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Trois jours à la ferme

Dans :  Techniques pédagogiques › 
Janvier 1976
TROIS JOURS À LA FERME
LES BUTS DE CES 10 %
- Faire connaître à des élèves de seconde, citadins, l'agriculture et ses problèmes, en essayant de ne pas les voir en observateurs extérieurs : il ne s'agissait donc pas d'une "enquête-touristique-intelligente". Mais d'un essai de participation à la vie de l'agriculteur en l'aidant dans son travail quotidien, en en entamant la discussion au moment du casse-croûte ou du repas de midi.
- Trouver, pour des élèves qui avaient posé des problèmes pendant l'année scolaire, un moyen de prendre conscience d'une autre vie que la leur et de les amener à plus de maturité vis-à-vis de leur propre vie et de la société. Ce deuxième but était pour moi le principal.
Il y a là besoin d'explications :
* classe de seconde - 33 élèves - situation sociale médecins, ingénieurs, enseignants, commerçant s, quelques fonctionnaires "moyens", quelques agents techniques ...
* venant de nombreux C.E.S. alentours et "lâchés" au lycée STENDHAL de 2200 élèves où, brusquement ils deviennent des "grands" mais où aussi personne ne semble responsable de rien, où, sauf exception il y a peu de contacts et d'échanges professionnels au niveau des équipes de professeurs. Tout ceci est une situation qui se retrouve pour toutes les classes, mais dont les conséquences furent ici, semble-t-il, particulièrement mauvaises. Les causes en sont difficiles à saisir en l’absence d'une analyse profonde : personnalité des élèves, personnalité des professeurs, groupes d'élèves, rapports entre ces groupes, types variés de pédagogie ...
 
Les élèves se sont montrés irresponsables, au cours de l'année, dans leur travail comme dans leur attitude vis-à-vis du groupe classe ; ils ont eu des difficultés et n'ont pu approfondir leur réflexion, enchaîner leurs idées; le temps de travail fut court, les distractions faciles, avec bruit et bavardage.
Ainsi tout le travail réalisé notamment en histoire-géographie, est resté superficiel. Nous avons, soit par du travail de groupe, soit par des cours, soit par du travail personnel libre, papillonné, sans émerger de l'anarchie des méthodes de travail des élèves, sans arriver à relier les phénomènes entre eux, sans aller au bout de la réflexion, sans même manifester une curiosité efficace et consciente.
 
Mon tableau peut sembler noir : il l'est certainement trop, il était peut·être nécessaire de passer par ce brouillon que l'on a essayé de corriger plusieurs fois dans l'année, et, de rature en rature, on a du arriver quand même à quelque chose de mieux , à une évolution dont la rentrée devrait montrer les effets. En fin d'année des intérêts sont apparus et la classe a été félicitée pour son sérieux et sa curiosité lors de la visite du musée de la RESISTANCE ...
Le 10 % " travail" a pu je pense compléter cette année de tâtonnement et de mûrissement. En tout cas c'est vraiment pour cette classe qu'il m'a semblé nécessaire d'organiser cette "enquête-participation".
 
ORGANISATION DE L'ENQUÊTE· PARTICIPATION :
II était nécessaire de trouver au moins sept fermes pouvant recevoir quatre ou cinq élèves chacune. Sans grand espoir au départ , je me suis adressée à la chambre d'agriculture de l'ISÈRE. On m'a envoyée à un agriculteur dynamique de Saint-André-Ie-Gaz, en Dauphiné, qui, avec l'aide de techniciens du groupement de vulgarisation agricole du canton a pris contact avec ses collègues.
Ainsi SEPT agriculteurs ont accepté de nous recevoir dans un rayon de quinze kilomètres à partir de Saint-André.
Il fallait pouvoir s'y rendre chaque jour car je tenais à ce que la classe puisse se retrouver chaque soir pour une vie collective et pour échanger des idées.
D'où le départ en train jusqu'à Saint-André, avec mise aux bagages de tous les vélos des élèves; autorisation de camper dans un terrain municipal ; repas du soir au restaurant, petit déjeuner préparé au camp ; repas de midi à la ferme. Questions financières : elles ont été facilitées après un prix gagné par une équipe de la classe au concours organisé par la ville de Grenoble sur les transports en commun. Ce prix nous a payé notre voyage et une partie de nos repas :au restaurant , le repas de midi était le prix du travail à la ferme.
Autorisation de l'administration, assurance M.A.I.F. du lycée. Un inconvénient : pour des raisons variées aucun professeur de la classe n'a pu réellement m'accompagner; je suis restée trois jours avec une stagiaire très intéressée par ces réalisations et venue de nouveau en seconde après les examens pratiques du C.A.P.E.S.
 
