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Dossier : changer le collège

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Juin 1984
 
Dossier spécial
“ CHANGER LE COLLÈGE ”
 
Editorial
Le courage de Sisyphe un article de Bernard René
Après “ le courage de Sisyphe ” de B. René
Un choix de socialisation Une équipe de Mugron
Un colloque pour la réussite J.J. Lassalle, D. Louis-Etxeto
A la recherche du temps perdu ( Perspectives de réussite au-delà des insuccès historiques)
Un projet, des verrous Equipe pédagogique de Peyrehorade
Expérience communautaire à la Villeneuve de Grenoble C.R. par D. Louis-Etxeto
Le lycée expérimental de Saint-Nazaire Propos recueillis par Jakie Challa
Nous avons des correspondants allemands Dietlinde Baillet
 
Editorial
La rose rouille
 
L'état de grâce ? C'était avant-hier. Juste un entracte, pour comprendre que les rêves se rouillent aussi.
Aujourd'hui, c'est le temps des hommes de fer. Ils parlent restructuration. Ils ont rangé les 35 heures surannées au placard. La sidérurgie s'étiole. Tout fane... On a des rêves à ne plus quoi savoir. . . En fer .
 
Les grands projets scolaires du socialisme à la française prennent plus franchement la couleur bleu-blanc-rouge. Pour faire accepter l'austérité, le gouvernement est en quête de compromis pour l'unité tous azimuts ; il est à la veille d'une révision historique en reconnaissant la légitimité de l'école privée. Dans les allées du pouvoir on doute de tous les mythes. Un mythe le socialisme ? la laïcité ? le peuple de gauche ? C'est par centaine de milliers qu'il est donc allé enterrer un mythe dévalué :.le service public n'a plus cours, : fané lui aussi, comme bien d'autres roses.
N'y aurait-il que les Versaillais pour donner au gouvernement des mauvais rêves d'unité ?
 
Le grand projet de rénovation suit le cours méandreux du ministre de tutelle : un cours fait de paresse dans un paysage plat. Pour concrétiser la perspective dynamique d'une école plus heureuse, d'une école de la réussite, il faudrait allier volonté et cohérence. la politique des petits pas, la continuité dans la pénurie et les modèles hiérarchiques ne peuvent que faire bégayer l'histoire et s'enliser les projets qui veulent créer du neuf . Certes, il n'appartient pas au seul pouvoir ou aux seuls responsables de lever tous les verrous, mais là où se manifestent les forces du changement à Mugron, à Peyrehorade, à la Villeneuve, on ne peut se contenter de répondre par de belles paroles et de toujours faire appel au courage de Sisyphe.
Suscité par le recteur de Bordeaux, un colloque sur la rénovation a montre que des orientations théoriques solides existent, que sur le terrain, des initiatives fleurissent. Mais il reste à délimiter plus clairement les responsabilités propres des décideurs politiques.
 
Nous sommes des partenaires du changement à l'école, du changement social, mais nous demandons une “ mise au net ”, ce n'est pas qu'une question de mode. Cet été, Max Gallo s'était ému de la timidité des intellectuels à soutenir la gauche. Il est vrai qu'une alliance des intellectuels et des praticiens est nécessaire pour réussir tout projet de progrès social. Mais pour réussir cette mobilisation, praticiens et chercheurs en éducation ont besoin de savoir, qu'en toutes circonstances, et malgré les difficultés conjoncturelles, le pouvoir politique saura de son côté se montrer tout aussi opiniâtre dans un engagement sans défaut à appliquer un projet de rénovation. Malgré la rigueur, le gouvernement a eu l'initiative d'une loi de programmation militaire de 830 milliards sur 5 ans. Nous attendons un plan de programmation pour la rénovation scolaire car “ la formation des jeunes générations n'est pas seulement une affaire de pensée et de salive, mais aussi, mais surtout, une affaire de crédits ”.
 

 

Daniel Louis-Etxeto

 

Le courage de Sisyphe
 
Vous avez dit impasse ?
par Bernard René (maître-assistant sciences de l'éducation Université de Poitiers)
 
 “ Pour faire le pont entre le discours un rien volontariste de Michel Barré au congrès de Nanterre (La Brèche n° 92) et l'article un rien désenchanté de Dietlinde Baillet dans le même numéro... ” Alex Lafosse nous propose un condensé d'un article de Bernard René paru dans le n° 77, novembre-décembre de la revue “ 3e Millénaire ”.
 
3e Millénaire N° 11 Nov. Déc. 83 (condensé par Alex Lafosse)
Tout le monde serait d'accord pour changer l'école. Reste à savoir dans quel sens !
Tout projet sur l'école renvoie à un projet de société et les affrontements recoupent donc, au moins en partie, les clivages politiques. En partie, car les soucis liés aux problèmes économiques ou les intérêts immédiats ou corporatistes contribuent également à orienter les opinions.
 
Les travaux de la commission Legrand qui guident cette rénovation et inspirent l'élaboration des projets autonomes des établissements, en insistant sur l'apprentissage plus que sur l'enseignement, sur l'éducation plus que sur l'instruction, sur la pédagogie du projet et l'activité interdisciplinaire destinées à transformer les rapports au savoir et au pouvoir surIe développement de la personne, son autonomie et son esprit critique ouvrent une perspective incontestablement nouvelle. Mais elle est loin de convenir à tout le monde. C'est que cette école aurait pour fin de former un nouveau citoyen.
 
POUR QUELLE SOCIETE ?
Pour clarifier le débat il ne suffit donc plus de dire qu'il faut changer l'école, encore faut-il préciser en quoi et à quelles fins.
 
Quelle école pour quelle société ?
A cette question, trois réponses. Pour la première, une certaine évolution de la pédagogie et de l'école est inévitable mais à condition de ne pas toucher aux fins qu'elles servent. Le réajustement indispensable n'est dû qu'aux besoins engendrés par l'évolution économique mais à l'intérieur d'un même modèle de société.
Selon la deuxième, au contraire, si un changement de société est souhaitable il ne nécessite pas toutefois un changement en profondeur de la pédagogie. Des moyens plus nombreux et plus élaborés pourraient permettre les évolutions indispensables mais à l'intérieur du même modèle pédagogique. L'objectif de la troisième en revanche est de changer la société pour changer l'école et de changer l'école pour changer la société. Ce qui met en cause à la fois école et société, modèle pédagogique et modèle socio-économique et politique. Certes, changer l'école ne suffit pas pour changer la société, mais on peut espérer d'un changement de pédagogie qu'il contribue à un changement plus profond en induisant de nouveaux rapports entre les hommes, un nouveau rapport au savoir et au pouvoir.
 
Du conservatisme relèvent tous ceux qui s'opposent à la rénovation proposée et prétendent qu'elle engage l'école dans une impasse. L'école unique projetée par L. Legrand serait une école au rabais conduisant à un enseignement dévalué. L'étouffoir des futures élites. Or, d'une certaine façon, pour eux, le collège a déjà pour mission de préparer les meilleurs à Polytechnique ou du moins de les détecter et d'opérer une salutaire sélection camouflée en orientation. La suppression des filières, le rééquilibrage horaire des différente disciplines ne feraient qu'accentuer la baisse de niveau déjà dramatique. A un moment où comme chacun le sait le niveau en orthographe et en expression écrite s'affaiblit et où les besoins en mathématiques et en sciences augmentent, l'abandon des privilèges de ces superdisciplines conduirait l'école dans une voie sans issue. Sans doute faudrait-il distinguer entre les irréductibles du conservatisme et les néo-libéraux, entre les inconditionnels du cours magistral, de l'ordre et de la discipline et les partisans d'un réformisme modéré mais souple pour lesquels un changement s'avère indispensable vers des programmes plus performants, des filières d'excellence destinées aux élites dont a besoin une nation productive et compétitive, des méthodes plus modernes combinées à l'introduction de technologies nouvelles, bref tout ce qui serait apte à mieux ajuster l'école aux besoins d'une économie de marché et aux exigences d'un modèle de société capitaliste et néo-industrielle .
 
L'AMBIGUITE CORPORATISTE
Le deuxième groupe se trouve d'un côté partagé entre les élans généreux des projets majoritaires et leur retombée due au­tant aux réalités de la situation économique qu'aux effets de l'exercice du pouvoir ; de l'autre, pris dans les remous ambigus du corporatisme enseignant et l'immobilisme de syndicats qui ne parviennent à rassembler les gros bataillons divisés de leurs adhérents que pour la défense d'intérêts catégoriels. Pas clair ! le groupe hétéroclite, en effet, qui s'amalgame autour des syndicats enseignants majoritaires partage bien l'idée qu'il faut ouvrir l'accès de l'enseignement au plus grand nombre ; et jusqu'au plus haut niveau, mais pour : réaliser l'école pour tous sa politique scolaire s'exprime surtout en termes économiques et sous la forme de revendications, de moyens : débouchés, crédits, locaux, nombre de postes allégement des services. D'autre part, tout le monde est bien d'accord pour dénoncer l'impasse dans laquelle a été engagée l'éducation, mais, à côté d'un discours novateur qui part du constat de l'échec scolaire, de l'analyse de ses causes et de ses conséquences sociales pour conclure à la nécessité d'un changement de l'école dans ses fins et ses moyens, se perpétuent des modes de fonctionnement traditionnels.
 
A bien y regarder, ce groupe souffre des défauts des enseignants et de leur absence de formation. Massivement complices d'un système dont ils s'estiment les victimes, formés à une conception universitaire du savoir et aux formes du pouvoir qui lui sont liées, ce sont des individualistes. Parce qu'ils se vivent comme des individus, ils se sentent menacés, les uns par les élèves les autres par l'administration, alors qu'ils n'aspirent qu'à être aimés et protégés. Aimés par les élèves, félicités par l'inspecteur, protégés par le syndicat. Enfants de l'élitisme et de la méritocratie, ils ne sont à l'aise que dans l'ordre, la discipline et le respect de l'autorité hiérarchie. Certes ils sont de gauche, mais d'une gauche humaniste, scientiste, irréelle, mystifiée. Ils défendent les droits de l'individu et de la science, la laïcité. l'Homme et la culture. Et tant pis si cela consiste à ennuyer les élèves et de faire la sélection. Tant pis s'ils ont des pratiques et des idées de droite dans leur classe. On vote à gauche et l'on enseigne à droite. On est de gauche parce qu'on célèbre la culture, l'Homme et la science ! Comme ce sont là les valeurs essentielles de l'Humanité, l'école est le pivot de toute société et l'avenir de la société repose sur les épaules des enseignants. De là à penser que le socialisme passe par l'amélioration de leurs conditions de travail il n'y a qu'un pas. Ce pas est d'autant plus allégrement franchi qu'il procure un alibi politique aux luttes corporatistes des enseignants, les seules qu'ils soient capables de mener. Les projets de changement de l'école qu'ils soient de droite ou de gauche finissent ainsi toujours par être le prétexte de revendications catégorielles.. C'est le seul point sur lequel les différentes tendances arrivent à s'entendre !
 
LA DEUXIEME GAUCHE
Le troisième mouvement est minoritaire. Mais c'est une minorité active. Il se reconnaît à sa sensibilité autogestionnaire et à sa conviction que la solution des problèmes économiques ne suffit pas à résoudre les problèmes de pouvoir. Dès l'école il faut donc donner le goût et la possibilité à chacun de prendre du pouvoir sur sa vie.
Or de ce point de vue l'école est dans une impasse et même une double impasse car les heures de secours qu'on lui propose ne sont que des sorties en trompe-l'œil.
 
L'école que nous ont léguée trente ans de Ve République a fonctionné sur l'échec scolaire. Elle a réussi le tiercé pour lequel elle était programmée : dégoûter de l'école une masse d'individus, organiser la sélection et favoriser la reproduction des classes sociales. Aujourd'hui elle est incapable de répondre aux besoins des jeunes et aux motivations des populations nouvelles qui la fréquentent jusqu'à seize ans et plus. Non seulement elle est inapte à transmettre le savoir, mais comme elle ne sait rien faire d'autre elle n'a aucune perspective éducative. Reconduire le système d'enseignement en l'alourdissant, au besoin par un retour à une discipline plus stricte, ou reprofiler l'école pour la rendre plus performante certes à l'égard des besoins économiques mais aussi plus élitiste ne résoudra pas le problème. Si cela peut d'un côté profiter à une minorité brillante de futurs technocrates, de l'autre cela ne fera qu'accroître le sentiment de l'échec et le dégoût de toute formation d'une masse tout juste bonne à grossir les rangs des producteurs consommateurs ou des chômeurs sans qualification.
 
Mais l'impasse n'est pas seulement derrière. elle est aussi devant. L'école profilée par L. Legrand a ouvert de grands espoirs, mais des espoirs vites déçus. Déçus par les parents...
Nombre de parents, angoissés par la crise économique et l' accroissement du chômage sont désorientés par des projets de rénovation pédagogique qui les éloignent de leur image de l'école. Ils font une fixation sur le respect des programmes, la solidité de la formation confondue avec la quantité de savoirs mémorisés et l'urgence de la préparation, dès le collège, à des examens et des diplômes qui seront les bagages de leurs enfants pour la vie.
 
Déçus aussi par les enseignants. Une large partie du corps enseignant, engoncée dans ses habitudes, sa routine pédagogique, sa conception du savoir et surtout ses privilèges et ses intérêts corporatistes n'oppose qu'immobilisme, voire hostilité, à la remise en cause de son statut, de son service et de ses pratiques.
 
Après des années d'efforts et de militantisme pédagogique il semblait enfin que quelque chose était possible. Une brèche dans un mur de conservatisme. Pour sortir de l'impasse il suffisait de passer de la parole aux actes. De ne plus se cacher derrière l'alibi des moyens. De prouver le mouvement en marchant. Au lendemain de mai 1981 les Cahiers Pédagogiques titraient : Tout est possible. Oui, tout ; même ce manque d'élan et de générosité pour œuvrer à la transformation de l'école et de la société.
 
Changer récole ici ce ne serait pas se crisper sur la réponse aux problèmes économiques ou former des producteurs-consommateurs plus performants, mais, développer la personne et changer les rapports sociaux. Sans changement des relations sociales il n'y aura pas de changement social véritable...
 
Les milieux que nous traversons nous marquent, et l'école est l'un d'eux. Son influence est d'autant plus importante qu'elle est moins explicite et qu'elle forme la personne sous couvert de transmission de savoir. L'ordre et la discipline n'étaient pas seulement la condition de sa pédagogie mais aussi un objectif de l'apprentissage. Or notre double mémoire ne retient pas seulement ce que nous apprenons mais aussi et surtout la manière dont nous rapprenons. Le véritable message de l' école en ce sens est donc moins dans les contenus transmis que dans la structure de fonctionnement dont elle nous imprègne...
 
TRANSFORMER LE RAPPORT AU SAVOIR
Changer l'école, c'est d'abord changer le rapport au savoir et la manière d'apprendre pour changer la manière d'être.
L'école meurt de ses hermétismes et de ses cloisons. Elle est coupée de la vie et du monde qui l'entoure. Elle ne prépare plus à rien, même pas à gérer son temps libre...
... Elle ne parle pas aux élèves faute de s'articuler avec leurs centres d'intérêts et leurs motivations. Ils s'y ennuient de plus en plus. Son discours était adapté jadis aux enfants des couches sociales favorisées. Il n'intéresse plus personne. L'école a pris vingt ans de retard par rapport aux progrès techniques, aux médias, à tout ce qui sollicite l'intérêt et la curiosité des éIèves...
 
TRANSFORMER LE RAPPORT AU POUVOIR
Le nouveau rapport au savoir induit un nouveau rapport au pouvoir.
Transformer le rapport au savoir conduit en effet de proche en proche non seulement à changer les relations maîtres-élèves, les rapports école-milieu mais aussi à modifier la vie de l'établissement et le statut des jeunes. Développer la responsabilité, l'initiative et l'implication des élèves sur le plan pédagogique se prolonge par leur implication dans la gestion de leur milieu de vie et de travail où la vie est quelque chose qui s'organise en même temps que les savoirs et doit être considérée comme un élément important de la formation.
Permettre aux jeunes d'avoir des idées et des projets, de les vivre à haute voix et d'exercer des responsabilités à leur niveau dans leur vie scolaire, dans leur éducation, dans la recherche et la production de leur savoir majore l'importance contractuelle du projet éducatif et débouche sur une participation des jeunes à la gestion multipartite de récole et sur sa dé hiérarchisation.
 
PRENDRE DU POUVOIR SUR SA VIE
Ainsi projetée, récole de demain apparaît comme un lieu fondateur. Fondateur d'une nouvelle manière de vivre et de travailler ensemble. Fondateur d'une nouvelle société. Fondateur d'une nouvelle culture, non plus subie mais produite, non plus passive mais active.
 
LA SOCIOLOGIQUE
Même ainsi simplifié un tel projet dérange. Les attitudes des enseignants et administrateurs de droite comme de gauche devant une utopie qui les remet en cause idéologiquement, psychologiquement et pratiquement suffiraient elles seules à expliquer l'impasse...
... Mais elle renvoie en fait à un phénomène plus profond qui appartient à la structure des institutions et de la société : à la sociologique. Le progrès du droit consiste à faire qu'aucun cas ne tombe en dehors d'une règle. L 'évolution d'une société obéit à une logique semblable : une contention pour maintenir et augmenter l'effet intégrateur du groupe sur ses membres. Logique ! Que serait une société sans cet effort constant pour assurer sa cohésion ? Sa logique est celle que préfigure déjà l'effort de tout organisme vivant pour survivre et perdurer dans son être.
 
