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Une année d'équipe pédagogique en 6°

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Novembre 1980
UNE ANNEE D'EQUIPE PEDAGOGIQUE EN 6e
 
 
I. COMMENT LE PROJET EST NE
 
1.1. Qui sommes-nous ?
 
P. : Prof. de maths et de physique, le plus ancien parmi nous dans l'établissement. Il ne se sent pas très à l'aise dans l'enseignement traditionnel et cherche à en sortir en proposant aux élèves des activités débordant le cadre du cours magistral. Par exemple :
- confection d'un numéro de journal (calqué sur le modèle du journal régional) réalisé par une classe de 3e, en collaboration avec le prof. de français,
- enquête sur le chauffage,
- recherche sur l'énergie nucléaire et réalisation d'affiches (en collaboration avec H.),
- en dehors du temps scolaire, initiation des élèves volontaires à des réalités plus ou moins en rapport avec les programmes : initiation à la photo, initiation à l'ïnformatique.
 
H. : Prof. de français, dans l'établissement depuis quatre ans. Il n'est pas très à l'aise dans l'enseignement, aurait préféré faire autre chose et cherche à trouver des alternatives. S'intéresse à la pédagogie Freinet (qui ne l'a pas vraiment convaincu) et s'inspire des réflexions de la revue “Pratiques” sur l'enseignement et la manière d'aborder le cours de français. Dans sa pratique d'enseignant il cherche plus à rendre les élèves autonomes qu'à leur inculquer un programme, mais il est très souvent déçu par la réalité de ce qu'il obtient. D'après les autres, ses exigences sont souvent trop grandes pour les enfants du premier cycle.
 
V. : Prof. d'allemand. Elle pratique depuis son arrivée dans l'établissement (il y a quatre ans) la pédagogie Freinet, en tâtonnant d'abord, puis avec de plus en plus de conviction et d'assurance. Objectifs : rendre les enfants autonomes et responsables de leur travail ; leur faire découvrir que “travail” n'égale pas forcément “corvée”, mais peut être “plaisir”. Elle utilise des techniques Freinet telles que organisation coopérative du travail, correspondance scolaire et voyage-échange, travail individualisé, texte libre (accompagné éventuellement, selon les classes, d'une publication).
 
1.2. Ce qui nous a décidés à travailler ensemble
En faisant connaissance nous nous sommes rendu compte :
- que nos critiques du système d'enseignement existant se rejoignaient souvent,
- que nous avions certains objectifs communs : autonomie des enfants, enseignement plus près de la réalité,
- que, dans la mesure où nous demandons aux enfants de se prendre en charge, nous subissons le contrecoup d'un enseignement magistral imposé (abus de la liberté donnée, manque d'initiatives, et jusqu'au reproche de ne pas imposer le travail).
Petit à petit, le désir d'une classe commune se faisait jour, nous en attendions plus de satisfactions, sans pourtant trop savoir encore ce que nous allions faire.
La classe commune se réalisait en 78/79 pour H. et D.
Comme nous n'avions pas de projets bien définis et que nos idées à ce sujet n'étaient pas encore très claires, il n'y eut cependant pas de travail en commun, à part une réunion commune de trois profs avec les élèves pour faire le bilan du premier trimestre et essayer de faire évoluer l'ambiance dans la classe. Par contre la discussion continue au sujet de cette classe nous a permis de mieux nous connaître et d'entrevoir certaines possibilités de collaboration. C'était sûrement une étape nécessaire avant de pouvoir réaliser des projets plus concrets.
 
1.3. La mise en route du projet d'équipe
L'affichage en salle des profs d'une circulaire au sujet d'équipes pédagogiques en mars 79 a déclenché une interrogation : étions-nous prêts à tenter un travail en commun ? La réponse fut positive. Cependant nous avons préféré ne pas répondre à cette circulaire, quitte à renoncer à certains avantages (horaires par exemple), ceci pour rester libres, ne pas nous soumettre à un contrôle ou à l'obligation de rendre des comptes.
 
Par la suite, nous avons défini les détails de notre projet (I) le choix de la classe, nos objectifs, avant de le soumettre fin mai au principal. L'élaboration de ce projet nous obligeait déjà à définir chacun plus clairement les objectifs de notre travail et, pour pouvoir le faire, à définir et à adopter une terminologie commune (nous nous rendions par exemple compte du flou du terme “pédagogie non-directive”). Le principal, tout en proposant quelques modifications (par exemple concernant le choix de la classe : une 6e à la place d'une 4e), accueillit notre proposition d'une manière plutôt favorable, mais nous demanda l'engagement de respecter les programmes.
 
Pour élargir nos possibilités, nous avons demandé à deux profs, parmi les plus ouverts de l'établissement, de prendre la même classe et de voir jusqu'où ils étaient prêts à s'engager dans le travail d'équipe. Si par la suite J.C., le prof. de sport, s'intégra très vite dans l'équipe en partageant, et nos objectifs et nos méthodes, M.F., le prof, d'histoire-géo, se dit dès le départ observatrice et poursuivit au cours de l'année un enseignement plutôt magistral, sanctionné par une notation classique,
 
Dans une dernière réunion avant les grandes vacances, nous avons essayé de voir, d'une manière plus détaillée, les questions concrètes qui risquaient de se poser, telles que : bilans, coopérative, notation, discipline, et nous avons décidé de poursuivre pendant les vacances notre réflexion à ce sujet et de nous documenter (épluchage des revues Freinet par exemple), Nous avons pris, dès ce moment, les décisions suivantes :
- Parents : faire une enquête sur leurs métiers, organiser une première réunion courant octobre pour expliquer nos buts et méthodes, et demander une participation éventuelle de leur part.
- Echanger les manuels de 6e, les étudier pendant les vacances pour nous rendre compte du contenu du programme dans les différentes matières.
- Assister chacun à des cours des autres : échange sur les différents cours, les différentes manières de travailler et les réactions des enfants en fonction du prof et de la matière.
- Mettre l'accent sur le développement du langage : rendre les enfants autonomes dans la manière de comprendre et de s'exprimer,
- Chercher des sujets permettant un travail interdisciplinaire.
- Organiser, peu de temps après la rentrée, une sortie de trois jours avec la classe, de manière à permettre au groupe de se structurer plus vite et à mettre les enfants dans une situation exigeant d'emblée une organisation coopérative.
 
Quant au problème matériel d'une heure de concertation où nous serions tous libres, nous avons décidé, à ce moment-là, d'attendre les emplois de temps, Par la suite, nous avons souvent regretté cette décision, car nos emplois de temps mutuels se chevauchaient d'une manière qui ne permettait absolument pas la concertation pendant l'horaire scolaire. Nous étions obligés de la prévoir aux heures de repas ou en soirée - ce qui posait des problèmes supplémentaires dûs à nos autres obligations (vie familiale, activités extra-professionnelles, etc.).
(1) Texte du projet en annexe 1.
 
Annexe I
EXPERIENCE PEDAGOGIQUE POUR L'ANNEE 79-80 (PROJET)
Professeurs concernés :
Mme B, : langue allemande
M, R. : mathématique physique
M, L, : français
 
Objectifs de travail :
- Modifier le rapport pédagogique entre professeurs et élèves pour obtenir un enseignement plus efficace destiné à développer l'esprit critique des élèves.
- Donner aux élèves une plus grande responsabilité dans l'acquisition des connaissances. Développer leur autonomie et leur aptitude à la recherche en les rendant moins dépendants du professeur (utilisation du C.D.I. et de documents...).
- Faire découvrir aux élèves les aspects enrichissants qu'un travail (ou une activité) choisi et accepté peut apporter au développement de leur personnalité.
 
Méthodes de travail
- Possibilité(?) d'un séjour de trois jours en compagnie de la classe hors des cadres scolaires dès le début de l'année pour tenter de définir collectivement les méthodes de travail en tenant compte des impératifs des programmes officiels, d'établir des objectifs et une progression en commun dans le cadre des programmes.
 - Concertation régulière des professeurs concernés.
- Prise en main des problèmes de discipline par la classe.
- Utilisation limitée du cours magistral.
- Approche interdisciplinaire de certains thèmes d'étude : la photographie (problèmes d'optique en math-physique, reportages en français et en allemand), la science-fiction (étude de textes allemands et français, création de textes, problèmes d'astronomie).
- Travail en groupes dans lequel s'insère le travail individuel (et non plus individualiste).
- Utilisation de l'audiovisuel (compte rendu d'expériences, de voyages...).
- Recours à la correspondance entre classes, aux journaux conçus et fabriqués par les élèves.
- Participation éventuelle des parents quand leurs expériences peuvent s'avérer utiles (présentation d'un métier, d'une spécialité, d'informations précises recueillies au cours d'un voyage".).
- Plan de travail et bilan hebdomadaires (ou par quinzaine).
 
