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Vers une rénovation de l'enseignement de l'histoire à l'école primaire

Décembre 1932

L'enseignement de l'histoire l'école primaire reste, pour des novateurs, une des questions importantes pour lesquelles il faut sans retard trouver un compromis acceptable à défaut de solution rationnelle et définitive.

L'esprit réformateur de l'éducation nouvelle a, en effet, pénétré quelque peu les diverses disciplines : l'enseignement de la langue, sous l'impulsion notamment de nos techniques, s'est sérieusement rapproché de l'enfant ; on prône l'expérimentation en sciences et en calcul : la géographie devient plus vivante grâce aux documents illustrés el aux appareils de projection. Seule l’histoire garde ses positions solidement nationalistes et retardataires : les manuels du début du siècle sont encore en usage, à peine mis à jour à la fin de la guerre, avec leurs rois, leurs guerres, les traités et leurs théories de dates à retenir et de résumés à apprendre par cœur. Et les examens sanctionnent toujours ce même savoir — ou la même ignorance —, car il y aurait des livres à écrire, et pas des moins édifiants, avec les monstruosités auxquelles aboutit inévitablement un bourrage anti pédagogique et toujours prématuré.

Des efforts ont été tentés : ils sont restés inopérants parce qu'ils n'étaient pas conçus sur le plan pédagogique, qu'ils ne visaient pas à changer la méthode même de l'enseignement mais seulement à en moderniser le contenu : épuration des manuels dans un sens pacifiste, réduction du nombre de faits à mémoriser avec essai d'orientation vers une philosophie de l'histoire, part plus grande faite à l'histoire de la civilisation. La Nouvelle Histoire de France est, dans ce sens, la tentative la plus hardie et la plus poussée qui ait vu le jour en France depuis la guerre : l'histoire traditionnelle passe au second plan et on essaye de faire surgir devant l'esprit des enfants l'évolution dans la vie économique, politique et sociale qui constitue la véritable histoire.
Et pourtant, cet essai louable lui- même a manqué son but, non pas seulement parce que toutes les forces conservatrices se sont liguées pour en entraver la diffusion, mais surtout, pensons-nous, parce qu'on n'a pas osé briser les vieux cadres, changer une technique périmée pour adapter l’enseignement historique élémentaire aux nécessités fonctionnelles de la pédagogie — parce qu'on a conservé le manuel dont nous préparons la radicale disparition.
 

Avant d'exposer nos projets à ce sujet, nous croyons utile de rappeler la technique normale de l'enseignement historique, telle qu'elle découle de l'examen des aspirations et des besoins de l'enfant.
L’initiation historique d'abord. Elle ne saurait être constituée par ces abrégés d'histoire nationale qu'on place déjà entre les mains des enfants du Cours Préparatoire, même si on a cru les moderniser en les émaillant d'anecdotes plus ou moins authentiques. On commence ainsi le bourrage que continueront aux autres cours des manuels identiques : cela ne peut en aucune manière s'appeler initiation.
Et que sert d'aller parler de Charlemagne, de Jules César ou des Gaulois à des enfants de 7-8, ou même 10 ans pour qui avant la guerre semble la période la plus lointaine à laquelle ils puissent logiquement remonter.
II y a à cet âge comme une première initiation tout à fait diffuse, mais extraordinairement profonde, que Perrière recommande d'aller chercher jusque dans la fable « cristallisation ou stylisation de l'expérience sociale et psychologique de l'humanité, expérience pratique, donc morale, avec recours au folklore des divers pays »(1).
Cette initiation peut d'ailleurs être menée de front avec la deuxième étape « histoire des choses », connaissance du monde concret aux différentes époques du passé, dans ses rapports avec les besoins de l'homme : alimentation, cuisson des aliments, habitation, vêtement, mode de locomotion, chasse et pêche, guerre, défense contre les animaux, contre les ennemis, contre les maladies, jeu et travail — observation des modes de satisfaction de ces besoins dans le présent et comparaison avec ceux utilisés dans d'autres régions du globe (c'est l'amorce de l'histoire) (2).
Cette étude « complexe » de la vie ailleurs et autrefois devrait constituer l'essentiel de l'enseignement historique à l'école primaire.
C'est parce que nous le pensons ainsi que nous avons toujours aidé de notre mieux notre ami Gauthier dans la recherche de textes d'enfants qui lui ont permis de publier depuis quelques années, dans l'Ecole Emancipée, une initiation historique qui pourrait bien faire énorme-—et que nous avons entrepris l'édition de documents susceptibles de rendre pratiquement possible dans nos classes cette initiation: histoire du pain, histoire du livre, histoire du véhicule, etc...
« De dix à douze ans, selon Ferrière, l'histoire en tant que branche, se détache du tronc commun des connaissances. Toutefois, les besoins de l'homme et la façon de les satisfaire demeurent au premier plan des époques étudiées ». C’est à cet âge que conviendrait parfaitement l'usage des biographies historiques, fragments de vies précieux pour ressusciter le passé dans son intégralité.
« Ce n'est que de quatorze à quinze ans que l'adolescent commence en général être apte à comprendre l'histoire sous une forme suivie et, dès lors, à s'y intéresser ». Et cet intérêt ne peut être profitable que si une initiation profonde et pédagogiquement comprise a préparé la compréhension totale de l'évolution économique, sociale et politique à travers les siècles.
 
