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Juin 2001

 


CréAtions 97 - Ecritures de formes, forme d'écriture - publié en mai-juin 2001

Geneviève Pons-Vatel

 

Eclats de mémoire

                                                                                                    

Entre dans la mort,
les yeux grands ouverts.
La mort n’est jamais que cette fracture
du ciel un Vendredi de Ténèbres.
Elle est ce rideau déchiré,
ces fondations du Temple qui vacillent,
ces morts qui se relèvent.
Naufragé, errant que transportent les vagues,
plonge dans un ciel d’encre et d’or.

 

Philippe Le Guillou

  Geneviève Pons-Vatel, plasticienne née en 1943 à Rouïba, en Algérie.
Traces signes, gestes, mots… l’écriture parle découvre le sens ou recèle l’indéchiffrable. S’appuyant sur la pratique des calligraphies occidentales et orientales, son travail explore les relations entre la peinture et l’écriture.
Sa recherche se nourrit de l’intérêt constant pour la poésie et les grands textes fondateurs.
L’ensemble et la diversité des expériences qui ont forgé sa personnalité caractérisent cette double quête artistique et spirituelle comme une remontée dans le temps vers le mystère des origines.

L’originalité du travail de l’artiste tient avant tout en ceci que le monde qu’elle donne à voir, et qui montre un visage morcelé, fait de bribes de texte et de pièces rapportées sur la toile – collages de papiers, de tissus, de fils mêlés à la couleur -, est en vérité la projection, la représentation d’un long processus d’intériorisation de quelques-unes des expériences qui ont joué pour elle le rôle de rencontres essentielles à sa vie d’artiste, mais aussi bien à sa vie tout court, puisque toutes deux coïncident, en un élan, comme c’est le cas dans chaque processus de création authentique.
Ces rencontres, ce sont celles de quelques textes poétiques, et aussi, et peut-être surtout, celles de textes sacrés, et en particulier des Psaumes.
Or la connaissance des Psaumes ne lui a pas été transmise par la seule lecture méditative. Elle l’a pénétrée de façon plus intérieure encore que celle qu’autorise une telle lecture, quelque riche qu’elle soit : elle lui a été donnée par le chant.
A la fois, donc, par l’émotion intellectuelle, bien spécifique, qui est celle d’un sens que peu à peu les mots découvrent, avec l’émerveillement et peut-être l’ effroi que suscitent les textes sacrés ; mais, en même temps et surtout, par ce don de la musique qui est aussi expérience physique : le corps est partie prenante dans le travail de la voix, elle qui vibre et résonne au fond de la gorge, au lieu précis où se noue l’émotion. Et non seulement son propre corps, mais aussi ceux des autres choristes, engagés dans la même aventure, et partageant le sentiment que ce qui se donne là, et se révèle, est beaucoup plus riche, peut-être infiniment plus riche que tout ce qu’une représentation consciente, ordonnée, pourrait en dire.
Le projet de l’artiste serait alors de rester fidèle à chacune de ces rencontres : c’est-à-dire à la fois à leur puissance émotive, à cette sorte d’envahissement de l’âme qui vous lie immédiatement à la joie, et en même temps à tout ce qui résiste, qui est ineffable, dans l’expérience, à tout ce qui échappe, et dont la mémoire ne peut recueillir que des bribes, des éclairs, des effets second, des traces, de ces traces dont René Char dit qu’elle sont seules à faire rêver.

Le tableau accompagne ce travail d’intériorisation. Ou plutôt il est ce travail d’intériorisation, cherchant à être absolument fidèle à la fois à l’émotion de la rencontre – et c’est peut-être là la part de la couleur, souvent sombre, ou rouge,, symphonique – et aux remous quelle a suscités à l’intérieur, à la déconstruction qu’elle provoque, au démantèlement des certitudes banales sous lesquelles la rationalité, le raisonnable, la saine logique voudraient nous courber en prétendant dire le sens, comme ont dit la Loi. Et ce sont les déchirures de papiers, les bribes de textes, les ruptures des lignes, et parois même l’illisibilité des écritures que rendent plus évidente encore, et comme par l’absurde, les variations d’une savante calligraphie.
Je crois que la tentative du peintre rejoint ce que dit Rilke du travail de création : lui parle de la terre, autant dire de notre commun partage, du lieu de toutes nos expériences humaines, et il dit bien que notre tâche est d’imprimer en nous cette terre provisoire et caduque si profondément, si douloureusement et si passionnément que son essence ressuscite invisible en nous. Ainsi, Geneviève Pons-Vatel serait, dans son intention de rendre compte de la trajectoire mystérieuse, imprévisible, secrète de son rapport au monde, l’une des abeilles de l’invisible selon Rilke ; une de ces sensibilités attachées à témoigner de tout ce qui dans nos vies relève de l’interdit, de ce qui se dit entre, dans la rupture, dans l’inachevé, dans le secret ; tout ce qui ne cesse de nous échapper, quelle que soit notre clairvoyance, et dont il nous faut saisir les traces si nous voulons éviter de nous dissoudre dans l’éphémère et rester fidèle au temps, aux autres et à nous-mêmes.
J’ai pensé, devant ces toiles de mystère, à ces vers d’Apollinaire dans L’Emigrant de Landor Road :
Et l’on tissait dans sa mémoire
Une tapisserie sans fin
Qui figurait son histoire.


Jean-Marie Barnaud, juillet 2000.

 

 

Jean-Marie Barnaud est né en 1937. Collaboration littéraire et artistique à de nombreuses revues. Membre du comité de rédaction de la revue «La Sape». Dirige avec Jean-Pierre Siméon, la collection Grand fonds de Cheyne éditeur. Publie son œuvre poétique à Cheyne (huit titres depuis 1983). A publié, par ailleurs, deux romans chez Gallimard et Deyrolle.

A déjà publié


Le Beau temps, 1985, épuisé, Cheyne
Pour saluer la bienvenue, 1987, épuisé, Cheyne
Celle qu’on attendait, 1990, épuisé, Cheyne
Sur le carnet de Marion, 1990, épuisé, Cheyne
Passage de la fuyante, 1994, Cheyne
Poèmes (1983-1985), 1996, réédition Cheyne
Aux enfances du jour, 1998, Cheyne
Le Censeur, roman, Gallimard, 1992
Un tombeau pour Félicien, récit épistolaire, Deyrolle, 1996
Contes et légendes de Provence, Nathan, 1998
Aral, Editions L’Armourier, 2001

                                                                                                                                            

 

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