LES VOIES DE L'AUTORITE
D'où l'impasse ! Quel Etat supporterait la réalisation d'un tel projet ? Quel pouvoir pourrait laisser passer une action éducative qui se donne pour but de rendre les citoyens autonomes, de développer leur pouvoir critique, de leur donner le goût et les moyens de prendre du pouvoir sur leur vie !
Contradictoire ! C'est une impossibilité socio-politique.
Peu importe donc la manière dont l'ordre s'assure et la forme dans laquelle il se réalise : violence ou contrôle, voire auto-contrôle. De gré ou de force, ostensiblement ou insensiblement, la pacification du groupe s'assure.
 
DES REFLEXES DE POUVOIR
Ah, que le socialisme était beau dans l'opposition ! C'est le privilège de l'opposition de vivre d'espoirs et de promesses, de réclamer le droit à l'expression et le droit à la liberté par rapport à un ordre qui n'est pas le sien. De vouloir du pouvoir pour ceux qui n'en ont pas. “ Ils ont le pouvoir, mon premier souci est de vous le rendre ”, avait déclaré le candidat Mitterrand.
 
Depuis le 10 mai 1981, les rapports ont très peu changé entre le système politique et les citoyens. L'exercice du pouvoir s'est finalement fait de la même manière qu'avant... Non seulement le rapport au pouvoir des citoyens n'a pas changé, mais rien n'a même été fait pour le transformer...
En tout cas, le bilan de deux ans de socialisme est celui d'une logique du tout politique, d'un manque d'avancée vers l'autogestion de la vie collective, de l'autodétermination propre à rendre un pays adulte.
 
DES VELLEITES DE CHANGEMENT
Pourtant ce ne sera pas faute d'y avoir cru ! en particulier dans le domaine de l'éducation... Déclarée secteur prioritaire elle a bénéficié en 1981 d'un déblocage exceptionnel, mais sans lendemain, de moyens. Restait à définir d'autres fins. Ce fut le travail de grandes commissions qui firent naître de véritables espoirs. Mais il ne suffit pas de jouer au grand jeu de la concertation, encore faut-il faire sauter les blocages administratifs et institutionnels et soutenir ceux qui sont prêts à s'engager dans le changement de l'Ecole. Or les verrous sont là et les promesses sont souvent restées verbales. Un pas en avant, un pas en arrière. A la base, aide-toi le ciel t'aidera. Camarades encore du courage, militez, militez, il en restera toujours quelque chose... si vous n'êtes pas épuisés avant. C'est là que le relais politique serait indispensable. C'est là qu'il fait défaut. Secouer l'inertie, épauler les novateurs ce n'est plus seulement penser le changement c'est le faire. Le chemin n'a donc été fait qu'à moitié. Or le changement ne souffre pas de demi-mesures.
 
Ceux qui ont le plus espéré sont aujourd'hui les plus déçus. Ils crient à l'impasse. Faute d'un soutien suffisant ils ont vu leurs projets d'établissement n'accoucher piteusement que de perspectives étriquées : une heure de concertation par-ci, un groupe de niveau par-là. Du bricolage. Seuls sont allés un peu plus loin les projets portés à bout de bras par des équipes de militants courageux qui contre vents et marées se sont engagés à fond. Si ce n'est pas maintenant, ça risque de n'être jamais...
 
ROMPRE AVEC LES ILLUSIONS
 “Mobilisez-vous, nous ne réussirons pas sans vous”, disait le candidat Mitterrand. Et il a réussi à prendre le pouvoir. Mais prendre le pouvoir n'est pas le changer. Surtout si l'on continue à le concevoir et à l'exercer de la même façon. Mais supposons que, par extraordinaire, l'actuel pouvoir finisse par aller plus loin... Je dis qu'en ce domaine rien ne peut jamais être totalement gagné. " faut savoir rompre avec les illusions. Ceux qui parlent d'impasse ne sont déçus que par manque d'analyse et de lucidité. N'ont des désillusions que ceux qui se faisaient des illusions. Etre prêt à exploiter toutes les brèches et toutes les occasions pour donner du pouvoir à chacun est une chose. Mais s'imaginer qu'une société peut laisser passer un tel projet, que l'immobilisme et l'inertie. le conservatisme et la logique de l' ordre ne chercheront pas sans cesse à le neutraliser, à l'annuler, à le phagocyter ou à le récupérer, c'est faire preuve de naïveté...
 
LE COURAGE DE SISYPHE...
Que vaut l'utopie autogestionnaire ? Guère mieux jusqu'ici que son utilisation critique. Celle qui permet de dénoncer la technocratie et la bureaucratie que ne peut s'empêcher de sécréter une société. Mais elle a au moins un premier mérite: exprimer le ras-Ie-bol de ceux qui sont las de se sentir manipulés et aliénés dans leur statut de producteurs-consommateurs...
Elle a un second mérite: elle témoigne de la volonté pour chacun d'étendre le champ de sa liberté et de prendre du pouvoir sur sa vie.
C'est la société contre l'individu, l'institué contre l'instituant. Or contre la pression niveleuse, normalisatrice et dépersonnalisante qui s'exerce sans relâche sur à peu près tous les aspects de la vie...
 
Une lutte au pied à pied pour l'éducation, l'information et la formation d'un citoyen actif et critique est indispensable.
L'éducation est donc bien en permanence dans l'impasse, parce qu'elle ne peut pas ne pas y être et qu'il ne peut, peut-être, en être autrement. Mais il n'y a d'impasse que pour ceux qui veulent passer .Si nous ne résistons pas, si nous ne ramons pas à contre-courant nous sommes emportés. Avez-vous jamais essayé de monter un escalier mécanique qui descend ? C'est à peu près cela. Et sans doute n'en aurons nous jamais fini de remonter la pente de la sociologique, mais dans cet effort sans fin, qui ne progresse pas régresse. Il faut le courage de Sisyphe pour ne pas céder. Et c'est pourtant au cœur de cette action indéfiniment recommencée, à la cime de ces petites victoires éphémères de la quotidienneté, qu'il faut imaginer Sisyphe heureux­
­
... OU LE COURAGE POLITIQUE !
Le mythe ne doit cependant pas nous égarer. Même si nous ne croyons plus aux lendemains qui chantent, l'image d'un patinage sur place ne parait pas non plus la plus propice même si elle ne réserve pas de mauvaise surprise. A sa logique stoïcienne on peut substituer celle d'un rapport dynamique...
Logique d'action, logique de la négociation à travers laquelle dès l'école le futur citoyen doit apprendre à déterminer ses fins, à gérer ses moyens, son espace et son temps et à négocier ses conditions de vie et de travail...
 
Il est exclu d'imaginer que changer l'école suffise à changer la société, même si cela peut y contribuer, et de croire que l'on pourrait changer l'école si l'on ne change pas la société. C'est donc sur le terrain politique que la partie doit être jouée, et pour cela il faut rompre avec l'idée que l'étatisation et la bureaucratie sont les fondements de la démocratie. Un pays ne peut progresser qu'en renforçant les capacités d'initiative, d'autonomie et de créativité et qu'en s'appuyant sur la participation la plus large de tous aux décisions qui les concernent. C'est dès l' école qu'il faut apprendre à dire aux responsables, pédagogues ou gouvernants : ne décidez pas tout seuls ! Mais, réciproquement, ces responsables doivent faire l'effort pédagogique nécessaire pour développer la responsabilité de tous. C'est pourquoi il est grand temps que les gouvernants d'aujourd'hui aient le courage politique de donner un appui objectif aux forces de changement si l'on ne veut pas continuer à voir dans cette perspective la poursuite indispensable et inutile d'une illusion.
 
Après “ le courage de Sisyphe ” de B. René - réponse
 
Dans cet article, l'analyse me parait souvent trop brutale, trop tranchée.
 
Ainsi, même si je peste à longueur d'année contre tous nos collègues - tous des veaux - je ne peux pas ne pas les excuser par moments d'être frileux : je ne suis pas si sûre de leurs “privilèges”, lourdement avancés ici, et je sais leurs inquiétudes, leur culpabilisation, même infécondes,... et leur lâcheté d'immatures. Elèves méritants jamais sortis du ventre scolaire, ça oui - mais justement, n'y a-t-il pas lieu d'en tenir compte, on s'inquiète bien de l'adaptation à la retraite ou de je ne sais quoi ! En faire des nantis obtus est malhonnête... et maladroit.
De même des parents... Mince, comment ne pas être inquiet, à l'idée qu'on oblige ces enseignants infantilisés à tout remettre en question ? En admettant même que les parents soient favorables au changement, ils auraient de quoi craindre les erreurs de manœuvre - et on n'aime guère voir ses enfants servir de cobaye, surtout en ce moment !
Et puis, rien n'est dit des enfants, sinon qu'ils s'ennuient et refusent tout en bloc. Voire... Les collègues ne sont pas si fous, ils ont développé les relations humaines jusqu'au maternage parfois, ils parlent à l'occasion de la vie, et les mômes en supportent beaucoup. . . et ne protestent absolument pas à la perspective d'une petite sieste. D'ailleurs, ça les repose des cours dopés super élitistes des profs de math par exemple. Tenez, au collège, je me bagarre contre un système de contrôle de niveau trimestriel en 3e - toutes classes mélangées - en français et math ; j'appelle ça un examen trimestriel, et moralement, les mômes ont 3 B.E.P.C. au lieu d'un (supprimé officiellement). Eh bien là, d'abord, je suis toute seule à m'opposer ; et puis, les gosses eux-mêmes ne comprennent pas pourquoi ; enfin, “ça nous entraîne”, disent-ils... Il est bien connu que nos électeurs de 18 ans ne votent pas autrement que leurs parents. De même, les valeurs familiales transpirent dans le comportement scolaire des gosses - du moins, tant qu'ils n'ont pas goûté à une autre règle du jeu.
 
Enfin, l'analyse de l'attitude du gouvernement me semble encore trop tendre : on dirait que nos illustres sont simplement de grands naïfs. Enfin, que diable ! Ce sont d'abord de grands bourgeois, maires de grandes villes, ou notables de vieille date !
 
Et, s'il y a une naïveté des militants à se faire des illusions, quant au partage du pouvoir après 81, il y a eu d'une part malhonnêteté à les lancer à l'assaut de bastions bien installés sans aide institutionnelle (qui, au ministère lève le petit doigt pour aider les copains aux prises avec l'administration locale incontestée ?) ; il y a peut-être eu d'autre part imprudence du Mouvement par exemple, à entrer dans des brèches sans précautions, en confiance : qu'en serait-il de nos outils, de nos institutions, si la cote d'amour (très relative d'ailleurs !), manifestée par le gouvernement à notre égard, baissait soudain ? Et puis, cette “cote d'amour" n'est-elle pas en ce moment, le su-sucre qui calme (?) les déçus ?
 
Car sur le terrain - mon terrain - les ouvertures pédagogiques de l'administration “ classique ”, c'est pas pour l'I.C.E.M. (au contraire, on nous a prévenus que nos demandes de stages seraient refusées, hors le P.A.F.). Au collège, les stages de formation continue ont presque tous été refusés, sauf pour une collègue, admise à 3 stages d'informatique : c'est le prof de math qui impulse les contrôles de 3e ! A votre avis, si elle doit nous former unjo ur, elle fera quoi de l'informatique à l'école ? Seulement, elle est soutenue par une administration favorable. . . Qui nomme, qui maintient, qui contrôle cette administration ? Il parait que mon dinosaure de directrice quittera enfin l' éducation nationale en juin enfin... elle aura 64 ans passé... Qui la remplacera ? Avec semble-t-il des pouvoirs au moins égaux... au moins... La responsabilité pédagogique des chefs d'établissement pointe son nez dans les derniers textes... Misère... Sisyphe ferait bien de planquer son caillou...
Annie Dhénin (activités en tranches: dessin en collège) 69380 Châtillon d'Azergues

 
Un choix de socialisation
 (cf. L'Educateur no 6 p. 2}
 
L'école, aujourd'hui, n'est qu'un lieu d'enseignement où cohabitent mal le plus souvent, enseignants et enseignés. Ne plus faire de l'école une parenthèse de la vie de l'enfant mais un lieu de vie réel, implique un choix de socialisation : le respect de l'enfant dans sa totalité d'individu, et la prise en compte du temps et de l'espace scolaires. Ne plus considérer les enfants comme sujets, mais leur donner la possibilité de devenir acteurs, c'est les respecter, leur faire confiance, c'est leur donner la possibilité de se reconnaître dans l'école, de s'approprier leur milieu de vie, d'y exercer un pouvoir à travers des activités, des projets, une vie collective riche que l'on gère ensemble. Tout cela ne sera pas sans incidence sur la personnalité des individus.
 
UNE EVOLUTION A PETITS PAS
C'est d'abord au sein de la coopérative, qui existe au collège depuis de nombreuses années, que ces idées ont pu être progressivement mises en application. Ainsi, si tout à fait au début les jeunes participaient activement au niveau des charges de la kermesse, par exemple, aucune responsabilité ne leur était confiée quant à son organisation. La coopérative était en somme une affaire d'adultes, les jeunes se contentant d'exécuter les tâches avec plus ou moins de zèle. Il n'est donc pas surprenant qu'au fil des années, on ait pu noter une certaine routine, un manque d'enthousiasme, une tendance à la fuite devant le travail, même si les revenus permettaient d'offrir aux élèves les voyages scolaires de fin d'année.
 
Aussi, peu à peu se fait sentir la nécessité d'impliquer davantage les jeunes dans la vie coopérative. C'est ainsi qu'à partir de propositions d'activités formulées par les élèves ou les adultes, diverses commissions constituées de délégués élus ou volontaires ont été mises en place: bal disco, voyages, kermesse, finances, salle de jeux). Chaque commission, avec l'aide d'adultes, prend en charge, dans sa totalité, l'organisation de l'activité choisie. Ainsi, par exemple, la commission voyage des classes de troisième étudie plusieurs projets.
Les durées, les itinéraires, les hébergements, sont proposés en fonction d'une enveloppe budgétaire prévue par le trésorier. Le choix définitif du projet, basé sur des critères touristiques, éducatifs, récréatifs, est fait par vote de tous les élèves. Ensuite, vient la phase de réalisation, l'adulte étant garant des décisions prises.
La gestion de la coopérative est assurée par la commission finances formée de délégués de toutes les classes. Les propositions d'achat et de dépenses diverses, de recherches de fonds nouveaux y sont débattues. Les décisions sont prises après consultation des membres adultes de la coopérative.
Cependant, des difficultés d'organisation des réunions des diverses commissions prises sur les heures normales de cours sont très vite apparues.
Cette année, le projet d'établissement intègre ces activités dans l'emploi du temps normal des élèves ; les travaux des commissions se déroulent durant la demi-journée décloisonnée hebdomadaire.
Cette implication dans la vie coopérative vise à rendre les jeunes plus autonomes en leur permettant de prendre en charge, en partie, leur vie quotidienne et collective dans le collège. Ils ne sont plus des sujets que l'on déplace sur un échiquier, mais des individus, acteurs et responsables qui gèrent une vie collective riche en collaboration avec des adultes enseignants et éducateurs.
 
PROJET D'ETABLISSEMENT : ETENDRE LA VIE COOPERATIVE
Une telle démarche, visant des perspectives de réussite par la pratique d'activités permettant une pédagogie de projet, favorise la socialisation. Ainsi par exemple au cours de diverses sorties axées sur le thème de l'énergie, lors de visites de maisons bioclimatiques ou solaires, des jeunes bâtissent ensemble un projet. Ce sera une serre solaire pour les uns, une éolienne pour d'autres, ou encore un cadran solaire. Chacun de ces projets va nécessiter la structuration d'une équipe qui va devoir analyser ses compétences et ses lacunes afin de canaliser les diverses initiatives vers un objectif commun.
La communication aux autres élèves, aux parents, au village, de la “ chose ” réalisée permet à chaque équipe, et à travers elle à chaque individu, de se situer dans une société plus large, d'affirmer sa valeur et son existence.
Ce type de travail, permet à chaque jeune de trouver une place et de voir positivement reconnus son travail, ses compétences et ses qualités relationnelles.
 
APPROPRIATION DES LIEUX DE VIE
Mais est-il possible d'atteindre ces résultats si les jeunes continuent à vivre dans un environnement scolaire qui leur échappe totalement ?
S'approprier un lieu de vie peut se traduire au collège par le fait de disposer d'espaces où l'on peut se rencontrer, jouer, les aménager en intervenant directement en plantant des fleurs, des arbres, en creusant un mini golf, en choisissant des jeux mais aussi en se posant les questions de financement, d'utilisation de ces espaces, en précisant les responsabilités.
Aménager un endroit en foyer, pour se rencontrer peut faire l'objet d'un P.A.E. au cours duquel on va travailler en équipe à la construction d'une serre habitable qui pourra aussi servir à cultiver des plantes.
L'envie de s'approprier un lieu, où l'on est obligé de venir tous les jours sera stimulé par l'accueil qui sera fait aux jeunes dans l'école. Tout le monde sait parfaitement, pour l'avoir vécu, que l'état des lieux avec lequel l'individu va entrer en contact aura un fort impact sur son comportement ultérieur .
Disposer d'une salle de classe agréablement repeinte n'incitera pas à la dégradation, mais donnera envie de la personnaliser en la décorant. Etre accueilli dans une salle à manger digne de ce nom, avec un mobilier gai, de petites tables facilitant la communication, invitera les élèves à venir se restaurer sereinement. Les jeunes n'hésiteront pas à améliorer le confort de cette salle à manger, en cousant des nappes, en fabriquant des dessous de plat, en posant des voilages aux fenêtres, en décorant les murs. Entre copains, ils se retrouveront autour d'un bon repas de bonne qualité et varié et partageront le plateau de fromage ou le gâteau préparé avec tous les soins des adultes que l'on connaît, que l'on côtoie tous les jours et qui n'hésitent pas à venir discuter avec les jeunes convives.
 
