Février 1996
"Lorsqu'on sait que l'enfant forge son tonus postural entre six et huit ans, que c'est l'âge du primaire, et que ces enfants là sont très souvent assis à leur table pendant six heures par jour, cela pose un problème...
On demande à la fois à l'enfant d'être réceptif à un enseignement et on le met dans un état de tension tel qu'il ne peut pas être réellement réceptif. En fait, le mouvement est une nécessité physiologique, c'est un besoin, c'est la pulsion de vie de l'enfant, et le supprimer, couper l'enfant de cette pulsion de vie, c'est lui couper son état d'être..."
Véronique Girard (1)
Heureusement, les enseignants sont persuadés aujourd'hui dans leur immense majorité qu'il faut "faire du sport" à l'école, même si les pratiques sont très diverses : sport, éducation physique, sportive, éducation corporelle, culture physique, expression corporelle, danse... autant de vocables qui recouvrent des réalités et des pratiques bien différentes. Comment s'y retrouver ? Que faire ? L'ambition de ce dossier est d'apporter quelques éléments de réflexion...
Les textes de 1969 à aujourd'hui
Jusqu'en 1969, l'horaire hebdomadaire consacré à l'éducation physique était de 2 H 30. Horaire peu respecté d'ailleurs...
En 1969, l'arrêté du 7 août fixait cet horaire à 6 heures, c'est à dire autant que pour les champs disciplinaires dits "fondamentaux" : apprentissage de la langue, mathématiques... C'est ce que l'on a appelé le "tiers temps pédagogique" : déjà l'idée émergeait que la pratique du sport et du plein air devait être utile à quelque-chose...
Peu d'enseignants, pourtant, se sont montrés suffisamment convaincus pour affronter les critiques des parents (et quelquefois de l'institution même !) envers ces classes qui "étaient toujours dehors".
L'éducation physique appartient aujourd'hui, depuis août 1990, au troisième groupe de disciplines (avec les enseignements artistiques) dont l'horaire hebdomadaire varie de 5 heures 30 (cycle 3) à 6 heures (cycle 2).
Les programmmes précisent que "la répartition des horaires par champs disciplinaires sur plusieurs semaines et selon des rythmes différents est possible..." (2)
A propos des instructions officielles
Si une évolution est indéniable, on constate malgré tout, et bien qu'elles s'en défendent, que les instructions officielles de 1995 risquent de véhiculer encore le vieux dualisme corps-esprit :
"La rubrique "éducation physique et sportive" signifie qu'il doit y avoir, par ailleurs, une éducation intellectuelle. Bien sûr des indications contraires s'y trouvent en grand nombre (en particulier dans les considérations générales), mais il n'empêche que, de fait, la majorité des enseignants a tendance à faire un classement simple, voire simpliste : d'une part les disciplines intellectuelles, porteuses de savoirs (arithmétique, géométrie, orthographe, grammaire...) dont les contenus sont à maîtriser en tant que tels, d'autre part les disciplines dites secondaires (éducation esthétique, musicale, physique...) qui permettent la mise en place de savoir-faire et dont les contenus d'enseignement sont laissés au libre choix des praticiens (...)
Certains maîtres proposent alors les activités pour les activités, tablant parfois sur d'hypothétiques vertus morales intrinsèques aux sports."
G. Pagès (3)
L'éducation physique
L'éducation physique a pour objet d'apprendre (ou de réapprendre) et de maîtriser les gestes naturels pour lesquels notre corps semble avoir été conçu, de multiplier et d'amplifier les expériences. Tous les enfants savent courir : mais notre travail consiste à leur apprendre à connaître leurs propres possibilités (évidemment différentes pour chacun) pour savoir doser, adapter leur effort, courir vite ou longtemps.
Tout le monde sait sauter : mais l'éducation physique apprendra les gestes utiles pour une meilleure efficacité : sauter plus loin, plus haut, avec ou sans élan, oser, mesurer le danger ...
Nous avons tous constaté, en passant avec les enfants à côté d'un plan d'eau, d'une rivière ou d'un étang, que lancer (des cailloux en l'occurence) est une activité on ne peut plus naturelle. Là encore, l'éducation physique fait prendre conscience des gestes qui permettent de lancer haut, loin, de viser etc...
