue rouennaise
 
Je travaille en ZEP dans une école de 7 classes à l’architecture typée des années 60-70 :
 
- Au rez de chaussée : entrée, salle de jeu, réfectoire, salle d’eau, 3 classes (2 avec des 2-3 ans, 1 avec des 3 ans) et 2 petits dortoirs, le tout desservi par un immense couloir.
 
- A l’étage : 4 classes (pour les moyens et les grands) et une salle d’eau, toujours desservies par un immense couloir.
 
Il y a 10 ans, 210 enfants étaient accueillis dans cette école. Grâce au passage en ZEP, nous n’en avons plus «que » 175 dont 75 petits.
 
Pour un bon accueil des enfants, les enseignants ont mis au point un système permettant de visualiser chaque groupe classe.
 
Nous invitons les familles, le jour de la pré-rentrée, à venir visiter la classe et nous donnons à chaque enfant une étiquette de couleur avec son nom. Elle sera accrochée sur son vêtement pendant 2 semaines. Si l’enfant mange à la cantine un coin de son étiquette est coupé.
    
Chaque classe a sa couleur qui est aussi affichée à l’entrée et aux lieux de sortie, portes des classes pour les petits, portes de la salle de jeu pour les grands : les parents, mamies, nounous ne cherchent plus parmi les 7 (!) portes de sortie…
 
Chaque enfant prend conscience de son appartenance à un groupe classe. Il repère ceux des autres classes par leur couleur, les grands aident les plus petits à rejoindre leur groupe.
 
C’est un moyen très visuel qui permet à tout le personnel de l’école (7 instits, 6 ATSEM, 2 aide-éducatrices, 1 cuisinière, 3 employées à la surveillance du temps de cantine) d’aider les enfants à s’orienter dans nos locaux si vastes.
 
Les petits sont très souvent incapables de mémoriser le nom de la maîtresse et même parfois de dire leur prénom. Cela évite bien des pleurs.
 
Grâce à ce système, tout le personnel de l’école apprend aussi très vite le prénom de chaque enfant et cela nous permet de leur donner rapidement de l’autonomie pour se rendre librement aux toilettes très éloignées de la classe, sans craindre que les enfants ne se perdent.
 
Au bout de 2 semaines, les enfants s’orientent sans problème dans l’école, les étiquettes sont enlevées.
 
Agnès Muzellec
Maternelle Maupassant
76 Canteleu
 
 
La maternelle,
les séparations
 

 

Maryvonne Roullier est rééducatrice en psychomoticité, dans un réseau d’école à Rouen, elle rappelle, dans cet article quelques points de la réalité que nous avons tôt fait d’oublier, dans l’Education Nationale mais aussi dans les lieux de la Petite Enfance. Nous les laissons sur le bord, nous les oublions, ils nous gênent. Pourtant, ils sont centraux, et plus on les malmène, plus leur retour est violent.
 
 
La séparation :
un vrai travail en soi.
 
Avons-nous jamais fini de l'apprendre ?
 
Par quel bout de nous-même sommes-nous en accord avec un autre ? Quelle partie de soi refuse le contact avec celui-là ou un autre encore ? Contact direct, contact des idées... Vaste sujet. Passionnant tout au long de la vie.
 
La séparation qui nous concerne aujourd’hui, celle du tout-petit de deux ans, signe une entrée à l’école, et simultanément, une sortie de la maison. La Palissade.
 
Un passage
 
Quelques uns vivront ce passage entre accueil et grandissement. D’autres, entre gouffre et expulsion. La plupart oscilleront entre ces deux extrêmes. Ce qu’on rêve, en haut lieu de décision, simple formalité banale, une inscription, recouvre, en fait, pour l’enfant un réseau complexe.
 
Depuis plus de deux années se sont tramées des relations corporelles, affectives, langagières ; des échanges, des partages, des frustrations aussi ont constitué un tissu plus ou moins ténu, parfois bien mince et déjà rapiécé.
 
C’est sur ce fond que nous aurons à proposer de joindre quelques fils nouveaux, d’une autre couleur forcément, le bain n’est pas le même, d’une texture différente. Il y faudra du soin, de l’attention, du bon sens et de la créativité. C’est une œuvre commune, un bel ouvrage.
 
