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logo blog L’échange de savoirs, créateur de lien social

Un monde solidaire, un monde où l’humanité se développe en paix, ce n’est pas la finalité de la mondialisation libérale qui se déploie au mépris du sort de milliards d’êtres humains et de leur planète. Le modèle économique dominant est plutôt celui du tout financier où l’humain n’a de place que s’il rapporte plus qu’il ne coûte et ceci qu’importent les moyens : délocalisations, précarisation, discrimination, exclusion, répression…  

 Pour ce modèle, le libre échange serait naturel à l’homme, porté par ses seuls intérêts et par leur satisfaction au moindre coût. La nature, réduite à ses hiérarchies, plutôt que la culture, on peut retirer ainsi à l’homme toute humanité, l’exclure de la relation à autrui, de la compréhension d’autrui, de sa différence avec autrui, de sa ressemblance avec autrui… !

Que deviennent alors la laïcité, la liberté, la solidarité, la fraternité, l’égalité, le respect, la justice, la paix, la coopération, la compréhension, la dignité… ces valeurs que nous reconnaissons comme fondamentales et qui définissent le type d'humanité que nous voulons aider à réaliser ?  

·         Est-ce que l’échange de savoirs pourrait enrayer ce processus ? 

 Quand on se penche sur la définition du mot « échange », il signifie le fait de céder un bien moyennant une contrepartie. Par extension, il désigne toute circulation de matière, d’énergie, d’information… et donc toutes sortes d’interactions humaines. Il s’impose même à des situations dénuées de calcul comme les échanges d’idées, pourtant on ne perd pas une idée en la communiquant, bien au contraire elle va s’enrichir en se confrontant à celle de l’autre.

Dans l’échange économique, la compréhension mutuelle n’est pas le but de la relation, mais un moyen pour acquérir des biens. Dans l’échange de savoirs, ce qui devient essentiel, c’est l’émergence de valeurs telles que l’amitié, la confiance, la responsabilité, la justice… valeurs qui ne se quantifient pas, mais qui font lien, société et humanité.
Dans une relation d’échange de savoirs, chacun s’enrichit simultanément : le donneur s’enrichit de ce qu’il donne, le receveur s’enrichit de ce qu’il reçoit, et lorsqu’à son tour il donnera, il s’enrichira encore de ce qu’il donnera, un enrichissement perpétuel !
On se prend l’envie d’imaginer l’échange de savoirs devenir un modèle pour les relations économiques entre les hommes : la production de marchandises n’ayant plus comme objectif d’enrichir l’un au détriment d’un autre, mais de satisfaire l’un et l’autre simultanément ! Avec en plus l’enrichissement relationnel et le renforcement du lien social.
 

Comme je suis enseignante, cette question surgit : le premier monde solidaire pour les enfants, ne serait-il pas celui de la classe où ils pourraient expérimenter des pratiques différentes et souvent contradictoires avec celles de la société, mais également avec l’idéologie institutionnelle de l’école ?

 
  Il était une fois…

 Cette parole de Claire Héber-Suffrin :« Tout le monde sait quelque chose, personne ne sait tout et chacun s’enrichit des connaissances des autres » a été le déclencheur. Une résonance éthique certainement, une conception de l’être humain sans doute… Elle m’a convaincue que, si dans une classe les enfants pouvaient mutualiser leurs connaissances, leurs savoir-faire, certains d’entre eux, les plus éloignés de notre système scolaire, retrouveraient confiance et estime d’eux. Je ne savais pas encore comment cela pouvait se matérialiser dans la classe, mais je n’ai pas hésité lorsqu’il y a maintenant quinze ans, un enfant au Conseil a proposé d’apprendre aux autres comment faire les nœuds marins.

Pendant le travail personnel, quelques enfants ont participé à ce petit atelier. Mais au Conseil suivant, il y a eu une deuxième proposition suivie d’une troisième. Tous ensemble, nous avons alors convenu de prendre un temps en fin de semaine pour ces trois ateliers. Pour soulager, le nombre d’enfants par groupes, j’ai proposé un atelier d’écriture de charades.
La semaine suivante, les propositions d’enfants s’étaient multipliées, je n’ai plus eu d’atelier à prendre en charge et j’ai pu ainsi être à mon tour apprenante. Cette nouvelle position de l’enseignant a déclenché des possibles pour certains de mes élèves. Je me souviens de Saber, enfant un peu révolté qui m’a appris à écrire des tags, le fait d’enseigner à son institutrice a changé complètement sa relation avec moi, mais aussi avec la classe. Il a pu se faire remarquer autrement qu’en perturbant…
 
·         … l’atelier d’échange de savoirs  

 À partir de là, les propositions ont afflué… Il a fallu donc trouver une place dans l’emploi du temps pour faire vivre toutes ces propositions d’ateliers. La dernière plage horaire du vendredi après-midi a donc été réservée à l’échange de savoirs et a été nommée : « L’atelier d’échange de savoirs ».

