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Programme, ART DU MAÎTRE et MOTIVATION

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Juin 1978
 
 

Programme, ART DU MAÎTRE et MOTIVATION

 

 
 

Cet article relate l'expérience, neuve, de la physique en 6e, les réactions des élèves face à un travail pragmatique, une recherche expérimentale à partir des faits observés

 

 

... Germaine PACCOUD explique cette attirance par l'échappée sur le travail expérimental que représente la physique dans le cadre d'un enseignement souvent formaliste des disciplines "intellectuelles". L'enfant, directement attiré par la manipulation, exprime le besoin d'expliquer le phénomène discuté et observé.

 

 

Mais il est intéressant à d'autres niveaux encore : pour l'analyse faite des relations dans le cadre du travail individualisé, pour la réflexion sur l'exercice du métier et son intérêt.
 

 

J'appartiens au corps de fonctionnaires chargés par M. Haby d'inaugurer l'enseignement de la physique pour tous au C.E.S. Je reçois donc au labo, neuf filles et sept garçons, pendant cinquante minutes, six fois par mois. Bénéficiant des réductions cl 'effectifs obtenues cette année (en vertu de la circulaire du 24 JUIN 1977), ils appartiennent à deux classes différentes de vingt-quatre élèves (24 x 2 = 16 x 3).
Corinne, Luigi, Hania, Charles et leurs camarades, viennent gratuitement, sous la pression plus ou moins affectueuse de leurs parents, pour respecter l'emploi de leur temps qu'on a fipour eux.À onze ans, ils sont ce qu'on peut appeler des E.D.E.A. (enfants dépendants économiquement et affectivement), soumis au chef de leur famille respective. Père, mère ou tuteur, quelqu'un est responsable de leur éducation, c'est-à-dire chargé par la société de les acheminer vers leur orientation professionnelle et conjugale.
Sur ces deux plans, je suis moi-même en équilibre, stable ou instable, c'est ce qui définit un A. A. (adulte autonome).
 
MA FONCTION PROFESSIONNELLE
Sanctionnée par mon salaire, elle consiste à les initier au langage de base de la physique, c'est-à-dire à leur rendre digestes les notions d'électricité, de chaleur, de chimie, dont l'assimilation les préparera au régime prévu pour eux l'an prochain, en 5e. Je me situe à ce stade précis de la chaîne les concernant dans l'usine ÉDUCATION. Dans ce cadre, je dispose d'une certaine marge de manoeuvre : L'ART DU MAITRE.
 
MON INTERPRÉTATION DE CETTE FONCTION
Je tâtonne en direction de trois objectifs :
1. Attitude scientifique : Encourager leur envie d'observer les phénomènes matériels et les enchaînements.
Les aider à analyser ces événements pour comprendre les lois et prévoir les conséquences de chaque situation. Cette attitude scientifique se développe et se traduit par des réalisations, montages,mesures, dont la réussite sanctionne les progrès de chacun dans la maîtrise de l'environnement :l'ampoule s'éclaire, la glace se forme, l'élément est identifié ...
Une définition générale des objectifs à atteindre m'effraie un peu si elle est détachée du vécu de la classe, et proposée aux profs et aux élèves comme un modèle auquel on devrait se rendre conforme.
Au jour le jour, j'établis des propositions adaptées à notre situation. Mais il serait pratique d'avoir à sa disposition un éventail d'objectifs très précis à proposer, sous forme de situations expérimentales correspondant au programme. En quelque sorte, un F.T.C. - sciences pour le cycle d'observation.
Faut-il contrôler la progression ? Après chaque thème de travail, j'élabore, non sans peine, un test permettant de l'évaluer pour permettre à chacun de voir où il en est par rapport au programme, et pour livrer à l'administration les notes exigées. En 4e, j'ai essayé, sans grand succès, de préparer ces tests avec les élèves.
 
2. Expression de chacun : J'essaie d'adapter le programme au besoin qu'ils ont de comprendre pour se situer. Comment organiser le travail de façon à ce que mes propositions soient des révélateurs permettant, au hasard des sujets possibles, de faire surgir leurs tendances ? Sur un thème commun à la classe, choix par chacun d'un objet et d'une méthode de recherche, et des formes de restitution au groupe. Confrontation avec diverses techniques leur permettant, à long terme, de faire le choix de celle qui leur donnera envie d'en faire une profession. A chacun de se découvrir pour se rendre maître de son existence.
Faut-il livrer ces découvertes personnelles à l'administration dans les dossiers scolaires ? Un problème de relations individu-société (rouage ou marginal ?).
Entraînés à chercher des réponses à la question : Comment ça marche ?, ils peuvent appréhender le réel scientifiquement, analyser l'environnement et ses structures sous-jacentes, pour y trouver leur place. Après tant d'heures passées à essayer d'épouser le raisonnement d'un adulte, les enfants apprécient l'enseignement expérimental qui fait appel à la logique de l'expérimentateur, à partir d'une rencontre manuelle et sensible avec les événements. Je constate une désaffection totale, dans cette classe, pour les livres que je leur propose, et pour leur manuel. Peut-être sont-ils saturés d'écrits ?Peuttre sentent-ils la nécessité d'exprimer eux-mêmes leur interprétation des faits ? Aboutirons-nous,au cours de l'année, au besoin de confronter leurs conclusions avec celles que la société met en conserve dans les livres ?
Pour l'instant, chacun découvre l'importance de sa contribution originale dans le groupe : il exprime librement ses questions, ses observations, ses découvertes.
 
