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DITS DE MATHIEU - L'acte de création

Dans :  Principes pédagogiques › 
Novembre 1956

J’ai pris une mince branche de noyer bien en sève. J’ai coupé, ajusté, mouillé de salive, tapoté entre des pierres en marmonnant ma comptine-sortilège. Et ça sifflait.

J’ai taillé un roseau en forme de flûte. Il ne donnait d’abord qu’une voix chuchotée comme un poste de radio mal réglé ; puis un son aigu est né.

Et l’enfant est bouche bée devant le miracle.

Le monde peut offrir ses richesses éblouissantes, imposant à la curiosité des passants le tournoiement de ses machines, le cliquetis de ses lumières, la griserie de sa vitesse, l’enfant s’arrêtera toujours avec la même surprise avide devant le magicien qui, d’un brin de bois, tire un son inattendu et, d’un rien, comme un Dieu, crée musique et harmonie.

Rien n’attire plus l’enfant qu’une vie qui naît : un haricot qui germe, un coquelicot qui ouvre son corset pour faire éclater les replis légers de sa robe rouge, un poussin chancelant, un chaton ou un chiot... ou un bébé rose ; une ligne qui parle sur le papier, le chatoiement des couleurs, l’équilibre et l’envol des sons, la fécondité des pensées, tout ce qui, dans un souffle, lance ses rayons neufs.

Mais l’Ecole insensible tourne et retourne le sifflet ratatiné désormais sans voix ; elle interroge la plante flétrie ou le poussin devenu poulet, comme le joueur qui s’obstine après le coup de dé.

L’acte essentiel est toujours de création, et la création est toujours une promesse d’avenir, ou elle ne serait pas une réussite. Le sifflet doit étourdir ou charmer, le germe préparer ses feuilles, le poussin picorer et fuir. L’enfant les accompagne un instant comme pour soutenir l’envol, puis retourne à la création. Comme la chatte qui a terminé son cycle quand ses chatons partent chasser et qui retourne à une nouvelle maternité comme à un original printemps.

Une pédagogie sans création annonce et prépare une humanité stérile.