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Libre recherche en mathématiques

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Mars 1976

 

UNE LIBRE RECHERCHE MATHÉMATIQUE :
De quelle nature ?
Cet article reste "ouvert" ce qui signifie pour moi qu'il devrait s'y agglomérer des critiques, des compléments, des exemples de toutes sortes... car · il n'est pas une affirmation, ni une déduction d'expériences nombreuses mais seulement des hypothèses basées sur un vécu actuel.
 
Dans une classe de 5e que je suis depuis l'an dernier, cette année scolaire a démarré sur un débat qui s'est organisé sur l'idée centrale suivante émise par les élèves :
" Qu'est-ce qu'on peut faire en libre recherche cette année ?
- On n'a pas toujours des idées ...
- Est-ce qu'on peut faire des recherches à partir de ce que l'on étudie ? ".
J'ai senti s'ouvrir et se confirmer une voie déjà explorée dans le passé, j'ai donc saisi cette occasion pour la renforcer et l'expérimenter.Nous avons conclu que la libre recherche pourra se développer cette année à partir de situationsde natures très différentes que nous qualifions de « Situations réelles" ou "situations abstraites".
Les situations réelles sont bien sûr celles, apportées par l'enfant, qui correspondent à des intérêts, des motivations personnelles (encore que cela ne soit pas toujours exact). Elles sont une ouverture sur la vie, une exploration scientifique du milieu, de l'environnement de l'enfant en quelque sorte. Cela apparaît donc comme une autre approche de la vie, complémentaire au texte libre, à l'enquête, etc.
C'est aussi, progressivement, une prise de conscience que la mathématique est un "outil" au service de cette exploration du monde par l'enfant.
Voici quelques thèmes qui se sont développés depuis la rentrée dans ce genre :
Les courses de chevaux : couplés, tiercé à partir de tickets du PMU.
Les braquets de mon vélo : motivation profonde.
La circulation routière dans la région : à partir d'un document officiel obtenu par un enfant (une carte du trafic)
Comment varient les marées : un souvenir de vacances en Normandie et un calendrier rapporté.
Jeux de cartes : tirer des cartes ...
Les situations qualifées d'abstraites, en opposition aux précédentes, sont celles rencontrées en classe, à l'occasion d'une recherche guidée ou de débats, ou encore de séances de synthèse au cours desquellesdes questions nombreuses sont posées et nous faisons beaucoup appel à l'imagination mais aussi au raisonnement par analogie. Ces recherches libres - peuvent donc naître à tout propos,j'en ai relevé quelques-unes ci-dessous depuis la rentrée :
.. - a propos d'un mot : « bijection"
un enfant représente une bijection quelconque mais Catherine pense qu'on peut en imaginer d'autres avec les mêmes ensembles et s'interroge : combien sont-elles possibles ?
- à propos d'un diagramme : celui de Carroll
Nadine et Fabienne s'interrogent : que représente chaque case de ce diagramme ? Leur recherche est reprise par Emmanuel et s'élargit : quels sont tous les sous-ensembles qu'on peut définir dans ce diagramme ?
- à propos d'un calcul : un constat :
"La division de deux naturels n'est pas toujours un naturel. Tiens !"
Alors naissent les questions : "Quand est-il un naturel ?"
"Si c'est un autre nombre : de quelle nature ? "
et les recherches en posant toutes les divisions possibles pour voir ...
à propos des parties d'un ensemble :
"Combien y a-t-il de parties quand on change d'ensemble ? "
"Quelles sont toutes les inclusions possibles alors ? "
- à propos · de relations :
Eric veut aller plus loin : avec trois ensembles et deux relations comment les représenter ?
Eric, encore lui, représente les relations "supérieur largement" et "supérieur strictement", idée venue à partir d'une définition d'ensemble en compréhension à l'aide d'un encadrement.
- à propos de quadrillage :
Sophie et J.-François dénombrent des carrés contenus dans d'autres ils établissent aussi une relation entre côté et aire ... et observent.
J'ai bien sûr dressé, au fur et à mesure, un catalogue des concepts inconnus de la classe encore et ainsi approchés, mais aussi des concepts ou techniques connus, utilisés alors comme "outil" derecherche, d'exploration, afin de voir comment sont réinvesties les connaissances déjà acquises diversement avant, leur degré d'intégration etc. Ce n'est pas l'objet de cet article, cependant je découvrelà une foule de notions qui interfèrent les unes avec les autres donc une très grande richesse quinaît de la confrontation, des échanges, de - la juxtaposition de recherches parfois très banales. Ainsi :
- la recherche de toutes les bijections amène à utiliser l'arbre comme idéogramme, mais aussi l'approche du dénombrement, par factorielles
- la recherche sur le diagramme de Carroll conduit Emmanuel à la découverte des complémentaires (négations), d'égalité de sous-ensembles, d'écritures et de propriétés : lois de De Morgan et premières approches d'Algèbre de Boole ...
- les recherches de deux équipes sur la division dans N sont déjà à l'origine de nombreuses découvertes pour le groupe :
la division euclidienne : définie avec a = bq + r et la manipulation des couples (a,b) (q,r)
