Raccourci vers le contenu principal de la page

logo ressource btn Enquête pour un Poilu oublié de 1914-1918

Niveau de lecture 5
Dans :  Histoire-Géo › 
Juin 2011

ENQUÊTE
Que reste-t-il aujourd’hui des millions d’hommes qui ont participé à la Guerre de 1914-1918 ?

Des milliers de Monuments aux Morts, où d’autres vagues de victimes sont venues les accompagner en 1939-1945, puis durant la Guerre d’Algérie… Quelques émissions documentaires à la T.V., quelques films… et puis, des photos, des papiers dans les Archives familiales : on ne sait plus toujours qui est ce moustachu sur la photo
Mais sur Internet, le nombre croissant de Sites bien documentés nous dit que les descendants des "Poilus" ne restent pas indifférents à la Grande Boucherie, alors que le dernier Poilu a maintenant disparu.

14-18 Tour de la France - Archives Corsan-Dhénin

C‘est ainsi que j’ai pu identifier un jeune homme, Tony-Marius, qui avait envoyé une carte à mon grand-père Louis, et un joli portrait à ma grand-tante, avant 1914. Tombé à vingt ans en 1916, il avait été enfoui dans la mémoire de ses frères et sœurs, enterré une deuxième fois, pas même majeur : aucun de ses petits-neveux n’en avait jamais entendu parler.
J’ai donc "rendu" ce  grand-oncle aux siens, 94 ans après sa disparition, en grande partie grâce aux outils aujourd’hui disponibles sur le Net.

 

L’éducation

À l’école, comme un très grand nombre d’élèves, Louis et Tony-Marius ont pratiqué la lecture dans un manuel scolaire "global" très connu, le Tour de la France par deux Enfants de G. Bruno, ouvrage resté dans la famille.

Le fil conducteur n’est pas neutre : deux jeunes Alsaciens, orphelins, obligés de quitter leur région natale occupée par les Allemands depuis la Guerre de 1870, vont parcourir la France à la recherche d’un oncle : pour les élèves, c’est le prétexte à une découverte de l’histoire, de la géographie, de l’économie nationales. Mais c’est aussi un ouvrage de morale et d’instruction civique, où de nombreuses pages enfoncent dans la tête des enfants le désir de reconquête de l’Alsace et de la Lorraine "occupées" par les Allemands.
En fait, après 1870, et pendant  40 ans, le discours national s’est fait de plus en plus belliqueux, préparant par bien des sources les jeunes (et leurs aînés) à l’idée d’un conflit "légitime".

 

 

Page du "Tour de la France par deux enfants"
Une main enfantine a ajouté la couleur sur les régions perdues d'Alsace-Lorraine !

 

 

 

 

 Qui était Tony-Marius ? 3 indices pour une enquête

• une carte de vœux à Louis, signée de son "frère Tony-Marius", 14-18 portrait Tony-Marius - Archives Corsan-Dhénin
• une photo endimanchée dans l’album de Juliette, leur sœur,
• une coupure de presse en partie erronée, reprenant la photo :

c’est tout ce qui restait de cet inconnu dans les papiers de sa famille.
Mais cela fut suffisant pour le retrouver - un peu !

Comment procéder ?

L’État-civil
Toutes les communes conservent leurs registres d’État-civil, où sont consignés les actes de naissance. Si on connaît le nom, la date approximative de naissance d’une personne, on peut explorer les Archives jusqu’aux années 1930 (les années récentes sont soumises à réserve).

Certaines villes ont même commencé à mettre des archives en ligne : c’est le cas pour Lyon, où étaient nés Louis et sa sœur : pourquoi pas Tony-Marius, à condition de prendre au pied de la lettre cette signature improbable "votre frère…" ?
Cela valait la peine d’aller voir.
Et en effet, les Archives Municipales de Lyon conservaient bien dans l’état-civil d’un Tony-Marius Corsan, né en 1896 ; et ses parents étaient en effet ceux de Louis et Juliette.

Les registres militaires
D’autre part, en cherchant "Tony-Marius Corsan" sur Internet, on découvre divers sites personnels et publics, qui ont listé les soldats de 1914-1914 – particulièrement ceux qui furent déclarés "Morts pour la France" : les listes sont souvent accompagnées d’informations complémentaires.
On trouve aussi des sites qui récapitulent les parcours des divers régiments.

 

La mobilisation de Tony-Marius

Tony-Marius, de la classe 1916, a probablement été appelé en avril 1915 – il n’avait pas encore 20 ans.
En 1914, en France, 8 millions d’hommes entre 18 et 45 ans ont été mobilisés (20 % de la population).
Mais les "classes" suivantes ne sont pas dispensées : au contraire, les jeunes gens étaient appelés "avant l’heure", pour combler les pertes..

14-18 mobilisation

 

 

14-18 Fiche MplF

Pour retrouver Tony-Marius :
les petits cailloux d’internet

 

Le soldat Tony-Marius Corsan est mort durant la guerre.
 

On peut donc interroger ce Site officiel :

www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr.

  

 

http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/lib_memh/php/fiche_popup.php?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14-18 sépultures de guerre

 

 

Là, en demandant le nom de la victime, on apprend :
- la date et le lieu de naissance de Tony-Marius,
- des précisions sur sa mort (et on constate que la coupure de presse était erronée !) : il est mort le 17 août 1916 "à l’ambulance" (il s’agissait de postes de campagne, et non de véhicules), après 4 jours d’agonie.
- les coordonnées précises de sa tombe : un cimetière provisoire près du poste d’ambulance, converti en Nécropole nationale après la guerre.