Les jeunes respectent donc cet endroit parce qu'ils y sont bien, et aussi parce qu'ils connaissent les adultes qui y travaillent. Servir, desservir, nettoyer la table ne sont plus des “corvées”, réservées à une catégorie de personnes, mais une activité normale de la vie quotidienne.
 
REGLES DE VIE
Il serait cependant utopique de croire qu'une vie sociale ainsi mise en place pourrait se dérouler sans qu'apparaisse l'ombre d'un dysfonctionnement. Bien vite, en effet, se fait jour l'impérieuse nécessité d'une instance de régulation afin d'harmoniser la vie des différents groupes et de traiter les problèmes liés à la vie collective dans l'établissement.
Nous avons donc institutionnalisé des réunions de fonctionnement dans les classes. Ces réunions, animées par un professeur tuteur ont pour objet de favoriser l'expression de tout problème qui peut se poser ou de faire émerger des besoins diffus, et de proposer des solutions susceptibles de résoudre les premiers ou de satisfaire les seconds.
Le rôle de l'animateur adulte est ici de favoriser l'expression de chacun, d'en garantir le respect et la prise en compte par tous. Deux délégué élèves par classe prennent note des différentes demandes et propositions de réponse. Puis ces délégués se réunissent en conseil. Cette instance de décision, présidée et animée par deux adultes examine chacun des points soulevés et retient une proposition de régulation qui devient dès lors une loi interne.
Ces décisions seront applicables par tous. Ainsi la vie collective arrive progressivement à se créer des lois, des règles de vie qui n'ont plus rien de commun avec le règlement intérieur traditionnel­
Le choix qu'un collège soit un lieu de vie à part entière pour les jeunes implique une dynamique dans le processus des apprentissages. Etre en relation étroite avec ce milieu vivant et riche engendre des questions, des problèmes, donc la recherche de solutions et de leur mise en application. On n'est pas en classe, et pourtant on apprend des choses !...
 
PEDAGOGIE ET SOCIALISATION
Les activités spécifiques précédemment évoquées (réunions de fonctionnement conseils de délégués, gestion de la coopérative, etc.) visent des objectifs de socialisation et offrent aux jeunes des possibilités de se réaliser avec des chances de succès, en leur permettant notamment d'être concernés au premier chef par la vie de l'établissement, d'y vivre donc mieux. Cependant, le but recherché ne serait pas atteint si on considérait ces activités comme étant plaquées à côté d'un enseignement qui resterait traditionnel.
 
Il convient de souligner que chacun de ces actes doit être considéré comme ayant une égale importance dans la formation de l'individu. On ne peut, en effet isoler de la totalité du temps scolaire le “pédagogique” qui devrait prendre en compte une socialisation réussie, la classe étant un milieu de vie dans lequel chaque acte éducatif devrait pouvoir s'inscrire dans cette perspective...
Ce qui suppose que soient mises en place, dans tous les domaines relevant traditionnellement des activités intellectuelles, des situations de vie coopérative en favorisant les travaux d'équipe, en permettant aux jeunes de s'approprier leur propre savoir à par1ir de projets ou contrats débattus et assumés collectivement.
 
Alors l'école deviendrait réellement un lieu d'éducation globale autorisant la réussite maximale de tous les jeunes.
 
Mais les enseignants sont-ils prêts, leur a-t-on donné l'occasion de réfléchir à cette pédagogie qui rendrait l'école accueillante à tous, où les jeunes n'auraient plus à s'adapter de force, sous peine de rejet ?
Accepteront-ils de gaieté de cœur de ne plus avoir l'exclusivité de la transmission des connaissances à travers des programmes trop bien établis, qui contribuent à la reproduction des inégalités sociales ? Est-il si difficile de faire naître chez les élèves le désir d'apprendre tant de choses essentielles que le programme scolaire ignore et qui permettraient à l'école d'aider l'individu à trouver sa place dans la société ?
Une société peut-être plus fraternelle dans laquelle la dichotomie “bon” et “mauvais” élèves dont on s'accommode fort bien aujourd'hui disparaîtrait alors.
 
Dégager des perspectives de réussite pour dépasser l'échec scolaire, c'est donc d'abord viser une socialisation positive.
C'est bien sur ce fond là qu'on peut envisager des apprentissages mieux réussis.
 
A prendre le problème à l'envers, on ne peut dégager des perspectives de réussite, mais seulement des stratégies de compensation illusoires.
 
 
Un colloque pour la réussite
 
Sous le titre Perspectives de réussite au-delà des insuccès scolaires  s'est tenu les 27, 28 et 29 février, à la base de plein air de Bombanes, dans la banlieue girondine, un colloque international placé sous la présidence d'Alain Savary et du Recteur de l'Académie de Bordeaux.
Organisé par la Mission Initiatives de l'Académie, ce colloque avait pour intention de trouver une cohérence entre les diverses initiatives de rénovation et un idéal social, en s'appuyant sur des connaissances et des expériences scientifiques.
 
Une vaste exposition a servi de carrefour aux initiatives qui se développent dans les 24 collèges de l'académie engagés dans la première phase de la rénovation.
L'objectif de ce colloque était aussi prospectif. Chaque journée était centrée sur un thème (données statistiques sur l'échec scolaire ; facteurs biologiques, psychologiques et sociologiques liés à l'échec ou la réussite; effets de système : facteurs socio-politiques et institutionnels ; pédagogie de la réussite). Chacun de ces thèmes était introduit par un ou deux exposés (Louis Legrand, Francine Best, A. La Borderie, M. Schiff, etc.) puis la communication était démultipliée autour des apports de 80 intervenants.
L'un des aspects les plus intéressants du colloque était sûrement le décloisonnement qu'il a permis entre des intervenants habituellement étrangers l'un à l'autre. A Bombanes, des enseignants, des chercheurs (I.N.A.P., universités, instituts divers), des gens de communication (C.A.D.P., C.N.D.P.), des professionnels extérieurs à l'école (pédiatres, assistants sociaux, etc.), des responsables aux échelons divers (cabinets ministériels, missions académiques à la formation, rectorat) échangeaient leurs vues non seulement dans des séances de travail, mais se retrouvaient aussi au moment du repas, dans la salle d'exposition...
Ce qui a caractérisé cette manifestation fut, en outre, l'extrême diversité des thèmes abordés, des démarches de pensée.
Décloisonnement et diversité sont probablement indispensables à une approche globale des problèmes d'éducation, approche dans laquelle on peut distinguer 3 niveaux : la pratique, le politique, le scientifique. La réussite de la rénovation scolaire ne dépend-elle pas avant tout d'une articulation, nouvelle, entre ces trois niveaux ?
La conception du colloque témoignait en tous cas de ce souci.
 
Le pragmatique : des initiatives
En ce qui concerne les pratiques, la participation des établissements “ initiatives ” de l'académie et de nombreux enseignants de base ont apporté des témoignages multiples d'initiatives possibles ici et maintenant pour aller de l'avant.
On lira dans ce numéro de La Brèche les contributions des collèges de Mugron (Un choix de socialisation) et de Peyrehorade (Un projet, des verrous).
 
Au cours de la visite de la salle d'exposition, une longue halte s'imposait pour prendre connaissance des activités interdisciplinaires à Labouheyre, du projet extrêmement intéressant en vue de créer, aménager et intégrer un C.D.I. dans une pédagogie dynamique. Le diaporama d'Amou illustrait l'intégration d'activités de type “ foyer socio-éducatif ” dans le collège.
 
Ces actions témoignent de recherches d'une pédagogie de la réussite. Les exemples de Cassis, Ste Maure-de-Touraine, etc., prouvent, à l'instar de travaux universitaires, que l'échec scolaire n'est pas une fatalité. Des acquis et des données scientifiques, nombreux aujourd'hui, corroborent cette hypothèse.
 
LE SCIENTIFIQUE : DES ORIENTATIONS
L'exposé de Francine Best a su parfaitement synthétiser ce en quoi “nous disposons d'orientations s'appuyant sur des connaissances ; orientations de l'action des enseignants, des décideurs, de l'ensemble des acteurs du système éducatif.” L'éclairage scientifique est donc possible, non pour faire appel aux nouvelles tables de la Loi, mais pour permettre d'orienter l'action.
 
On peut citer ici la notion de projet comme “la clef essentielle de l'évolution pédagogique actuelle, des progrès en train de s'accomplir dans notre système éducatif”. De même, la pédagogie de la confiance aide-t-elle à découvrir les acquis de l'enfant et à assurer son épanouissement.
 
L'intervention de L. Legrand est de celles qui ont également mis , en lumière la façon dont la pratique pouvait s'appuyer sur de l'acquis scientifiques ; la notion de pédagogie différenciée permet d'appréhender une méthode qui peut prendre en compte la diversité des enfants sans pour autant renoncer aux objectifs cognitifs.
 
L'un des éIéments fondamentaux de cette pédagogie est “ l'évaluation formative bâtie sur des critères affinés à partir des analyses d'objectifs, incluant la nature des langages, les niveaux cognitifs, les situations d'apprentissage. L'action pédagogique qui suit se fonde sur ces analyses et ces diagnostics “ elle se fonde aussi sur l'analyse didactique, le travail concerté et la souplesse des structures ”. Louis Legrand, concluant son intervention, interroge :“ Ces conditions sont-elles réalisables à grande échelle ? On peut au moins essayer ! ”
 
LE POLITIQUE : DES POINTS D'INTERROGATION
L'auteur du céIèbre rapport “Pour un collège démocratique” semblait ainsi lancer la balle dans le camp du politique. N'est-ce pas précisément sur ce terrain que l'éclairage apporté par le colloque est resté le plus discret ?
Les décideurs et M. Savary en premier lieu, ont volontiers tendance à laisser dans l'ombre l'analyse de leur action propre pour mettre en lumière les pesanteurs au niveau des praticiens ou les difficultés de communication entre ceux-ci et les chercheurs.
Il est vrai que les difficultés à réinvestir dans le domaine des pratiques certaines avancées scientifiques (songeons à certaines des perversions auxquelles mène l'enseignement de la philosophie à l'école, pour ne citer que cet exemple) sont bien réelles.
Si, dans son discours, M. Savary a donné l'impression de bien saisir certaines articulations nouvelles, il a hélas passé sous silence les grands traits de la politique scolaire de demain.
Qu'il se contente d'affirmer que “répondre n'est pas qu'affaire de décision, de volonté, c'est aussi affaire de savoir, de recherche : à partir de quelles références théoriques faut-il concevoir les projets et les pratiques à mettre en œuvre ; qu'il s'agisse d'enseigner, d'aider, d'évaluer ou d'orienter” ne pouvait que nous laisser sur notre faim.
Dans un colloque qui avait le mérite d'indiquer, mieux que des références, des orientations théoriques, et de prendre appui sur l'action des praticiens, on aurait souhaité que les politiques délimitent plus clairement le domaine et les moyens de leur “ volonté ” et de leur “ décision ”.
Un tel flou explique la tonalité relativement pessimiste du discours de clôture du Recteur Martin.
 
 
PERSPECTIVES CONCRETES DE RENTREE
Il n'est donc pas surprenant que les perspectives pour la rentrée 84 soient intéressantes au niveau de l'orientation mais limitées sur le plan logistique.
Le recteur a présenté aux chefs d'établissement, le 24 avril, les mesures techniques suivantes :
- Pour les 24 collèges “ Initiatives ”, poursuite de l'expérience avec attribution de moyens nouveaux (51 postes affectés) et réduction à 18 heures du temps de service des enseignants en présence des élèves.
- Admission de 18 collèges nouveaux, choisis à partir de leur projet d'établissement. Ils seront dotés d'un C.D.I., d'une équipe d'animation, et bénéficieront des droits au Projet intégré de formation, mais pas encore d'allégement d'horaires.
- Création d'une mission académique de rénovation dans les lycées.
Par ailleurs, dans la revue Initiatives n°15, le recteur a défini des orientations pédagogiques susceptibles de favoriser la rénovation.
Pour lutter contre “les méfaits des cloisonnements entre disciplines ”, il propose une “ pluridisciplinarité qui passerait dans les programmes et les emplois du temps ”.
Il propose aussi de substituer à l'évaluation traditionnelle des élèves, des martres et du système, une évaluation formative fondée sur l'auto-évaluation ou la co-évaluation en fonction des objectifs définis dans le projet d'établissement ou d'éducation.
Il avait, avec bien d'autres intervenants, lors du colloque de Bombanes, préconisé l'adaptation de l'enseignement au vécu et au langage des enfants afin de leur faire acquérir plutôt des méthodes d'apprentissage que des connaissances, et l'abandon de l'orientation en L.E.P. en fin de 5° (palier concernant aujourd'hui 25 % des élèves) afin que la scolarité de base pour tous aille jusqu'en troisième. Nous avons donc quitté les rives du lac d'Hourtin en prise à des impressions très partagées. Enthousiasmant surtout par ra richesse, la diversité des idées et des personnes rencontrées, ce colloque demeurera pour nous un grand moment de formation et d'échange, une motivation supplémentaire pour aller de l'avant, l'espoir partagé de voir se généraliser l'imagination et l'action pour changer le visage de l'école.
 
Nous ne pouvons que regretter que le pouvoir politique, né de cet espoir de changement, n'ait pas encore trouvé la cohérence pour y contribuer .
Nous n'avons plus trop d'années à consacrer A la recherche du temps perdu (on lira cette contribution au colloque dans ce numéro de La Brèche) ; il nous faut vite tirer les enseignements des échecs historiques de ra rénovation si nous voulons réussir, pour construire l'avenir, à réconcilier le pragmatique, le scientifIque et le politique.
Jean-Jacques Lassalle
Daniel Louis-Etxeto
 
 
A la recherche du temps perdu
( Perspectives de réussite au-delà des insuccès historiques)
 
Méfiez-vous du verbiage de pédagogie nouvelle ; sachez bien qu'aucune formule intellectuelle ou sentimentale ne vous apportera la clef définitive du problème qui vous préoccupe.
L'essentiel est de savoir où l'on va, de déceler avec sûreté les forces essentielles et permanentes que nous devons mobiliser, et de mettre au point patiemment, méthodiquement, coopérativement, les outils de travail qui nous permettront les belles moissons humaines.
Et vous direz aussi aux administrateurs, aux gouvernants, aux élus, que cette éducation ne saurait échapper à la règle généraIe de la vie, que contrairement à ce qu'on feint de croire, la formation des jeunes générations n'est pas seulement une affaire de crédits pour que nos enfants puissent se préparer, non plus dans /a serre froide et vide de la scolastique, mais à même la vie, aux techniques de vie qu'ils devront demain maîtriser et dominer.
Célestin Freinet (L 'Educateur 15 décembre 1945)
 
Célestin Freinet écrivait ces lignes dans un moment historique d'intense rnobilisation met d'immense espoir de voir jeter les premières pierres d'une école populaire dans une société en marche vers le progrès social.
 
On connaît le sort réservé à ces espoirs de rénovation. Les pesanteurs du milieu enseignant se sont conjuguées avec une politique scolaire timorée pour venir à bout des intentions de Langevin. Bientôt, il a fallu enterrer les illusions de rénovation de l' école et de la démocratisation par l'école.
 
Le 1er février 1983, M. Alain Savary rend publiques les orientations qu'il a retenues, à partir du rapport de Louis Legrand, pour concrétiser les perspectives du programme présidentiel de réaliser un collège unique profondément rénové. L'histoire va-t-elle se remettre à bégayer ?
Côté politique, on choisit la petite vitesse. Deux ans après le changement, on s'engage tout doucement dans la rénovation, dans un contexte de quasi stagnation budgétaire ; la véritable monnaie du changement à l'école reste là bonne volonté. Sur le terrain, Legrand suscite l'irritation, tout comme Langevin en son temps. Du haut de leurs estrades, bien des chers collègues regardent passer le changement tout en professant sur le sens de l'histoire.
Pourtant le grand mérite de L. Legrand est d'avoir permis une réflexion sur l'école en termes nouveaux. A la base, les bouches se sont entr'ouvertes, les utopies concrètes se sont rallumées, quelques initiatives sont venues égayer les grisailleries réalistes. Mais 10 % ce n'est pas assez ; car les jeunes attendent, ils sont las de voir bridés leurs enthousiasmes et d'être formés à attendre sur les bancs des handicapés socio-culturels, avant d'être conviés à grossir le flot des déqualifIés, des disqualifiés. C'est aujourd'hui qu'ils jugent leurs aînés, sur le bonheur qu'ils vivent ou sur celui qui leur est refusé, ici et maintenant. Pour eux, promesses et alibis aussi sont dévalués.
 
ILLUSIONS PERDUES
Pour l'essentiel, les projets de réforme scolaire de ce siècle se sont nourris de quelques idées forces : la démocratisation de l'enseignement, son adaptation aux aptitudes individuelles et au monde moderne, une rénovation pédagogique. On retrouve ce tronc commun d'idées dans 3 œuvres qui constituent des repères majeurs.
 