Contraintes matérielles :
- Classe de 4e (pas d'examen ni d'orientation}.
- Elèves non latinistes.
- Elèves germanistes.
- Heure rectorale en français,
- Une salle commune pour mathématique, allemand et français.
- Salle 16 si possible en raison de la proximité du C.D.I. et de la proximité de petites salles de travail,
 
2. LA REALISATION
 
2.1. La pré-rentrée - questions de fond
Nous nous sommes retrouvés deux demi-journées avant la rentrée, Cela nous a permis de soulever certaines questions de fond, sans cependant avoir le temps de suffisamment confronter nos opinions et surtout de trouver une position commune. Les sujets restés ouverts étaient :
- Que cherchons-nous ? A ce sujet, nous avions dégagé que nous voulions permettre à l'enfant : de découvrir qu'il avait besoin de connaissances, de s'épanouir, de savoir prendre des initiatives, de développer son autonomie, d'avoir du plaisir à ses activités. Mais tout ceci sans jamais aborder le pourquoi de ces désirs et donc les raisons profondes de notre engagement.
- La notation. Nous avons décidé de faire établir par les enfants une feuille de progression pour chaque matière, ce qui devait les habituer dès le départ à une auto-évaluation de leur travail. Mais nous nous rendions très clairement compte que nous avions des idées très différentes au sujet de la notation. Celles-ci oscillaient entre la conviction d'une influence nuisible des notes (découragement de l'enfant) et la quasi-certitude de leur nécessité (stimulation). La discussion nous permit également de constater l'absence de critères objectifs utilisables dans la notation : que note-t-on ? Des capacités ? Des connaissances ? Le travail de l'enfant ? Ses progrès ? Quoi d'autre ?
- Le rôle du prof : est-il, avant tout, enseignant ? Educateur ? Ou une personne ?
- Le prof institué et la personnalité : doit-on séparer les deux ? Peut-on le faire ? Les opinions à ce sujet divergaient.
- L'enseignement de soutien : comment le concevoir ? Quel but poursuivre ?
 
2.2. La rentrée - Accent déplacé sur des problèmes concrets
Après la rentrée, nous avons été très vite submergés par des problèmes quotidiens et les deux réunions de concertation par semaine suffisaient à peine à y faire face. L'insatisfaction de ne plus trouver le temps d'aborder ou de traiter calmement les problèmes de fond nous a poursuivis pendant tout le premier trimestre. Elle se manifestait dans des tensions latentes, presque imperceptibles au début, puis de plus en plus prononcées, qui se sont cristallisées et ont éclaté pendant la sortie de trois jours que nous avons réalisée fin octobre avec la classe et les cinq profs de l'équipe. Il fallut cependant encore des semaines, voire des mois, avant que cela devienne vraiment conscient.
 
2.2.1. Les réunions de coopé (1)
Les enfants, peu habitués par leurs expériences scolaires antérieures à se prendre en charge, réagissaient à notre attitude non-autoritaire : les uns étaient essentiellement déroutés, les autres cherchaient des limites à cette liberté qui les surprenait. Tout ceci se manifestait dans des problèmes concrets concernant le travail et la discipline.
 
Nous avons essayé de soumettre ces problèmes à la classe dans des réunions de coopé (une par mois), auxquelles P., H. et D. participaient régulièrement, J.C. (étant affecté à deux établissements différents), selon ses possibilités et M.F. (ne voulant pas s'engager dans des changements par rapport à une conception traditionnelle de l'enseignement) d'une manière sporadique et en fonction des sujets à l'ordre du jour. Dans ces réunions, nous faisions, surtout au début, attention à ne pas “écraser” les enfants par notre présence adulte. Cela n'était pas toujours simple, d'autant plus que, dans leur optique de l'enseignement, le prof avait un poids écrasant au départ, Ils ont compris cependant assez vite que nous voulions déplacer les accents, et ils ont essayé de se conformer à nos attentes en participant activement à la recherche de solutions aux problèmes, Mais là encore, le manque de temps nous faisait nous heurter à nos limites : il était impossible de trouver des solutions satisfaisantes aux problèmes de fond que représentaient le manque de discipline ou de travail sans se questionner sérieusement sur le pourquoi - ce qui n'était pas réalisable dans une réunion d'une heure.
(1) Voir annexe 2.
 
Annexe 2
NOTES DE LA PREMIERE REUNION COOPERATIVE
Sujet : règles de discipline à appliquer dans la classe.
Problèmes constatés :
- Quelqu'un ne fait pas ses devoirs ou oublie ses affaires.
- Quelqu'un perturbe la classe.
- Quelqu'un ne s 'intéresse pas à la matière.
Pendant l'heure prévue, nous n'avons pu traiter que la première question.
Pourquoi arrive-t-il qu'on ne fait pas ses devoirs ou qu'on oublie ses affaires ?
- On ne sait pas s'organiser ~ s'entraider dans la classe.
- On n'a pas envie de faire son travail.
- Trop de travail.
 
Solutions proposées :
- Se donner soi-même un devoir supplémentaire.
 - Quand il y a trop de travail dans plusieurs matières, le dire aux profs.
- Ne plus donner de devoirs.
- Former des équipes où chacun se sent responsable des autres.
- Un responsable note ceux qui n'ont pas fait leur travail, la troisième fois la classe décide de la sanction”
- celle-ci sera la solution retenue par la majorité.
- Un devoir qu'on ne croit pas utile, ou qu'on n'a pas envie de faire -> le remplacer par un autre travail.
- Tirer une sanction au sort.
 
 
Commentaire :
En tout cas les enfants attendent une sanction de la part du prof, et pensent que, s'il n 'yen a pas, le “non-travail” se propagera. Ceci explique le choix de la solution retenue. Nous aurions bien aimé que la solution soit autre chose qu'une sanction. Mais il nous semblait important que ce soit eux qui choisissent cette solution. Tout en nous disant qu'il faut aussi que le groupe apprenne à remettre en question des règles qu'il s'est données - et dans l'espoir que cela arrivera peut-être pour celle-ci.
 
2.2.2. Concertation entre profs
Les réunions de concertation étaient destinées d'une part à l'information mutuelle, à la discussion des problèmes quotidiens et à une recherche de solutions possibles à ces problèmes, d'autre part à l'essai de réguler nos relations, en exprimant les tensions et les conflits.
Selon les personnes, nous supportions plus ou moins difficilement les problèmes de travail et de discipline, et il nous fallait beaucoup de temps pour identifier nos sentiments et déterminer les comportements à adopter. Car, si nos limites d'acceptation étaient très différentes, nous tenions néanmoins à rester crédibles en tant qu'équipe en adoptant des positions communes. Ceci exigeait des concessions de la part de chacun, Si P. et H, avaient, à certains moments, l'impression de laisser aux enfants des libertés qu'ils pouvaient difficilement accepter et défendre (absence de notes, refus de punitions), D, se sentait au contraire gênée par certaines décisions de groupe (par exemple celle d'insister sur les problèmes de discipline et de non-travail au lieu de laisser “mûrir” les choses).
Ce qui est sûr, c'est que cette concertation nous a permis de mieux connaître et comprendre les enfants.
En même temps elle nous obligeait à observer lucidement et à approfondir notre réflexion personnelle. Devant les camarades, il était plus difficile de rester au niveau des impressions, il fallait essayer d'expliquer celles-ci, de fonder ses opinions. Par contre, dans tout cela, il nous était souvent difficile de faire une séparation entre le travail lui-même et notre réalité personnelle en dehors de ce travail.
 
2.2.3. La sortie
Pendant les premières semaines après la rentrée notre activité commune dans la classe consista - à part la sensibilisation des enfants à une organisation coopérative - essentiellement en la préparation de la sortie de trois jours. Celle-ci eut lieu fin octobre. Nous l'avions programmée en week-end pour permettre aux cinq profs de l'équipe d'y participer, au moins partiellement.
Nous tenions à ce que ce week-end soit perçu, par les enfants et par leurs parents, comme une sortie de travail. Notre but n'était pas moindre que de déterminer pendant ces trois jours, les structures dans lesquelles devaient se passer la vie et le travail de la classe par la suite.
Par là s'exprimait bien sar notre désir de rendre les enfants eux-mêmes responsables de leurs relations et de leur travail - mais il s'y exprimait aussi une certaine anxiété de notre part : n'ayant jamais, ou presque, partagé la responsabilité de leur enseignement avec leurs élèves, certains parmi nous craignaient que ces derniers, ou ne veuillent ou ne sachent pas se comporter d'une manière responsable. Et, dans ce cas, la part de responsabilité “abandonnée” par le prof ne serait assumée par personne. Cela, notre conscience professionnelle ne pouvait pas l'accepter ! C'est pourquoi nous cherchions - sans en être vraiment conscients - une sorte de garantie de réussite par des règles de vie élaborées en collaboration avec les enfants.
Cependant cette recherche de règles était artificielle à ce moment-là puisqu'elle ne reposait sur aucun besoin de la part des enfants. Ceux-ci avaient visiblement du mal à comprendre nos préoccupations. Ils ont essayé néanmoins de satisfaire le mieux possible nos attentes, en faisant preuve de beaucoup de bonne volonté. Heureusement, il y avait un vaste champ réel de tâtonnement et d'application pour la structuration du groupe dans toute la partie de l'organisation matérielle du week-end, comme d'ailleurs tout simplement dans la vie commune de ces trois jours. Pour nous, profs, il se posait dans ce domaine un problème de répartition des tâches : celles-ci n'avaient pas été assez clairement définies au départ, ce qui mettait l'un ou l'autre mal à l'aise à certains moments. Elle se fit finalement de manière plus ou moins naturelle, selon les compétences ou les préférences de chacun. Tout comme pour les enfants, la vie commune pendant cette sortie fit aussi évoluer les relations mutuelles dans l'équipe, ou du moins celles-ci, se définirent plus clairement.
L'accumulation des tensions alla dans certains cas jusqu'à l'éclatement - ce qui permit une évolution par la suite. Dans la mesure où des tensions restaient non-exprimées, leur accentuation préparait tout de même la prise de conscience des facteurs auxquels elles étaient dues. Ainsi, la vision plutôt négativiste du travail et des réalisations par le groupe provoquait chez D. un malaise allant à certains moments jusqu'au découragement. Bien qu'il n'ait pas été exprimé à ce moment-là, ce sentiment s'avéra, en fin de compte, utile car, poussé jusqu'au bout et exprimé plus tard, il permit la prise de conscience des raisons de cette vision pessimiste : elle s'expliquait par une conception encore très traditionnelle de ce que nous attendions des élèves et par la crainte de les voir abuser d'un relâchement de notre pouvoir de prof. (I)
(1) Voir annexe 3.
 
