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Dossier : Démarrer en Pédagogie Freinet : des cherchuers-trouveurs en L.E.P.

Avril 1980
DES CHERCHEURS-TROUVEURS EN L.E.P.
Apprendre la physique ou faire de la physique ?
 
Dans le numéro de novembre-décembre, le dossier sur l'expression libre se terminait par une question de Claude P. : "L'expression libre est-elle possible dans toutes les disciplines, et notamment en sciences physiques”. Je pense avoir, au moins partiellement, une réponse à cette interrogation; dans ce but, je vais tenter de vous faire partager ce qui s'est passé dans l'une de mes classes de cette année: une deuxième année de B.E.P. "Conducteurs d'appareils des industries chimiques”.
L'idée est venue d'un petit appareil sorti du fond d'un placard du laboratoire de physique. Quelque chose comme un de ces tourniquets d'arrosage que l'on voit dans les jardins, mais qui était devenu un appareil purement didactique, c'est-à-dire qui n'a plus aucun usage. La pression était obtenue grâce à une colonne d'eau au-dessus du tourniquet. Quelle ne fut pas la stupéfaction des adolescents de la 1ère T.C. qui croyaient voir là un bel exemple du si recherché mouvement perpétuel... tout simplement. Ça tournait, alors qu'apparemment, on n'apportait aucune source d'énergie! Il me fallut les décevoir en leur expliquant que l'eau, il fallait bien la monter dans la colonne. Mais ils restaient cependant convaincus qu'on pouvait le faire sans dépenser d'énergie. On a donc déclenché un vaste brain-storming pour trouver une solution à ce problème.
 
PROJET DE OLIVIER (Document 1)
                                                                             A
 
 
 
 
                                                                C'
 
                                                                              B
 
              Arrivée d'eau (régulée)
 
                                                                      B'                     A
 
                                                                             C
 
 
 
                                      Sortie d'eau (régulée)
 
 
La pression créée par la colonne d'eau A' comprime l'air en C. L'air comprimé en B appuie sur la surface du liquiden qui remonte en A par le conduit C'. Ma géniale invention semble fonctionner, qu'en pensez-vous ? Olivier.
(envoyé aux correspondants)
 
I. C'est ainsi qu'a commencé pour eux l'histoire du mouvement perpétuel que je m'en vais vous conter.
Le lendemain matin, une feuille un peu gribouillée arrive sur ma table :
Je demande donc à Olivier de venir s'expliquer au tableau, ce qu'il fait avec beaucoup d'assurance et d'enthousiasme; pensez donc, il a peut-être trouvé quelque chose que l'on cherche depuis des siècles !
Grande émotion dans la classe: “J'te dis qu'ça marche - J'te dis qu'ça marche pas! ”. Débat stérile auquel je mets fin en proposant à l'auteur de s'adjoindre deux ou trois copains et de chercher à réaliser concrètement son projet.
 
Les voici donc installés autour de la grande paillasse, pour mettre en reuvre le schéma de principe d'Olivier, avec le matériel du labo: tubes, tuyaux, erlens-meyer, beschers, papier, crayon - et imagination. Ne les dérangeons pas, ça travaille...
 
Les autres décident de ne pas en rester là; l'idée d'Olivier a éveillé quelque chose en eux : et si nous aussi, nous étions des inventeurs, des “trouveurs” comme ils se décriront à leurs correspondants... La période qui a suivi fut un moment de création intense, au cours de laquelle se sont tissés des liens de solidarité dans la classe. On avait quelque chose à faire ensemble; on n'était plus là pour apprendre la physique, mais bien pour en faire.
 
Il a fallu décortiquer chaque projet, du plus farfelu au plus subtil, trouver une organisation du groupe qui permette à chacun de s'exprimer. d'apprendre ce qu'il avait besoin d'apprendre pour élaborer sa recherche.
Creuser chaque idée pour s'apercevoir qu'à chaque fois le mouvement perpétuel n'était pas perpétuel. Expliquer pourquoi - en recherchant dans les livres et les revues de physique ou à caractère scientifique. Apprendre beaucoup, et, à ma grande stupéfaction, très vite.
Quand on est inventeur, on comprend vite, parce qu'on a envie, qu'on a besoin d'apprendre. La peau de l'élève passif, on la reprendra plus tard. J'ai eu aussi à trouver mon rôle : intervenir pour donner les sources d'information au bon moment, rendre positive une déception, pousser à redémarrer dans une direction, insister pour exploiter à fond une recherche, le tout sans déposséder l'inventeur de son idée. Quel tâtonnement ce fut pour moi! Arriver à utiliser positivement toute cette énergie vitale qui se dégageait de l'enthousiasme et de l'adhésion du groupe dans cette entreprise.
On a eu, par exemple, à étudier des projets comme celui ci-dessous, dont le simple decryptage n'étalt déjà pas une sinécure. Le schema etalt accompagne de deux calques superposables au schéma de base, pour expliquer la position du fluide aux différentes étapes, calques que je ne peux bien sûr reprodulre ici.
PROJET DE MICHAEL (Document 2)
 
