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DITS DE MATHIEU - Fulgurantes !...

Octobre 1954

Oui, toutes nos acquisitions naissent et flambent, et s'éteignent, hélas ! comme le feu qui couve doucement pour concentrer en lui suffisamment de force explosive et éclater en flammes dévorantes qui montent et pétillent et que rien parfois ne peut arrêter. Vous frappez... et vous les activez. Vous jetez de l'eau : elles semblent s'en nourrir, invincibles.

Mais quand le feu touche à la lisière de la forêt ou quand s'achève le billot résineux qui l'entretenait, la flamme meurt, par le cœur, comme si lui manquait désormais cette puissance essentielle qui la faisait mystérieuse et redoutable.

Toutes les conquêtes pré-scolaires de nos enfants sont ainsi fulgurantes, nourries de l'intérieur, et projetant sur le monde en attente les flammes envahissantes de leur témérité. Et nous sommes là, surpris, comme devant l'incendie : où donc ont-ils pris ces idées ? Qui suscite cette audace ? Par quel biais ont-ils, comme dans un éclair, compris l'inexprimable ? Et quel est leur secret pour se saisir des outils que nous sommes nous-mêmes impuissants à manœuvrer, dès que nous avons laissé mourir la flamme ?

Car cette flamme, nous l'éteignons, sciemment ou non, à l'aube de l'école. En quatre ans de vie, sans effort apparent, sans devoirs et sans pleurs, nos enfants ont atteint des limites qui nous étonnent. Ils sont extraordinairement riches de pensée, de langage et d'expériences personnelles originales ; ils sont riches aussi d'ingénu idéal et de cette soif dévorante qui les pousse à aller toujours plus loin, jusqu'aux limites des fourrés où l'école les attend avec la misérable — ses contre-feux et ses tranchées.

Et quand la flamme sera éteinte, quand nous aurons méthodiquement et scientifiquement dominé le danger qui nous menace, nous essaierons en vain de remuer les braises, de souffler sur les cendres encore chaudes, d'apporter charitablement une poignée d'herbes sèches pour tenter de ranimer les foyers disparus, Mais il n'y a plus devant nous que le désert des contre-feux et la barrière des tranchées définitives.

Heureusement, la flamme court encore parfois, à notre insu, vers les lisières de broussailles où se remettent à pétiller des foyers tenaces que nous nommons « prodiges » parce que nous en avons perdu les traces et le cheminement. Et ce sont eux qui deviennent les flambeaux du monde qui continue.