Une rupture
 
Se séparer implique d’emblée deux termes. Deux personnes en relation. Deux qui se connaissent, se devinent mutuellement dans des signes imperceptibles pour d’autres. Deux qui sont attachés, parfois par le seul lien biologique... Un humain ne survit pas sans l’autre. Tous, nous sommes issus d’une dépendance première. C’est cela que vient manifester, faire hurler parfois, ou chanter - ça arrive - la séparation.
 
Les temps de solitude, les espaces et leur appréhension, nous montrent comment chacun vit la disparition de l’autre. Comment il le tient en survie dans ses appels continus ou répétés. Comment il sait déjà le retour assuré. Comment il s’étourdit ou s’acharne à la tâche pour ne pas laisser faire le vide entre les deux.Habiter le vide.
 
D’abord, le reconnaître. Le connaître une fois, le retrouver plusieurs fois sans se déboussoler. Retrouver le vide et découvrir qu’il est vivant, que l’écho des mots déjà dits y résonne, que les images sensorielles n’y sont pas effacées : les caresses, les sourires, les goûts, les sons, les parfums, les odeurs. Que le lien y persiste, qu’il ne rompt pas. Qu’on va se retrouver : reprendre la main de l’autre, le tenir près de soi, dans la mutualité.
 
Touchez quelqu’un : lui aussi est touché, se laisse ou non toucher, résiste ou vient dans le contact.
 
L’attachement du parent prend des formes. Il apprend. L’enfant découvre, ressent avant de dire en mots. Ce que nous en percevons, repérons, n’est qu’une infime partie d’un profond remaniement pour les deux.
 
Une part de risque
 
Confier son petit à quelqu’un comporte une part de risque, de danger potentiel. Les contes nous enseignent sur les angoisses que suscite l’étranger. La pomme empoisonnée n’est pas loin. Elle titille chaque parent du côté de sa propre enfance, petit qu’il a été. “Tu verras, elle est gentille Madame Ursule !”
 
A qui parle-t-il ? Aux deux assurément. Le parent se rassure et assure son petit dans sa réassurance. Sans parler d’un contrat de confiance, nous pourrions sérieusement réfléchir au lien écrit entre famille et école où se scellerait le réel partenariat éducatif. L’école gratuite apparemment... peut s’avérer coûteuse dans les transgressions qui s’engouffrent dans les espaces du non-dit. Les rivalités inconscientes s’y expriment. L’enfant en fait les frais.
 
La pensée qu’on appelle de tous ses voeux à l’école, est bien impuissante, tout au moins limitée en ces instants. C’est une autre logique qui prévaut alors. Une forme poétique de la pensée, qui s’appuie sur l’instant, saute sur le temps, enjambe l’espace, s’accroche sur l’irrationnel et cristallise les événements. Elle peut sembler incohérente, morcelée, partielle. Elle est enfantine, corporelle d’abord, typique du jeune enfant qui entre dans le langage, qui fait des liens là où il peut, à partir de tous les bouts de réel qu’il a pu rencontrer - bons ou mauvais - et qui se laissent saisir, qui ne lui échappent pas. La linéarité, la permanence, la continuité : il ne les a pas intégrées. Son langage, ses modes d’expression surfent sur son émotion, son mouvement. Il danse sa pensée, il agit son langage. Il se déplace avec eux au gré des perceptions, de ce qui l’attire ou le rebute.
 
 
Une construction fragile
 
Tout ce qui va attaquer la relation initiale va mettre à mal cette construction pour exister par soi-même. Il faut garder en mémoire que l’enfant individué est celui qui a traversé l’adolescence et sa révolution... A deux ans, même si de nombreux points des tremblements de terre se ressemblent, l’enfant n’en est pas là de sa métamorphose.
 
A deux ans, parfois plus tard encore, le petit ne possède pas les outils pour lier, donner du sens commun par lui-même à partir d’éléments. il croit ce qu’on lui dit, ce qu’on lui manifeste. Autant de réalités. Il n’a pas le choix. Il s’appuie sur ce que les autres proposent. Là encore, bon ou mauvais. Il est dans le contexte. Immergé. Noyé souvent. Incapable de faire seul la part, de s’organiser sans un soutien, en connaissance de cause... comme on dit ! Il sélectionne à partir de ses acquis antérieurs et avec le peu de recul qui est le sien. Sur un mode entier : je prends / je laisse. C’est bon / c’est mauvais.
 