 
Définition du mouvement perpétuel
Le mouvement perpétuel est une chose qui une fois déclenchée continuerait éternellement (sans apport d'énergie).
Première phase :
a) On remplit A on remplit B on remplit C
b) Le liquide coule de C en A; en A la pression est refoulée dans le tube T'
c) La pression p pousse le liquide de B, qui retourne en C à un certain niveau
 
Le problème est tel que à un certain niveau, et temps TI les vases seront pleins et le mouVement s'arrêtera.
 
Deuxième phase :
a) Quand le liquide de C descend en A, le niveau augmente, ce qui provoque le mouvement du flotteur qui lui-même fait fonctionner l'arbre de transmission simple; alors s'ouvre le clapet au niveau 1, le trop-plein s'écoule dans le vase D dit : "Vase de retenue”.
Troisième phase :
a) Maintenant le niveau restera constant en A pendant un temps T
 
b} La baisse de liquide provoquée en B est compensée par le flotteur FI; dès que le niveau baisse le flotteur entraîne un arbre d'engrenage à démultiplication qui provoque le mouvement du piston qui aspire du liquide avec lui de D vers B ce qui remonte le niveau.
Pour rester dans le concret, je peux donner une idée du cheminement d'un élève sur son travail: Armindo avait vu, au salon de la physique, une expérience sur l'élasticité du choc d'une bi Ile en acier. On voyait des billes tomber d'un réservoir, rebondir sur plusieurs facettes, avant de retomber dans un autre réservoir. Il a voulu en faire un mouvement perpétuel.
 
 
 
 
 
 
 
PROJET DE ARMINDO (Document 3)
 
 
 
Première mouture du commentaire :
Fonctionnement godets du perpétuel à mouvement
Les billes d'acier contenues en B descendent dans les godets grâce au système d'ouverture actionné par la descente de ceux-ci et refermé par un ressort après passage du godet. Elles sont élevées jusqu'au sommet du transporteur à godets C par à-coups venant de G. Une fois en haut, un crochet retient le poids placé sous les godets, ce qui le renverse et fait glisser la bille le long d'un plat pour l'amener sur la première facette A. Les facettes sont orientables. Quand les billes tombent sur celles-ci, une pression y est exercée qui est tout aussitôt retransmise à G par l'intermédiaire du liquide. Ainsi par la pression des billes, le système peut fonctionner.
Dernière minute: les pressions exercées sur A par les billes se transmettraient entre les A. Il faut donc un G pour chaque A et les relier à un tube unique d.
Armindo GOMES.
 
Un long travail d'étude du projet a suivi, dont voici schématiquement les principales directions :
- Energie potentielle, énergie cinétique transportée par les billes (principe).
- Fixer des données numériques, et comparer quantitativement l'énergie libérée et l'énergie consommée par le système.
- Tenir compte des pertes d'énergie et les déterminer.
- Fixer la proportion de l'énergie absorbée par le choc et celle qui sert au rebond (élasticité du choc).
- Les énergies libérées par chaque choc forment une suite géométrique. On en déduit le nombre de chocs possibles.
- Si le mouvement ne peut pas être perpétuel, quelle énergie sera nécessaire pour faire fonctionner le système ?
 
On aurait pu rajouter encore l'étude cinématique du mouvement des billes, mais cela n'a pas été fait. Je ne crois pas que la meilleure exploitation de son projet aurait été de le réaliser en trois dimensions, car je ne suis pas sCire que la démarche aurait été payante. Les problèmes technologiques posés auraient largement dépassé le cadre du travail que l'on se proposait.

D'autant plus que ce n'est pas la méthode en bureau d'étude, par exemple ; on commence par élaborer complètement sur papier le système pour fixer les conditions de sa réalisation éventuelle. Ce fut aussi son cheminement naturel.
 
II. Du mouvement perpétuel aux énergies douces
Puis il a bien fallu se rendre compte que, rien à faire, on ne pourrait pas le perpétuer, ce mouvement, sans lui donner un petit coup de pouce. De plus, j'ai commencé à sentir une saturation quant à l'irréalisable. Mais on avait maintenant une idée plus claire sur les lois de la nature, ce qu'était l'énergie, comment passer d'une forme à une autre.
 