Après la 1e guerre, la grande révélation avec ses 6 millions 1/2 d'écoliers mais seulement 150 000 lycéens et 40000 étudiants, est une école de classe. Et dès les années 18-19, on trouve dans les travaux des Compagnons de l'Université toutes les idées qui seront au centre des projets postérieurs. On voit, qu'au cours de ce siècle, les idées nouvelles ont été plus rapides à éclore qu'à s'épanouir .
Un demi-siècle nous sépare aujourd'hui du Front Populaire, pourtant il n'est pas une pièce de musée, le mythe est toujours vivant. C'est un immense élan populaire et un jaillissement d'idées nouvelles. C'est le grand dessein novateur de Jean Zay, et le Front de l'Enfance que lance Freinet avec l'espoir de traduire des idées neuves sur la place de l'enfance dans la vie sociale. Pourtant toutes ces idées n'iront pas au-delà d'un cercle d'éducateurs novateurs et de quelques intellectuels. En réalisations concrètes, le Front Populaire n'a rien laissé au rayon de l'éducation. Autant en emporte le vent de la guerre et celui de l'histoire.
A la libération, un nouvel élan populaire porte les projets de changement. Le plan Langevin avance des propositions hardies toujours puisées aux mêmes sources. Mais finalement, le Parlement écarte le plan ; peu à peu les classes nouvelles, qui auront compté plus de 20 000 élèves, s'essoufflent et sont neutralisées ; de cette période, seuls survivent des groupes pédagogiques (dont les C.R.A.P.).
On ne peut qu'être frappé par une compulsion de l'échec qui fait bégayer l'histoire, conduisant chaque fois de l'élan novateur à l'enterrement des illusions. L'unification du 1er cycle et la rénovation pédagogique apparaissent clairement comme les enjeux essentiels, or, chaque fois, la politique échoue car elle ne pose jamais véritablement la réforme scolaire comme priorité incontournable. La réforme du système éducatif est ainsi le “serpent de mer” des réformateurs et elle finit toujours par être engloutie sous les vagues conservatrices, sous couvert de problèmes jugés plus urgents. En 56 par exemple, après la victoire de la gauche aux législatives, le projet Billière qui reprend l'esprit du plan Langevin sera une fois encore mis en hibernation. Toujours à cause des oppositions sociales et politiques, et en invoquant les difficultés économiques et les problèmes internationaux (Suez et l'Algérie). On retrouve le même phénomène aux lendemains de la Libération, Langevin prévoyait la mise en œuvre de son plan sur 5 ans, mais les efforts budgétaires n'ont jamais suivi ; ici se sont les impératifs de la reconstruction nationale qui ont été invoqués. Comme si chaque période n'avait pas son lot de difficultés objectives ! Ainsi sacrifie-t-on au court terme l' éducation des générations qui sont le futur immédiat.
 
Si la réforme Berthoin de 59, que complète M. Fouchet en 63 en unifiant le 1er cycle (C.E.S.), constitue une étape significative, elle échoue dans la création du collège unique. Le boom économique cette fois et le gonflement des universités n'enfanteront que de la colère des héritiers. Et après les grandes marées de 68, une fois encore, le ressac politique emportera les illusions.
 
Plus près de nous, les diverses tentatives de replâtrage, tel son dernier avatar dû à M. Haby, se sont résumées à un leurre unique car elles n'ont jamais envisagé véritablement des perspectives et des moyens de réussir .
Même lorsqu'elle se dote d'un projet novateur et cohérent, la politique bafouille. Chaque fois on assiste à des atermoiements et à un décalage croissant entre, d'une part les déclarations d'intentions des gouvernants, les propositions des novateurs, et d'autre part, les mesures budgétaires, la volonté de venir à bout des pesanteurs sociologiques, institutionnelles et culturelles, la peur d'une méthode dynamique (c'est ainsi que les classes nouvelles liées au plan Langevin, déjà aux prises avec les difficultés matérielles, ont dû continuer à supporter le poids des programmes traditionnels qui sont restés inchangés).
Chaque fois ces politiques timorées ont rencontré, sans les désarmer, les oppositions des tenants des traditions et méthodes propres à l'enseignement secondaire, pour qui le “tronc commun” est une mutilation du secondaire, les élites sont sacrifiées à un “égalitarisme" (injuste) et les humanités classiques menacées au profit d'un “enseignement secondaire au rabais". Cette opposition dépasse d'ailleurs largement les milieux auxquels on accorde généralement une coloration politique conservatrice (Franco-ancienne, société des agrégés, etc.). En 59 par exemple, la réforme Berthoin réactive les mêmes conflits autour du tronc commun du cycle d'observation, “le niveau des élèves entrés en 6e est le plus bas que les professeurs de lycée aient jamais connu".
Partant de cette constatation, le S.N.E.S. demande que le principe de la séIection soit clairement posé : les meilleurs élèves iront dans l'enseignement long, où le latin devra être rétabli dès l'entrée en 6e (...) La démocratisation consiste à supprimer tous les obstacles à la sélection des meilleurs ”.
Au rendez-vous de l'histoire, les politiques se conjuguent avec les résistances internes au système pour faire avorter la rénovation.
 
PERSPECTIVES DE REUSSITE AU-DELA DES INSUCCES HISTORIQUES
Selon le mot de Durkheim,“ c'est à la société de fixer les buts de l'éducation ”. On peut penser en effet que, pour s'incarner , le changement en éducation à besoin d'un contexte politique ouvert à des transformations de fond touchant aux finalités socio-politiques, aux modèles culturels, aux réformes de structures, etc.
Faut-il encore suivre Durkheim lorsqu'il affirme que “ la pédagogie n'a trop souvent été qu'une forme de littérature utopique” et qu'il souhaite lui substituer l'étude objective de ce que la société attend de l'école ? Car, pour le père de la sociologie, la “science de l'éducation" s'identifie à la sociologie de l'éducation. Or, en matière d'éducation nous nous trouvons à un carrefour où se rencontrent des options philosophiques, des partis pris idéologiques et socio-politiques et les apports plus récents des sciences de l'éducation. La force d'une aspiration et la volonté politique suffisent-elles à elles seules à choisir les voies pertinentes et les moyens efficients pour réussir une rénovation scolaire ? L 'histoire du siècle donne amplement à voir qu'il ne suffit pas de fixer des buts pour les atteindre. Les tentatives de rénovation pédagogiques ne sont pas parvenues jusqu'ici à dégager une voie praticable entre les données scientifiques et les applications sociales qui sont, quant à elles, objets de débat politique (au sens le plus large de ce terme). Une science ne peut se développer sans de fortes incitations du milieu social, et les sciences de l'6ducation ne peuvent échapper à cette règIe. Certes, dans le cas qui nous intéresse, les incitations font en partie défaut et le milieu interne est en partie résistant, mais ne faut-il pas pousser au-delà du champ socio-politique l'analyse des effets de système qui freinent le changement scolaire ?
Les débats sur les méthodes, qui divisent le milieu fermé des “ pédagos ”, apparaissent toujours comme des querelles d'écoles, de pures spéculations idéologiques. Depuis le 18e siècle rien n'aurait-il donc changé ? La pédagogie serait-elle en dernière analyse une pure idéologie, libératrice ou mystificatrice ?
C'est oublier les développements de la sociologie de l'éducation, mais aussi de la psychologie génétique, de la biopédagogie, de la didactique, etc. ; bref de ce qu'il est convenu d'appeler les sciences de l'éducation. Au cours du 200 siècle une véritable rupture épistémologique s'est opérée dans la pédagogie en la rendant beaucoup plus autonome de la philosophie. Quelle est la signification de l'enfance, quelles sont les lois de développement et les mécanismes de la vie sociale enfantine, comment la pensée de l'enfant se structure-t-elle ? Autant de questions qu'une rénovation scolaire ne saurait laisser dans l'ombre et qui ne relèvent pas de pures spéculations philosophiques. En 1965, Jean Piaget se déclare “ saisi d'un véritable effroi devant la disproportion qui subsiste aujourd'hui, autant qu'en 1935, entre l'immensité des efforts accomplis et l'absence d'un renouvellement fondamental... de la pédagogie dans son ensemble”. On peut chercher, dans les considérations qui précèdent, les causes de quelques effets de système qui éclairent les résistances internes à la rénovation et cette extraordinaire capacité du système à digérer, en les dénaturant, tant d'innovations. Qu'on songe par exemple à l'écart fantastique entre le texte libre tel qu'il se pratique dans les classes Freinet, et la caricature de ces textes libres remis à l'unisson le lundi à 8 h 1/2. Je lisais il y a quelques jours, dans le num6ro de la rentrée 1969 des Cahiers Pédagogiques, un billet de G. Walusinski sur Ies maths modernes. “ Nous entrons dans l'ère des mathématiques heureuses ! (...) les maîtres ont trouvé dans la réforme une fontaine de jouvence... ” Fontaine de jouvence qui a bien mal vieilli ! Ce sont quelques exemples des échecs nombreux dans les transferts de connaissances psychologiques didactiques vers les situations éducatives. Et lorsque des transferts s'effectuent, on assiste le plus souvent à une espèce d'inversion optique. C'est ainsi que le système éducatif utilise surtout la psychologie, non pour remédier à des échecs pédagogiques, mais pour les constater et pour produire des stratégies d'exclusion (production de concepts nouveaux tels toutes les dysmaladies, secteurs et personnels spéciaIisés, etc.). De tels effets de système sont loin d'être marginaux puisqu'on a pu  assister à une mise à l'écart du tiers de la population scolaire dans des filières spécialisées dans toutes sortes de déficiences.
Dans ces effets de système, nous choisirons de mettre l'accent sur 3 aspects liés : les modèles de l'enseignement comme acte social centré sur les apprentissages et le rôle de l'enseignant ; les représentations de l'école comme lieu d'apprentissages ; la notion même d'apprentissage.
 
L'ENSEIGNEMENT COMME ACTE SOCIAL.
De nombreux collègues se voient comme enseignants dans le sens le plus étroit de ce terme. Mais la vie peut-elle se cloisonner en une suite d'activités fonctionnelles ? Comment créer une situation de communication pédagogique en refusant d'accepter le jeune dans sa totalité de personne humaine et en lui demandant de laisser sa vie à la porte de l'école ? Certains replis corporatifs, par crispation sur les acquis et survalorisation de l'aspect purement cognitif de l'enseignement, cachent le plus souvent l'anxiété de descendre de l'estrade pour s'impliquer différemment dans le métier. Les enseignants lancés dans la fuite en avant d'une revalorisation matérielle feraient bien de s'interroger sur les causes culturelles profondes de la perte de prestige de leur fonction sociale. Les apprentissages ? Mais dans quelles conditions sont-ils possibles ? Et les besoins des jeunes ?
Aucune rénovation ne peut réussir sans une large acceptation par les enseignants du rôle d'éducation qui leur revient et d'un renouvellement de la réflexion sur leur fonction sociale. La formation, tant initiale que continue, devrait y aider .
 
L 'ECOLE, LIEU D'APPRENTISSAGES
Combien d'adolescents, en situation d'échec scolaire grave, sont d'abord marqués socialement : sentiment de ségrégation engendrant des conduites d'agression ou de déprédation et des comportements asociaux, etc. C'est l'ordinaire de centaines d'établissements et il est inutile de brasser de savantes formules pédagogiques tant que l'école n'est pas un lieu accueillant et intéressant. Réussir la rénovation, c'est d'abord réussir à faire de l'école un lieu où les jeunes aiment aller. Pour cela, l'école doit prendre pleinement en compte une socialisation réussie, c'est-à-dire le besoin d'initiatives et de mener à bien de vrais projets, le besoin de communiquer, celui de s'exprimer à l'aide de techniques très diverses, y compris les plus modernes.
Les Diafoirus de l'échec scolaire, chaque jour plus nombreux, viennent nous proposer des diagnostics savants et des potions à administrer aux handicapés socio-culturels pour leur faire avaler la pilule pédagogique. Et si l'on devait cesser de se polariser sur l'aspect purement scolaire de l'échec pour pouvoir trouver des remèdes ? Les plus efficaces sont peut-être des mesures indirectes pour faire de l'école un lieu de vie, un lieu de relations riches et de communication. Dans ces conditions, il devient possible d'envisager des apprentissages.
 
LA NOTION D'APPRENTISSAGES
Depuis les pionniers des méthodes actives et de la pédagogie nouvelle, les mouvements pédagogiques et les sciences de l'éducation ont profondément renouvelé la réflexion sur les apprentissages : pourtant on continue à utiliser massivement des méthodes archaïques et irrationnelles. Aurait-on le loisir de philosopher sur le cas d'une entreprise qui poursuivrait sa production avec des techniques vieilles de 50 ans ? Une telle chose est impensable en économie de marché. Qu'en est-il en matière d'éducation ? Le marché des idées et des méthodes ressemble à un bazar un peu rétro où l'efficience est moins compétitive que le conformisme toujours vivement recommandé par bon nombre de centres de formation et d'inspecteurs.
Comment ça se passe du côté des processus d'acquisition, quels sont les facteurs psychologiques et sociaoaffectifs qui influent sur un apprentissage ? La psychologie génétique et la didactique ont sans doute quelque chose à dire à ce sujet. Encore faudrait-il que ce type de questionnements entre dans le champ de la pédagogie. Faute de quoi, dans une phase de généralisation, toutes les innovations seront neutralisées. A cet égard, on peut s'inquiéter de la façon dont l'informatique fait son entrée à l'école. Cela pourrait bien se résumer au dernier avatar de la mode car le système a tendance à confondre l'innovation avec le dernier gadget sensé symboliser la modernité. Pour éviter les effets de mode, il faudrait poser les questions susceptibles d'en enrayer les effets : quelle(s) culture(s) informatique(s), au service de quelle(s) conception{s) des apprentissages ? Les apprentissages linéaires de l'enseignement assisté par ordinateur ? Des méthodes heuristiques ? Le langage utilisé ne colore-t-il pas fortement une culture informatique ? Etc.
 
ACTION, RECHERCHE, FORMATION
Les perspectives de réussite ici esquissées tentent d'articuler besoins spontanés des jeunes, socialisation et apprentissages ; elles forment la trame d'un nouveau rapport à la scolarité et au savoir.
Le rôle des enseignants dans la mise en œuvre de telles perspectives est évidemment capital. Rien ne se fera sans leur adhésion et celle-ci réclame, en les libérant de leurs chaînes d'exécutants, de leur reconnaître l'autonomie de sujets actifs du changement. Ce changement consiste en un processus où leurs expérimentations et leurs initiatives sont le point de départ d'une transformation qui intègre le passé et les conditions particulières de leur action dans un présent prospectif orienté par des perspectives de réussite concrètes.
Les équipes placées dans de telles situations de recherche-action doivent pouvoir entrer en relation avec des intervenants, notamment des chercheurs. Les apports théoriques et méthodologiques s'inscrivent alors dans la continuité d'une situation concrète en répondant à la demande des praticiens qui cherchent à intervenir sur leurs pratiques. En s'orientant toujours plus vers l'aide aux innovations, la recherche contribuera efficacement à leur généralisation. Cette démarche de recherche-action, aussi éIoignée des spéculations idéalistes que de l'enlisement dans les pesanteurs du système, peut se révéler extrêmement fructueuse dans la transformation de l'école.
Les mouvements pédagogiques préfigurent depuis longtemps cette voie. Ils permettent un enrichissement des démarches autonomes de formation des praticiens, à partir de leurs questionnements propres et de Ia formulation de leurs difficultés ou de leurs projets en termes de recherche-action. C'est une telle démarche, enracinée dans la réalité, qui peut parvenir à incarner des utopies concrètes. Ces mouvements, dont l'indépendance irritait hier l'ancienne majorité, constituent un potentiel d'innovation, d'action et de réflexion. Les missions à la formation et les missions Initiatives doivent pouvoir établir avec ces partenaires des relations constructives, non pour réaliser une symbiose que personne ne recherche, mais pour augmenter le potentiel d'action et d'imagination.
Il serait souhaitable que la formation s'ouvre enfin à des conceptions novatrices en cessant de se polariser sur les seuls contenus disciplinaires pour se préoccuper tout autant de connaissance de l'enfant, de psychologie des apprentissages, de liaisons interdisciplinaires, d'objectifs généraux, et qu'elle prépare les enseignants à traduire leurs questionnements et leurs projets en termes de recherche-action sur laquelle doit s'enraciner un processus permanent de formation (où phases initiale et continuée sont décloisonnées ).
Cette manière de voir les questions touchant à la formation permanente, à la recherche-action et aux rapports entre théorie et pratique, amène naturellement à souhaiter l'abolition des différences de statuts hiérarchiques et des cloisonnements entre praticiens, formateurs et chercheurs, grâce à des systèmes souples de décharges partielles ou à durée limitée, de manière, d'une part à assuré un alternance entre recherche-action sur le terrain et tâches de formation ou de recherche, et d'autre part, à stimuler un véritable brassage favorable aux transferts de connaissances, de méthodologies et d'initiatives.
Les centres de recherche (U.E.R. de sciences de l'éducation, I.N.R.P., I.R.E.M., etc.) deviendraient ainsi des lieux de rencontre, des outils au service d'une évaluation formative, à condition d'échapper aux blocages hiérarchiques ou techno-critiques.
Il faudra bien également éviter les perversions classiques d'une évaluation soi-disant objective et de procédures pseudo-scientifiques. Toute méthodologie d'évaluation est propre à un projet. En utilisant une norme extérieure, sans prendre en compte les objectifs propres et les caractéristiques originales des innovations qui se développent aujourd'hui, il serait aisé, sous couvert d'évaluation, de les compromettre gravement. L'évaluation doit s'appuyer au contraire sur une autonomie et un pouvoir effectifs des équipes. Et il faut souligner combien cette conception est en contradiction avec le rôle joué par l'inspection dont la fonction naturelle est l'imposition de la norme, “Rien n'est finalement plus étranger au système hiérarchique français que l'innovation généralisée, conçue comme créativité locale, quelles que puissent être par ailleurs les options politiques personnelles des inspecteurs. ” (L. Legrand). Dans le cadre d'une innovation généralisée, choisie comme méthode générale de la rénovation, l'évaluation n'a pas une fonction normative, mais, en participant aux initiatives, quoique de façon distanciée, elle a une fonction d'aide, en recentrant la réflexion et l'action sur les objectifs sociaux notamment, en aidant à mettre en relation les initiatives et à trouver les moyens de faire face aux difficultés de tous ordres. Cette évaluation d'accompagnement est donc tout à fait incompatible avec un caractère hiérarchique. La mission Initiatives répond à cette conception. Mais il serait souhaitable que les situations de conflit à l' occasion d' évaluations normatives traditionnelles puissent faire l'objet d'appel ou de recours devant une instance académique ; la mission Initiatives pourrait jouer un tel rôle.
 
