CréAtions n° 92 - Engagements - mai-juin 2000 Entretien avec Michel Carlin |
L'évolution vertigineuse de l'outillage technologique dans notre société entraîne la diminution du temps de travail contraint. Ce temps libéré rend matériellement possible aujourd'hui l'accès de tous à la culture : comment cela ne pourrait-il pas être l'enjeu essentiel de notre réflexion et de notre action politiques ?
Créations : Quel rapport vois-tu entre la peinture et "l'actualité" politique ou sociale ? Que les artistes s'intéressent et participent à l'histoire comme citoyens, sans doute, mais l'art n'est pas un instrument pour délivrer des "messages"... Le philosophe Kant disait que tout jugement esthétique doit valoir universellement : il n'est pas d'opinion en peinture. M. Carlin : Il me faudrait quelques heures pour répondre à cette question. Cela fait partie de ma réflexion quotidienne. Donc ta question est essentielle pour moi. Créations : L'art est réellement politique, alors ? M. Carlin - Ce n'est Pas si simple. L'art c'est vraiment la VIE, la vraie vie. Je ne sais pas quel sens on peut donner au mot politique, mais au sens ordinaire, l'art déborde totalement dans son projet et dans sa puissance, la politique. Il faut de nos jours, une politique culturelle beaucoup plus généreuse et audacieuse. L'art devrait faire partie constamment de notre environnement urbain. Il faudrait créer des ateliers de sculpteurs, de peintres, travailler en groupe, socialiser l'art et spiritualiser la société. C'est vraiment intéressant pour nous artistes, de sortir de l'atelier pour aller vers les gens. Pourquoi entretenir le mythe de l'artiste inspiré, inaccessible, génial ou incapable de dialoguer avec ses contemporains. Cela me paraît une posture surfaite et narcissique. Chaque municipalité devrait donc essayer de regrouper ses artistes et de fonder avec eux des lieux de travail où le public, les jeunes pourraient venir. Il n'y a pas de fatalité au type de choix politique et culturel qui domine aujourd'hui : le choix qui consiste à interdire au plus grand nombre l'accès à toute la palette de trésors artistiques et à enfermer ces gens dans une culture dite de masse, division réfutée par Aragon en 1946 dans un discours prononcé en Sorbonne ; car la division de la culture en culture d'élite et culture de masse, méconnaît la vérité pratique de la grande culture humaine. Si le développement des techniques actuelles de diffusion de l'art et sa pseudo-démocratisation menacent la création artistique de sombrer dans la facilité des stéréotypes culturels et dans le kitsch, si cette fétichisation marchande de l'art l’entraîne vers une déplorable médiocrité autorisant la production, l'exposition, la diffusion d'à peu près tout et n'importe quoi, cette tendance amorcée au XXème siècle comporte son envers : de nombreux artistes de qualité restent peu connus, ne trouvant que peu d'accès, malgré leur inflation, aux circuits qui leur permettraient de présenter leurs travaux. Ces artistes obscurs n'en existent pas moins ; ils mènent à l'écart du bruit des marchés de l'art leur pratique artistique, approfondissant leur travail créatif dans une exigence d'autant plus élevée qu'elle n'est pas sue du grand public, travaillant dans des réseaux, et dans des régions, s'organisant localement en associations, pour des pratiques autogestionnaires, et cherchant le soutien des communes pour leurs initiatives de défense et de développement des activités artistiques.
Protesta Chilienne, détail d’une peinture sur toile de sac (130 x 130), 1984. Collection particulière, Paris. Protesta Chilienne, peinture sur carton (55 x 60), 1984.Collection de l’artiste.
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