Raccourci vers le contenu principal de la page

Les arbres de connaissance, vers une nouvelle économie de la connaissance

Dans :  Techniques pédagogiques › évaluation › 
Juin 1997

D'une certaine façon, les ADC sont un moyen de parler des problèmes que rencontrent les hommes et les femmes et de leurs efforts pour essayer de les résoudre. Et si vous n'aviez qu'une idée à retenir à propos des ADC, ce serait celle-ci : c'est un instrument qui essaie de faciliter au maximum les efforts que font les personnes pour résoudre les problèmes auxquels elles sont confrontées.

 
Le principe humain, philosophique, éthique qui est derrière ces ADC, c'est que la seule façon de donner sens à tout ça, c'est d'écouter le sens que chacun donne à ce qu'il connaît de "ça". Si incontestablement l'information se trouve dans les électrons, dans les molécules d'encre sur du papier blanc, dans les molécules colorées des images, des photographies, des films etc... la connaissance sur cette information, elle, n'a aucun support physique : elle se trouve dans les personnes qui combinent ces informations. La richesse n'est pas dans le stock, elle est chez les gens qui connaissent des petites portions du stock.
 
Vers une économie du partage
 
Il semble qu'il y a un glissement de la productivité vers la compétitivité, de l'accroissement de la quantité vers un accroissement de la qualité, alors nous passerons, et c'est souhaitable, d'une économie des produits, d'une économie de manque, vers une économie des connaissances, une économie du partage.
Ce qui fonde la richesse que vous avez en concédant un objet, c'est le fait que, si vous le donnez, vous ne l'avez plus. La rareté est de ce côté-là. Il est bien évident que du côté de la connaissance, il n'en va pas de même : plus vous donnerez votre savoir, plus vous le maîtriserez, et donc, plus vous le donnerez, plus vous le garderez. Cela semble dérisoire, mais il s'agit en fait d'une grosse mutation.
Il faudrait arriver à faire parler ceux qui possèdent cette richesse qui s'appelle : le besoin de connaître, le besoin d'apprendre, le besoin d'être formé. C'est un retournement important puisque, si on va au bout de ce raisonnement, les riches de cette économie ce sont les pauvres ! C'est à dire que ce sont ceux qui ont les plus grands besoins qui vont donner le plus de sens à cette nouvelle économie du savoir.
Ce que fait le logiciel des ADC, c'est une cartographie des états de compétences des entreprises, des collectivités, des connaissances dans les écoles, des connaissances dans les quartiers, cartes sur lesquelles les hommes vont pouvoir inscrire leurs richesses personnelles. Et bien évidemment, parce qu'ils ont une richesse personnelle qui intéresse le collectif où ils s'introduisent, ils auront la possibilité de transformer ce collectif, de l'enrichir, de le faire évoluer. Donc il s'agit bien d'une cartographie des territoires de compétences ou de connaissances, mais d'une cartographie dynamique, évolutive, vivante dans le temps.
 
Mais à quoi tout cela va-t-il servir ? Quelles en sont les finalités ?
 
Première finalité : la capitalisation
 
Capitalisation de tous les savoirs, de toutes les connaissances, des potentiels qu'offrent les uns et les autres. Le mot capitalisation, choisi à dessein, s'oppose à accumulation, qui désigne généralement la pratique relative à l'information. Vous entrez dans une base de données tous les rapports, toutes les informations que vous pouvez avoir, tous les discours des uns et des autres, tous les résultats d'enquêtes des uns et des autres et puis vous constituez un stock, vous avez une accumulation dont vous ne pouvez sortir que les choses que vous connaissez. La capitalisation poursuit un rêve différent que vous connaissez bien : si l'on capitalise, c'est pour en extraire plus que ce que l'on y a mis.
Capitalisation pour que chaque personne qui apporte fasse fructifier ce qu'il apporte et en retire plus. Ce "plus" n'est pas forcément ce qu'il y a mis personnellement.
 
Deuxième finalité : l'implication
 
C'est la plus importante, à mon sens. Des quantités importantes d'individus vont se retrouver ensemble et faire émerger une forme qui n'a de sens que parce qu'elle est une production collective. Production collective au vrai sens du terme, c'est à dire au sens de : production du collectif.
Les individus se présentent, porteurs d'informations particulières, avec leur expérience de richesse personnelle, de connaissances, de compétences etc... Ils les proposent de façon uni-dimensionnelle selon une liste qu'ils gèrent plus ou moins eux-mêmes en fonction de l'intérêt qu'ils ont avec les autres. Ensuite le mélange qui se fait de tous ces fils personnels produit une image en deux dimensions qui implique la présence de chacun, un pour tous, tous pour un. Ainsi chacun va voir quelle est la position qu'il occupe dans cet espace, quelle est son implication dans le collectif de travail, d'apprentissage, de formation, de connaissances. C'est pour cela que ce système a été conçu au départ. Pourquoi ? Parce que l'on partait de l'hypothèse que les phénomènes d'exclusion sont liés au fait que l'implication des personnes dans un collectif n'est pas reconnue, et en particulier un certain nombre de systèmes de certifications sont faits, pour des raisons pratiques et d'efficacité, de telle façon qu'ils ennoblissent un certain nombre de savoirs. Ce faisant ils empêchent, involontairement mais de fait, la reconnaissance d'un certain nombre d'autres savoirs qui seraient très importants pour l'identité des personnes. Si, dans un arbre, les gens peuvent incrémenter des savoirs dont ils perçoivent l'utilité dans le groupe auquel ils appartiennent, chacun comprendra alors son implication dans le collectif et curieusement, cette implication renforcera le collectif et suscitera des dynamiques collectives qui n'existaient pas auparavant.
 
Troisième finalité : la mutualisation
 
L'ADC est en fait une caisse de mutualisation. Chaque acteur y apporte ce qu'il veut bien apporter au collectif pour dire : "moi, derrière telle compétence, je mets telle ressource de formation, derrière telle autre compétence, je dis que j'ai besoin de deux personnes, derrière telle autre compétence, je dis que j'ai cette compétence et que je veux bien l'apporter aux gens du collectif qui pourraient en avoir besoin". Donc tissage des liens entre les personnes mais selon un modèle très curieux : le lien passionnel entre les personnes n'a pas à être géré puisque ce qui compte, c'est que les gens apportent ce qui les intéresse et en retirent ce qu'ils veulent. Nous ne sommes plus dans la relation concurrentielle.
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'il n'est absolument pas question d'empêcher les gens de se rencontrer, bien au contraire. Il est question de faire en sorte que la connaissance de la condition sociale ou de la condition civile de l'individu, qui est parfois un frein à la rencontre, ne le soit plus. Parce que si ce que l'on recherche, c'est la compétence ou la connaissance, alors c'est sur ce point là que l'on doit pouvoir faire porter sa recherche.
Extraits d'une conférence de Michel Authier à Poitiers
 
Bibliographie :
P. Lévy et M. Authier : Les Arbres de la connaissance, éditions La Découverte, essais, poche
P. Lévy : L'intelligence Collective. Pour une anthropologie du cyberspace, éditions La Découverte Sciences et société. Les nouveaux outils de la pensée, éditions Descartes. Les technologies de l'intelligence, l'avenir de la pensée à l'ère de l'informatique, éditions La Découverte. La machine univers création cognition et culture informatique, éditions La Découverte.
M. Authier : L'analyse institutionnelle avec Rémi Hess, PUF. Les chapitres sur l'optique et Archimède dans les éléments d'histoire des sciences, sous la direction de Michel Serres, Bordas. Théâtre. L'Eve future. Marat Corday. Le remède Dieu.