Ce fut la deuxième époque : puisqu'on ne peut pas créer un mouvement sans lui fournir de l'énergie, au moins essayons de le faire d'une manière non-polluante ! II faut dire que, l'an dernier, une étude sur le nucléaire avait sensibilisé les élèves à ce problème. Et puis, tant qu'à faire, autant que nos projets puissent servir à quelque chose! La confiance en soi avait gagné.
 
Franck, par exemple, a trouvé son inspiration dans un article de Sciences et Vie sur la production d'énergie utilisant la différence de température entre le fond et la surface de la mer. Après en avoir étudié le principe, il a pensé l'utiliser entre l'intérieur et l'extérieur d'une maison chauffée, en hiver. Proposition à la classe, discussions fructueuses, pour s'apercevoir que la véritable source d ' énergie dans ce système était tout simplement le chauffage central de la maison, et qu'une série de transformations ne ferait que diminuer le rendement. Je lui ai alors conseillé d'utiliser son idée, mais dans le sens inverse, et d'examiner si l'on ne pouvait pas utiliser le soleil par exemple. Et c'est devenu ceci :
 
 
 
 
 
 
 
PROJET DE FRANCK (Document 4)
 
 
La mini-centrale
Le fonctionnement de la mini-centrale s'inspire du principe des machines thermiques. L'eau chaude, provenant d'un serpentin chauffé au soleil, inonde les parois d'un échangeur de chaleur à l'intérieur duquel se trouve un fluide très volatil: ici de l'ammoniac (NH3) ou de l'eau à très basse pression.
Sous l'effet de la chaleur, le fluide se vaporise et va actionner les pales d'une turbine {production d'électricité}. Il retourne ensuite vers un condenseur qui est arrosé par l'eau de la source froide.
Sous l'action de l'eau froide, le fluide reprend sa forme liquide. Il est alors renvoyé dans l'évaporateur par l'intermédiaire d'une pompe, et le cycle recommence.
Dans une machine de ce type, le rendement est d'autant plus important que la différence de température entre la source froide et la source chaude est grande.
Ce principe est employé pour les centrales de mer: l'eau chaude est captée à la suiface de la mer, l'eau froide en profondeur. Toute l'ingéniosité de ce système réside dans l'utilisation de l' énergie solaire, à la fois pour la source chaude et la source froide. En effet, il est bien connu que l'eau qui se vaporise capte de ta chaleur au milieu ambiant. C'est donc l'eau des éponges, qui, en se vaporisant au soleil, refroidit le serpentin de la source froide.
Franck Ollivier
Restait à examiner de plus près ce système d'un point de vue quantitatif: températures avant et après les serpentins, ainsi que la non-continuité de la production d'électricité: éternel problème du solaire.
 
II y a eu aussi quelques aberrations fructueuses {elles permirent de préciser certaines idées), comme, par exemple, un schéma partant de batteries solaires pour mouvoir un circuit d'eau qui ferait tourner une turbine, qui, elle-même, produirait du courant électrique. La réaction du groupe ne tut pas longue: “Et pourquoi ne pas utiliser directement la batterie solaire pour produire le courant, on éviterait les pertes! ”.
 
Michaël veut utiliser l'énergie emmagasinée dans les amortisseurs d'une voiture pour faire fonctionner une batterie. Là le débat fut animé: peut-on, ou non, régulariser la tension obtenue, et surtout peut-on avoir une puissance non négligeable ?
 
Petit à petit, les connaissances devenant de plus en plus précises, les projets deviennent plus réalisables: un groupe s'attache en ce moment à élaborer un système utilisant une éolienne simple qui ferait monter de l'eau dans un réservoir situé en hauteur; la chute d'eau ainsi obtenue ferait tourner une turbine. La non-continuité du fonctionnement de l'éolienne est résolue ici par l'emmagasinement de l'énergie sous forme d'énergie potentielle de l'eau. L'étape suivante pourrait être ici une réalisation concrète. Dans cette optique, il est prévu d 'aller interviewer, dans la région parisienne, un bricoleur qui fabrique toute son électricité par éolienne.
Problème de taille: le L.E.P. est situé en bordure du périphérique de Paris, et, dans le coin, les espaces venteux manquent; les espaces tout court aussi, d'ailleurs. On cherche une solution, mais, de toutes manières, on pourra toujours en faire une maquette.
 