Nous pourrions multiplier les exemples : les gestes sont naturels en situation incitatrice, mais l'éducation physique donne aux enfants les compétences nécessaires pour lutter, rouler, tenir en équilibre, se déplacer en fonction des circonstances, des obstacles, glisser, attraper... Elle permet la découverte des gestes les plus appropriés et les plus économiques à chacun, en fonction de ce qu'il est. Il s'agit de prendre conscience de l'acte pour le maîtriser et en user par rapport à ses projets personnels, en toute connaissance de ses possibilités... et de ses limites.
Le sport
D'abord à but hygiénique, puis militariste, le sport est aujourd'hui un véritable fait social. Dans cette société de quasi-disparition de l'acte physique, l'accès aux sports-loisirs intéresse de plus en plus le monde de l'économie et le monde politique : lobbies, médias. Le sport est aujourd'hui avant tout un jeu, que ce soit pour le pratiquant ou pour le spectateur.
L'idée de sport nous paraît induire des objectifs de dépassement, de performance :
- le dépassement de soi en premier lieu : chercher à faire toujours mieux, plus vite, plus loin, plus précis, plus efficace.
- le dépassement des autres, inévitable et qu'on ne peut ignorer : marquer des points ou des buts à l'adversaire, à l'équipe adverse, aller plus vite ou plus haut que... Le sport se situe délibérément dans un système compétitif, qui lui donne bien souvent sa raison d'être :
"Les enfants aiment se mesurer entre eux, ils aiment la compétition. Si le but n'était pas de gagner, de vaincre, l'intérêt serait bien souvent bien moindre. Jouer au ballon sans marquer de but, faire des échanges de tennis de table sans compter les points, courir sans faire la course... tout cela les ennuie bien vite"
D. David (4)
Plutôt que de rejeter ou de nier l'intérêt de la compétition, n'est-il pas préférable d'apprendre aux enfants à penser en termes de dépassement (de lui ou des autres...) et non en termes de supériorité ou d'infériorité ? Le sport peut être la meilleure ou la pire des choses, et c'est là que l'éducation doit prendre toute sa place.
Dans E.P.S, il y a "Education"
La philosophie d'un certain nombre de clubs, relayée bien souvent hélas par les médias, se limite trop souvent à "il faut gagner coûte que coûte !" (l'enjeu étant bien souvent plus l'argent ou la gloire que le sport lui-même).
Les (pseudo) suporters se montrent très souvent prêts à tout ; en tout cas les médias n'en parlent que dans ce cas. Mais le phénomène est avant tout un phénomène social : les matches sont devenus les exutoires, les paliatifs qui permettent d'oublier sa propre condition et d'en faire peser sur l'adversaire (qui devient alors l'ennemi) la responsabilité.
L'argent pourrit trop souvent le système, transformant en demi-dieux les acteurs et ouvrant la porte à toutes les corruptions.
L'arbitre, resprésentant de la loi, devient celui qu'il faut haïr et tromper, voire soudoyer...
Oui, nous pouvons encourager les enfants à vouloir gagner. Mais pas coûte que coûte ! Le but du jeu est de gagner, mais sans mépriser l'adversaire, en respectant les règles... en se respectant soi-même. La compétition, si elle trouve sa juste place, mais rien que sa place, fournit le prétexte au jeu, à la performance.
Les compétitions sportives sont pour nous, éducateurs, un excellent prétexte pour confier des responsabilités aux enfants :
- qui forment les équipes
- qui établissent, modifient coopérativement les règles
- qui occupent à tour de rôle tous les postes : joueurs, observateurs, arbitres...
- qui participent à l'organisation matérielle des rencontres.
"Quand nous faisons des équipes, nous nous arrangeons pour qu'elles soient de niveau égal, afin que l'une n'écrase pas l'autre. Ce n'est pas si naturel pour les enfants : les "bons" ont tendance à avoir envie de jouer entre eux, à vitupérer contre les "mauvais". Mais ce qui est important, c'est que l'on discute de tout cela ensemble et alors se font des prises de conscience, il y a des évolutions dans les comportements, dans les réactions. De nouvelles règles insolites démolissent les valeurs trop bien établies... C'est une relation vraie montrant que l'enfant évolue réellement vers un respect du droit à la différence chez ses partenaires." (5)
Ce n'est pas en fonction du point d'arrivée que s'organise une pédagogie du développement, mais du point de départ. Elle se donne pour objectif de favoriser l'épanouissement de ce que tel enfant porte en lui, d'aider tel autre à devenir ce qu'il peut être, et d'abord à le découvrir. Car son avenir doit être son affaire ! Pour entrer en relation avec son propre corps, avec le monde extérieur, avec autrui, pour exercer sa sensibilité physique aussi bien qu'intellectuelle, l'enfant a besoin du regard et de l'aide des autres, et cette aide c'est l'éducation.