Annexe 3
QUESTIONS A DEBATTRE LORS DE LA SORTIE
Nous avons dit aux enfants que, outre la possibilité de mieux se connaître et de s'amuser, un but important de la sortie prévue était de trouver ensemble des possibilités d'organiser le travail en classe, de la manière la plus intéressante et la plus profitable à tous, Après les avoir invités à chercher les points à discuter dans ce but, nous avons, dans une réunion avec quatre enfants représentants de la classe, dressé une liste des questions à soulever lors du week-end, qui, mise en forme par les quatre élèves responsables, a abouti au papier suivant polycopié et distribué à tous les élèves avec la consigne de préparer une réponse personnelle à chaque question avant la sortie.
 
1, LE TRAVAIL
a) Est-ce que je pense que les devoirs sont nécessaires ?
b) Pour moi, qu'est-ce que le travail en classe ?
c) Est-ce que .je pense que le travail peut être un plaisir ?
 
2. LA DISCIPLINE
a) Pour moi, qu'est-ce que la discipline ? Comment puis-je intervenir dans l'organisation de la discipline ?
b) Est-il nécessaire de faire la vérification des cahiers de texte ou du travail donné ? Pourquoi ?
 
3. VIE DE GROUPE
a) A quelles occasions puis-je aider un camarade ? Comment ?
b) Comment pourrais-je former les groupes pour avoir une bonne ambiance dans la classe ?
 
4. MES INTERVENTIONS DANS LA CLASSE
a) M'est-il arrivé d'avoir envie de présenter à la classe un sujet qui m'intéresse ? L'ai-je fait ? Comment ? Quelles furent les réactions de la classe ?
b) Comment est-ce que je réagis quand je n'ai pas compris quelque chose en classe ?
Nous, profs, avions attendu de vraies solutions-miracles, des discussions sur les problèmes profonds rencontrés dans la classe. Nous aurions sûrement gagné à être suffisamment réalistes pour nous avouer que de telles solutions ne pouvaient pas exister. Surtout pas pour un groupe d'enfants modelés par tout un passé scolaire et vivant dans un contexte qui est plutôt d'accord avec les principes éducatifs de cette école.
Si nous avons pu obtenir une sensibilisation des enfants pour ces problèmes, c'est sûrement déjà beaucoup.
 
2.3. Premier bilan - le besoin d'une réflexion
Après les trois jours de la sortie, nous avons ressenti un grand besoin de faire le point, aussi bien sur le travail réalisé que sur nos relations mutuelles et la manière dont chacun avait vécu les événements.
 
2.3.1. Pourquoi ce besoin de faire le point ?
Il était devenu évident qu'un engagement total de la personne était non seulement inévitable, mais même indispensable pour le travail, novateur dans notre contexte, que nous avions entrepris - si limitées que les innovations en elles-mêmes aient pu paraître ! Du moment qu'on sort, un tant soit peu, des sentiers battus, il devient difficile, sinon impossible de se référer à des réalités extérieures pour justifier, ne serait-ce que devant soi-même, ce que l'on fait - contrairement à une pratique traditionnelle qui est justifiée d'avance parce que “cela s'est toujours fait ainsi”. Et la situation est d'autant plus difficile que nos propres mesures ne sont pas objectives: elles sont marquées par notre propre éducation et contexte. Si nous voulons être capables de défendre nos objectifs d'une manière un peu objective, il est donc nécessaire de nous rendre compte des motivations profondes qui nous font agir. Ceci explique peut être notre besoin de faire le point après le moment culminant de la sortie et avant d'envisager les modalités de poursuite du travail. Nous avons entrepris alors dans plusieurs réunions successives: - de faire le bilan de la sortie; - d'analyser nos différents “rôles” dans l'équipe.
 
2.3.2. Bilan de la sortie (1)
En analysant les événements de ces trois jours avec un peu de distance, nous avons constaté que, dans l'ensemble, le bilan était loin d'être négatif. S'il l'était quant aux “réunions de travail”, c'est parce que nous y avions projeté nos problèmes d'adultes sur les enfants.
Pour nous, la réflexion commune concernant leur travail, la discipline, la vie du groupe et leur attitude dans la classe correspondait à un réel besoin. Nous avions besoin d'être rassurés ! Et il y avait, de notre part, une forte demande d'aboutir à des règlements concrets utilisables dans la classe dès le retour .
Apparemment notre statut de prof (et de plus le nombre écrasant de cinq profs) avait été suffisant pour faire accepter par les enfants ces réunions qui ne répondaient pourtant à aucune préoccupation de leur part. (D'ailleurs, dans les textes que certains élèves ont, par la suite, écrits au sujet du week-end, aucun ne parle de ces réunions !).
Cependant, les réunions ont eu aussi un côté très positif : il y a eu un progrès évident dans la manière dont les enfants s'y sont engagés, un progrès dans la tenue des réunions et la prise de parole vis-à-vis du poids que nous représentions. Apprentissage important aussi pour nous : accepter de devoir nous taire jusqu'à ce que ce soit notre tour de parole ! (Ceci fut une situation nouvelle, même pour D. qui travaille depuis quelques années en organisation coopérative avec ses élèves : jamais encore ceux-ci n'avaient mis en cause le droit du prof à prendre la parole quand bon lui semble et sans attendre son tour !).
D'autres points positifs du.week-end :
- La prise d'initiatives par les enfants dans les tâches matérielles.
- L'évolution des relations dans le groupe-classe.
- La révélation de la personnalité de certains enfants, vus sous un autre jour que dans la classe.
- La prise de contact avec les parents. Même s'ils ont peu réagi à l'exposé de nos objectifs, nous avons pu entamer le dialogue, déclencher peut-être chez eux un début de réflexion sur l'éducation scolaire.
Malgré cela, une certaine insatisfaction se fait sentir dans l'équipe: au lieu d'être en recherche commune avec les enfants (ce qui inclut d'attendre de voir où l'on arrivera), nous avons eu des idées préconçues au départ. Chacun parmi nous savait plus ou moin~ où il voulait arriver et avait poursuivi son but. Mais n'ayant pas atteint nos buts, nous étions déçus. Et nous avons oublié de prendre en compte tout ce qui avait été réalisé en dehors de nos attentes à nous.
 (1) Voir annexe 4
 
2.3.3. Nos différents rôles dans l'équipe
Grâce à la vie commune très intense, pendant la sortie, et à nos réflexions personnelles sur ce qui s'était passé, nous nous sommes rendu compte du fait que chacun parmi nous jouait un rôle particulier dans le groupe, que ces rôles étaient très différents et qu'il y avait peut-être une certaine tendance à cantonner chacun dans son rôle. Chacun de ces rôles était caractérisé par plusieurs attitudes conjuguées. Ces attitudes étaient par exemple :
- Impulser des initiatives.
- Avoir un comportement moralisateur.
- Représenter le souci d'efficacité.
- Attendre toujours trop et n'être jamais satisfait.
- Avoir une attitude critique continuelle.
- Se faire représentant des exigeances de l'administration.
- Exiger des décisions.
- Etre le “théoricien” du groupe.
- Observer minutieusement les enfants.
- Avoir un comportement rassurant (être - ou paraître sûr de soi et du travail).
- Etre pratique.
- Observer.
- Avoir une attitude sceptique.
- Pousser à aller plus loin.
- Souligner les progrès ou les réussites.
- Relativiser les déceptions.
- Redouter l'échec.
Chacun parmi nous adoptait plus particulièrement les attitudes en accord avec sa personnalité.
Avoir distingué ces différents rôles, les avoir verbalisés et discutés, cela nous aidait à mieux comprendre nos comportements. Et mieux les comprendre permettait de mieux les accepter. Ainsi, cet “arrêt sur nous-mêmes” nous permit par la suite d'aborder et de traiter avec plus de sérénité les questions quotidiennes.
 