LA FORCE D'UN PROJET A LA RECHERCHE DE TEMPS NOUVEAUX
Méfions-nous d'analyses trop fines des effets de système. Elles ne sont indispensables que pour autant que soient créées les conditions de l'action dans le système et sur le système.
Cet été, Max Gallo s'inquiétait de la discrétion des intellectuels et de leur timidité à soutenir la gauche dans une période difficile. Ce colloque rassemble beaucoup d'intellectuels et aussi des praticiens. dans un domaine, celui de l'éducation, où la gauche a affiché des intentions qui ne vont pas sans difficultés à se concrétiser. Pour s'incarner, ce projet a-t-il essentiellement besoin de discours (au sens des media-spectacle ou de la politique. spectacle) ?
Les idées, on l'a vu, sont plus promptes à éclore qu'à s'épanouir. La puissance d'un projet tient autant dans l'effet d'entraînement de quelques idées simples et fortes que dans les formules savantes. Or ces idées existent. L'essentiel, n'est-ce pas la recherche-action, à même les difficultés, avec la volonté opiniâtre de les surmonter ? Et en cela, une alliance des intellectuels et des praticiens, dans l'application patiente mais déterminée d'un projet de rénovation, peut être bien plus fructueuse. que les sacrifices aux rituels des media modernes.
 
Pour réaliser cette mobilisation de leurs énergies, praticiens et intellectuels ont besoin de savoir, qu'en toutes circonstances, et malgré les difficultés conjoncturelles, le pouvoir politique saura de son côté se montrer tout aussi opiniâtre dans un engagement sans défaut à appliquer un projet de rénovation et de progrès social.
Malgré la rigueur économique, le gouvernement a eu l'initiative d'une loi de programmation militaire de 830 milliards sur 5 ans. Nous attendons un plan de programmation pour la rénovation scolaire car la formation des jeunes générations n'est pas seulement une affaire de pensée et de salive, mais aussi, mais surtout, une affaire de crédits”.



Un projet, des verrous
 
La présente communication est l'émanation de la réflexion, du travail et de l'expérience d'une équipe de dix-huit professeurs du collège de Peyrehorade. La rédaction collective d'un texte est un exercice périlleux mais seul cet exercice pouvait nous permettre de transmettre notre vécu dans le cadre des initiatives pour la réussite au collège. Notre démarche est résolument celle de praticiens, gens de terrain, ayant opté pour un rapport de travail coopératif .
Nous ne pouvons qu'exprimer ici notre satisfaction d'avoir eu enfin et non sans difficultés la possibilité de mettre en pratique nos idées pédagogiques de rénovation, idées élaborées et rassemblées depuis plusieurs années. De même nous nous félicitons de l'occasion qui nous est donnée de vous faire part des résultats de nos analyses. confrontés que nous sommes à la réalité quotidienne avec ses difficultés. ses moments de satisfaction, ses obstacles, ses moments de découragement et toujours l'impérieuse volonté de progrès et de réussite pour les élèves, donc pour nous.
L'objet de cette communication est de dire les obstacles, les verrous que nous rencontrons, dans le seul but de les surmonter, pour mieux vivre et faire vivre notre projet. Que cela soit bien clair : tout au long de notre exposé, les critiques que nous formulerons n'auront pas d'autre finalité.
A travers le descriptif et la genèse de notre projet pédagogique et l'analyse de ses dysfonctionnements apparaissent les verrous de nature systémique, institutionnelle, matérielle, socio-culturelle voire politique.
Seule la prise de conscience et la verbalisation des difficultés donneront la possibilité de trouver des solutions pour que notre projet vive et que nous allions de l'avant.
 
1. GENESE ET DESCRIPTIF
Pour la clarté du propos, il faut d'abord expliquer comment est né ce projet pédagogique et ce qu'Il est.
Il y a six ans, deux professeurs travaillaient en classe préprofessionnelle de niveau en pédagogie coopérative. Au fil des ans, ils se sont retrouvés trois puis quatre.
En juin 1980, un embryon de projet était présenté, il devait permettre à huit professeurs de constituer une équipe pédagogique coopérative avec une classe de cinquième. Projet avorté faute de temps de concertation accordé aux enseignants.
 Début 1982, l'idée est reprise, et, de réunions en réflexions, aboutit à la rédaction d'un projet pédagogique rassemblant douze professeurs voulant travailler avec trois classes de sixième. Après avis favorable du Conseil d'Etablissement, ce projet a été proposé au rectorat qui n'a pas accepté de dégager les moyen& supplémentaires nécessaires à sa réalisation.
Durant l'année scolaire 82-83, le projet a été repris pour être aménagé. Il s'agissait de pallier l' absence de moyens supplémentaires que l'administration refusait encore. L'équipe des professeurs étant élargie à 18, il a été possible de travailler avec quatre divisions (deux 6e et deux 5e).
A nouveau, le projet a été soumis au Conseil d'Etablissement qui l'a approuvé, puis proposé à l'Inspecteur d'Académie puis au recteur qui l'a accepté dans la mesure où il ne supposait pas de moyens supplémentaires.
Septembre 83 : enfin une mise en place de notre projet !!
 
- En voici les points principaux :
- Les objectifs : tout en permettant aux enfants d'acquérir les connaissances de base, il s'agit de développer chez eux personnalité, sens des responsabilités, et, autonomie, ce qui conduit à l'objectif essentiel qui est la lutte contre l'échec scolaire. .
- La structure d'appui s'articule autour de quatre axes :
- Deux après-midi par semaine et par niveau d'interdisciplinarité (décloisonnement horaire et disciplinaire).
- Mise en place d'emplois du temps parallèles par discipline et niveau pour permettre la constitution de groupes de niveau.
- La notation a été remplacée par :
- l'évaluation permanente des acquisitions, ce qui permet de prendre en compte les rythmes de chacun; l' objectif étant d'auto évaluation.
- Une synthèse trimestrielle axée sur le comportement et qui sert aussi de lien avec les parents.
- Des séances de concertation bimensuelles professeurs entre eux et élèves entre eux sont suivies de conseils professeurs-élèves qui font le bilan de la quinzaine écoulée et planifient les activités à venir. De plus tout problème peut être dit et discuté. Ces conseils sont l'âme du projet.
C'est ainsi que depuis la rentrée de septembre 1983, le collège comprend quatre classes Initiatives fonctionnant avec la structure d'appui précédemment décrite et dix-huit autres classes en système traditionnel. La classe préprofessionnelle de niveau continue à travailler avec ses supports coopératifs.
 
L 'historique de la mise en place du projet montre assez la détermination de l'équipe des professeurs à concrétiser ses idées de rénovation pédagogique en dépit des difficultés rencontrées. Ces difficultés ne sont pas que financières. Les réticences des uns, les oppositions des autres, exprimées parfois en termes violents et polémiques montrent. s'il en était besoin, que nos propositions et nos actions constituent un ensemble cohérent qui n'a plus grand chose à voir avec le système traditionnel. Elles soulignent aussi la difficulté pour beaucoup à concevoir la rénovation pédagogique en dehors des schémas classiques. L'école a trop longtemps été un lieu où l'on se bornait à reproduire les modèles socio-culturels pour qu'elle puisse devenir en si peu de temps un champ privilégié de lutte contre les inégalités et l'échec.
C'est pour permettre et faciliter cette évolution nécessaire et indispensable que nous devons repérer les obstacles rencontrés et les analyser .
 
2. REPERAGE ET ANALYSE DES VERROUS
Les dysfonctionnements pour une grande part, résultent de la présence de deux systèmes et ce, à deux niveaux. Sur un plan général, l'existence d'un système traditionnelle qui nous pèse, alors que nous agissons pour en faire vivre un autre, de progrès ; sur un plan local, la cohabitation de deux systèmes dans un même collège. Cette dichotomie induit des pesanteurs à tous les niveaux, institutionnels, financiers, psychosociologiques.
Les verrous liés aux systèmes et aux institutions
La réglementation en vigueur est un frein considérable, d'autant plus que la hiérarchie administrative chargée de son application exerce pleinement sa fonction.
Quelques exemples pourront illustrer notre propos.
1er exemple: Sortie d'un petit groupe d'élèves (deux à douze) dans un temps limité (une à deux heures) à une distance nécessitant l'utilisation d'un véhicule motorisé :
- Refus administratif, justifié par les textes en vigueur, d'autoriser le transport des élèves en voiture (parent ou professeurs)
- Refus administratif , justifié par les textes en vigueur, de l'achat par le collège d'un petit véhicule de transport en commun.
- Impossibilité financière d'utiliser chaque fois un car.
- Obligation pour chaque sortie du collège de fournir une autorisation parentale.
- Sortie de grands groupes d'élèves (de 2 à 4 divisions) avec un nombre important de professeurs de l'équipe, sur une période de 7 à 14 jours,
- Résistances de l'administration se retranchant derrière-le “ préjudice” subi pour les élèves des autres classes, la notion de “ cours ” traditionnel, avec présence impérative du professeur, restant hégémonique ; la capacité de travail autonome des enfants étant au contraire sous-estimée, voire niée.
2e exemple: La pratique d'un travail autonome, pour nous quotidienne, implique la constitution de groupes d'élèves en des lieux différents, le professeur ne pouvant être partout à la fois. Dans l'éventualité d'un accident pour un élève en dehors de la présence du professeur, celui-ci est tenu pour responsable avec les conséquences judiciaires qui peuvent s'en suivre. Les textes en vigueur ou bien empêchent la pratique du travail autonome, ou bien exposent les enseignants à des risques considérables. Qui accepterait de travailler dans ces conditions juridiques ? Pouvons-nous, devons-nous prendre encore longtemps de tels risques ?
Ces deux exemples posent le problème de la responsabilité du fonctionnaire. En ne reconsidérant pas la question, l'administration prend le risque d'empêcher une véritable rénovation.
3e exemple: Les programmes des différentes disciplines élaborés à l'échelon national par l'inspection générale, ne tiennent aucun compte des réalités locales : géographiques, sociologiques. Ils ne prennent nullement en compte des différences de rythmes d'acquisitions des élèves, de leur personnalité, de leurs motivations, toutes choses essentielles à notre démarche. Les programmes continuent à accorder une place dérisoire aux disciplines artistiques, manuelles et physiques, donc à les dévaloriser. Ils perpétuent les mêmes conceptions et critères de “ réussite ” et de “ promotion. poursuivant ainsi l'élimination scolaire des mêmes classes sociales.
4e exemple: qui prolonge le précédent : l'inspection dans sa forme traditionnelle et institutionnelle va à l'encontre de la démarche que nous avons adoptée avec les élèves. A une évaluation sommative du groupe par le groupe et une suppression de relations hiérarchiques s'oppose une évaluation normative d'un individu par un supérieur hiérarchique.
5e exemple: Les conseils de classe trimestriels sont définis par les textes comme un pouvoir de l'adulte sur l'enfant. Nous souhaiterions que la pratique que nous avons du partage du pouvoir soit officialisée. Il est indispensable que tous les enfants assistent et participent aux conseils trimestriels.
6e exemple: Le Conseil d'Etablissement dont la composition et le fonctionnement sont régis par des textes... d'Ancien Régime, est considéré comme le lieu privilégié par où doivent obligatoirement transiter toutes propositions de rénovation.
Ces difficultés se cristallisent avec acuité au plan local lorsque les deux systèmes sont amenés à cohabiter .
Comment faire vivre dans un même établissement sans qu'il y ait déchirement entre les professeurs, deux organisations de conseil de classe différentes, deux systèmes d'évaluation diamétralement opposés, des pratiques pédagogiques si diverses ? Pour nous, l'élève doit être un acteur qui s'exprime et se déplace dans l'établissement. .
Comment faire pour quelques élèves n'aient pas à subir en même temps deux types de relations avec les adultes, l'une responsabilisante dans le cadre des heures du projet, l'autre infantilisante dans la cour, les couloirs, la permanence ou le réfectoire ?
Responsabiliser l'enfant est pour nous un objectif social primordial pour la réussite de l'élève. Le fait que ce dernier se retrouve dans une relation d'autorité implicite ou explicite avec le surveillant, l'agent de service ou l'administrateur représente un obstacle important.
Enfin, l'organisation de nos classes Initiatives s'imbrique dans celle des autres classes de type traditionnel, qu'il s'agisse de l'emploi du temps des professeurs qui interviennent dans les deux systèmes ou de l'utilisation des locaux. Concrètement, cela se traduit par :
- une répartition inégale de la participation des professeurs dans les séquences d'interdisciplinarité,
- l'impossibilité dans laquelle est la majorité des professeurs de l'équipe de participer aux conseils bimensuels dont l'animation revient systématiquement aux professeurs de français, alors que ces conseils sont l'âme du projet.
- l'impossibilité, pour les surveillantes, de participer à la concertation avec les professeurs, alors qu'elles sont partie prenante pour certaines activités (interdisciplinarité),
- un choix de salles inadaptées à nos activités.
En conclusion à l'analyse des difficultés inhérentes aux effets de systèmes, nous ne pouvons que constater que la hiérarchie de l'appareil scolaire" à quelque niveau que l'on se place, tout en continuant à se porter garante du système traditionnel, se contente d'un discours novateur plus que d'une évolution dans ses pratiques novatrices.
Ces pesanteurs des institutions face à l'innovation ne doit pas nous conduire à sous-estimer les difficultés suscitées par un manque de moyens financiers.
 
Les verrous liés à l'insuffisance des moyens financiers
Rappelons que notre projet initial qui intégrait le temps de concertation dans nos horaires de service sans diminution de cours pour les élèves, a été jugé “ intéressant ” {sic) mais refusé pour des raisons uniquement financières, en l'occurrence la création de deux postes (lettre du recteur en juin 1982).
Cette année, la mise en place du projet n'a été possible qu'en utilisant un palliatif dont le seul mérite est de nous avoir permis de mettre en route notre projet. Aucun moyen supplémentaire. Par contre, quel surplus de travail et d'énergie à fournir. Et que d'heures supplémentaires passées en réunions officielles sans la moindre décharge de service mais seulement le paiement de deux heures supplémentaires/ année à répartir entre dix-huit professeurs I Et, en prime, le colloque ! Nous eussions aimé que le travail colossal que sa préparation nous a demandé fût matériellement pris en considération ! Le bénévolat a des limites ; il faudra qu'un jour quelqu'un, QUELQUE part, s'en souvienne, faute de quoi toute velléité de rénovation sera vaine.
Les insuffisances financières sont aussi flagrantes dans nos activités quotidiennes nouvelles ; les déplacements hors du collège, l'utilisation permanente des moyens audio-visuels et de reprographie, les ateliers de créativité, l'introduction et la pratique de l'informatique, nécessitent des moyens nouveaux; les Projets d'Action Educative ne sont qu'un maigre palliatif nettement insuffisant. On dépense des sommes sûrement considérables pour organiser un tel colloque dont nous ne nions pas l'intérêt, alors que les besoins financiers sont très importants pour une pédagogie active et ouverte.
L'architecture scolaire totalement inadaptée à nos activités nécessite des moyens financiers pour son réaménagement: petites salles pour le travail autonome, grandes salles pour assemblées générales, salles spécialisées (audio-visuel, informatique) dépôts...
La question est posée : comment conjuguer crise et rénovation ? De toutes les difficultés que nous rencontrons, les plus insidieuses à appréhender et à surmonter sont celles qui résultent des pesanteurs socio-culturelles.
 
Les verrous liés aux pesanteurs socio-culturelles
Les pesanteurs socio-culturelles ne sont pas le fait que du personnel enseignant, elles concernent l'ensemble des catégories composant la communauté éducative : parents, élèves, administrateurs...
 
Le repli d'un grand nombre d'instituteurs, d'administrateurs et de professeurs sur une conception traditionaliste de leur fonction est une évidence que personne ne voudra nier ici. Ce constat est une limite à l'extension de notre projet dans le collège: au-delà de 4 classes, nous ne pouvons assurer l'enseignement de toutes les disciplines. L'état d'esprit dans lequel les représentants de l'administration conçoivent leur fonction peut être un facteur aidant ou bloquant. Les contacts et les réunions d'information que nous avons eus avec les instituteurs du secteur scolaire du collège nous ont amenés à prendre conscience de certaines références voire de certaines oppositions à notre démarche.
Cette attitude ne va pas sans répercussion sur les réactions des parents et de leurs enfants que nous accueillons en 6e . L'image du maître, la valeur de l'évaluation chiffrée, la prééminence de l'écrit sur toute autre forme d'expression sont autant de perceptions solidement ancrées dans les mentalités. De nombreux parents ne sont pas prêts à accepter un autre type de relations enfants/enseignants. Le tutoiement d'un professeur heurte encore bien des parents et des élèves.
 
En conclusion, l'évolution des mentalités que nous essayons de susciter n'est qu'un embryon dans un milieu hostile à son développement. Nous constituons un microcosme dans un monde différent, parfois perçu comme un cancer. Le rapport pédagogique que nous faisons vivre aura d'autant plus de difficultés à s'étendre dans le collège et hors du collège que nous ne serons pas parvenus à surmonter les obstacles que nous avons rencontrés et que nous venons d'analyser. Mais nous l'avons dit, nous ne voulons pas pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain. Notre détermination à vivre le projet nous conduit à suggérer des propositions af1n de ne pas voir étouffées rapidement les initiatives novatrices.
 
3. VIVRE LE PROJET :
Cela nécessite une évolution notable des textes dans le sens de la décentralisation et de la responsabilisation des individus et des groupes, des moyens financiers accrus, et une prise de conscience de la valeur de l'acte éducatif .
 