Là comme ailleurs, en lecture ou en mathématiques, chaque enfant est différent, de par ses aptitudes physiques, mais aussi de par son histoire, son statut social, son vécu. Ses aptitudes intellectuellles et physiques sont en relation avec ses expériences personnelles. Les apprentissages ne peuvent être qu'individuels, même et surtout à travers des activités collectives : chaque enfant s'apprend en apprenant les autres (voir encadré : expression-création sportive au CE2).
L'éducation corporelle
Pour que le développement du corps soit l'une des conditions de l'apprentissage, L'EPS, trop souvent centré sur la performance, ne suffit pas : il faut une autre approche plus fondamentale : l'éducation corporelle, qui permettra à l'enfant de modifier ses relations à l'environnement.
Nous ne ferons qu'aborder dans ce dossier l'expression corporelle, pourtant intimement liée et à ne pas délaisser, mais qui mériterait à elle seule un dossier complet. Lire à ce sujet l'article de G. Mons (rubrique "recherches ouverture" de ce numéro).
Quels objectifs pour une éducation corporelle ?
- développer les capacités perceptives, pour permettre les prises d'informations qui permettront à l'enfant d'agir sur l'environnement.
On pourrait penser que le développement des sens se fait naturellement. C'était partiellement vrai autrefois. Mais nous savons bien que les enfants issus des H.L.M, les petits campagnards même, rivés de plus en plus devant le petit écran, les uns et les autres bousculés par la course permanente des parents, bénéficient de moins en moins des expériences naturelles qui développent ces capacités. Ecouter, sentir, ressentir, goûter et même regarder... sont des compétences dont il faut prendre conscience et qu'il faut développer.
- développer les capacités d'expression et de communication
" Il en va du corps comme du langage : un corps expressif est un corps chargé de vocabulaire dont on maîtrise le sens et la profondeur. Un sujet auquel on aura permis de vivre des actions très diversifiées avec le souci de l'éveiller aux sensations nées de l'action, aura plus de moyens pour fonctionner parce qu'il aura un pouvoir d'autorégulation".
Béatrice Foucteau (6)
Se connaître, maîtriser son comportement corporel, savoir adapter son comportement au milieu, s'"autoréguler", sont les bases d'une expression libre et consciente si importante pour les enfants et les adultes. Les sciences de la communication accordent une grande place au corps, au geste et à son effet sur l'autre.
- offrir le pouvoir de l'action
Agir sur le milieu, sur les êtres ou sur les objets (sur le monde). Cette capacité découle bien-sûr des deux précédentes, mais on pourrait en ajouter d'autres, plus fonctionnelles, comme courir, sauter, grimper, attaquer et se défendre, lancer... sans oublier les capacités de motricité fine (utiles aux apprentissages "intellectuels" comme tracer, découper, coller...) qui font partie également, même si on les développe aussi à d'autres moments, de l'éducation corporelle.
Il parait donc souhaitable, à chaque fois que les conditions le permettent, d'emmener les enfants hors l'école, dans la campagne, dans la forêt, dans les parcs des villes même (à condition qu'on ait le droit de marcher ailleurs que dans les allées !) pour qu'ils apprennent à connaître et utiliser toutes les ressources de leur corps. Les enfants redécouvriront, pour peu qu'on le leur permette, nombre d'activités naturelles.
Toutes les écoles ne bénéficient pas de la proximité de ces terrains d'aventure naturels. Faute de mieux, et les enseignants de ville le savent bien, on peut mettre en place des parcours artificiels.
Lorsqu'on voit alors ces enfants (qu'on amène en voiture jusqu'au portail) redécouvrir les gestes fondamentaux, on se dit que ce n'est pas du temps perdu...
Citons, parmi les autres lieux permettant une éducation corporelle : la piscine, la patinoire, la cour de l'école même, qui offre souvent des possibilités insoupçonnées et inutilisées (odeurs, bruits, obstacles, ...), et bien-sur les lieux de classe transplantée toujours très riches. Tout milieu inconnu des enfants leur offre de nouvelles situations d'apprentissage de leur corps.