ACTIVITÉS ET INTÉRÊT :
Les élèves se sont rendus chaque matin dans les fermes. Ce ne sont pas les foins qui furent fait s car le temps était trop incertain ; mais il a fallu planter le tabac, les choux (et apprendre à utiliser les machines qui vont vite et n'admettent pas la distraction), sarcler à la main le tabac (trois heures courbé ça donne mal au dos et des ampoules aux mains), monter quand ce fut possible les bottes de foin compressé au bout d'une fourche sur un chariot, démonter, graisser les machines agricoles, aller chercher les bêtes au pré, aider à la traite, nettoyer chaque jour les étables, moudre et mesurer les céréales pour les bêtes, répandre la sciure sur les ensilages frais, aider au transport de poteaux ... et même aider à la vaisselle. Dans une ferme ce ne fut certes pas au goût des filles - et ce n'était pas prévu par les organisateurs - : l'agricultrice leur a fait faire le travail des femmes de la ferme : elles ont fait le ménage, le repassage, la cuisine, bêché le jardin, fait la traite. Le souvenir en restera un peu amer.
Nous n'avions pas pensé à prendre avec nous un magnétophone que nous aurions mis en route au moment des retours, le soir, entre cinq heures et sept heures au camp. C'est dommage car il aurait fallu sur le vif les impressions du premier soir ; le mal au dos, aux reins, aux épaules, aux mains, partout, mais l'enthousiasme du travail réalisé : «on a travaillé comme des hommes" ; un étonnement élogieux vis-à·vis des agriculteurs qui connaissent à fond leur métier, qui l'aiment, qui discutent avec habileté et relient les problèmes de leurs fermes à celui de l'agriculture française. Ils ont ainsi ouvert aux jeunes qu'ils avaient avec eux de nombreuses fenêtres sur le monde économique, à l'échelle de leur spécialité (tabac, lait), à l'échelle de leur commune ou de leur canton (remembrement) ; à l'échelle nationale ou internationale (problème de la terre "instrument de travail", marché commun). Où était l’image que certains avaient encore à l'esprit d'un paysan d'économie fermée, rebelle au progrès et méfiant ?
 Nous pouvons regretter - et cela a été fait à la fois par les agriculteurs, les élèves et par nous-mêmes que ces journées aient été si courtes ; une semaine serait nécessaire pour pouvoir moins survoler, mieux comprendre le sens des mots et des phrases employés, pour mieux se rendre compte du déroulement des travaux. Il faudrait alors que toute l'équipe des professeurs de la classe participe, et activement, à l'organisation, au contact avec les travailleurs, à la vie des élèves car ces trois journées sont à considérer du point de vue de la formation générale des adolescents, comme un apport très positif dont toute la vie d'une classe devrait profiter. Il ne faudrait pas organiser cette activité dans les dernières· semaines de classe comme nous l'avons fait afin d'avoir le temps par des débats ou des comptes rendus d'en tirer des connaissances au sens large du terme et également de pouvoir profiter du nouvel esprit dans lequel, peut-être, chacun abordera désormais son travail et de la meilleure atmosphère née d'une activité collective. Faire Ies travaux agricoles de l'automne ?
Pierrette GUIBOURDENCHE
15, av. J. Perrot
38000 GRENOBLE