Car il a une tombe personnelle (un très grand nombre de soldats n’ont jamais été identifiés, certains sont même restés ensevelis sous le désastre des obus.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14-18 annonce décès

 

 

Un Site internet personnel a même pu rassembler des informations complémentaires : sur lyon.voyeaud.org/ on apprend par quel circuit la famille a été prévenue : avis envoyé le 3 septembre à la caserne de Grenoble, qui transmet à sa mère le 8 septembre.

cliquer pour agrandir >

Ensuite, il suffit de se tourner vers les nombreux sites personnels ou officiels qui retracent l’histoire des Bataillons en 14-18.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais la référence reste un Site officiel, qui a mis en ligne l’essentiel des Journaux de Marche et d’Opérations (JMO) :

http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/

 On trouve là jour par jour, les actions, les circonstances (la neige, le manque d’eau, ou la boue…), et le décompte macabre des victimes.

  

Ainsi, pour le 70° BCA, à Maurepas,

Le 13 août 1916.

"Dès le matin l’artillerie ennemie bombarde violemment toutes nos positions de 1ère et 2ème ligne, avec de l’artillerie lourde (105 – 130 – 150 et 210) . Ce bombardement se continue avec la même intensité pendant tout le jour, et une partie de la nuit, bouleversant surtout nos lignes de soutien.
Le 3e objectif fixé pour le 12 n’ayant pas été atteint par le 30e Bataillon, ce qui oblige le bataillon à se replier légèrement, ordre d’attaque de ce 3e objectif est donné pour 18h15. À l’heure fixée, les deux Compagnies d’attaque du
Bataillon 7e à droite, et 9e à gauche, doivent s’avancer sur le 3e objectif (chemin partant de l’angle sud du cimetière de Maurepas, direction Sud-Est cote 120).
La 9e
Compagnie atteint facilement son objectif ; une ½ section de la 7e Compagnie avec une section de mitrailleuse arrive sur le chemin creux, et au tournant tombe sur un fort groupe ennemi. Ce détachement du Bataillon fait une trentaine de prisonniers qui se rendent facilement, mais le reste du groupe ennemi voyant le petit nombre de chasseurs démasque une mitrailleuse et résiste. Notre détachement avec ses deux mitrailleuses se retranche et reste en position. La Compagnie gauche du 30e Bataillon ne peut avancer sur le chemin creux, de même que la section de droite de la 7e Compagnie en liaison avec le 30e.
Vers 20h30, le chemin creux n’ayant pu être atteint, les éléments du Bataillon reviennent sur leurs positions de départ.
"

 

Ce texte est la transcription du Journal de Marche et d'Opérations (J.M.O.) du 70° Bataillon de Chasseurs Alpins pour le 13 août 1917.

(cliquer sur le document ci-dessous pour trouver l'original, de bonne qualité, page 15 sur le curseur)

JMO

 

Ces pages décomptent les Tués, les Blessés, les Disparus, les Prisonniers, et les Chevaux tués ou perdus…
Source : pages numérotées 11 et 12 du journal de marche et opérations du 70e BAC 22 juil - 31 déc 1916
http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/jmo/img-viewer/26_N_834_014/viewer.html

 

Journée sans résultat, mais le compte est lourd : 7 tués, 7 "disparus", et 49 blessés.
Parmi ces 49 blessés, Tony-Marius n’a pas survécu à ses blessures – et combien d’autres ?

 

 

 

 

 

 

C’est l’écrivain et médecin  Georges Duhamel (1884-1966) qui nous éclaire : il a fait la guerre en tant que chirurgien dans des ambulances d’immédiat arrière front. Il était à Etinehem en août 1916.

"La cote 80, c’est là. Vous y verrez plus de blessés que vous n’avez de cheveux sur la tête, et couler plus de sang qu’il n’y a d’eau dans le canal. Tout ce qui tombe entre Combles et Bouchavennes rapplique ici"
(in Civilisations ).

 

Les lieux de mémoire
 

La nécropole "La Cote-80" à Etihehem     Photo Patrick et Véronique Carpentier

14-18 nécropole Etinehem - Photo P & V Carpentier   14-18 nécropole Etinehem - Photo P & V Carpentier 

1004 corps reposent dans la nécropole nationale d’Etinehem, "La Cote-80", où ont été réunis deux cimetières temporaires.
Parmi eux, 49 soldats du Commonwealth : 19 britanniques, 1 Canadien, 29 Australiens…
Les soldats allemands sont regroupés dans des nécropoles différentes.

- Page BTn : Parcours: 2 Poilus, 2 frères dans la tourmente de 14-18 (dans cette page BTn on retrouve Tony, le plus jeune Poilu, sous un autre angle)
- Page BTn : Un livre d'école : Le Tour de la France par deux Enfant

Ressources et bibliographie: 
http://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/ et http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/
Crédit iconographique : 
photos : Archives Dhénin-Corsan, Patrick et Véronique Carpentier
Fichier attachéTaille
enquete_pour_un_poilu_oublie.pdf2.18 Mo