Expression-création sportive au CE2
Expression, communication, tâtonnements, coopération, personnalisation des apprentissages, ces activités rassemblent, plus que toutes les autres peut-être, les grands principes de la pédagogie Freinet.
Je considère mon approche du sport à l'école dans la droite ligne des autres langages (écriture, mathématique, dessin, peinture...). Pour se développer pleinement, l'expression-création doit être envisagée transversalement (...)
En règle générale, le schéma d'une séance se décline ainsi :
- au début, une consigne minimale du genre : "vous inventez toutes sortes de jeux avec votre balle en utilisant seulement le haut de votre corps" ou "vous cherchez différentes façons de marcher". Par la suite, j'introduis des variantes sur les parties du corps à mobiliser, les objets utilisables, le nombre de partenaires dans la création ou encore l'espace de jeu. Les enfants créent selon la consigne pendant quelques minutes. J'observe, je participe parfois (le fait que le maître "se mouille" et tâtonne lui-même dans ses essais lève souvent des inhibitions et suggère accessoirement des nouvelles pistes). Certains inventent, d'autres recréent ou imitent tout simplement.
Au bout de quelques minutes, je provoque un regroupement et propose à chacun (chacune) ou chaque groupe, sinon à quelques-uns dont les créations me semblent ouvrir des pistes, de présenter leur création tout en l'expliquant.
- Ensuite je propose, soit à tout le monde de reprendre et de développer une des créations présentées en cherchant à la complexifier dès que les gestes seront maîtrisés, soit de choisir parmi ce qui a été présenté afin de le développer. Certains ne manquent pas de dériver à partir des idées de départ et d'explorer d'autres pistes. C'est aussi le moment où je peux porter mon attention sur ceux qui ne sont pas les plus à l'aise dans ces activités motrices (...)
- Je sélectionne parfois quelques idées parmi les plus intéressantes qui ont émergé pendant la phase d'expression-création et je propose autant d'ateliers tournants sur la base de fiches explicatives, sur une ou deux séances.
- Certaines créations collectives peuvent aussi servir de bases pour l'invention de jeux collectifs dont on élaborera progressivement et coopérativement les règles.
Il m'arrive aussi de puiser dans le fonds de jeux collectifs classiques qui demandent un minimum de consignes pour être lancés et présentent donc l'intérêt d'être évolutifs. Nous construisons d'autres règles ensemble au fur et à mesure du jeu, suivant les difficultés et conflits qui surgissent."
P. Descottes
Education physique et démocratie
"Vivre sa petite enfance dans un logement exigu et surpeuplé expose à la fois aux retards psychomoteurs, aux troubles du comportement et à une pauvreté intellectuelle fréquemment définitive. Faute d'espace, l'enfant n'y peut déployer l'activité psychomotrice qui lui permettrait de prendre conscience et possession de soi. Il dérange inévitablement des parents eux-mêmes mal à l'aise, il entre en conflit, fait de l'opposition ou se replie sur soi... bref il accumule toutes les chances d'échec scolaire, d'échec social, il s'engage à son tour dans le cycle infernal..."
Mme Chombard de Lauwe (7)
Autrement dit, la pratique d'une éducation physique à l'école est un facteur d'égalité pour les enfants, elle évite que le "riche" devienne plus riche et le "pauvre" plus pauvre. Elle permet à celui qui n'a pas la possibilité de le vivre à l'extérieur de parvenir à la connaissance et à l'estime de soi, y compris de son schéma corporel. Elle le met en confiance, le réconcilie avec lui-même. Nous avons tous constaté que bien souvent, les enfants "en échec scolaire" sont aussi ceux qui présentent des troubles moteurs. Parce qu'elle apporte là une juste connaissance de ses aptitudes, ses compétences, ses possibilités, parce qu'elle apprend à se surpasser, parce qu'elle représente une véritable éducation de l'effort, parce qu'elle apprend à créer des lois justes avec ses pairs, à les accepter, à les vivre, l'éducation physique et sportive est un facteur de démocratisation.
Aujourd'hui, alors que la violence est quotidienne, l'éducation physique peut représenter un moyen privilégié de lutter contre cet état de fait, elle peut être un élément moteur d'une véritable éducation à la citoyenneté. L'emploi de jeux à caractère coopératif peut à ce titre renforcer les moyens pour atteindre cet objectif. (voir l'encadré : "De l'utilité des jeux collectifs et coopératifs" ) (12).