Evolution des textes
Dans un premier temps la création d'une instance qui puisse intervenir rapidement comme un arbitre doté d'un pouvoir décisionnel quand un projet collectif, dans un établissement, se heurte à l'inertie de la hiérarchie administrative, doit favoriser les initiatives.
La responsabilité collective que nous revendiquons suppose l'élaboration rapide de nouveaux textes dans le sens de la décentralisation. Mais qu'on y prenne garde la politique nationale de décentralisation pourrait aboutir à un renforcement des petits pouvoirs hiérarchiques. De ce point de vue la transformation de la composi­tion du Conseil d'Etablissement, de ses attributions et de son fonctionnement est une nécessité impérieuse. De même, la modification des fonctions hiérarchiques (' Chef d'Etablissement, Inspecteur d'Académie, Recteur, Inspecteur) qui semble en panne, doit être effective dans le sens que nous venons de dire. “ Le rôle de l'Etat devrait être désormais de définir des objectifs clairs que l'on peut atteindre par différentes voies, à différents rythmes, plutôt que des programmes qui ne peuvent tenir compte de la diversité des élèves ”.
Cette proposition qui est aussi la nôtre, a été faite il y a un an par le ministre, Alain Savary (journal Le Matin du 8.2.83) qui déclarait par ailleurs : “ il faut donner de nouvelles responsabilités aux établissements et de nouvelles structures pour les exercer” (déclaration du 1.2.83).
Le principe devrait être posé que, pour faciliter l'innovation qui s'impose, des établissements publics puissent fonctionner selon des structures souples et évolutives ; c'est la condition pour que la politique des projets d'établissements ne demeure pas purement verbale. On pourrait concevoir que des établissements publics vivent d'autres styles de direction et d'animation définis par contrats dans le cadre du service public et des objectifs nationaux. De ce point de vue, il serait intéressant de voir se constituer , dans les établissements, des unités pédagogiques n'excédant pas 200 élèves.
 
Le dégagement de nouveaux moyens financiers peut être le résultat d'un double processus :
- Attribution des crédits supplémentaires permettant :
• la création de postes supplémentaires,
• un réel enseignement des disciplines artistiques, manuelles et physiques,
• l'amélioration et la création de locaux adaptés,
• une formation continue véritable dont le programme sera élaboré par le collectif innovateur lui-même, comme cela a été fait pour le projet intégré de formation,
• le fonctionnement d'ateliers et d'activités nouvelles,
- Une utilisation différente de moyens existants.
• redéfinition des temps de service des professeurs dans le sens de la prise en compte du travail d'équipe et des activités autres que celles des cours,
• redéfinition et utilisation différente du service des personnels du collège,
• meilleure utilisation de l'espace scolaire et des locaux.
Nous avons conscience que tous les problèmes inhérents à la rénovation pédagogique ne se résoudront pas simplement par l'obtention de moyens financiers supplémentaires mais nous sommes pleinement convaincus que la rénovation pédagogique ne peut réussir sans les moyens financiers nouveaux.
 
L 'évolution des mentalités :
Si elle est tout aussi urgente et nécessaire que la transformation des textes ou l'accroissement des moyens financiers ne peut s'inscrire sur un même plan. C'est un travail de longue haleine qui nécessite le développement de la communication et de l'information. Il faut favoriser la communication entre les gens qui vivent ou aimeraient vivre un projet.
Il est important d'impliquer parents et enfants dans le processus d'élaboration d'un projet et à fortiori dans sa réalisation.
L'information doit être faite, et diffusée largement autour et au-delà des projets et de leur réaIisation dans le but de sensibiliser , motiver, inciter . Notre participation à ce colloque n'a pas d'autre sens. C'est à ce prix que le souffle de la rénovation pourra faire vaciller les certitudes.
 
CONCLUSION :
 
Comment ne pas conclure en répétant que la lutte contre l'échec scolaire, la réduction des inégalités restent notre objectif priori­taire I Comment ne pas rappeler notre enthousiasme à mettre en œuvre des propositions novatrices porteuses d'espoir!
Mais comment ne pas évoquer aussi nos inquiétudes devant le piétinement du changement ! En dépit de quelques aménagements superficiels, rien n'a véritablement changé dans les rouages de l'institution scolaire ! L'inspection est maintenue, les pouvoirs dans l'établissement sont toujours régis par les décrets Haby, les projets et les équipes pédagogiques sont encouragés par les circulaires mais ignorés, quand ce n'est pas combattus, sur le terrain et par d'autres textes. Quant aux usagers de l'école, leur place n'est guère reconnue, leur voix peu entendue.
C'est pour éviter les dysfonctionnements, les échecs voire les gâchis, c'est pour ne pas avoir à déplorer que, dans quelques temps, le changement se fasse à reculons, que nous voulons aujourd'hui faire sauter les verrous qui brident les initiatives, que nous demandons solennellement une véritable autonomie des établissements, davantage de pouvoirs pour les personnels et les usagers.“ Une société démocratique qui garantit les libertés individuelles n'est possible que si chaque citoyen assume sa part de responsabilités et est capable d'initiative. C'est aussi une vérité moderne dans un monde où l'Etat pourra de plus en plus difficilement jouer le rôle d'Etat Providence et où, s'il le pouvait, il n'en serait pas moins vrai que les citoyens doivent prendre en charge leur avenir ” proclamait le 1er février 1983 Alain Savary qui terminait sa déclaration sur les collèges en ces termes: “ Agir est toujours difficile, mais l'inaction est sans espoir ”.
 
Au collège de Peyrehorade, nous voulons vivre notre démarche, et non vivre contre d'autres démarches. Nous ne voulons plus disperser notre énergie à combattre pour faire sauter des verrous. Tout simplement, nous voulons vivre, nous, adultes, ce que nous proposons à nos élèves : vivre un projet, le vivre avec eux, tous ensemble vers l'autogestion.
 
L 'équipe pédagogique
du collège de Peyrehorade (40300)
 
 
Expérience communautaire à la Villeneuve de Grenoble
 
Grâce à notre ami François Petiot qui nous a communiqué cette année plusieurs témoignages, La Brèche a déjà rendu compte de quelques aspects des innovations en cours au collège expérimental de La Villeneuve à Grenoble, en particulier de l'organisation des mini-collèges (cf. La Brèche no 94 “ Echo des ateliers d'octobre", par Reine Accoce).
 
Nous revenons ici sur un point qui nous paraît particulièrement intéressent dans ce que vit le collège de La Villeneuve, c'est son ouverture sur le quartier, sur les autres écoles... etc. Voici quelques extraits des documents que nous avons reçus.
Nous sommes dans un quartier où nous essayons de coordonner avec d'autres partenaires nos actions. Chaque secteur d'activité constitue une “unité”. Le C.E.P.A.S.C. est le groupe de coordination de toutes ces unités pour définir une orientation commune.
Bibliothèque municipale + formation des adultes + animation enfance (loisirs 5-11 ans) + C.A.C. (centre d'action culturel) + Ecoles (élémentaires) + Collège (ados) + Audio-visuel (production adultes) + Sports (animation sportive) etc. = C.E.P.A.S.C.
 
 
RELA TIONS OU COLLÈGE A VEC LES AUTRES UNITES
 
1. LES ECOLES PRIMAIRES
La concertation avec les écoles primaires s'est trouvée facilitée avec la création des mini-collèges : chaque mini-collège décidant de travailler plus particulièrement avec une école, c'est ainsi que s'est mis en place une forme de jumelage.
Des contacts ont été pris, des réunions ont eu lieu en particulier sur la lIaison C.M.2-6e, visités par petits groupes de C.M.2 dans différentes 6° en fin d'année, des thèmes de travail ont été définis.
 
2. LA MEDIATHEQUE
a) Le centre documentaire du collège est intégré à la bibliothèque discothèque municipale et est intégré à la médiathèque de l'Arlequin. L'organisation de l'accueil des classes se fait à la fois par les documentalistes et les bibliothécaires. Un programme d'animation est élaboré en commun :
Ex. : L'Afrique l'informatique, etc.
b) La médiathèque est un lieu d'information et d'échanges privilégié avec toutes les unités de la maison de quartier :
- avec les écoles primaires : recherche de documents avec les instituteurs et les enfants en liaison avec les B.C.D. implantées dans les écoles.
- avec la formation permanente (dossiers spécialement ouverts à leur intention)
- avec l'action sociale : rencontres et débats sur la drogue, la délinquance, etc.
c) De plus les documentalistes de la médiathèque appartiennent à l'équipe de recherche de l'école de la Fontaine pour l'implantation de B.C.D. dans les écoles primaires (production d'un ouvrage édité par le C.R.D.P. de Grenoble : mini guide d'implantation d'une B.C.D. à l'école primaire.
 
3. L'AUDIO-VISUEL
Le bilan d'activités du centre audio-visuel rend bien compte de l'ensemble des activités réalisées au collège en liaison avec le centre audio-visuel.
Il faut y ajouter les nombreuses séances de dIffusion de films ou de documents vidéo rendus possibles grâce au centre de prêts.
 
4. LE C.A.C.
Plusieurs travaux de classes ou de groupes d'élèves ont été réalisés au cours de l'année. avec l'aide des animateurs du C.A.C. :
- la représentation dramatique d'une adaptation du journal d'Anne Frank par la classe 430
- une fresque décorant la zone bleue réalisée par des élèves venant par groupes
De plus dans le cadre des 1/2 journées d'ateliers les ateliers C.A.C. ont pu être intégrés (ex. : poterie et tissage dans le mini-collège 3).
Dans le cadre du cinéarlequin la classe de 350 a organisé et animé plusieurs séances de ciné-club : le cinémardi.
 
5. L'UNITE SPORT
Une concertation régulière tous les jeudis de 11 h à 12 h réunit le responsable de l'U.S., les moniteurs municipaux, les maîtres nageurs, les professeurs d'E.P.S. du collège.
Cette intégration permet :
- dans le cadre scolaire: l'utilisation par le collège pour les séances de plein air et les camps du matériel de ski géré par l'U.S., des installations de vacances de la municipalité, de l'aide de l'animatrice sportive A.E.P.A.S.C.,
- dans le cadre extrascolaire : chaque enseignant d'E.P.S. donne 3 heures de son temps à l'animation sportive du quartier. Les différents intervenants (primaires, secondaires, A.E.P.A.S.C., maîtres nageurs) coordonnent leurs actions au sein de commissions de travailémanant des concertations de l'U.S. du jeudi matin.
 
6. LA FORMATION CONTINUE
2 enseignantes du collège ont participé à des actions de formation continue dans le cadre du GRETA Alpes Dauphiné.
- Cours de math et de français en 3e année de préparation au C.A.P. par unités capitalisables,
- une enseignante du collège a participé à un stage d'insertion de 12 semaines (métiers de la petite enfance),
- accueil des jeunes 16-18 ans animé par le conseiller d'orientation du collège, en collaboration avec le conseiller d'éducation.
 
7. L'ACTION SOCIALE ET LE CODASE
Un début de concertation a eu lieu entre l'action sociale et le collège, une collaboration plus étroite pourrait être envisagée pour les élèves “dIfficiles”.
 
Au cours de l'année 1983, un animateur du CODASE chargé de la prévention est venu coanimer une séance théâtre et vidéo, avec le professeur de français dans une classe de 3e regroupant plusieurs êtres à problèmes.
Collège Villeneuve- Grenoble
 
 
10 ans d'expérience
le tutorat au collège de La Villeneuve de Grenoble
 
Nous publions ici une synthèse de la brochure sur le tutorat publié par la coopérative scolaire de cet établissement (95, galerie de l'Arlequin, 38100 Grenoble). A partir de la réflexion des enseignants, des points de vue des parents mais aussi d'enquêtes réalisées en 77 puis en 83 auprès des collégiens, cette publication présente un bilan de 10 ans d'expérience du tutorat. Ne vous attendez à trouver dans ces pages ni une doctrine ni un modèle”, l'éditorial y insiste en proposant de façon p/us modeste et plus sympathique de contribuer au dialogue et d'enrichir la réflexion. C'est là une initiative utile à l'heure où le tutorat est l'une des propositions du rapport Legrand qu'a retenue M. Savary pour la rénovation des collèges. Avant même d'être mis en place, le tutorat suscite des réserves, soulève de l'hostilité ; par ailleurs il se met lentement en place dans quelques dizaines de collèges ; /a contribution du collège de La Villeneuve est donc un point de repère tout à fait intéressant. Nous espérons que ce compte rendu donnera envie aux lecteurs de La Brèche d'envoyer leurs réactions et leurs témoignages.
 
UNE APPROCHE TATONNANTE DU TUTORAT
Quand le collège de La Villeneuve ouvre en 72, l'existence du tutorat s'impose comme évidence mais sans “recours à un modèle”. L'approche a donc été tâtonnante “à l'initiative de chacun, à partir de ce que le mot véhiculait pour chacun”. Des échanges entre les personnes ont assuré une certaine régulation de l'ensemble.
La brochure présente en première partie une tentative de définition du tuteur à partir de l'analyse de l'histoire et de la diversité des pratiques observées.
 
"Tuteur = point fixe nécessaire, adulte de référence, de recours, avec un rôle de coordination par rapport aux différentes instances auxquelles l'enfant peut avoir affaire (...) ce tuteur est le relais naturel de l'information ”.
 
Tuteur relationnel. “On parle d'une relation hors jugement scolaire, d'un soutien inconditionnel de l'enfant, d'un adulte oreille, miroir, confident, aidant à l'expression de l'enfant ”. Le tutorat permet ainsi une relation privilégiée avec quelques enfants, d'écoute, de déblocage, d'expression des problèmes personnels et des difficultés de groupe”. Pour favoriser l'établissement d'une telle relation, “ beaucoup de tuteurs acceptent de passer par des activités non scolaires - sorties à vé1o, goûters, cinéma... - qui leur semblent indispensables à la mise en confiance des enfants et à la vie de leur groupe ”. Le tuteur est évidemment en relation avec les familles.
Tuteur professeur principal. Le tuteur assure le suivi scolaire et se charge des problèmes d'orientation; ils organisent les mini-stages ou les visites en milieu professionnel ; ils animent les conseils de classe.
Tuteur soutien scolaire. Dépassant le rôle administratif du professeur principal, le tutorat permet un suivi scolaire au sens le plus large de la recherche d'une amélioration de l'attitude scolaire de l'enfant en l'aidant à percevoir ses aptitudes et ses difficultés. Les tuteurs exercent un rôle de conseil méthodologique (organisation du temps de travail, comment on apprend une leçon, etc.) ; certains vont jusqu'à organiser des actions de rattrapage. En 6e et 5e où le répétitorat a été institué, il est le plus souvent assuré par le tuteur .
 
Tuteur facilitateur de la vie collective. Le groupe animé par le tuteur est un lieu où l'on aborde les problèmes de la vie collective “ vie de la classe, relations des élèves entre eux, relations de la classe avec les enseignants (...) vie de l'établissement ”.
 
LES CONTENUS
Les réponses des profs à l'enquête de 83 indiquent :
- attention aux problèmes relationnels                             57%
- suivi scolaire                                                              51 %
- réflexions, discussions                                                 43%
- sorties                                                                       40%
- préparation de projets, exploitation de sorties                 37 %
- fêtes et goûters                                                           31 %
- travail scolaire                                                             11 %
- activités ludiques                                                          9%
- activités manuelles                                                        6%
- autres...
Les élèves signalent surtout qu'ils occupent le tutorat en discussions (cette activité est signalée dans 70 % à 90 % des réponses selon le niveau de la classe des élèves interrogés), en fêtes (40 à 80 %), en sorties (25 à 50 %) et artisanat (0 à 20%).
Les parents d'élèves affirment l'importance du tutorat tout en regrettant la diversité de son contenu en fonction du professeur. Ils insistent sur l'importance de l'aspect relationnel du tutorat (rapports profs-élèves, ambiance de la classe) et sur le fait que le tutorat doit s'accompagner d'un travail d'équipe.
Signalons à titre d'exemple ce court compte rendu de l'aspect qu'a pris le tutorat dans une classe sixième au cours de cette année scolaire (83/84).
“Depuis le début de l'année on a appris à se connaître en tutorat en particulier nos amis des autres pays, Nicole de la Martinique et Miguel du Chili, qui nous ont parlé de leur pays en apportant des documents (cartes postales), de la musique (nous avons dansé), des pâtisseries de chez eux. Le père de Miguel nous a rendu visite et nous a parlé des enfants chiliens au Chili et en France.
Neuf enfants ont aimé particulièrement ces séances, deux enfants ont trouvé qu'elles étaient un peu longues. Tous aimeraient apprendre à connaître Priscille du Congo (Kat) , sa maman viendrait également. Antony et Sébastien veulent maintenant parler de l'Italie et Antoine du Portugal ”.
 
LA SÉANCE DE TUTORAT
La constitution des groupes se fait selon des modalités variables (choix des élèves, choix des profs après consultation des élèves, tirage au sort, choix des enseignants). Selon les profs, des groupes équilibrés seraient des groupes équivalents en effectif mais aussi où filles et garçons, enfants à problèmes seraient équitablement répartis. Ces critères ne sont pas toujours ceux des jeunes pour qui le souci de se retrouver par affinités domine souvent ; dans les classes de la 5e à la 3e on demande nettement que le tuteur puisse être choisi.
La séance se tient dans des lieux divers (classe, médiathèque, foyer, parc, sortie).
Les tuteurs consultés notent que les élèves sont plus détendus au cours d'une sortie. Le moment lui, aussi est très variable : un trou commun dans l'emploi du temps, après la journée scolaire, à la coupure de midi (cependant personne n'est satisfait par cette solution). Parfois, une même plage horaire choisie pour toutes les classes permet une réunion mensuelle des délégués pour un échange sur des difficultés, des projets, des informations ou pour des rencontres entre classes.
Avis contradictoires également chez les jeunes, certains “ont une très grande demande qu'il est impossible de satisfaire. D'autres sont bloqués. En particulier, ceux qui rejettent l'école dans sa totalité vivent le tutorat comme une emprise supplémentaire des adultes ; il faudrait beaucoup de temps pour les apprivoiser, plus de souplesse pour rencontrer de petits groupes”. Dans l'enquête, on peut noter parmi les remarques formulées par quelques élèves de 4e, le manque de communication avec le tuteur, mais on demande aussi que le tuteur reste objectif et ne se pose pas en juge des élèves, tant à l'intérieur du collège que dans les activités extra muros.
L 'enquête menée des é1èves permet de cerner certaines limites de t'aide que peut apporter le tutorat, “ si elle est relativement importante sur le plan scolaire, elle l'est beaucoup moins sur le plan personnel, notamment en 3e. Malgré tout, le tutorat permet de régler les tensions entre camarades d'une classe ”.“Un grand nombre d'élèves souhaitent par le biais du tutorat établir des contacts avec d'autres classes, d'autres collèges et accentuer la relation tuteur-famille. Un souhait important chez les élèves de 4e et de 3e est d'établir des contacts avec des gens de métier. Le tutorat est aussi un moment où il est intéressant de formuler les problèmes d'avenir ”.
 