2.4. Les normes du système
Si nous avons pu nous permettre d'ignorer, pendant quelque temps et dans une certaine mesure, les habitudes et les normes en usage dans l'école publique (ne pas donner de notes, oublier les programmes au profit d'une écoute des enfants par exemple), l'approche de la fin de trimestre nous obligea à prendre de nouveau en compte ces normes et à nous situer, non en dehors, mais face à elles.
 
2.4.1. Peut-on sortir des normes ?
Comment s'étaient développés les enfants ? Quelle était leur attitude face au travail, quel était leur comportement ? En nous posant ces questions, nous constations, non sans une certaine déception, que les résultats étaient plutôt maigres par rapport à notre “investissement”. Certes, il y avait une bonne entente dans la classe et l'essai du groupe de se prendre en charge. L'un ou l'autre des enfants qu'on dit habituellement “en difficulté” avait trouvé “sa” voie, celle qui lui permettait de s'épanouir. Dans les domaines où ils pouvaient choisir leur travail librement, il y avait des réalisations fort intéressantes... Mais il y avait aussi ceux qui abusaient de la liberté dans le travail pour ne rien faire, ceux qui semblaient n'avoir fait aucun progrès (et combien ne se sent-on pas mis en question par un gosse qui scolairement ne progresse pas !). Et il y avait la demande répétée envers les profs d'agir selon leur rôle : de forcer, de diriger... Par moment, nous avions l'impression que certains enfants se moquaient éperdument de notre souci de les rendre autonomes et qu'ils se reposaient tout simplement sur l'absence de moyens de pression : notes, punitions...).
Or, n'est-il pas normal que, se trouvant à l'intérieur d'un système, les enfants exploitent ce qui leur semble être les failles de ce système ? Qu'ils exigent que notre comportement soit conforme aux normes de ce système ? N'est-il pas compréhensible qu'ils soient déroutés par la non-conformité de notre conception des rôles, du leur comme du nôtre ? D'autant plus qu'à certains moments, débordés, nous avions tendance à nous “sauver” dans le rôle institutionnalisé, à reprendre momentanément un pouvoir que nous avions abandonné.
 
Annexe 4
DESCRIPTION DE LA SORTIE DE LA CLASSE A VEC LES CINQ PROFS DE L'EQUIPE FIN OCTOBRE
 
DEROULEMENT
 
Vendredi :
Voyage en train - marche à pied - arrivée en fin de matinée. Exploration et prise en possession des lieux.
Discussion au sujet d'un dortoir commun pour filles et garçons. Finalement ils décident des dortoirs séparés (heureusement
- puisque nous n'aurions “osé” accepter cette proposition - qui nous avait pourtant plu !).
 
Midi : Pique-nique dans la salle commune, chacun déballe ses provisions.
 
Après-midi : Première réunion. On soulève le problème de l'arrangement de la salle et du nettoyage des tables après les repas. Etablissement d'un ordre du jour et, après une pause, discussion : - le problème des dortoirs (les garçons qui dérangent les filles et inversement).
 
- Le pourquoi de cette sortie.
 
En fin d'après-midi : Préparation du repas du soir par l'équipe responsable, et, pour les autres, temps libre pendant lequel les enfants préparent, en plusieurs groupes. des divertissements pour la veillée.
 
Repas du soir
 
Veillée : Le déroulement de la veillée est laissé entièrement à l'initiative des enfants : après les sketches, danses et acrobaties préparés, il y aura des jeux de société auxquels tous, élèves comme profs, participent sur un pied d'égalité.
Nous arrêtons la soirée à 11 h 30.
Pendant un bon moment, il y a encore de l'agitation dans les dortoirs. Nous évitons d'intervenir pour permettre au groupe d'enfants de trouver sa propre solution.
 
Samedi :
Il faut caser le travail sur trois des quatre sujets prévus dans la journée - ceci nous oblige à nous imposer un horaire très strict et à le respecter. Ceci d'autant plus que, mis à part l'accomplissement des tâches matérielles, il doit rester du temps pour des activités plus récréatives qui correspondent à une réelle motivation des enfants et sont indispensables pour faire évoluer les relations ! La veille, nous nous sommes rendu compte qu 'il fallait limiter le temps des réunions de travail, car les enfants se fatiguent très vite et, au-delà d'une certaine limite, les discussions sont, non seulement lassantes. mais aussi infructueuses.
 
Le déroulement de la journée est le suivant :
 
9 h : réunion : “Le travail”.
Auparavant, nous décidons ensemble de la façon dont nous travaillerons : éclatement en trois petits groupes (une demi-heure), comptes rendus au grand groupe, puis brève discussion et prise de décisions. Le tout ne doit pas dépasser 1 h 15.
 
VIE DE GROUPE
 
Tensions entre garçons et filles, cristallisées essentiellement autour du comportement très agressif de Jean-Philippe envers les filles.
Plusieurs petits groupes. Aucune organisation commune pour aménager la disposition des tables dans la salle.
Personne ne recherche la compagnie des trois profs présents.
 
Apprentissage du fonctionnement démocratique d'un groupe : président de séance, secrétaire du tour de parole. La première décision collective porte sur la manière d'arranger la salle.
Essai de verbaliser le problème, qui est en réalité un problème entre garçons et filles ; pas de solution, mais un règlement au sujet des dortoirs.
 
Les enfants n'ont rien compris à nos raisons et nos buts - mais ils font preuve de beaucoup de bonne volonté à chercher ce pourquoi”.
 
Tous les repas, ainsi que le service, sont réalisés par les enfants eux-mêmes (en équipes tournantes) de manière à ce que chacun ait contribué au déroulement matériel du séjour. Cette préparation de la veillée s'est faite tout à fait spontanément, et nous ne voulons absolument pas briser cet élan qui nous semble très positif : C'est pourquoi nous renonçons aux .jeux de connaissance et de confiance que nous avions prévus pour la soirée.
 
Ils sont actifs et semblent heureux et à l'aise : là, c'est vraiment leur personnalité qui s'exprime. La vie réelle qui manquait à la réunion de l'après-midi est présente et prolonge son expression .jusque tard dans la nuit !
Si, finalement, le calme s'installe tout de même, c'est probablement dû plus à la .fatigue qu'à l'intervention de “leaders!) - mais, en tout cas, ce n'est pas un calme imposé !
 
Les discussions en petits groupes s'avèrent très positives : elles permettent à tous les enfants, même aux plus timides, de prendre la parole, et l'implication personnelle est plus grande. Cela facilite sûrement une sensibilisation aux sujets de ces discussions.
 
10 h 30 : Préparation du repas par l'équipe responsable.
 
Jeu de piste improvisé pour les autres.
 
En début d'après-midi deuxième réunion de travail : “La discipline ”..
 
Jeu “Eperviers ”.
 
Après le goûter: jeux de confiance (Chacun n'est qu'un regard ! ”., s'écrire des billets”}.
 
Réunion “Vie de groupe ”. :
Le moment - après les jeux de confiance et à la tombée de la nuit - est .favorable et les discussions dans les petits groupes sont assez intimes et personnelles.
 
En veillée : création corporelle, rythmique et musicale improvisée.
Consigne : évoluer dans la salle (un très grand dortoir) comme on veut, s'approprier à volonté les instruments (un métallophone, une cymbale, des clochettes et toute une collection d'instruments rythmiques}, faire tout ce dont on a envie, sauf parler. Mais toujours respecter les autres, tenir compte de leurs réactions - de manière à ce que tout le monde puisse être bien ”.
 
Dimanche matin : réunion “Mes interventions dans la classe.
 
Le reste de la matinée sert à préparer la réception des parents prévue pour l'après-midi. Il s'agit, en particulier, de confectionner des panneaux qui doivent informer les parents sur le travail de week-end et peut-être amorcer la discussion avec eux sur nos buts et les méthodes de notre travail.
Repas.
Rangement.
 
Accueil des parents et réunion avec eux.
 
Ce jeu est d'une grande importance, en particulier pour les enfants les moins adaptés scolairement : Patrick, par exemple, qui a une attitude plutôt négative dans tout ce qui est travail, y montre une bonne volonté à être utile assez surprenante. Et, pour une fille repliée sur elle-même telle qu'Agnès, le fait de partager une cachette avec un des profs crée une complicité dont il restera une trace durant les mois à venir...
Ici, certains problèmes de fond sont touchés :
- La non-entente entre garçons et filles ~ y remédier en faisant des groupes (de travail) mixtes.
- On respecte plus un prof homme qu'un prof femme.
- Quand un prof impose discipline ou travail, on triche.
Grand besoin de défoulement, beaucoup de plaisir.
 
