Raccourci vers le contenu principal de la page

LUMIOARA, sculpteure - Entretien avec Hervé Nùñez

Novembre 2003

 

CréAtions n° 110 - Art et sciences se rencontrent -

publié en janvier-février 2004 (Editions PEMF)

LUMIOARA, sculpteure- Entretien avec Hervé Nùñez

 

 LUMIOARA, sculpteure


Entretien avec Hervé Nùñez

Née en Roumanie, réfugiée politique en France en 1961, Lumioara fait des études de lettres et de psychologie. Elle touche à la prise de vues, aux marionnettes, crée quelques murs peints et s'initie auprès d'artisans et d'artistes au travail de la terre, du bois et du plâtre. Elle enseigne les méthodes de créativité à l'Ecole supérieure de design industriel à Paris, anime des ateliers de marionnettes pour enfants, crée des décors de théâtre puis réalise ses premières sculptures en métal par assemblage et soudure d'éléments de récupération. Dans l'Atelier de Gilbert Clementi à Meudon, elle apprend à travailler le bronze procédant à des fontes, de la ciselure, des patines. Depuis 1997, Lumioara a installé son atelier en Pays de Caux et partage son temps entre son atelier de Normandie et la Fonderie Clementi.

 

Sculpter le bronze


Hervé Nùñez : Pourquoi avoir choisi cette matière ?
Lumioara : En fait, j’ai commencé par le modelage de la terre, du plâtre ; j’ai également sculpté du bois. C’est grâce à ma rencontre avec Paul Flury, sculpteur, que j’ai appris un jour la fonte classique du bronze et pris goût à son travail.

HN : Qu'est-ce que la fonte classique du bronze ?
L : Je modèle une forme en cire, un personnage par exemple, l’entoure d’une potée réfractaire aux hautes températures, met en place les écoulements pour que la cire puisse être évacuée et laisse la place au bronze liquide, liquide à 1300°. J’enlève les parties en trop, je tronçonne et meule et ajoute ce qui manque. D’autres fois ,je coule directement du bronze liquide dans une fosse sur une plaque réfractaire. C'est de cette manière que j'ai réalisé mes grands tableaux.
Je prends beaucoup de plaisir à travailler cette manière noble. Pour la maîtriser, il faut engager un véritable corps à corps avec elle. C’est parfois très dur.

HN : Le bronze est une matière très lourde...
L :Je réalise moi-même tout mon travail, de la conception à la patine finale. C’est pourquoi je ne peux réaliser des pièces trop grosses donc trop lourdes. Mon maximum, c’est 30 kilos. D’autres artistes font des sculptures dans d'autres matériaux et confient au fondeur leur moulage et leur fonte pour aboutir à une sculpture en bronze. Dans un moule, on peut couler plusieurs fois de la cire ce qui permet d’obtenir jusqu’à huit exemplaires d’une même sculpture. Je n’aime pas çà. ce qui me plait, c’est de créer chaque fois quelque chose d’unique. C’est en faisant tout le travail moi-même que je trouve mon vrai plaisir. Je cherche à rendre légère et aérienne cette matière qui est, il est vrai, lourde, pesante. C'est un défi permanent.

Le faire

HN : Quand vous arrivez à l’atelier, vous avez un projet ?
L :Ça dépend. Je pars souvent d’une chute de bronze. Je collectionne les chutes. Il y en a plein mon atelier, sur des étagères, dans des caisses. Je peux les conserver pendant des années, vivre avec. A un moment ou un autre, telle chute m’inspire. Avec des feutres ,je trace dessus ce que je veux couper, ajouter , modifier. Puis je la laisse en attente. Je fais aussi des assemblages de pièces. C’est comme une manière de grand puzzle dont je m’amuserais à transformer les pièces puis le dessin final. Il m’arrive de faire un croquis. Mais systématiquement, je le perds.
Puis vient le moment où je suis déterminée. Alors, je passe à la réalisation définitive. C’est du travail. Il faut meuler, ciseler, souder, sabler, patiner, etc.
J’aime aussi couler du bronze directement...
En fait, j'ai toujours deux ou trois idées qui me trottent dans la tête et qui progressivement se cristallisent jusqu'au moment où je sens que je peux les accoucher. Alors, je passe à la réalisation. C'est un moment de grande satisfaction pour ne pas dire de jouissance.

HN : C'est de la matière à 1300° que vous accouchez. Seriez-vous un volcan ?
L : Je suis peut-être une cracheuse de bronze. Je coule directement la matière en fusion sur des plaques réfractaires en tâchant de diriger l’écoulement de sorte que, refroidie, elle ait la forme que je souhaitais. C'est un travail de Titan. C’est assez aléatoire. Mais les surprises que ça réserve sont passionnantes. J’ai ainsi fait toute une série de grands tableaux qui peuvent s’accrocher aux cimaises comme des toiles. Avec la même technique. J’ai aussi fait toute une série de soleils au coeur desquels j’ai placé soit des miroirs, soit des lentilles grossissantes montrant des personnages. Puis une série de tableaux sur des planètes et galaxies.