PERSPECTIVES DE GENERALISATION
Les enquêtes menées en 1983 au collège de La Villeneuve permettent de voir que 10 à 20 % des enseignants et des élèves sont insatisfaits du tutorat. La conclusion des auteurs est nuancée :
“Ces chiffres ne sont pas négligeables, d'autant qu'ils grossiraient peut-être dans un système de généralisation totale du tutorat, sans l'appui de la concertation et du travail en équipe tels qu'ils fonctionnent au collège de La Villeneuve.
Cependant, ces chiffres signifient aussi que 81 % des élèves interrogés se déclarent satisfaits de leur tutorat, que 30 enseignants sur 39 choisiraient de l'exercer (l'un d'eux déclarant que “ le tutorat est l'aspect le plus positif de la vie scolaire à La Villeneuve”). Il reste une large incertitude sur les 27 qui n'ont pas répondu (...)
On peut en tout cas constater que cette institution, malgré les difficultés et les malaises, fonctionne depuis onze ans et, pour l'essentiel, n'est pas remise en question ”.
 
INTERETS
Le sondage auprès des enseignants met en lumière le rôle du tutorat comme “moyen de connaissance ( . . . ) aboutissant à une meilleure relation adulte-enfant ; il permet une autre approche de l'enfant dans sa globalité et permet à t'adulte de jouer un rôle d'éducateur plus large que son rôle habituel.” Plusieurs adultes voient dans le tutorat “un lieu d'expression individuelle" permettant parfois le déblocage ou encore une meilleure adaptation qui . aide donc les jeunes à “ mieux se situer ”.
 
Un tiers des réponses souligne le rôle du tutorat dans la vie du groupe (régulation, socialisation) ; un tiers des réponses note le suivi scolaire “ pour certains enfants peu suivis par leurs familles le tuteur est la seule personne devant qui ils se sentent responsables de leur travail. Le tuteur est cité aussi comme aidant à une orientation plus réfléchie, mieux négociée ”.
 
La plupart des élèves tient au tutorat. L'enquête permet de situer que les élèves de 3e apprécient positivement pour les discussions libres, les échanges d'idées, l'aide qu'il apporte quand on rencontre des problèmes ou pour l'orientation de fin d'année.
Quant au principal du collège, “ c'est peut-être, dit-elle, parce que depuis dix ans le tutorat fonctionne au collège Villeneuve en donnant la parole aux adolescents, que l'établissement est aussi peu dégradé, que les problèmes de violence sont - vu l'environnement - aussi peu nombreux ”.
 
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DIFFICULTES
Les difficultés de fond qui sont mises à jour se rejoignent. Outre l'animation de la séance qui pose parfois des difficultés aux enseignants, plusieurs d'entre eux se disent “ pris entre deux feux : suivre et aider les éIèves dans leur scolarité, rester, donc, dans un rôle d'enseignant, mais aussi chercher à établir une autre forme de relation et se situer plus largement en adulte. Ces deux rôles sont parfois vécus comme contradictoire. ”.
Compte rendu par Daniel Louis-Etxeto
 
 
Le lycée expérimental de Saint-Nazaire
 
Les Ateliers d'Octobre, organisés à Pau par la revue Autrement, (cf. n° 94) nous ont permis de rencontrer beaucoup de promoteurs enthousiastes d'expériences pédagogiques qui se font ici et là, “ hors ou in institution. Le lycée de Saint-Nazaire avait envoyé quatre délégués : 1 professeur, un éducateur spécialisé en stage à Saint-Nazaire et deux élèves. L'article qui suit est un compte rendu des informations apportées par eux à ces ateliers.
 
PETIT HISTORlQUE
Le centre existe depuis février 1982 sur l'initiative de Gabriel Cohn-Bendit et de quelques amis impatients : vite, on veut vivre un véritable changement ! (cf. la lettre ouverte à Savary signée Cohn-Bendit reprise à la rentrée 81 par les médias).
 
BUT DE L'ENTREPRISE
Dans le cadre de la lutte contre l'échec scolaire, ouvrir un lycée qui recevrait les exclus du système scolaire (redoublants de lycée, élèves en échec au bac, élèves de L.E.P. voulant poursuivre leurs études après leur B.E.P., etc.).
Pourquoi à Saint-Nazaire ? Parce que l'initiative vient d'une équipe de Saint-Nazaire mais aussi parce que existe là une Z. E. P. Aucune opposition locale, syndicale ou autre.
Actuellement, le centre reçoit 130 élèves et 18 salariés : les catégories professionnelles traditionnelles ont cédé la place à une sémantique plus large, on parle ici d'équipe d'adultes, d'animateurs. L'équipe voudrait atteindre un effectif de 180 élèves, soit 10 élèves pour 1 salarié. Le recrutement est régional.
Quelques termes définissent le projet global de Saint-Nazaire :
- “ Travailler ensemble ”, d'abord, dit Pierre, le prof de physique et chimie. La gestion du centre se fait avec les élèves, économat, organisation du temps, de l'espace, des activités, etc. Un groupe appelé Commission Exécutive gère tous les problèmes du centre, commission renouvelée périodiquement.
- Ensuite l'équipe veut permettre aux élèves de choisir eux-mêmes leurs objectifs, leur rythme de travail. Certains choisissent de passer le bac, d'autres préfèrent différer l'examen d'un an ou deux ou même parfois, de ne pas le passer. Ils cherchent ici autre chose, des contacts, des moyens de s'exprimer en tant que personne, et non numéro de classe, une formation plus large.
L 'équipe cherche donc à favoriser une formation de l'individu qui ouvre sur autre chose qu'un savoir livresque ou un bachotage imbécile qui laisse bien souvent le lycéen perplexe après le bac ” ( réf. les nombreux échecs en 1ère année de fac, la réorientation en I.U.T....). Cet élargissement du champ des connaissances est obtenu par des activités diversifiées ouvertes sur l'extérieur, (intervenants extérieurs, correspondants. voyages, etc. ) qui “ devraient permettre au jeune en formation à Saint-Nazaire de formuler des désirs et de définir les moyens nécessaires pour parvenir à les vivre ”. Il semblerait qu'à Saint-Nazaire on réussisse à vivre un peu ses désirs : les élèves présentes à Pau se disent pour l'instant satisfaites, surtout par l'ambiance qui règne dans le centre : ambiance détendue, contacts multiples et faciles avec les adultes, reconnaissance de la parole de l'individu “ on peut dire ce qu'on pense, on a droit à la parole ; on a des responsabilités dans les décisions prises au centre ” etc. Au 1er trimestre, les élèves ont choisi de travailler par groupe thématique : six groupes sont parrainés, chacun par trois membres de l'équipe d'animateurs adultes. Un seul a choisi de travailler seul, sur le thème de la musique. La notion de classe ou de niveau a disparu, mais les adultes prennent en compte les différences qui peuvent exister. La globalité du groupe est née d'un consensus entre les élèves et les adultes, après de longs débats et l'expérience chaotique de l'année précédente. Les élèves se sont engagés à faire vivre les groupes en ne les remettant pas en question par des comportements instables. L'équipe éducative a fait appel, au début de l'ouverture du centre à un groupe de socio-psychanaIystes de Paris qui les a aidés à réguler leur propre fonctionnement. Eh oui, l'angoisse de l' évaluation était grande à Saint-Nazaire ! Evaluation interne, mais aussi celle que ne manqueraient pas de faire les conservateurs de tout poil !
Le regard de Dominique, l'éducateur de rue en stage à Saint-Nazaire était particulièrement intéressant puisqu'il n'était pas directement impliqué dans cette expérience. Lui aussi a longuement souligné le climat de détente du centre, l'absence du fossé traditionnel entre les élèves et les adultes. Il a été surpris par le foisonnement de possibilités non encore exploitées, qu'a entraîné cette structure autonome par rapport aux pouvoirs publics : foisonnement d'idées qui balbutient encore, bien sûr, mais on serait surpris du contraire...
Mais qui sont ces jeunes qui demandent à continuer leurs études à Saint-Nazaire ? Dominique répond: “ on trouve de tout, tout ce qu'on peut trouver dans un second cycle. ” ... Alors, marginalité de luxe, Saint-Nazaire? Mais ce qui gêne, ce n'est pas tant le luxe que la marginalité car le luxe, on connaît ça dans le recrutement de nos lycéens, non ?
Alors, bonne et longue vie à Saint-Nazaire !
Propos recueillis par Jakie Challa
 
 
Nous avons des correspondants allemands
 
1. CORRESPONDRE- POURQUOI ?
Depuis 8 ans j'ai des classes qui correspondent. Huit de ces correspondances ont abouti à des voyages échange. Certains des anciens, paraît-il, correspondent toujours. Les autres ont gardé le souvenir de quelques jours passionnants vécus avec les correspondants. Pour d'autres classes, l'échange n'a pas pu se faire. Mais les élèves ont tout de même été confrontés à la réalité des jeunes Allemands telle qu'elle était reflétée dans les envois.
 
1.1. Toutes ces choses qu'on peut échanger
Il y a eu des échanges de toute sorte.
- Des échanges concernant l'école : emplois de temps (nous avons constaté que tout en ayant plus de cours que nous, les élèves allemands ont une journée moins chargée : des cours moins longs, autrement répartis dans la journée). ([1]).
- Nous avons aussi fait connaissance avec la ville, la région des correspondants, nous leur avons présenté notre contexte.
- Des recherches ont été réalisées. Dans une 5e, nous avons comparé nos loisirs avec ceux des correspondants et constaté qu'ils avaient plus de temps à leur consacrer que nous. Dans une 3e, nous avons voulu savoir comment se faisait l' orientation en AIlemagne. Nous avons par exemple appris que dans certaines écoles les élèves font durant les deux dernières années scolaires un stage de 6 semaines en entreprise, dans le but de faire connaissance avec le métier qui les intéresse. Vous imaginez que cela a vivement intéressé nos élèves de 3e, pris dans les dédales de l'orientation.
- Nous avons échangé des chants, des jeux, des recettes de cuisine. des livres, de petits cadeaux...
- Nous étions confrontés aux problèmes des immigrés, problème très important dans les grandes villes allemandes, “ Pourquoi ma fille a-t-elIe une correspondante turque ? ” demande une maman. Et bien, dans cette “ Hauptschule ” de Kôln 25 % des enfants sont d'origine étrangère.
 
1.2. Partager pendant quelques jours la vie des correspondants - une mine de découvertes
1.2. 1. L'occasion de faire connaissance avec un milieu différent “ Le premier jour nous sommes restés dans la famille. Cela nous a permis de faire connaissance. Le soir, les parents m'ont fait visiter la ville. ” (Martine 3e) “ A Kôln, il n'y a presque pas de pavillons, on ne voit que des immeubles. J'ai trouvé la ville très grande. ” (Raphaëlle, 5e) “ Ils ont un confort terrible : deux ou trois télés, beaucoup de jeux électroniques ”, dit une élève de 3e. Et elle ajoute : “ Mais ils en ont besoin, car ils n'ont que peu la possibilité de passer leur temps au grand air, de profiter de l'espace. Ils vivent dans des appartements bien plus étroits que nos maisons à la campagne. Et ils sont enfermés dans ce Berlin entouré par la R.D.A., ils ne peuvent pas faire beaucoup de sorties en vélo ou en voiture. .
1.2.2. Des différences dans Ies habitudes quotidiennes, la vie de famille. On constate des différences dans la vie de tous les jours, les habitudes quotidiennes, les relations dans les familles. “ Nous avons comparé la vie dans les familles de nos correspondants à la nôtre et avons constaté que tout n'est pas pareil. Au petit déjeuner une famille allemande mange plus que nous. Il y a des œufs, de la charcuterie, du fromage, du miel, de la confiture, des gâteaux, des toasts, tout ceci arrosé de thé, de café ou de chocolat. Chez nous, on ne mange pas beaucoup le matin, on n'a pas le temps. Mais on se rattrape au repas de midi qui est plus copieux que celui des correspondants. L'après-midi, on nous servait des gâteaux et du café. Mais le soir, il n'y avait qu'un repas froid. ” (Elèves de 3e) “ Les lits ne sont pas bordés comme chez nous, nous sommes plusieurs à avoir eu froid aux pieds! ” (Marie-Noëlle, 4e)
“ Nos correspondants sont très libres. Leurs parents acceptent qu'ils sortent le soir avec leurs camarades. les filles ont les mêmes libertés que les garçons. Ils font beaucoup de sport, écoutent de la musique, beaucoup de musique pop. Ils font souvent des boums (une fois par mois ils en font une dans leur classe). Le dimanche ils ne sortent pas avec leurs parents, ils préfèrent rester à la maison et inviter des copains. ” (Marie-Paule, Fabienne, Annick, Sophie, 3e)
 
7.2.3. L 'école allemande
les élèves ont aussi eu l'occasion de constater que l'école allemande est organisée différemment, qu'elle est moins “ rigide ”, moins marquée par la hiérarchie autoritaire que l'école française. “ le matin nous sommes allés en classe avec nos correspondants. Nous avons remarqué qu'il y a de meilleures relations entre profs et élèves, les profs sont un peu comme des copains, et les élèves sont plus libres que chez nous. ” (Cécile 3e) “ Ils disent aux profs ce qu'ils pensent - chez nous ce serait impensable. ” (Patricia, 3e).
“ Profs et élèves sont comme des amis. Les élèves peuvent faire ce qu'ils veulent, il yen a qui font du tricot, d'autres mangent pendant le cours...
Quand les élèves arrivent à l'école, ils ne sont pas obligés d'attendre dans la cour, ils montent dans leur classe. Mais ils n'ont pas le droit d'y faire leurs devoirs. ” (Christine T., 3e)
- l'organisation de la journée est différente. Combien n'a-t-on pas envié aux correspondants leurs après-midis libres !
“ Je trouve leur système très bien : ils commencent à 8 heures et ont classe jusqu'à 13 ou 14 heures. L'après-midi, ils sont libres. Cela nous a permis de nous promener ensemble dans la ville, de nous amuser. ” (Cécile, 3e)
- l'école ne reste pas uniquement lieu de travail, elle devient aussi lieu de vie.
 
1.3. Etre, avec toute sa personnalité, dans ce que l'on fait
Il n'est plus question d'un apprentissage stérile des choses pour lesquelles on ne se sent pas concerné. Mieux, il n'est plus question d'apprentissage du tout ! On vit ! Beaucoup de choses se passent au niveau des tripes.
 
1.4. Apprendre la langue de gens que l'on aime bien
Ce qui me semble également important dans ces échanges, c'est la possibilité qu'ils offrent aux jeunes de nouer des relations affectives.
Tout de suite après le départ des correspondants, les élèves de 3e ont exprimé sur une grande feuille leurs sentiments encore tout “ chauds ” :
“ On pouvait leur parler et exprimer ses sentiments, malgré nos difficultés de nous exprimer en allemand. ” Et un petit dialogue écrit :“ Je suis terriblement triste qu'ils soient partis - Dans un sens, c'est bien : on est triste parce qu'on vient de vivre quelque chose de très chouette. - Ça c'est vrai... ”
Cathie, en 5e, écrit: “la famille a été très gentille avec moi. Les enfants de Kôln se sont donné beaucoup de mal pour nous comprendre. ”
Connaître des gens, les aimer bien, cela donne envie de communiquer avec eux. Peut-il y avoir une meilleure motivation à apprendre une langue que l'envie de communiquer avec des gens qui la parlent ?
 
1.5. Une éducation à la tolérance
Et enfin, vivre dans un contexte étranger, devoir se plier à des habitudes différentes, cela contribue à développer la tolérance. En le vivant, les jeunes ont l'occasion de comprendre que être différent ne signifie pas être inférieur, moins bien.
Les garçons de 6e tombaient des nues quand les correspondants berlinois, pendant la classe de mer commune, critiquaient leur refus de laisser les filles participer aux matchs de foot. Il est vrai que chez nous les filles n'ont pas l'habitude de jouer au foot, cela reste un jeu bien “ masculin ”. En Allemagne par contre les équipes de foot féminines ou mixtes sont chose courante, parfaitement rentrée dans les mœurs. Au point que l'attitude de refus de nos garçons avait choqué les correspondants qui ont alors défendu, avec force arguments valables, la participation des filles.
Peut-on imaginer une meilleure Ieçon de tolérance ?
 