Le but - atteint au moins partiellement - en est de faire évoluer les relations avant d'aborder la discussion sur la vie de groupe. Prise de conscience des problèmes de ceux qui restent à l'écart ou qui sont mal acceptés par les autres. Les enfants réalisent que, aider l'autre, signifie d'abord : l'accepter tel qu'il est. Et ils décident d'intégrer aussi dans les groupes ceux qu'ils n'aiment pas.
C'est d'abord un tâtonnement général pendant lequel des tensions s'expriment (M. Christine, par exemple a monopolisé le métallophone et n'est pas prête à le céder, malgré l'envie clairement exprimée de plusieurs autres}. Au bout d'un certain temps, un groupe de garçons s'impose avec une création rythmique ; tout le reste se structure autour de ce rythme. C'est un moment très fort.
Quelques propositions intéressantes: boîte à textes, entretien libre. Ce qui .frappe le plus pendant cette séance, c'est l'assurance avec laquelle les enfants se sont appropriés les structures: la présidence commence à bien fonctionner, et on ne tarde pas à rappeler à l'ordre le prqf trop pressé d'intervenir.
Il y a plus de parents que nous n'en attendions (90 %).
 Ils écoutent très attentivement les présentations des panneaux faites par des enfants et nos explications supplémentaires. Mais, apparemment, ils sont un peu débordés et déboussolés par ces profs qui ne font pas la classe comme les autres ! Il y a, malgré tout, un certain échange. Cependant l'essentiel est sûrement de les avoir incités à se poser des questions sur l' éducation scolaire.
Nous fondons beaucoup d'espoir sur la suite de nos relations avec eux mais serons plutôt déçus par la suite.
 
2.4.2. Préparation du conseil de classe
Le conseil de classe nous semblait être une structure dont il était possible de changer le contenu. Notre idée était d'utiliser le conseil (qui est habituellement beaucoup plus une formalité qu'une concertation réelle) pour un bilan concernant le développement de chaque enfant et le comportement du groupe-classe. Celui-ci se passa en trois phases :
 
I. Une réunion d'équipe,
2. Une réunion coopérative réunissant la classe, quatre profs et le principal (qui avait souhaité y assister). Dans ces deux réunions, on passa en revue tous les élèves pour parler de leur travail et de leur comportement, ceci avec beaucoup de profit, aussi bien pour les enfants eux-mêmes que pour nous.
3. Le conseil lui-même où, après une rapide synthèse des résultats scolaires, le prof. principal invita les collègues ayant d'autres 6e, et en particulier ceux qui ne collaboraient pas à l'équipe, de situer la classe par rapport à d'autres classes du même niveau. Ceci dans le but de voir s'il y avait des différences de comportement dont on pouvait tirer des conclusions utiles pour la poursuite de notre travail. Mais finalement cette troisième phase est restée particulièrement formelle, et nous n'avons rien appris de nouveau ou d'enrichissant.
 
2.4.3. Le problème de la notation
L'approche de la fin du trimestre nous mit également devant le problème des notes pour le bulletin. Nous étions quatre à ne pas avoir noté le travail des élèves au cours du trimestre - mais cette attitude n'avait pas été dictée par les mêmes convictions. Les uns l'avaient plutôt adoptée “pour voir”, dans l'espoir secret peut-être de se laisser convaincre de l'inutilité des notes - mais ni le comportement des enfants, ni les arguments des autres dans le groupe n'avaient réussi à vaincre leurs inquiétudes.
La discussion, très animée et même passionnelle à certains moments, nous fit réaliser l'étendue réelle du problème :
- La bonne note ne pose aucun problème; ce qui nous préoccupe, ce sont uniquement les mauvaises notes.
- Notre façon de concevoir l'importance de la notation dépend de la manière dont nous avons vécu nous-mêmes, enfants, les notes : pour l'un, elles avaient représenté un stimulant, il est compréhensible, alors, que sa conscience accepte mal de renoncer à ce moyen de stimulation. Et il ressent l'abandon de la notation comme le manque d'un élément sécurisant. L'autre a vécu la mauvaise note plutôt comme décourageante - et, par conséquent, il condamne l'influence néfaste des notes et n'a pas de problèmes pour défendre moralement son refus de ce “levier de pression”. Une fois de plus, nous constations qu'il nous était impossible de faire abstraction de notre vécu personnel au profit d'un concept que nous approuvions pourtant au niveau du raisonnement. Mais il est certain que cette discussion très engagée (parce que justement notre vécu personnel entrait en ligne de compte) nous a permis de faire un tour assez complet de la question. Il en résulta que nous étions en mesure de formuler d'une manière plus précise notre questionnement face à la notation. Ce que, auparavant, nous avions ressenti plutôt comme un malaise était devenu un raisonnement critique (1).
(1) Voir annexe 5.
 
Annexe 5
UNE MISE EN QUESTION DE LA NOTATION, POURQUOI ?
 
La notation soulève plusieurs problèmes importants :
Il est bien connu qu'une même copie corrigée par dix prqfesseurs différents, recevra dix notes différentes avec, parfois, de gros écarts­
Que sanctionne-t-on au juste ?
- Les connaissances acquises ?
- Le travail fourni en classe ? A la maison ?
- Les progrès de l'élève ?
- Ses initiatives ? Sa prise de parole ?
- Son attention ?
- Son quotient intellectuel ?
Comment une seule note peut-elle rendre compte de problèmes aussi complexes qui supposent une connaissance apprqfondie de la personnalité de l'enfant ?
Que pensera un élève qui arrive en 6e sachant à peine lire et écrire, qui fournit de réels efforts durant un trimestre pour combler ses lacunes et auquel on met 7/20, si on le juge par rapport au niveau de la classe ? Ne va-t-il pas se décourager au moment où justement il commençait à remonter la pente, pensant qu'on ne récompense pas ses efforts ?
La notation rompt le dialogue entre l'élève et l'enseignant, puisque ce dernier est considéré comme seul juge pour évaluer un enfant qu'il ne connaît qu'imparfaitement.
 
Voilà quelques-unes des raisons qui nous .font penser que la notation est insuffisante pour rendre compte de la personnalité et des possibilités d'un enfant, qu'elle le pousse à travailler pour la note et non pour lui-même.
 
Pour l'instant, nous accordons beaucoup d'importance au dialogue qui permet de montrer à l'élève ses points faibles, ses manques, mais aussi ses qualités et ses possibilités réelles.
Il est évident que l'absence soudaine de notation, pour un élève et pour des parents qui y sont accoutumés et résignés, soulèverait d'autres problèmes : nous en sommes parfaitement conscients.
 
L'envoi de ce document aux parents (sous forme de lettre les incitant à lire les bulletins autrement, c'est-à-dire à accorder plus d'importance aux remarques qu'aux notes) a été refusé par le principal sous prétexte que c'était une question à discuter avec les collègues. Nous avons par la suite affiché ce papier en salle de profs pour susciter un dialogue mais il n'y a pratiquement pas eu de réactions.
 
2.4.3. Premier affrontement avec l'administration
La prise de conscience des problèmes soulevés par la notation nous a amenés à envisager le refus d'une note pour le bulletin. Nous envisagions d'expliquer notre point de vue et de remplacer la note par des remarques détaillées. Mais il était évident que cela risquait de déclencher un conflit. Serions-nous en mesure de supporter cette situation de conflit ? Nous ne le pensions pas, étant donné que l'abandon de la notation nous posait encore trop de problèmes à nous-mêmes. Et d'ailleurs, nous n'aurions pas su par quoi remplacer les notes.
Ces différentes raisons nous incitaient finalement à mettre quand même des notes aux bulletins (notes établies en coopération avec les enfants). Mais, en même temps, il nous semblait important d'engager un dialogue à ce sujet avec les parents et avec les collègues.
Une lettre, au nom de i'équipe, envoyée aux parents, en même temps que les bulletins, et affichée en salle de profs (I), devait sensibiliser les uns et les autres au problème. Cependant, le principal à qui nous avions soumis le projet refusa l'envoi de cette lettre, sans donner d'explications, au moins dans l'immédiat. (Plus tard il nous expliqua qu'il s'agissait là, à son avis, d'un problème sur lequel il ne fallait pas affronter les parents, tant qu'il n'y aurait pas de position commune de tous les profs du collège).
(1) Voir annexe 5.
 
2.4.4. “Ras le bol”
Ce refus fut d'autant plus mal vécu par l'équipe que, en réponse à un questionnement de notre part, le principal, au lieu d'accepter le dialogue, faisait jouer son autorité de chef d'établissement. Ce ne fut que bien plus tard que nous avons été en mesure de comprendre pourquoi cela nous avait tant hérissés : comme nous essayions nous-mêmes, face aux élèves, de renoncer aux rapports d'autorité, nous avions beaucoup de mal à accepter ce genre de rapports de la part du principal.
Nous souhaitions un dialogue entre adultes responsables et conscients de leurs actions et on nous traitait en subalternes qui n'avaient qu'à exécuter. Sur le moment, nos réactions furent surtout passionnelles : découragement, envie de tout laisser tomber pour certains parmi nous, ou au contraire envie de lutter. La fatigue de fin de trimestre aidant, nous n'étions plus capables alors de chercher ce qui était réellement en cause et pourquoi. Mais une redéfinition de nos objectifs, sûrement indispensable à ce moment-là, se faisait plus ou moins implicitement pour chacun.
 