L’enfant n’est pas dans notre mémoire. Celle qui prévaut à l’école, en particulier. Ni en qualité de classement, ni en quantité et richesse. Et surtout, il n’a pas conscience d’être possesseur de quelqu’outil que ce soit. C’est l’adulte qui lui révélera ses compétences, et ses pairs. Lui sait (parfois même pas) le titre de l’histoire qui le concerne : son prénom et quelques personnages de son roman à peine commencé.
 
On pourrait comparer cet enfant qui découvre un nouvel espace de vie à un escaladeur novice. Certes, il a franchi quelques voies, il sait quelques appuis. Parfois dans l’émotion ou les turbulences, ils lui échappent. Il peut trembler. Songez à la panique qui peut être la sienne s’il doit tenir à des parois inconnues, où les aspérités utiles se dérobent, où les écarts sont trop grands. A son désarroi, tout autant, si on le contraint à demeurer sur une margelle, certes stable, mais si limitée et coupée du reste du trajet... Et tout ça, sans harnais ni rappel pour quelques uns bien démunis... Sidérés, affolés.
 
Je file la métaphore. Elle n’est pas outrancière.
 
Le petit peut se sentir laissé tomber, abandonné, comme dans les pires cauchemars qui vendront plus tard le réveiller, où il tombe sans fin.
 
Vous savez...comme Alice. Nous devons garder cet effroi en mémoire pour ressentir un peu ce que vit le petit dans sa panique.
 
Comment le secourir ? 
 
Le remettre debout tout entier. Tous les moyens sont bons, moins pires que l’indifférence en tout cas.
 
Accueillir, c’est d’abord cela. L’hôtesse invite à se poser. Se sentir bien. Elle met tout en oeuvre.
L’école est un lieu différent. Peu à voir avec la maison. Comment faire pour que le petit y retrouve du déjà connu ? Des indices utiles et favorables ? Un lieu de vie...
 
L’enfant qui commence à parler sort à peine du chaos, du “raboutage”, de la composition corporelle de sa propre personne. L’enfant est ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qui le constitue.
 
Il est dans son corps, dans sa matérialité mais aussi dans tout ce qui lui échappe.
 
Il est ses émotions, sans en connaître, pour l’essentiel, la cause, le début et sa fin. Il est traversé. En cela, il est subtil, volatile, imprévisible. Rien à voir avec l’adulte, massif, monolithique, parfois...tenu dans son unité. Il peut se défaire, se transformer, nous étonner. Il est impressionnable et déroutant.
 
Accueilli/ attendu/ rencontré. Le sourire, celui des yeux et de tout le corps. L’ouverture. Les bras pour s’y abriter. Mouvement du corps.Manifestation de cette mère « suffisamment » attentive pour préserver le fragile en l’autre. C’est la premier portage. Celui d’avant les mots. Le plus direct. Utile, bienfaisant mais incomplet s’il n’est pas doublé de la parole. N’oublions pas.
 
Relier ET séparer
 
Contenir, retenir dans la chute, l’anticiper, mais garder le mouvement. La terre freine un peu. Elle ne s’arrête pas.
 
Les mots pour dire simplement qu’on est là, ce qui arrive, ce qui viendra. Que la vie continue. Dans cet espace proche et pudique d’un adulte qui accompagne un enfant, ses parents sont d’accord. Qui ne prend la place, ni du parent, ni de l’enfant !
 
Ecole maternelle qui parle, qui ouvre au paternel. Qui veille aux impasses. Les mots proches des sons connus, des berceuses qui vont et viennent, rassurent par la continuité qu’elles construisent. Et jouer de la mélodie, du silence aussi.
 
Accompagner
 
C’est l’enfant qui joue la partition principale.
 
Cette approche, cet apprivoisement mutuel, peut être proposé au niveau de l’enfant. On peut lui laisser ses appuis au sol.
 
Ses pieds, ses genoux, son bassin. Sans oublier son dos. Lui faire perdre le sol, le soulever, implique qu’il faudra s’accorder le temps du prochain atterrissage. Détour plein d’intérêt, s’il est dit à celui qui le vit, qu’il peut tenir debout tout seul, sans béquille. Encore faut-il qu’il l’éprouve, qu’il l’admette…
 
Porter un petit sans le décoller de ce qui le fonde, ses racines corporelles. Il a mis une année à les conquérir !
 
Il suffit de s’accroupir, s’asseoir à sa hauteur.
 