2. CORRESPONDANCE ET ECHANGE-COMMENT ?
 
2.1. Comment trouver des correspondants ?
La plupart du temps j'ai trouvé des correspondants en m'adressant à mes amis personnels en Allemagne. Il m'est arrivé aussi de contacter des mouvements d'enseignants, mais cette démarche a rarement été couronnée de succès. Il y a eu des initiatives prises par des élèves : dans une classe de 6e, Valérie est revenue des vacances de la Toussaint en disant : “ Chez nos amis en Allemagne, j'ai accompagné la fille en classe, et j'ai demandé à la prof de français si l'on ne peut pas correspondre avec eux. Elle a été d'accord. ” Cela tombait bien, car justement, pour cette classe je n'avais pas trouvé de correspondants.
Quant à l'organisation d'un voyage-échange, j'ai constaté qu'il s'est réalisé chaque fois que les deux professeurs impliqués le voulaient vraiment. Quand j'étais seule, avec ma classe, à le souhaiter cela n'a pas marché.
 
2.2. Rencontrer le prof correspondant
Tout est évidemment plus facile quand on connaît le collègue, quand on a - ou on se donne - l'occasion de le rencontrer.
Depuis 4 mois, les éIèves de la 5D avaient essayé de relancer les correspondants de l'année précédente pour organiser un échange. Sans succès. Jusqu'au jour où Arno, le prof allemand, profitant de ses vacances de Noël plus longues, est venu dans la classe. Ces correspondants qui n'écrivaient presque plus étaient tout d'un coup présents : Arno parlait de ses difficultés avec la classe, il nous racontait qu'il ne voulait plus les pousser à écrire. De cette rencontre a jailli une dynamique importante. la correspondance . ranimait. Et 3 mois plus tard, nous avons pu aller voir les correspondants chez eux, nous les avons trouvés débordant d'imagination et d'initiatives pour nous préparer un accueil chaleureux et un séjour “ super ”.
 
2.3. Chercher la formule la plus adéquate
Je pense qu'il y a différentes formules possibles pour un voyage-échange. Il vaut mieux ne pas avoir en tête un modèle trop précis mais tenir compte de la situation dans laquelle on se trouve, des possibilités particulières qu'elle peut engendrer comme des problèmes spécifiques que l'on rencontre.
 
2.3.7. Durée et frais.
la plupart de nos voyages ne dépassaient pas 5 jours (une semaine pour le voyage à Berlin). Pour cela, plusieurs raisons :
- les correspondants n'habitaient pas très loin, les déplacements n'étaient donc pas très longs (entre 3 et 6 heures de voyage).
- Une absence plus courte perturbe moins le collège, elle est mieux tolérée.
- Certains parents laissent leur enfant plus facilement partir pour un voyage de courte durée.
- Je suis moi-même mère de trois enfants et il m'était difficile de partir pour une durée plus longue.
Etant donné que le coût se limitait aux seuls frais de voyage et que les distances n'étaient pas très grandes, il n'y a jamais eu de problème financier, bien que nous n'ayons reçu aucune des différentes subventions sollicitées.
 
2.3.2. Contenus
Pratiquement tous nos voyages-échanges ont eu certains éléments de programme en commun :
- l'accueil dans les familles des correspondants et plages de temps réservées à la vie dans la famille.
- Participation à une ou plusieurs journées de classe avec, pour les plus grands (3e) la possibilité de recherches comparatives portant sur les deux systèmes scolaires (possibilité de questionner un responsable de l'établissement allemand).
- Une rencontre sportive (football, volley-ball, handball).
- Une fête (présentation de spectacles, jeux, “ boum ”, ...)
- Une ou plusieurs excursion(s) dans la région.
- Du temps libre pour pouvoir flâner , se rencontrer entre copains, faire de petits achats, etc.
 
2.4. Préparer et exploiter l'échange
Refusant des voyages qui regroupent , artificiellement des élèves “consommateurs ”, je veille à ce que chaque échange devienne le projet d'un groupe-classe. Ce n'est pas toujours facile. Dans chaque classe il y a des élèves qui ne veulent pas participer, il faut parfois longuement parlementer, essayer de convaincre les élèves (ou les parents) hésitants. Il faut trouver des solutions pour ceux qui en début d'année n'avaient pas voulu de correspondants (où vont-ils être logés ?), pour l'un ou l'autre qui, faible en allemand, refuse de se retrouver seul(e) dans une famille allemande. Et puis, partir avec un groupe plus grand revient moins cher . Mais je pense que le projet commun est important pour le cheminement du groupe. Il retentit d'ailleurs dans toutes nos activités, aussi bien avant qu'après le voyage.
Ainsi, en 5° , le voyage est devenu prétexte pour l'édition d'un journal. Sandrine l'explique :
“ Presque tous dans la classe avaient un correspondant. Cela faisait déjà un an que nous correspondions avec la classe de Niederstetten et nous avions très envie de leur rendre visite. Seulement, nous n'avions pas d'argent. la caisse était vide. Alors, nous avons eu l'idée de faire un journal pour gagner un peu d'argent. ”
Ainsi est né Spilu, recueil de textes libres réalisés en allemand et fièrement vendu à 5 francs. Mais ce ne sont pas les quelques francs gagnés qui ont été importants. L'important, c'était d'avoir réalisé quelque chose en commun. Sandrine le dit d'ailleurs :“ Il nous a fallu 2 mois pour faire ce journal, et ce n'était pas aussi facile que l'on pourrait l'imaginer. Savez-vous à combien de choses il faut faire attention pour qu'un stencil soit réussi ? Avez-vous déjà essayé d'imprimer avec un limographe ? Savez-vous faire une illustration au pochoir ? Nous avons appris tout cela pour faire ce journal.
Prenez du temps pour le lire. Ne le regardez pas en vitesse pour le jeter ensuite dans un coin. Non, lisez tout ! Alors, vous pourrez juger si toutes ces heures de travail qu'il nous a coûtées étaient inutiles... ”(Sandrine et toute la classe ).­
Et il y a toujours, après le voyage, une phase importante d'exploitation pendant laquelle je tiens à ce que l'on aboutisse à des traces visibles, “ montrables ” : un album, des panneaux à exposer, un journal de voyage polycopié, un montage audio-visuel par exemple. Le fait de pouvoir montrer, expliquer des choses à tous ceux qui n'ont pas pu y aller, augmente l'importance de ce que l'on a vécu. Presque dans tous les échanges, il y a eu la contre-visite des correspondants chez nous; c'est un moment important dont toute la responsabilité d'organisation repose sur le groupe-classe. Mais c'est lui aussi qui signe fièrement la réussite - et jusqu'à ce jour tous les échanges ont été, malgré quelques problèmes, des réussites.
 
2.5. La classe vit et s'organise
Au début de l'année, mes éIèves sont souvent déroutés : ils avaient l'habitude qu'on leur dise tout ce qu'ils devaient faire - chose qu'ils attendent en vain de ma part. Non seulement je ne dis pas quoi faire, mais en plus je ne dis pas non plus qu'on doit faire. Par contre je leur répète souvent tout ce qu'on peut faire. Pendant quelque temps Us éCoutent, regardent, feuillettent, cherchent... se cherchent. Certains profitent aussi de l'absence de devoir pour ne rien faire de “ scolaire ..
 
Dans cette situation, démarrer une correspondance, c'est une très bonne chose. Ça rassure, parce qu'on fait. Ça crée une ambiance aussi : préparer des panneaux sur lesquels on se présente, cela demande de se concerter, de collaborer . Parfois chacun présente un camarade, d'autres fois, chacun se présente lui-même. Toutes ces présentations seront collées sur des panneaux, accompagnées de photos, de vraies ou de I< photos ” dessinées : on se dessine soi-même, ou un camarade, avec un détail bien caractéristique (le fana de foot avec un ballon, la nageuse en tenue de natation, le collectionneur de timbres se représente sur un timbre, etc.).
 
Il faut répartir le travail. Et puis, il faudra payer l'envoi: on crée une caisse. Qui enverra le colis ? L'organisation coopérative commence à se mettre en place. Quand le colis part, la classe n'est déjà plus la même que Je jour de la rentrée. Quelque temps après, la première réponse, Parfois, cela tombe très bien: la classe, se sentant de plus en plus insécurisée par le prof “ bizarre ” que je suis, a de nouveau à faire. Plus le temps de se poser trop de questions ! Chacun asa lettre, il faut répondre. De quoi parlera-t-on dans la lettre collective ? Qui la prépare ? Que pourrait-on envoyer d'autre ? Se mettre d'accord, répartir les tâches ! La classe vIt.
 
On est occupé à faire des choses vraies, des choses de la vie. C'est ça qui est important, On en arrive presque à oublier que par dessus le marché on apprend l'allemand. Il est vrai que l'on n'a pas encore vu de leçons, paS encore appris de règles de grammaire. Mais on a appris à parler de soi, de ce que l'on fait, de ce que l'on aime, de la manière dont on vit... Se dire - n'est-ce pas une des raisons essentielles de l'existence de ce moyen de communication que représente une langue ?
 
2.6. C'est leur correspondance à eux...
2.6.1. Ma part de maître
Mon rôIe de prof, c'est d'impulser, de guider aussi. Mais attention à ne pas m'enfermer dans ce rôle' Il faut voir quand la classe peut se passer de mon expérience, de mon savoir, de mes idées. Ne pas oublier que c'est leur correspondance, ne pas en faire la mienne ! Les laisser faire - mais rester vigilante pour me rendre compte quand ils ont de nouveau besoin de moi.
Souvent, il arrive, au bout de quelques mois, un moment où ils sont assez nombreux à ne plus trop savoir de quoi parler dans les lettres. Ce n'est pas très conscient, ils ne le disent pas. Mais les lettres tardent à être prêtes. Là, il peut être utile qu'on les aide à prendre conscience du problème, à chercher ensemble comment le résoudre.“ Que peut-on encore écrire dans les lettres ? ” Un “ brain-storming ” de 10 minutes peut suffire pour que cela reparte.
 
2.6.2. Ce qui les intéresse, eux
Il y a quelques années, je préparais avant un voyage-échange une fiche-guide qui devait permettre aux élèves de profiter au maximum de ces quelques jours. Mais je me rendais compte que la plupart ne s'en servaient pas,
Quelle idée de suivre une fiche quand on est en pleine découverte! Je crois qu'on ne peut pas vraiment le faire. Le travail avec la fiche restait artificiel. Dommage, car cela leur aurait permis de revenir avec un tas d'informations, de détails qui autrement risquaient de leur échapper . On aurait pu faire des travaux formidables ! Ça, c'était mes idées de prof. J'ai appris à les laisser un peu de cOté. Ne vaut-il pas beaucoup mieux que les jeunes s'y plai­­sent avant tout ? Qu'ils s'imprègnent à leur manière ? Qu'ils retiennent ce qui les concerne, ce qui les intéresse, eux ? Tant pis pour les beaux travaux scolaires I
Par contre. il me semble utile que chacun choisisse, avant le départ, un thème qui l'intéresse spécialement et qu'il essaie de trouver le maximum d'informations concernant ce thème.
Marie-Renée et Annick nous ont présenté en 3e le résultat d'une enquête sur la mode des jeunes en Allemagne que je n'aurais même pas eu l'idée de leur proposer .
Ainsi ils se font leur image de l' Allemagne - ce ne sera probablement pas une image complète et objective. Mais elle sera vivante. Et ils auront toujours l'occasion de la compléter, la corriger par la suite. D'ailleurs, jusqu'où nos images d'adultes sont-elles objectives ? Ma propre image de l'Allemagne en tout cas ne l'est pas! Marquée par ce que je vis au fil des ans, elle change, elle évolue continuellement.
 
3. ET LES PROBLEMES ?
 
Si ces échanges ont beaucoup de côtés positifs ils ne se passent cependant pas toujours sans problèmes.
 
3.1. Les problèmes au collège
Tant que l'échange se limite à une correspondance, cela ne dérange guère. Certes, il existe des parents, et des élèves aussi d'ailleurs, à qui cela ne paraît pas du “travail sérieux” - mais on peut s'en expliquer .
Par contre, quand il s'agit de partir en voyage ou d'accueillir les correspondants, ça se complique. Cela désorganisera le collège ! Inquiétude de certains parents et collègues : si des heures de cours sautent, comment va-t-on pouvoir boucler le programme ? Cela leur pose de sérieux problèmes, même s'ils n'ont rien contre l'échange en lui-même.
Par ailleurs je me heurte à la trop grande passivité des collègues. Que ce soit le prof de français qui avait en principe accepté de nous aider à préparer la partie française de l'envoi, que ce soient les autres profs à qui on demande de proposer une activité un peu moins scolaire le jour de la visite des correspondants, ou du moins d'accueillir quelques correspondants dans leur classe. Cela reste beaucoup trop mes échanges, ne devient pas assez les échanges du collège...
Il y a néanmoins eu une évolution, et je suppose qu'elle dépend au moins en partie d'un changement d'attitude de ma part : il y a quelques années, je ne pensais pas à demander le coup de main, ou je n'osais pas trop le faire. Je me suis rendu compte que certains n'attendent que cela. Comme ils attendent, d'ailleurs d'être informés - ce que j'oubliais aussi trop facilement de faire.
J'ai appris à aller vers les autres. Et je pense que c'est un pas qu'il faut savoir faire.
 
3.2. Les différences mal acceptées
Les échanges nous confrontent à un milieu pas ou peu connu. Et s'il est important d'apprendre à accepter les différences, cela ne se fait pas toujours tout seul­ - même au niveau des adultes. D'ailleurs, au départ il faut déjà prendre conscience des différences.
Il y a égaiement eu des problèmes résultant du mIlieu différent d'une classe allemande : Il s'agissait d'un échange avec une “ Hauptschule”, école qui regroupe tous les éIèves en difficulté ou en situation d'échec. Evidemment, dans cette école, le nombre d'enfants qui présentent un comportement perturbé et/ou qui ont du retard scolaire est très élevé. De plus, ces jeunes respectent beaucoup moins les règles de toutes sortes que nos enfants (d'une manière générale habitués à une plus grande docilité que les jeunes allemands). Pendant leur séjour chez nous, aussi bien certains de nos éIèves que leurs parents et quelques profs ont été choqués par le comportement de ces éIèves. Conclusion pour certains : plus jamais d'échange avec une “Hauptschule”.
A moi, cela me pose des problèmes : j'admire encore maintenant le courage dont les profs de ces jeunes ont fait preuve en les emmenant à l'étranger. Je pense en effet que leurs élèves ont, plus que quiconque, besoin d'être responsabilisés par des activités “vraies”. Mais je constate que dans notre contexte, cet échange a “fermé des portes” : cette année, j'ai une partie des élèves qui ont été impliqués dans cet échange, et la plupart n'a plus envie de correspondre et ne veut plus entendre parler d'échange. Est-ce une raison suffisante pour ne plus chercher de contacts, de refuser d'échanger avec une “ Hauptschule ” ? J'ai du mal à l'accepter ! Et pourtant, si je veux continuer, il faudra certainement que je tienne compte des réactions dans les familles et chez les collègues...
 
3.3. Les limites personnelles à respecter
J'ai eu du mal à finir la dernière année scolaire. Les trois échanges ont été réalisés. Mais à partir du second trimestre j'étais de plus en plus débordée. Les attentes de la part des élèves et des parents me semblaient immenses et leur soutien, leur prise en charge de responsabilités beaucoup trop limités. Je me sentais prise au piège : étant allé trop loin pour faire marche arrière il fallait aller jusqu'au bout, assumer tout. J'ai payé avec ma santé. Les grandes vacances n'ont pas suffi pour enrayer ma grande fatigue, morale et physique...
Ceci ne met pas en cause le principe de l'échange. Mais j'ai compris qu'il faut savoir accepter ses propres limites. Désormais je me limiterai à un seul échange par année.
 
3.4. Les déceptions qu'il faut assumer
Bien que les réussites, les satisfactions soient nettement plus nombreuses, il arrive aussi que des attentes soient déçues. Il y a par exemple le cas des éIèves dont le partenaire est trop différent. Marion, la correspondante d'Isabelle, est originaire d'un milieu marginal, et très mal intégrée dans sa classe, difficilement tolérée par ses camarades. Isabelle, elle-même élevée dans un milieu assez aisé, et d'une nature sensible, a du mal à accepter Marion qu'elle sent très différente et, de plus, repoussée par ses camarades. Rachel, fille de 5e encore très jeune d'esprit, ne pouvait absolument pas comprendre que sa correspondante Ulrike la délaisse à maintes reprises pour flirter avec les garçons. Actuellement en 4e, Rachel refuse catégoriquement de s'investir encore dans une correspondance. Et puis, il y a la classe déçue d'attendre en vain le courrier tellement désiré.
Après le moment fort de la classe de mer l'an dernier qui se prolongeait jusqu'à la fin de l'année par les travaux d'exploitation (dossiers personnels et montage audio-visuel) et les lettres échangées, les éIèves de 5e en veulent actuellement à leurs correspondants berlinois de n'avoir répondu que de manière très succincte à nos différents envois cette année. Presque personne n'a reçu une réponse aux deux lettres individuelles que chacun avait envoyées à son correspondant. Ma proposition d'écrire encore une fois pour les relancer est très mal reçue : ils ont plutôt tendance à exprimer leur déception en boudant...
 
Et, non en dernier lieu, il y a mes déceptions à moi : les élèves qui n'assument pas leurs responsabilités ; les collègues qui gardent leur distance ; les parents qui, sans avoir proposé aucune participation, critiquent ; l'administration qui ne voit que les paragraphes et ferme les yeux devant les réalités humaines...
 
Conclusion : DES CORRESPONDANTS ? TOUJOURS !
Où en suis-je après ces huit échanges ? Dans un compte rendu mes élèves de 3e ont écrit: “ . . . nous espérons tous que d'autres adolescents après nous auront la joie de correspondre avec des jeunes d'un pays étranger.” Eh bien, je continue à faire mon possible pour que ce souhait se réalise.
 
Dietlinde Baillet
67530 Ottrott
 
 
 
 
 




[1] + dates de vacances (“ TIens, nous avons de la chance avec nos deux mois et demi de grandes vacances ! ”) + bulletins + travaux