2.5. Second trimestre : une attitude plus terre à terre et des réalisations concrètes
A la fin du premier trimestre, nous avions eu l'impression d'avoir dépensé trop d'énergie pour trop peu de choses réalisées. Il fallait donc absolument réorienter notre travail et nous avons opté, aux dépens de la mise en question en profondeur, pour des réalisations plus concrètes. C'était le moment de nous rappeler les pistes possibles que nous avions entrevues au démarrage et que nous n'avions pas suivies, faute de disponibilité, au premier trimestre :
- Relations suivies avec les parents et sensibilisation de ceux-ci à nos objectifs.
- Travail sur les métiers des parents, si possible en collaboration avec eux.
- Confection d'un journal de classe, réalisé avec les travaux des enfants, et dont le bénéfice devait financer une sortie au troisième trimestre.
 
2.5.1. Contacts avec les parents
 
2.5.1.1. La réunion
Nous avons profité de la réunion par niveau que l'administration organisait au début du deuxième trimestre pour inviter les parents de la classe à un entretien. Sur vingt-quatre familles, cinq seulement répondirent à notre invitation. Aucun parent d'enfant en difficulté n'est venu.
La discussion nous sembla positive. Les parents soulignaient en particulier la bonne entente des enfants, leur coopération et l'absence d'une compétition néfaste, attribuant cela à l'absence de notation et à l'incitation au travail coopératif et autonome. Ils affirmaient aussi que leurs enfants avaient l'air d'être heureux en classe. Vu nos inquiétudes (voir 2.4.1.) et un certain découragement face à l'immensité de la tâche, tout cela nous rassura plutôt. Evidemment, ce n'étaient que les parents des “bons élèves”. Pour eux, il n'y avait, de toute façon, pas de problème...
D'autre part, nous avons parlé aux parents de notre souhait d'un certain “décloisonnement” entre les différentes matières. Celui-ci nous semblait possible grâce à des travaux pouvant entrer dans le cadre de plusieurs matières : journal de classe, enquête sur les métiers des parents. Si, de leur part, la seule réaction immédiate fut la proposition d'une famille d'aller visiter l'atelier de menuiserie du père, certaines familles ont apparemment continué à discuter le sujet. En tout cas, peu de temps après, Elisabeth nous transmettait la proposition de sa mère de réaliser un travail interdisciplinaire autour d'un gâteau (voir annexe 6). Il nous sembla très important de retenir cette proposition qui faisait preuve non seulement d'un intérêt, mais d'une réflexion de la part des parents.
 
2.5.1.2. Essai de collaboration avec les parents des enfants en difficulté
Au moment de la réunion, nous n'avons pas pu voir les parents des enfants qui nous posaient des problèmes et la situation de ces enfants était loin de s'arranger. C'est pourquoi nous nous sommes décidés à contacter personnellement ces familles pour tenter de trouver ensemble des moyens d'action. Ce ne fut pas facile. Dans certains cas, les parents ne répondaient pas à notre appel ; dans d'autres, l'appel n'était même pas transmis par l'enfant. Et les parents que nous avons pu voir avaient parfois du mal à comprendre notre raisonnement, ou voyaient une collaboration surtout dans un accord sur les moyens répressifs à appliquer. Mais ce dialogue nous permit, dans tous les cas, de mieux situer et, par là, de mieux comprendre l'enfant, peut-être aussi de sensibiliser certains parents à nos objectifs éducatifs.
 
2.5.2. Autour des projets
Pendant tout le deuxième trimestre, notre effort essentiel fut dirigé sur la réalisation des projets de travail communs plus ou moins interdisciplinaires. Mais nous avons dû nous rendre compte que ces travaux, très concrets, nous ramenaient de temps en temps à des questions de fond, touchant, dans la plupart des cas nos objectifs profonds.
 
2.5.2.1. Les métiers des parents et notre but didactique
L'enquête sur les métiers était, au départ, notre idée. Nous savions bien sûr défendre ce projet, peut-être aussi le rendre un peu attractif : il nous semblait important de permettre aux enfants de mieux se familiariser d'abord chacun avec le métier de ses propres parents, sur lesquels la plupart étaient mal renseignés, et ensuite aussi avec d'autres métiers. Cela permettrait également de sortir un peu du milieu scolaire stérile, d'être confronté au monde très réel du travail.
Les idées ne nous manquaient pas. Par exemple : - comparaison de différents métiers (nature du travail, horaires...) ; - échange sur les métiers des parents avec la classe des correspondants allemands. Mais, par leur manque d'intérêt réel pour ce travail, les enfants nous firent comprendre qu'il s'agissait d'un projet bien à nous : ils faisaient ces recherches comme un quelconque autre travail scolaire.
Notre but didactique avait sûrement été positif en lui-même, mais nous l'avions poursuivi sans qu'il y ait aucune motivation vraie de la part des enfants. Et ce manque de motivation fit échouer le projet dans la mesure où il n'est jamais devenu leur projet. Peu satisfaisante en elle-même, cette constatation nous amena, une fois de plus, à nous demander comment susciter un intérêt quelconque chez ces enfants, trop habitués déjà à laisser hors de la classe leurs préoccupations réelles - au point qu'ils ne semblaient s'intéresser à rien! Savions-nous trop peu les écouter ?
Ou n'avions-nous toujours pas réussi à leur faire comprendre qu'eux aussi ont des choses à apporter ?
 
2.5.2.2. Recettes de gâteaux et programme de maths
L'idée des gâteaux avait plu à tout le monde, On se régalait d'avance à l'idée du gâteau qu'on mangerait ensemble, même si l'on ne voyait pas trop encore ce qu'il s'agissait de faire auparavant. Et ce plaisir se manifestait dans l'apport de nombreuses recettes. Puis, il y eut un moment d'hésitation : que faire de toutes ces recettes ? Peut-être aurions-nous du alors attendre ?
Bien sûr, c'était tentant d'utiliser ces recettes pour faire passer une bonne partie du programme de maths (voir annexe 6). Mais n'était-ce pas aussi faire passer les maths avant d'autres propositions, peut-être beaucoup plus farfelues, beaucoup moins scolaires ? Et ces propositions-là n'ont jamais été réalisées - tandis que les enfants calculaient sagement les proportions des ingrédients, le regard vague, les idées ailleurs (1)
Là aussi donc, nous nous sommes peut-être trop vite approprié le projet, en empêchant ainsi que les enfants en fassent le leur, Le souci des programmes à faire passer peut-il excuser cette occasion manquée de vivre ensemble quelque chose dans la classe ?
(1) Voir annexe 6.
 
Annexe 6
TENTATIVE DE TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE AUTOUR D'UN GATEAU
L'idée du départ est venue d'une mère d'élève. En la discutant avec la classe, nous avons découvert un certain nombre de possibilités :
- Recherche et étude de diverses recettes.
- Proportions à calculer.
- Etude de l'origine des ingrédients.
Adaptation de la recette en allemand, ou comparaison avec des recettes allemandes,
- Confection du gâteau choisi, ensemble.
Après la présentation des recettes en français, c'est essentiellement Ie prof de maths qui a exploité cet apport :
“J'ai rassemblé Ies ingrédients dans un tableau à deux entrées, ce qui permet presque de couvrir tout le programme d'algèbre de 6e :
- Ensembles, sous-ensembles (gâteaux contenant des noisettes, etc.),
- Intersection (gâteaux contenant du sucre et du lait...).
- Réunion (gâteaux contenant du beurre ou de la crème...).
- Ordre (classer les gâteaux par ordre croissant de contenance de farine...).
- Propriétés de l'addition (masse totale d'un gâteau : la même quel que soit l'ïngrédient par Iequel on commence.
- Multiplication, distributivité : pour faire plusieurs gâteaux (différents calculs possibles).
- Unités (nécessité de donner les renseignements dans la même unité).
- Proportionnalité, pourcentage (prix d'un gâteau, ingrédients nécessaires pour trois personnes, dix personnes, etc.), et sûrement d'autres applications auxquelles je n'ai pas pensé : une véritable mine !
Seulement, ça devenait montableau, je leur ai donné une indigestion, j'ai voulu trop l'utiliser et à ma manière. Programme et récupération sont les deux pièges du prof. bien intentionné !”.
Tout cela devait déboucher sur la fabrication de quelques gâteaux. Trois ont été confectionnés lors de la sortie de fin d'année, et on s'en est régalés !
Nous nous sommes rendu compte à d'autres occasions aussi qu'à force de vouloir absolument faire d'un projet un travail interdisciplinaire, nous avions tendance à trop nous l'approprier. Alors cela n'appartenait presque plus aux enfants et leur devenait de plus en plus étranger.
 