3. Relations dans la classe. Peuttre le refus (provisoire ?) des écrits correspond-il ù un besoin de relations directes ? A moi d'organiser le groupe pour favoriser ces relations. J'ai imposé en septembre le travail par groupes mixtes, un + une. Cela pour éviter deux bandes riva les, et pour provoquer, à travers la médiation d'une recherche à deux, la rencontre entre filles et garçons que séparent éducation et préoccupations immédiates. En février, deux filles ont cidé de travailler ensemble, les autres ont suivi, les deux derniers se sont retrouvés ensemble, seul groupe mixte.
Ce n'est pas du travail autonome. Je suis très sou vent sollicitée. Les fiches proposées ne leur suffisent pas. Ils réclament des explications particulières. Ceux qui démarrent seuls réclament, après coup, mon approbation.
Ce n'est pas non plus du travail indépendant. Les sujets explorés tournent autour d'un thème commun. Chaque groupe veut expliquer à tous ses découvertes, et s'intéresse aux expériences des autres.
J'aide la communication orale. Ils apprennent ù parler au groupe et à écouter celui qui s'impose par sa seule parole, dépourvue d'autorité répressive. Va- t-on vers la reconnaissance d'une autre forme d'autorité, qui s'imposerait comme nécessaire au fonctionnement du groupe ? Actuellement, je dois exercer une répression violente des formes d'expression corporelle qui me paraissent incompatibles avec les objectifs acceptés par la classe. Elle s'exerce à l'encontre des moins motivés, avec l'appui des autres. Un problème de motivation qui nous dépasse, et qui conditionne l'abandon éventuel de la répression à l'école.
Cette interdépendance crée entre eux des liens dans lesquels je n'entre pas. Je vis avec mon propre réseau d'amis, choisis dans ma classe d'âge, et parmi des gens aux préoccupations voisines.
Mon rôle de prof se double d'un rôle d'animateur, nécessaire pour étouffer les rivalités et utiliser les dominances de toutes sortes pour qu'elles servent à l'efficacité du groupe et pour que les participants s'y retrouvent avec plaisir. Ceci prépare leur orientation affective et leur insertion sociale.
 
MON ANALYSE DES MOTIVATIONS.
Ces préoccupations dépassent mon rôle de fonctionnaire, et me prennent beaucoup de temps. Je crois que, par ce travail, je m'exprime. Suis-je bien orientée ? J'enseigne la physique en 6e avec plaisir parce que ça me permet de traduire des choses très importantes pour moi, alors que je suis maladroite dans toutes les formes d'expression orales ou graphiques. La physique entraîne à l'analyse des situations et permet de comprendre le monde actuel. Elle aboutit à la fabrication d'objets. Les élèves de 6e ne sont pas achevés physiquement, ni définitivement conditions. On peut les aider à échapper à l'agitation de masse, et à se libérer pour le choix de leurs orientations d'adultes, en connaissant les contraintes et la marge de jeu possible.
Mais l'intérêt que j'attache à l'enseignement est subordonné au salaire de ce travail. Je n'irais pas au C.E.S. si ltat ne me payait pas. Et vous ? Cela permet de comprendre la situation des jeunes, et de déculpabiliser nos échecs de fonctionnaires sympas. Aucun stimulant matériel ne retient les jeunes à l'école. Comment s'étonner de ce qu'ils refusent un travail non lucratif ? Ce refus est occulté tant que la dépendance des parents est supportable. Pas encore trop de problèmes en 6e. Il s'affirme de plus en plus à la fin du premier cycle, parallèlement avec la maturation sexuelle qui augmente l'urgence de relations extra familiales. En 3e et au lycée, il s'efface parfois chez ceux qui sont tenus en haleine par la perspective d'une bonne situation, conditionnée par les apprentissages que nous leur proposons. Ceux qui se résignent à attendre la fin de leur scolarité pour toucher leur salaire sont dits "bons élèves". Pour les autres, quelle pédagogie inventer pour résoudre leur problème, et le nôtre ? Quelle motivation artificielle (décharge électrique punitive,bonbon ... ) inventer, pour occulter ce besoin existentiel de subvenir soi-même à ses besoins vitaux ?
Heureux les profs d'E.N. et de F.P.A ....
J'attends vos réactions d'enseignants, de parents, de jeunes, pour m'aider à rectifier mon analyse et ma pratique tâtonnante.
Germaine PACCOUD
Maugara - bâtiment E - allée 1
42100 Saint-Etienne