* * *
Nous avons déclaré la guerre aux manuels scolaires. Les manuels d'histoire sont, à notre avis, ceux qui sont les plus anti pédagogiques et les plus nocifs. II faut que nous en débarrassions au plus tôt nos écoles. « Les récits panoramiques des manuels actuels soi-disant destinés à l'enfance constituent du temps et de l'énergie perdus : étant contraires à la psychologie, ils ne suscitent pas d'intérêt. Il y a dégoût plus ou moins dissimulé, donc attitude mentale fermée et non ouverte aux enseignements d'ordre supérieur : psychologie et sociologie génétiques des peuples du passé. Et c'est pourtant à cette compréhension qu’il faut aboutir sous peine de faire faillite, sous peine de manquer le but, le seul but qui justifie l'effort fourni par celui qui enseigne l'histoire ».
Nous sommes en mesure — ou nous le serons du moins sous peu — de donner enfin, dans nos écoles primaires élémentaires, un enseignement historique rationnel, psychologiquement fondé sur les intérêts et les besoins de l'enfant et comprenant :
a) L'initiation historique par la recherche personnelle des enfants, la notation des souvenirs véritables, les recherches scientifiques ou folkloriques, qui sont susceptibles de faire sentir aux enfants la continuation et tout à la fois la différenciation de la vie humaine à travers les siècles.
b) La vie à travers les âges : histoire du pain, histoire du livre, histoire du véhicule, histoire des anciennes mesures, du costume, de la guerre, de l'école, etc...  et, en même temps, tranches de vie pour les diverses époques, sortes de dioramas ressuscitant le passé : relations les plus exactes possibles d'événements importants, biographies d'hommes illustres, etc... Tout cela réalisé techniquement en documents excessivement maniables, à consulter par les enfants, à classer, reclasser, regrouper comme nous l'indiquerons, tâche excessivement vaste que nous n'avons pas la prétention de réaliser en quelques années, mais à laquelle nous nous sommes déjà attaqués et que nous continuerons avec une sûre vision des buts à obtenir.
c) Même si cet enseignement est quelque peu prématuré dans nos écoles, les programmes et les examens nous font cependant une obligation que nous ne saurions sous-estimer de familiariser nos élèves avec les dates et les grands événements de notre histoire nationale. Nous pensons avoir trouvé, avec la Chronologie mobile d'histoire la technique idéale qui nous permettra tout à la fois de préparer et de poursuivre le véritable enseignement historique et de satisfaire, dans la mesure imposée, aux exigences scolaires actuelles.
Notre initiative n'apportera pas grand-chose quant au contenu. Elle vise le cadre, la technique de renseignement historique que nous voulons renouveler. Un grand pas pourrait bien être réalisé sous peu dans ce sens.
Comment ? Le prochain numéro de cette revue vous le dira.
 
(1) Revue Pour l'Ere Nouvelle – N° 80.
(2) id.