2.5.2.3. Un journal, pour quoi faire ? expression libre et exigence de qualité
Nous avions décidé d'être exigeants quant à la qualité du journal à fabriquer. Il nous semblait important qu'un travail engagé librement par les enfants soit une réussite. Ce n'est que dans ce cas que l'enfant peut se rendre compte de ses capacités. Un travail réussi stimule, par l'intérêt qu'il suscite auprès des autres, à faire d'autres travaux et à les faire bien.
Mais, dans le cas du journal, il s'agissait, en plus, de l'image qu'on se ferait à l'extérieur de notre travail avec la classe, N'était-il pas important de soigner cette image, ne serait-ce que pour que notre travail reste crédible ?
Cependant, dans la réalisation du journal, cette exigence de qualité nous posait de sérieux problèmes : nous n'avions pas forcément les mêmes critères que les enfants. Nous avions peut-être même l'impression que les enfants n'en avaient pas du tout, Ils étaient si peu habitués encore à l'expression libre, Ils ont d'ailleurs presque tous fait des productions spéciales pour le journal, alors que nous attendions qu'ils y mettent un choix de leurs productions antérieures. Et, pour “faire bien”, ils avaient tendance à copier, à imiter ou à utiliser des clichés, plutôt qu'à inventer, à chercher leur expression personnelle.
N'est-il pas compréhensible cependant qu'il leur semblât plus sûr de se référer ainsi à des valeurs déjà confirmées ? Confirmées du moins dans leur milieu de vie - car il faut tenir compte, aussi, du décalage entre les critères de leur milieu et du nôtre. Donc, en réalité, deux difficultés :
- Le problème de l'expression libre en elle-même : comment obtenir, de la part des enfants, une expression personnelle authentique ? Comment éviter les clichés, les imitations, sans faire tarir la source, l'envie de s'exprimer ?
- Le problème de la censure : faut-il censurer ce qui doit sortir de la classe ? A qui revient-il de pratiquer cette censure ? Quels critères appliquer ? Qui décide des critères ? Lesquels sont les critères vrais du groupe ? Comment respecter, en même temps, la liberté des enfants et nos propres valeurs qui nous font apparaître certains travaux comme inacceptables ?
 
Toutes ces questions-là nous préoccupaient, mais étaient encore sous-jacentes. Nous avions du mal à les formuler explicitement. Elles se manifestaient beaucoup plus dans le malaise de l'un ou de l'autre devant certains travaux des enfants et les essais pour rechercher et expliquer les raisons de ce. malaise. D'ailleurs, si  maintenant ces questions sont soulevées, nous sommes encore loin d'y avoir trouvé des réponses. Et ceci peut-être parce que nous n'avons pas encore déterminé ce qui, à part le besoin d'une production palpable, nous semble prédominant dans nos finalités: - motiver l'expression libre ? - démythifier la parole écrite ? - donner un reflet de la vie de la classe ? - développer des critères applicables à l'expression écrite ? - remplir la caisse, donc commercialiser le journal le plus possible ? ou peut-être encore autre chose ?
 
 
2.6. Tensions avec l'administration
La fin du trimestre fut marquée par des conflits avec le principal. Ces conflits nous ont amenés à constater que nous avions des comportements différents face à l'administration. Et ces comportements étaient déterminés en partie par des facteurs inconscients. Dans la mesure où nous comparions (ou même essayions de justifier) nos réactions individuelles, nous étions amenés à prendre de plus en plus conscience de ces facteurs inconscients. Peut-être était-ce le premier pas vers une manière de réagir plus sereinement ?
 
2.6.1. Les tensions éclatent
Ces tensions se manifestèrent, d'une manière plutôt inattendue pour nous, à deux reprises :
- Le conseil de classe de la fin du trimestre, où nous avons ressenti le principal très agressif à notre égard : il nous fit des reproches sur la manière d'aborder le conseil (qui était cependant la même qu'au premier trimestre), sur notre pratique de non-notation (qu'il connaissait pourtant par le projet de lettre sur la notation destinée aux parents) au sujet de laquelle il ne nous avait jamais questionnés, reproches enfin concernant notre comportement pendant le conseil.
- Le refus d'une sortie sportive de la classe en fin d'année (stage de voile) dont il avait déjà admis le principe. La seule explication de ce refus était ce qu'il appelait une “sanction personnelle” contre J.C., le prof de sport prévu pour l'encadrement. Cette sanction reposait uniquement sur un conflit personnel, puisqu'il n'avait aucun reproche concret (faute professionnelle) à faire, à J.C.
 
2.6.2. Des problèmes de communication
Nous avons eu du mal à accepter l'attitude du principal à ces moments où il semblait essentiellement vouloir nous montrer sa supériorité. Tout dialogue était coupé, d'une manière que nous avons ressentie comme autoritaire. Mais nous nous sommes efforcés de dépasser une simple réaction de révolte. Nous avons essayé de renouer le dialogue en proposant au principal une explication mutuelle qui aurait. pu permettre d'éliminer les tensions. Cependant quand, ensemble, nous sommes allés le voir dans ce but, nous avons eu très nettement l'impression de difficultés de communication:  il nous a semblé être sincère - mais nous étions apparemment ressentis comme agressifs. La réaction du principal était, par conséquent, aussi autoritaire qu'avant ; et il refusa par la suite catégoriquement de revenir sur les problèmes évoqués.
 
2.6.3. Prise de conscience de notre enjeu
De notre côté, nous avons eu du mal à accepter ce refus. Toutefois, nos réactions oscillaient, selon les personnes, entre trois attitudes différentes : - s'opposer ouvertement; - laisser tomber nos projets ; - composer (dans l'intérêt des enfants).
Nous avons mis beaucoup de temps et d'énergie à comprendre le pourquoi de ces réactions différentes, au point que le travail avec la classe passa, pendant quelques semaines, au second plan. La participation de H., P. et D. à un “groupe d'approfondissement personnel”, organisé sur le modèle d'un groupe Balint par le C.R.D.P., nous a permis de pousser la réflexion un peu plus loin que nous n'aurions pu le faire tout seuls. La recherche au niveau de ce groupe nous permit de voir que l'enjeu de notre travail en commun n'est pas forcément le même pour tous. Pour l'un, il est surtout axé sur les résultats auprès des enfants. Pour l'autre, il est plus important d'explorer les structures données - d'utiliser ces structures, mais aussi de souligner leurs limites.
Ces réflexions, qui rejoignaient celles du début de notre collaboration sur notre motivation, n'auront sCirement pas été inutiles pour la poursuite du travail.
 
2.6.4. Comment sortir de l'impasse ?
La situation était donc bloquée et, au début du troisième trimestre, nous ne savions pas trop comment sortir de l'impasse. L'attitude de refus du principal ne nous permettait plus de l'aborder pour essayer de résoudre le conflit. D'autre part, le dialogue entre nous n'avançait plus non plus : valait-il mieux céder et organiser une autre sortie sans le prof. de sport ? Ou était-il, avant tout, important de tenir tête au principal (refus de la sanction injustifiée) ? Nous n'arrivions pas à décider, jusqu'à ce que, au milieu du trimestre, la décision devint indispensable : un des buts de la réalisation du journal avait été de financer une sortie de fin d'année ; ni les élèves, ni les parents n'auraient compris pourquoi celle-ci n'avait pas lieu. Il fallait tenir compte de cela. Alors, le professeur principal a demandé - et reçu - l'autorisation pour une sortie sans J.C. Mais le problème de fond (la relation avec le principal) n'a pas évolué jusqu'à la fin de l'année.
 
2.6.5. Essai de sensibiliser les collègues
Dans le but de débloquer la situation - par l'éclatement du conflit au grand jour si nécessaire - nous avons essayé de sensibiliser les collègues au problème. De la part de certains, il y avait eu, au cours de l'année, une demande d'information sur notre travail. Ceci nous permettait de proposer une réunion intersyndicale avec le double but d'informer et d'exposer nos problèmes face à l'administration. Le résultat de cette réunion fut la décision, prise en commun avec les six collègues présents, de placer nos difficultés dans un contexte plus général: après avoir sérié toutes sortes de difficultés des profs du collège, les représentants syndicaux devaient demander au principal une réunion de “déballage” avec tous les collègues. Ceci pouvait permettre, d'une part, un assainissement de l'ambiance générale (il n'y a pratiquement pas de dialogue avec un certain nombre de profs). D'autre part, dans ce contexte, le principal n'aurait pas pu refuser de prendre position face à l'équipe en tant que groupe - ce qu'il avait refusé systématiquement jusque là (I).
Malheureusement, nous nous sommes vite rendu compte :
- Que la plupart des collègues n'avaient pas de problèmes sérieux face à l'administration.
- Que d'autres n'osaient pas exprimer les leurs (des M.A. craignant pour leur poste). Pour ces raisons, personne d'autre que nous n'a insisté sur la réunion de déballage prévue, et celle-ci n'a donc finalement pas eu lieu.
 (1) Voir annexe 7.
 
3. PERSPECTIVES ?
 
En nous demandant à la fin de l'année quelles étaient nos perspectives pour l'an prochain, nous étions assez désillusionnés et loin du dynamisme qui nous avait animés un an plus tôt.
 