 

 

 Des thèmes

 

 

La mère Noël, 33x33 cm.

HN : Il y a beaucoup d’oiseaux dans votre production…
L : J’ai installé mon atelier depuis six ans en Pays de Caux dans un lieu où se croisent beaucoup d’oiseaux de mer, des bois, de plaine. Le spectacle de leur ballet dans le ciel est un régal. Je m’en inspire beaucoup.
Le plus souvent, je glisse un petit personnage en mouvement, en équilibre instable, dans un paysage plus ou moins figuratif quelquefois, imaginaire.
Par exemple, vous avez une grosse roue placée horizontalement qu'un petit personnage attelé par plusieurs fils tente de déplacer ou de redresser. Qui tient l’autre, la matière ou le personnage ?
Je ne le fais pas exprès mais quand je découvre mes sculptures après les avoir réalisées, le plus souvent, je constate que je mets en scène des personnages qui travaillent à leur libération. Ça me renvoie à tout ce que je ressens du déséquilibre du monde autour de moi ; injustices, hypocrisies, guerres, etc.

HN : C’est toute une série de roues que vous avez réalisée. Vous roulez pour qui ?
L : Pour moi. Pour ceux qui, je l’espère, prendront de l’intérêt à les regarder, chacune ou en série.

HN : Est-ce que vous tournez en rond ?
L : Jamais. En tout cas, je n’en ai pas le sentiment.

HN : Vous avez achevé votre série de roues. Comment êtes-vous sortie du cercle ?
L : En fait, je ne travaille pas en rond, contrairement à ce que vous pensez, mais au centre giratoire d’une spirale. Toute sculpture en appelle une autre. C’est mon manège à moi.
Vous procédez par séries : les roues, les soleils, les planètes, les gouffres et cônes, les équilibristes, les voltigeurs, les plongeurs etc. ?
Parfois, je vois après coup que c’est une série. D’autres fois, c’est un projet délibéré.
Par exemple, pour des raisons matérielles, j’ai entrepris la réalisation d’une série de petits tableaux. Il faut bien que je vende ce que je fais pour vivre. Or, ceux qui aiment mes sculptures me disent souvent qu'ils ne savent pas comment les disposer chez eux. Je fais donc des tableaux sculptés qu'ils peuvent mettre au mur.
Je fais un cadre en métal. Au fond je place un support, du bois ou du plexiglass et dessus je dispose, j’assemble des petites pièces sculptées. D’autres fois, je laisse le cadre vide, les pièces sculptées étant soudées sur des petites tiges. Elles paraissent ainsi en suspens, ce qui ajoute à leur légèreté.
D’autres fois, sur ma « toile », en fait une plaque de laiton, je fixe par soudure, boulonnage ou autres procédés des étoiles ou planètes comme dans « la mère Noël »…


HN : Quel est votre outillage ?

L : Je n’ai pas de fonderie personnelle, c’est trop cher. Je travaille donc à la Fonderie Clementi, près de Paris. Là, pour les fontes, il y a des fosses, des fours et pour manipuler le bronze fondu à 1300°, des creusets et de longues pinces. On se protège de la tête aux pieds avec des vêtements isolants. Il y a aussi des appareils à microbilles, de sablage pour nettoyer les pièces ainsi que toute une panoplie d’outillages de soudure.
En Normandie, dans mon atelier personnel, j’ai aussi un chalumeau, de l’outillage manuel et électroportatif pour couper, meuler, ciseler.
C'est aussi là que je fais les patines de mes bronzes, une opération à laquelle j'attache la plus haute importance. Patiner, c'est appliquer à chaud au pinceau un produit chimique sur le bronze afin que la réaction provoque une coloration. En fait, c'est une manière de peindre sur le bronze. J'obtiens des bleus, des verts, des rouges très singuliers.

HN : Que deviennent les sculptures achevées ?
L : Elles attendent leurs amoureux pour les acheter. Elles vont dans des expositions. Sinon, elles restent dans l’atelier.

HN : Quels sentiments éprouvez-vous quand vos sculptures partent ?
L : Le plus souvent, ce sont des pièces uniques. Je fais rarement des tirages supplémentaires. Il me reste la photo. Je suis contente quand je sais où elle part, chez qui. Ce qui me gène le plus, c’est quand part une pièce d’une série qui s’en trouve ainsi dépareillée. D’ailleurs, certaines pièces ne sont pas à vendre.

HN : Qui aimez vous comme sculpteurs ?
L : Au XX° siècle, pour en rester là, Moore, Richier, Calder, Picasso, Sow, Gargallo et combien d'autres…

HN : Si vous ne faisiez pas de la sculpture, que feriez-vous ?
L : Des enfants.

 

 

Pour visiter l’atelier, les enfants sont les bienvenus (sur rendez-vous).

Lumioara
692 rue de la mare des champs
76460 Cailleville

Contact:lumioara[arobase]hotmail.com (lumioara[arobase]hotmail.com)

 
 

Sommaire Créations 110