Les enfants organisaient eux-mêmes leur atelier avec à leur disposition une fiche de préparation où ils pouvaient prévoir le matériel (remboursé par notre coopérative), le nombre d’enfants dans l’atelier, l’inscription des enfants et la validation finale. Ces fiches allaient dans un classeur à disposition de tous. Je restais bien sûr la personne ressource.
Le responsable d’atelier s’est vite retrouvé dans une situation paradoxale : désir de participer aux autres ateliers et désir que le sien perdure. La solution a été vite trouvée : transmission de son atelier à un autre enfant qui en devenait responsable, en l’accompagnant dans un premier temps. Le compagnonnage est devenu une nouvelle pratique de la classe.
Comme se sont ajoutées des propositions sportives (GRS, « roller-danse » et hockey en rollers), nous avons utilisé une des plages horaires au gymnase. Les deux premiers ateliers ont été gérés par des enfants et se sont terminés par un spectacle devant les autres classes. Quant au troisième, je l’ai géré seule dans un premier temps, puis l’oncle d’un élève, joueur de hockey professionnel, a proposé de nous apporter ses compétences sportives.
Ainsi, petit à petit, les ateliers ont commencé à sortir des murs de l’école et à pénétrer les familles.
Un soir, à la sortie de l’école, une mère d’élève m’a proposé d’animer un atelier « patchwork ». Je lui ai demandé de venir le présenter à notre prochain Conseil et ce nouvel atelier a été ajouté avec enthousiasme à ceux qui existaient déjà le vendredi après-midi.
Peu de temps après, un père m’a proposé d’apprendre aux élèves à jouer aux échecs. Comme pour le « patchwork », il est venu proposer cet apprentissage au Conseil. Mais ce nouvel atelier ne pouvait pas se tenir le vendredi après-midi, car le père travaillait. Nous avons décidé en Conseil de le placer le samedi matin quand il y a classe, soit un samedi sur deux.

·         Les ateliers deviennent partie prenante de la vie pédagogique

Il a fallu prendre en compte cette nouvelle donne dans l’organisation de notre semaine et en tant qu’enseignante, ces ateliers devaient aussi répondre aux programmes. Je les ai donc partagés entre quatre grands domaines : mathématiques, français, artistiques et sportifs.

Petit à petit, d’autres parents ont souhaité participer aux ateliers. Certains comme apprenants d’autres comme enseignants… L’atelier d’échange de savoirs s’installait durablement.
Mais tous ces savoirs transmis pour être visibles, valorisés devaient être validés. Cette validation se faisait par un brevet attribué par l’enfant responsable à la fin de son atelier et rejoignait dans le porte-vues des connaissances les autres brevets qui validaient les savoirs scolaires issus du programme.
Les brevets dans une classe coopérative permettent une évaluation progressive et formatrice. En effet l’enfant se confronte à différents paliers, tels les barreaux d’une échelle sur la pente d’un savoir. Il va s’entraîner et tenter le brevet qu’il pense correspondre à son niveau, s’il réussit, le brevet ira rejoindre ceux qu’il a déjà réussis, s’il échoue il reprendra les apprentissages pour repasser un même niveau ou un autre. Les brevets réussis permettent la connaissance et la reconnaissance des savoirs par le groupe. Cette connaissance des savoirs de chacun par tous permet leur mutualisation, leur partage : chacun sait et ne sait pas, chacun est en capacité de donner et de recevoir dans un domaine, une activité. Lorsque l’enfant s’entraîne, prépare un brevet, une conférence, écrit un texte, réalise un projet, il peut ainsi solliciter un autre enfant qui est reconnu pour un ou des savoirs. On est bien loin de la note qui arrive tel un couperet sans espoir de retour. On est bien loin de la réussite aux dépens des autres. C’est une réussite solidaire et non compétitive.

·         Pour conclure

Avec l’atelier d’échange de savoirs, les enfants comme les adultes (enseignants, parents) sont devenus tour à tour enseignants et enseignés, donneurs et receveurs.

C’est une expérience cruciale qui a permis pour l’enfant en difficulté, de retrouver l’estime de soi, de se sentir capable et de renouer avec le désir d’apprendre et pour tous, des expériences et des apprentissages de coopération, de compagnonnage, d’entraide où l’obtention de savoirs se fait avec les autres, pour soi ou pour les autres, mais jamais contre les autres.
Cet esprit a irradié tous les autres moments de classe et a rendu encore plus naturelles l’entraide et la coopération. Le désir individuel de savoir, d’apprendre s’est conjugué avec celui des autres : un véritable antidote à la compétition effrénée environnante tant dans l’institution-école qu’à l’extérieur !
L’atelier d’échanges de savoirs est une situation pédagogique riche :
 – où chacun est à son tour auteur et acteur, créateur et réalisateur, ouvrier et ingénieur, artiste et technicien, manuel et intellectuel, enseignant et enseigné ;  
– qui permet à chaque individu de connaître et reconnaître sa propre culture et ainsi la relier à la culture universelle ;  
– qui permet à l’enfant et à l’adolescent d’expérimenter des situations authentiques de solidarité, de compréhension réciproque de l’autre, avec ses différences et ses ressemblances.
 
 Une généralisation de ces pratiques dans tous les temps et espaces éducatifs pourrait favoriser la construction d’un monde solidaire.

 

créateur de lien social ...et source de progrès!

Merci Catherine pour le partage de cette magnifique expérience!
Je ne vais pas jusque là dans ma classe...mais l'année scolaire prochaine, je saisirai la première proposition d'enfant pour faire se développer l'échange de savoir dans la classe. Pour moi, une classe est une mine de trésors où chaque élève-enfant détient en lui un trésor qu'il pourra montrer aux autres... Je suis donc tout à fait d'accord avec toi! J'essaierai de faire aussi bien...
En tout cas, merci encore pour ce témoignage qui, pour moi fraîchement débarqué sur l'Icem "interne" , fait avancer le "schmilblick".
Sera-t-il possible de te questionner pour des détails pratiques ?
Cordialement,
Christian

Contente de savoir que ce

Contente de savoir que ce texte peut donner envie...
Tu peux bien sûr me questionner si tu as besoin.
Amitiés
Catherine