3.1. Comment aborder la rentrée ?
Quelles possibilités avons-nous, vu la situation toujours bloquée des relations avec le principal qui continue à refuser le dialogue avec le groupe-équipe et a tendance à brouiller plutôt qu'à éclaircir les choses dans des entretiens personnels avec l'un ou l'autre ?
- Continuer avec les mêmes problèmes (que cependant nous supportons mal) ?
- Ne plus rien faire qui déborde le rôle du prof “traditionnel” ?
- Essayer d'éliminer les facteurs trop affectifs ou personnels des relations avec le principal, pour replacer celles-ci dans un cadre plus neutre - mais cela nous sera-t-il réellement possible ?
Nous abordons donc la rentrée d'une manière plutôt hésitante, et, presque tous, décidés à nous impliquer moins dans la recherche des possibilités d'enseigner différemment, puisque cela semble de toute manière limité au départ...
 
3.2. Conclusion personnelle de D.
Officiellement, l'équipe n'est pas mise en cause quant à son fonctionnement : le principal semble décidé à nous laisser la classe encore un an, comme convenu au départ. Mais l'enthousiasme de mes camarades pour chercher une manière d'enseigner plus satisfaisante a fait place au découragement. Personnellement, j'ai dépensé énormément d'énergie, depuis l'année dernière, à être ce que les autres appellent “le moteur de l'équipe”. Je me sens actuellement épuisée et plus tellement en mesure de continuer à pousser en avant, même si ma tendance naturelle, face aux difficultés, est plutôt de lutter. Je crains donc que nous ayons atteint les limites de notre possible.
Ma conclusion personnelle n'est pas très optimiste: il me semble avoir fait le tour de ce qu'il est possible d'obtenir dans ma situation actuelle. Si j'ai, malgré quelques difficultés, trouvé beaucoup de satisfactions dans mes relations avec les élèves, je suis plutôt déprimée quant aux relations avec les collègues. Il me semble au-dessus de mes possibilités de leur communiquer d'une manière convaincante mes propres convictions, qui font justement que, pour moi, la situation est bloquée, certes, mais non sans issue. La conséquence en est que j'aborde cette rentrée avec une certaine résignation et sans mon dynamisme habituel...
D.B - septembre 80
 



CONCLUSION
Je m'appelle Rosa BERTHIER. J'enseigne l'anglais en C.E.S. J'ai rencontré D.B. au stage national second degré à Laroquebrou. Elle m'a demandé d'apporter une conclusion à son article sur le travail d'équipe en donnant mes impressions personnelles sur le sujet, J'ai moi-même l'expérience de deux tentatives de travail en équipe, que je ne vais pas relater ici, mais qui me permettent de théoriser un peu sur le sujet.
 
1. Ce qui fait démarrer le travail d'équipe :
- C'est d'abord, je crois, le besoin de ne pas rester isolé, l'envie de décloisonner l'enseignement au second degré, d'avoir un échange sur notre vécu.
- C'est aussi la nécessité de proposer aux enfants une certaine cohérence dans le travail (le leur et le nôtre !) et dans leur vie à l'école.
- Enfin, c'est le besoin d'un contact plus étroit et moins hiérarchisé avec les élèves (par l'intermédiaire de l'organisation coopérative de la classe).
 
 
Annexe 7
PRESENTATION DE NOTRE TRAVAIL D'EQUIPE
SOUS FORME D'AFFICHES DESTINEES A L'INFORMATION DES COLLEGUES
 
Fonctionnement du groupe profs
- Réunions hebdomadaires : deux fois par semaine.
- Possibilité d'assister et de participer au cours de chacun.
- Tentatives d'établir d'autres relations avec:  les élèves, les parents, les profs, l'administration.
- Discuter de ses problèmes professionnels dans le cadre de la formation continue (C.R.D.P. : groupe d'approfondissement personnel).
- Dominantes ou bilan grossier.
 
Premier trimestre :
Théorie : les groupes, les programmes, les manuels, notation, discipline, travail, plaisir, autonomie, interdisciplinarité.
Pratique : jonctionnement de la classe en groupes, absence de notes, discipline, sortie de début d'année, façons de faire la classe.
 
Deuxième trimestre :
Moins de discussions théoriques. Essai de projet pratique commun:  journal.
 
REALISATIONS
- La sortie de début d'année a permis :
connaissance mutuelle,
réflexions sur des questions pédagogiques,
apprentissage de la vie collective
résolution de problèmes pratiques.
- Réunions communes (élèves et équipe de profs) :
chaque fois que le besoin s'en fait sentir,
à la fin de chaque trimestre (notation).
- Heures de travail libre.
- Interdisciplinarité :
Essai d'utilisation de certains thèmes : enquête sur les métiers, gâteaux, machine à voyager dans le temps...
- Journal :
conception,
réalisation des articles, des illustrations,
tirage etc.
- Contrat avec les parents :
plusieurs appels à leur participation (peu de réponses).
entrevues : présence de toute l'équipe, essai de suivi...
 
L'ESPRIT DE LA CLASSE
Impression générale : classe assez faible, mais vivante (beaucoup de répondant à l'oral), un peu supelficielle cependant.
 
Des points positifs :
- Une bonne connaissance mutuelle :
entre les élèves, qui se sont "sondés” rapidement, peu après leur arrivée au collège,
entre les profs et les élèves, instauration d'un climat de confiance (les élèves en difficulté venant confier plus facilement leurs problèmes).
- Une bonne intégration de tous les élèves, même de ceux qui apparaissaient rejetés par la classe en début d'année.
Les deux points sont sans doute à mettre en relation avec le week-end de début d'année et les travaux réalisés en commun hors du cadre scolaire traditionnel (exemple : journal).
 
- La prise de responsabilité par les élèves. Ceux-ci interviennent dans certains cours (français, maths, allemand} pour rétablir d'eux-mêmes le silence et pour prendre diverses initiatives : cela est à mettre en relation avec la pédagogie assez libérale, laissant une large part à l''nitiative personnelle des élèves, qui a été développée dans certains cours.
 
Un point négatif :
Le manque de sérieux dans le travail qui reste insuffisamment approfondi.
Question : le laisser-aller observé dans le travail, parfois aussi dans l'attitude, est-il lié :
- aux éléments constitutifs de la classe (c'est-à-dire un certain nombre d'élèves paresseux et “rigolards”) ?
- à la pédagogie développée dans certains cours (certains élèves de 6e n'étant pas assez mûrs pour faire face à la prise de responsabilité qu'on leur offre et en profitant pour “en faire le moins possible”, dans la mesure où les sanctions traditionnelles ne tombent pas) ?
 
QUESTIONS DE FOND
- La finalité de l'enseignement
Emmagasiner des connaissances et du savoir-faire ?
Apprendre à être autonome ?
S'épanouir ?
 
- Notre fonction
                                                               un enseignant ?
Un prof est-il avant tout                      un éducateur ?
                                                               une personne ?
 
- Les problèmes de travail et de discipline
• Travail
                                               pourquoi ? pour qui ?
Discipline
 
                                                               au prof ?
• A qui la responsabilité ?                                au groupe-classe ?
                                               à l'élève ?
 
- La notation
La note n'est pas objective.
Que sanctionne-t-on ?
Effet décourageant de la mauvaise note.
La note empêche le dialogue entre l'élève et l'enseignant.
 
- Relations avec l'administration
Rapports d'autorité ou rapports de confiance ?
 
- Le système scolaire et ses normes
Le rôle que le système fait jouer au prof
Peut-on en sortir ?
 
- L'expression libre
Pourquoi s'exprimer ?
Comment l'enfant peut-il dépasser ses propres limites ?
De quel droit censurer ?
 
Nous nous sommes partagé le travail de confection de ces panneaux d'information et les différents panneaux reflètent, dans une certaine mesure, l'optique personnelle de leurs réalisateurs.
 
2. Les limites actuelles du travail en équipe :
- Les élèves ne comprennent pas forcément la nécessité du travail en équipe. Ce n'est pas pour eux un besoin immédiat, car ils sont habitués au travail cloisonné, à l'école-tiroir.
- l'administration, et de manière plus globale, les conditions de travail (problèmes de locaux, d'emplois du temps qui ne permettent pas aux profs de se réunir, regards méfiants et paroles méprisantes, etc. et des meilleures... etc.) peuvent représenter un frein au travail d'équipe.
- Enfin le travail en équipe demande une très grande disponibilité de la part de ceux qui la pratiquent, et certains hésitent à s'engager dans ce qu'ils appellent le bénévolat.
 
Je terminerai par une interrogation qui me semble essentielle : je n'ai jamais su si la participation des élèves à une organisation coopérative de classe, était authentique ou si elle ne représentait pour eux qu'un JEU, qu'ils ont abandonné une fois placés dans d'autres conditions.
 
Autrement dit, les objectifs qu'on se fixe au départ, à savoir la prise en charge de son travail, le partage des responsabilités, sont-ils réellement atteints ?
 
NOS ELEVES DEVIENNENT-ILS AUTONOMES ? OU PLUS AUTONOMES QUE LES AUTRES ? QUI A UN ELEMENT DE REPONSE ?
R.B.