III. C'est pas tous les jours rose !
Voilà un petit moment dans l'histoire d'une classe ; mais il ne faut pas croire que tout cela se fait sans problèmes :
1. J'ai d'énormes difficultés à réunir une documentation complète et suffisante, facilement utilisable par les élèves. Je ressens un manque permanent de B. T .2 à caractère scientifique (je n'ai qu'à en faire, d'accord, mais je me sens un peu seule...).
 
2. Je suis loin de dominer tous les sujets, mais ce ne serait pas trop grave, si je pouvais résoudre le problème de la documentation.
 
3. J'ai un réel besoin concernant ma propre formation, car ce n'est pas du tout de cette façon que j'ai, moi, appris la physique élémentaire. Si je connais encore (mais on les oublie 1) tout un tas de formules, je ne sais que très peu reconnaître les phénomènes, et les créer dans des situations réelles et vivantes. D'autre part, je suis victime d'une inculture technologique qui me fait envisager avec quelque angoisse les réalisations concrètes de projets. Je rêve d'une équipe pédagogique efficace.
 
4. Les élèves ont bien du mal à expliquer par écrit le fonctionnement de leur propre invention pour qu'il soit compréhensible par quelqu'un qui n'a pas travaillé dessus. Il faut beaucoup d'interventions de ma part avant d'arriver à une expression correcte. A titre d'exemple, je donnerai la première ébauche du commentaire sur l'éolienne et le réservoir d'eau.
 
100 I d'eau, soit 100 kg d'eau.
Hauteur du réservoir de coulée: 375 rn.
Calcul de la vitesse en fonction de l'espace parcouru = 375 rn
                                  
S   =     1 V2              375   =  1 V2              V2   =      7357,50 (m/s) 2
             2   g                              2 981
 
Calcul de l'énergie cinétique :
 
Ec =    1 m v2           Ec    =     1 X 100 X 7357,50
                                   2                             2
 
                                                  Ec    =     735750 = 367875 Joules
                                                                   2
 
Calcul du débit pour une certaine puissance:
 
P =       E       ;            P = U X I      ;        E = U X I X t   ;  E = P X t
 
                                                                                  367875 = P X t
 
Ex: on veut 1000 W,              donc          t =         367875 = 368 s
                                1000
 
Le débit est donc 100 kg d'eau /368 s.
             soit 0,27 kg/s
 
Fonctionnement de l'appareillage : Un réservoir pouvant contenir 500 I se trouve à une hauteur de 375 rn ; on utilise l'énergie potentielle de l'eau pour actionner une turbine qui entraînera un alternateur; cet alternateur produira une puissance électrique qui sera déterminée par le débit du liquide.
Après être passé dans un canal de fuite et après avoir libéré son énergie cinétique, le liquide sera stocké dans une citerne d'attente, On utilisera l'éolienne pour remonter le liquide en haut du réservoir.
 
Ce document recouvre déjà un travail important, mais il reste du pain sur la planche 1
 
5. J'ai la conviction que mes élèves acquièrent une véritable ouverture scientifique, mais j'ai, plus qu'eux
peut-être, l'angoisse de l'examen qui doit les sanctionner à la fin de l'année. Or les problèmes d'examen parlent toujours de situations complètement inexistantes et loufoques. Je fais donc aussi des cours de préparation à l'examen et des séances de travail en groupe de résolution de problèmes (Je suis en train de me constituer un fichier de ce genre de problèmes).
 
6. Pour savoir où ils en sont, je leur donne des fiches-bilan qu'ils ont bien du mal à remplir et que j'ai bien du mal à exploiter. La coordination du travail se fait un peu au jour le jour, et la planification est bien difficile.
Tatônnement aussi dans ce domaine.
 
7. Certains élèves n'ont pas eu l'occasion de lancer leur projet, mais ils ont pris part au travail collectif à leur manière. L'esprit de recherche qui s'est établi dans la classe crée, dans le groupe, des liens affectifs réels basés sur des motivations communes. On poursuit un même but, on s'organise en conséquence. On a confiance en l'un pour ses connaissances en électricité; en l'autre parce qu'il saura être l'élément qui donnera le feu, l'enthousiasme, ou parce qu'on sait qu'il ne laissera pas passer un détail qui n'aura pas été précisé; en moi pour... je ne sais pas trop bien définir quoi, le savoir théorique peut-être, mais pas seulement.
 
Il y a parfois des heurts, des moments d'agressivité, des découragements, des hésitations de ma part, mais aussi des instants intenses, de grande joie, quand on trouve ou qu'on termine un travail ensemble. C'est vivre ça, non ?
Odile PUCHOIS Vitry-sur-Seine