De l'utilité des jeux collectifs... et coopératifs
L'instituteur arrive tout droit de la Capitale et de ses écoles-casernes : il découvre que bandes organisées, chef de bande, souffre-douleur et racket peuvent aussi être le lot des écoles de campagne. Il propose, entre autres activités, trois jeux choisis pour leur aptitude à générer des attitudes de coopération :
"L'essentiel réside dans le fait que la pratique de ces jeux, alliée à la vie coopérative de la classe a permis une transformation des comportements observés dans la cour au moment des récréations, c'est à dire en situation de jeu libre. Les agressions individuelles ont quasiment disparu (au moins de l'école...) et les jeux sont devenus moins violents. Bien sûr, en une année, tout n'a pas été réglé, mais des améliorations notables ont pu être repérées. La plus importante à mes yeux étant que les plus jeunes (CE2) ont pu prendre leur place dans les jeux : le Conseil leur a permis de réclamer; la pratique des trois jeux en question leur a permis de savoir quoi réclamer."(8)
Philippe Wain
Une civilisation du savoir et du corps
De tous temps, les hommes se sont intéressés à leur corps (au niveau esthétique et sportif) : représentations artistiques ou/et religieuses, condamnation ou exaltation des jouissances physiques. "Le refus de la temporalité du corps, de la vieillesse et de la mort va engendrer deux mythes permanents : l'immmortalité (ou la vie éternelle), l'éternelle jeunesse" (9)
Pendant des siècles, seule une élite privilégiée avait les moyens financiers et en temps de se préoccuper matériellement de son corps. Aujourd'hui, il est devenu l'affaire de tous : on soigne son aspect, sa ligne, son bronzage, sa tenue vestimentaire, les sports d'entretien sont à la mode...
Mais cette fin de siècle se caratérise aussi par une civilisation du savoir : le nombre d'étudiants et de chercheurs va croissant, les techniques et les sciences explosent, ainsi que leur médiatisation, et les applications courantes font leur entrée dans la vie de chacun (voir l'informatique). Il faut apprendre de plus en plus vite et de plus en plus. (4)
Tous ceux qui se préoccupent de l'enfant aujourd'hui sont d'accord : l'école doit donner (redonner ?) sa place, toute sa place au corps , parce que connaissances et maîtrise de son corps et apprentissages sont indissociables.
Connaître ses possibilités, savoir se surpasser, acquérir une confiance justifiée (et non excessive) en soi, tout cela fait, comme le dit si justement l'expression, que si l'on est "bien dans ses baskets", on est aussi "bien dans sa tête".
L'éducation physique et sportive et les apprentissages intellectuels ne peuvent se passer l'un de l'autre.
"On est passé de l'idée d'une éducation physique visant la détente à l'idée d'une éducation physique utile aux apprentissages fondamentaux dans le système scolaire. Aujourd'hui, on aurait même tendance à considérer qu'il y a une intelligence motrice et qu'il n'y a pas de hiérarchie entre le sensori-moteur et le cognitif. Tout cela forme l'unité de la personne qui a besoin de développer les deux aspects pour s'épanouir totalement"
Michel Ledorze, professeur d'éducation physique (10)
La tête et les jambes
Les activités d'apprentissages (écriture, mathématiques, éveil...) peuvent trouver leur déclencheur partout, et pour cela les pratiques corporelles sont souvent particulièrement propices.
Dans le témoignage qui suit, l'activité piscine, étalée sur de nombreuses séances tout au long de l'année pour cette classe de CE1, a été le prétexte, la motivation à des écrits... qui eux mêmes ont eu une influence certaine sur l'activité. Citons quelques-unes des questions-consignes proposées aux enfants, et qui leur ont permis, par la formulation de leurs réponses, de s'approprier l'activité physique, les possiblités et problèmes corporels et même psychiques, et par là même de les dépasser :
Séance 1 : que pensez-vous de la piscine ?
Séance 2 : choix de phrases (du genre : j'ai peur dans l'eau, j'ai un peu peur dans l'eau, j'ai très peur dans l'eau, je n'ai pas peur dans l'eau)
Séance 3 : mon meilleur moment et mon plus mauvais moment à la piscine.
Séance 7 : ce que j'aimerais faire à la piscine.