Un autre portage peut constituer à lui proposer de se poser sur/dans un porteur. De ceux qui roulent, mais pas trop vite, de ceux qu’on pousse, si on veut, en arrière, qui avancent si on appuie jusqu’au bout des orteils, qui contiennent, assurent le dos, ne se renversent pas, et permettent de circuler d’un espace à un autre avec de longs temps de stationnement.
 
Seuls les yeux bougent. Ils enregistrent ce qui arrive du dehors. Témoin immobiles, mais non passif. L’enfant apprend. Il vérifie si ce qui est dit, énoncé, est bien ce qui est fait. Si la douce maîtresse ne se transforme pas en citrouille, en sorcière, en affreuse qui fait peur. Si tous les autres inconnus qui encombrent l’espace, bouchent l’horizon, laisseront un chemin pour avancer un peu.
 
L’enfant assure sa permanence
 
Il est là. N’est-ce pas ce qu’on demande?
 
Quand les trajets s’organisent, le mouvement revient, au dedans et dans les pas, d’autres connaissances se nouent, avec les coins pour jouer, les enfants différents, les codes repérés.
 
La circulation reprend. Des idées naîtront. Et l’adulte présent, fiable, qui fait signe de loin, occupé mais disponible, qui appelle, prénomme, invite au voyage.
 
Partir/revenir, se saluer, jouer avec ce qui ne doit pas demeurer figé. Jouer son rôle, celui de ses parents, ouvrir aux représentations. Avant d’être objectif pédagogique, elles sont ce qui nous fonde humain, pas animal...
 
Il est bon de dire, utile, indispensable. Les mots peuvent prendre corps, formes diverses. L’enfant tout petit est sensible à cet effort qu’on fait pour lui proposer du presque, de l’approchant. Dessiner un rond qu’il nommera Maman ou ballon, ou bébé, ou vélo, qui lui parle en tout cas; modeler une bille, un boudin c’est papa, la voiture ou le pain que maman va acheter avant de revenir. Lui tendre un crayon, ouvrir pour lui le coffre des trésors. Je trace et l’absent n’est plus mort. J’évoque, il vibre en moi.
 
Au tableau, le jeu se poursuivra entre craie et éponge. La jubilation d’effacer cette marque. “Coucou ! Partie. La méchante maman qui ose me faire ça!” Il peut dire sa colère, apprivoiser sa peur et retrouver sa mère un peu réconcilié.
 
Le rôle de l’adulte
 
L’adulte, s’il sait jouer, peut contribuer à ces transformations. Il prend la place d’un partenaire de jeu, ne souffle pas les répliques, mais répond à l’enfant sur des points fondamentaux simples autour de l’absence, de ne plus voir et d’être perdu.
 
Il ouvre l’enfant, de la façon la plus heureuse, au monde de l’école, au projet ambitieux d’accéder au symbole : ce qui tient deux éléments ensemble sans les confondre ou en annuler un.
 
On peut aussi écrire avec un tout petit : il dicte. Il remettra le message en main propre à son destinataire. La parole soutenue dans la trace. La parole qui dit l’émotion et sa trace qui montre d’autres formes, qu’on prend en main, qu’on maîtrise un peu mieux, qu’on range et qu’on retrouve...La parole en mémoire. L’histoire qui se lit, qui se lie…
 
Maryvonne Rouillier
Rééducatrice en psychomotricité
au sein d’un réseau à Rouen

 

Le secteur maternelle de L’ICEM édite un bulletin depuis trois ans : “Chantier Maternelle”, il est alimenté par :
-des productions individuelles d’enseignants ou de professionnels souhaitant partager leur approche de la Pédagogie Freinet ;
-des productions collectives émanant de différents groupes départementaux et de groupes de travail constitués lors des rencontres nationales de l’association.
 
Le secteur profite des rencontres nationales de l’ICEM pour échanger, s’organiser et structurer la réflexion. Il organisera un stage ouvert à tous pendant les vacances de Novembre sur le thème : “La Pédagogie Freinet en maternelle”.
 
Abonnements : Jacqueline BENAIS - 37 rue Hélène Boucher - 56600 LANESTER (chèque libellé à l’ordre de l’ICEM)
collection complète des numéros 1 à 11 : 130 F
abonnement pour l’année en cours (n° 8, 9, 10 , 11) : 50 F
abonnement pour les n°4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11 :100 F
 
Coordination :
Muriel Quoniam - 1 bis rue Pierre Curie - 76100 ROUEN - quoniam[arobase]wanadoo.fr