le quotient par 0 : impossible après tâtonnements, rôle du 0
* l'étude des relations complémentaires : "divise" et "ne divise pas" leurs propriétés et le constat que la réunion de leur graphe donne le produit cartésien
les classes de modulo : en observant le tableau des couples (q,r) découverte des nombres donnant le même reste avec tous les restes possibles d'où l'idée de classifications des cent premiers naturels ... (relation d'équivalence, partition ... etc.)
- la recherche sur les parties d'un ensemble : constructions progressives
du triangle de Pascal dans les dénombrements (combinaisons)
du simplexe dans la recherche et représentation de la relation d'inclusion dans l'ensemble des parties d'un ensemble (structure)
- la recherche d'Eric sur les relations : est une première approche de la composition de deux relations et une observation sur des relations d'ordre avec une représentation de cettestructure d'ordre dans un ensemble fini.
- la recherche sur les carrés : elle débouche
sur l'application numérique x x2 avec les aires
• sur les "suites" ou progression (découverte de la raison ... etc.)
Si j'évoque ici ces divers concepts approchés c'est surtout pour révéler l'intérêt de ces recherches libres, sur des situations artificielles ou déjà mathématiques, pour la découverte mathématique· elle-même : en effet de nombreuses notions apparaissent dans ces tâtonnements et c'est un enrichissement pour le groupe.
Mais je voudrais analyser davantage l'intérêt de ces recherches-là, sans nier bien sûr, celui des mathématisations de situations réelles, car il me semble, actuellement qu'elles apportent beaucoup à ma classe de 5e.
D'abord, ce sont des recherches libres, j'insiste, si les départs déjà mathématiques sont artificiels, la démarche de l'enfant reste la même : celle du tâtonnement expérimental. :
- Il choisit le thème qui l'attire. A ce propos il faut reconnaître que cela répond à la curiosité naturelle des enfants de cet âge : ils posent de nombreuses questions et ces situations leur plaisent.
- Il tâtonne, fait ses propres essais ... ses erreurs, les corrige ou les affine lorsqu'il confronte ses expériences soit à celles des autres, soit au fait lui-même.
Ce faisant, il investit ses connaissances, ses acquisitions diverses, les exerce, les confirme ... : elles sont devenues des "moyens" de recherche
Il raisonne par analogie lorsqu'il dit "c'est comme'' ... "si c'était comme ... " etc.
par différence : "ça ne marche pas" pourquoi ?découverte de contre-exemples
- Il structure : Actuellement, en ce début de 5e, on introduit dans des ensemble des relations,
car on sait ce que c'est : on connaît des propriétés de celles-ci (réflexivité ... etc.) et
l'on observe des "structures" différentes comme "équivalence" et "ordre", total ou partiel. .. etc.
'
Mais en plus on complexifie :
des relations sont établies avec des couples pris comme éléments, on leur donne des images... on approche ainsi la structure des lois de composition (exemples et contre-exemples qui s'accumulent pour plus tard)
des relations sont établies aussi avec des ensembles pris comme éléments : c'est l'approche de la structure de simplexe (:P (E) ; c ).
Pour moi, c'est cette démarche qui est essentielle, enrichissante pour l'avenir, car ce sont ces "manipulations", ces mises en liaison qui sont importantes et nécessaires pour déboucher sur desprises de consciences de concepts d'une manière naturelle, mais encore à des prises de consciencede la démarche, telles que celle-ci :
- l'expérience et ses représentations suffisent dans des cas finis, réduits mais devant un grand nombre il faut "trouver une loi" ou faire la preuve autrement ... sans être ainsi formulée, apparaît la nécessité de la "démonstration mathématique".
* Ces recherches-là présentent un autre intérêt : elles sont souvent plus faciles car il n'y a pas à décrypter une situation réelle enfouie dans sa gangue parfois. En effet, une recherche toute banale et courte peut être une réussite pour l'auteur (toutes les bijections par exemple ... ).
Mais encore, à mon avis, ces recherches préparent à un tâtonnement et une recherche plus abstraits pour l'avenir (en 4e, 3e voire au second cycle) par l'attitude qu'elles déterminent : observer, , s'interroger,poser toutes sortes de questions, chercher à relier, chercher la preuve ... etc.
Pour moi, actuellement, ce type de recherche m'apparaît important et le choix quenous nous
sommes donné en 5e entre "situations réelles" et "situations artificielles déjà mathématiques", évite à mon avis les risques de tomber dans un conditionnement néfaste car les deux interfèrent constamment.
J'y découvre de plus en plus d'intérêt :
- un certain enthousiasme des enfants pour "la mathématique" et une activité importante de tous, même si les niveaux sont différents
- une couverture assez importante du programme, tout en le dépassant (vous l'avez vu dans les exemples cités) donc une certaine sécurité. Cet aspect n'est pas à négliger vis-àvis des difficultés et problèmes divers posés à tous par la libre recherche et pour les débutants qui ont parfois à se défendre
- attitude "structuraliste" ou structurante des enfants, pour comprendre et utiliser la mathématique à l'avenir.
Octobre 1975
Edmond Lèmery