Séance 11 : ce que je ressens à la piscine : mes sentiments, ce que j'éprouve.
Séance 20 : quelles sont les qualités nécessaires pour nager ?"
Les textes libres, mais aussi les textes écrits d'après "question-consigne" et les nombreux dessins montrent bien que le l'éducation du corps et celle de l'esprit sont intimement liées parce que complémentaires.
"Premiers éléments de réflexion pour justifier ces écrits :
- les enfants s'impliquent dans l'activité.
- l'écrit est une réflexion sur l'activité (réflexion qui devra si possible être argumentée).
- l'écrit peut constituer une soupape qui libèrera l'angoisse (il s'agit d'un premier contact avec la piscine pour 18 enfants sur 21).
- l'écrit peut permettre une meilleure connaissance de soi.
- l'écrit sur une activité physique prouve aussi que la tête "marche", que la réflexion, la pensée, l'analyse offrent un plus, constituent un moyen d'avancer plus vite dans l'activité.
- l'écrit responsabilise, dans la mesure où il est pris en compte dans la préparation : avant le départ, je donne le contenu de la séance aux enfants (trois groupes de niveau), en leur montrant que leur écrit a été pris en compte.
- L'équipe de formation (deux mamans et la maîtresse) disposera d'éléments (d'ordre pédagogique, mais surtout affectif) pour construire les prochaines séances.- l'écrit permet de faire le point, le bilan de l'apprentissage
- l'écrit permet de faire le point, le bilan de l'apprentissage.
- Par cette implication, l'enfant se prend plus facilement en charge : il pourra se situer sur un panneau d'apprentissage comportant les différentes étapes.
En outre, ces écrits serviront de support à la correspondance.
Il s'agit, par le choix et la formulation des consignes, d'amener l'enfant à écrire et à dessiner pour raconter, argumenter, expliquer
- ce qu'on lui demande de faire
- ce qu'il fait
- ce qu'il souhaiterait faire
- ce qu'il ressent..."
Mado Deshours
"J'aime bien la piscine. J'aime les activités parce qu'on change de personne. Je n'aime pas les cabines. Je ne sais pas nager. Les directrices sont gentilles. Il y a Katerine, Mado et Brigitte. Le plus profond fait 1,90 et le moins 1,50.
Benjamin
Enfant très angoissé par l'eau (la profondeur !). Cet écrit lui permet de se libérer. Les intervenants et la maîtresse sont appelées "directrices" : il a besoin d'un recours, d'une sorte de pouvoir pour se raccrocher... à moins qu'il ne s'agisse d'un reproche déguisé ?
Tout comme Benjamin, beaucoup d'enfants n'aiment pas les cabines : on utilisera désormais le vestiaire collectif.
Cet enfant a besoin par écrit d'insister sur son incapacité à nager : c'est une forme de demande, et nous jouerons davantage avec lui les séances suivantes.
Dessinez vous en train de nager et décrivez ce qui se passe.
Eulalia, à la fin de ce travail, me dit : "maîtresse, je viens de comprendre comment il faut faire pour nager".
Effectivement, à la séance suivante, elle fera ses premiers pas dans le grand bassin sans planche.
En conclusion
"Pour apprendre à penser, il faut donc exercer nos membres, nos sens, nos organes, qui sont les instruments de notre intelligence ; et pour tirer tout le parti possible de ces instruments, il faut que le corps qui les fournit soit robuste et sain. Ainsi, bien que la véritable raison de l'homme se forme indépendamment du corps, c'est la bonne constitution du corps qui rend les opérations de l'esprit faciles et sûres.
Les premières facultés qui se forment et se perfectionnent en nous sont les sens. Ce sont donc les premières qu'il faudrait cultiver..."
Non, il ne s'agit pas de la conclusion d'une thèse d'un chercheur en Sciences de l'Education contemporain, ni du discours d'un Docteur en médecine. Cet écrit visionnaire a plus de deux cents ans, puisque c'est un extrait de "L'Emile" de J.J Rousseau.
Dès ses débuts, C. Freinet avait, parmi ses objectifs prioritaires la santé de l'enfant, le respect de ses rythmes biologiques et réclamait, dans les pages de la revue "L'éducateur prolétarien" une politique du travail, de l'exercice et du sport".
Heureusement le besoin de mouvement des enfants et la nécessité d'une éducation physique sont aujourd'hui reconnus, au moins dans les textes:
"Le besoin de mouvement est fondamental, aussi indispensable que de respirer, et l'écolier qui supporte aisément le régime scolaire actuel qui exige de sa part des heures d'immobilité est anormal. Le besoin de mouvement est partiellement satisfait par des exercices d'éducation physique contrôlés. Mais il lui faut aussi des moments d'activité libre et désordonnée. Les deux types d'activité sont indispensables et ne se remplacent pas l'une l'autre."
Dr Guy Vermeil (11)
La nécessité de l'éducation physique est indiscutable, mais comment ? La récréation, indispensable, irremplaçable (voir l'encadré), ne suffit pas. Le sport, même de compétition n'est pas, nous l'avons vu, à rejeter, à la condition qu'il soit pris dans sa dimmension éducative. L'éducation et l'expression corporelles sont à pratiquer. Ce sont toutes des activités complémentaires, comme il en existe dans les autres champs disciplinaires.
"L'activité cérébrale est d'autant meilleure que la secrétion d'adrénaline par l'exercice physique est plus forte. Certaines entreprises modernes, notamment aux USA et au Japon paient une heure de sport à leurs employés dans les horaires de travail. Pourtant, la juxtaposition d'une multitude d'activités ne suffit pas à constituer une véritable éducation physique ; encore faut-il que ces activités soient prises dans les différents domaines d'actions auxquels l'enfant doit être confronté dans sa scolarité. Notre objectif d'enseignant polyvalent n'est pas l'enseignement de la danse ou du basket mais la construction chez l'enfant de ce qui lui permettra d'apprendre le basket ou la danse."
J. Querry
Nous pourrions ajouter : ...d'apprendre les mathématiques, le pouvoir de la parole, l'orthographe ou la géographie ; d'apprendre son corps pour exister, pour avoir les moyens de connaître le monde qui l'entoure , d'y trouver sa place et d'agir sur ce monde pour le faire évoluer.
Dossier de C. Bizieau, avec la participation de D. David, P. Descottes, M. Deshours, J.Querry, Ph. Wain.
Les dessins sont issus de la classe de M. Deshours
De l'utilité de la récréation
"A l'école, il faut agitation, cri, respiration violente, activité de jeu. Cette activité un peu explosive et essentiellement libre n'est pas remplaçable par le leçon de gymnastique. Elle est la seule qui mette en jeu tous les muscles du corps dans un désordre utile."
Professeur Robert Debré (12)
Les cinq domaines d'action
Les programmes fixent les compétences fondamentales à faire acquérir et définissent cinq domaines d'action dans lesquels peuvent entrer les supports d'activités :
- activités en domaine stable (gym, athlétisme...)
- activités de coopération et d'opposition (jeux collectifs)
- activités dans un rapport inter-individuel d'opposition (jeux de combat, de raquettes...)
- activités à visée esthétique (danse, GRS...)
- activités en environnement instable (voile, piscine, ski, patinoire, escalade...)
Notes bibliographiques
(1) Véronique Girard, psycho-sociologue, in : Guy Decroix, Gérard de Vecchi, "Le corps de l'enfant à l'école", Centre National de Documentation Pédagogique, 1980
(2) : "programmes de l'école primaire" M.E.N1995
(3) : " La didactique et l'école, Revue EPS1n° 54 1991
(4) : LireLe Nouvel Educateurn° 71 sept 95 p. 31
(5) extrait de "à corps retrouvé" parsecteur éducation corporelle de l'ICEM. Ed Casterman E3 1982
(6) Cahiers Pédagogiquesn° 288, Novembre 1990 : "Apprendre par corps"
(7) "Le sport à l'école", G. Belbenoît, collection Enfance, Education-Enseignement. Ed Casterman poche
(8) : "Aux 4 coins des jeux" Editions du scarabée(CEMEA)Collection "en-jeu"
lire aussi :"une éducation à la paix" Florence Saint Luc, p. 24 Nouvel Educateur n° 75 janvier 95
(9) MT Delannet, Doctorante en Sciences de l'Education. Université de Caen. Thèse en cours de rédaction, intitulée : "éducation des adultes vieillissants. Corps, vécu du temps présent et intégration sociale"
(10) Animation & éducation, n° 125 mars 1995
(11) : Dr Guy Vermeil. "La fatigue à l'école" Ed. ESF
(12) Robert Debré, Rapport au Conseil de la Recherche Pédagogique, INRDP 1962
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