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Pour une méthode naturelle de calcul

Dans :  Principes pédagogiques › 
Mars 1955

Les Conférences Pédagogiques porteront cette année sur l'enseignement du calcul.

Nous ne nous contenterons pas d'établir des mémoires ou de préparer pour les instituteurs des modèles tout théoriques de conseils pour cette discipline. Ce qu'il nous faut, c'est améliorer pratiquement l'enseignement du calcul dans nos classes primaires.

Nous avons sérieusement commencé le travail avec la brochure sur le Calcul Vivant de Lucienne Mawet. Au cours de la présente année nous avons donné de fréquents comptes rendus d'expériences de calcul vivant dans différents cours. Nous avons mis au point un tableau de fiches auto-correctives qui connaissent le plus grand succès.

Nous n'en sommes pourtant qu'à la première étape et nous voudrions marquer ici les diverses phases du travail qui nous reste à réaliser.

Je n'approuve qu'à demi l'expression Calcul vivant qui, tout comme la lecture vivante, risque de rester une forme améliorée des leçons scolaires jugées indispensables.

Nous avons réalisé une méthode naturelle pour l'enseignement de la langue, pour la musique et le dessin. Nous pouvons mettre au point de même une méthode naturelle de calcul.

Les conditions sont exactement les mêmes. Le jeune enfant éprouve le besoin de comparer, de mesurer, de compter, de calculer, exactement comme il éprouve le besoin de parler. Il suffit de maintenir, de nourrir et de développer ce besoin, et l'enfant conservera le sens inné du, calcul, se perfectionnera naturellement.

Il faudrait donc, d'une part, ne négliger aucune occasion de calcul expérimental sous les diverses formes. Et pour cela nous avons besoin, d'autre part, d'un matériel expérimental, et d'une technique de travail qui développe le sens mathématique.

Les expériences apportées jusqu'à ce jour dans « l'Educateur » s'appliquent à montrer qu'il y a, dans toutes les classes travaillant selon nos techniques, de multiples occasions de calcul sous toutes les formes, et que ce calcul, même s'il nous paraît parfois trop élémentaire, n'en est pas moins la vraie base, comme le long tâtonnement qui mène à la maîtrise de la marche. On ne commence pas par faire de grands pas, mais de longues répétitions qui nous apparaissent parfois comme fastidieuses et qui sont pourtant le seul cheminement valable pour la maîtrise de la marche.

La recherche de ces techniques de calcul est relativement facile au degré maternel et enfantin et même au C.P. tant qu'on peut se contenter de mesurer, de peser, de compter des feuilles ou des arbres.

La chose devient plus complexe et elle n'a, pour ainsi dire pas été abordée encore quand il s'agit d'accéder au calcul complexe qui rendra nécessaire la maîtrise des techniques mécaniques que feront acquérir nos fichiers.

Autrement dit, c'est à la question à vrai dire difficile des problèmes que nous devons nous attaquer. On dira peut-être : « Mais vous pouvez mettre sur pied des problèmes vivants comme nous le faisons avec les tout-petits. » Pratiquement, la chose est beaucoup plus délicate.

— Tous les complexes d'intérêt ne se prêtent pas à la réalisation de problèmes, disons : « vivants ». Pas plus qu'ils ne se prêtent tous à une exploitation vivante pour l'Histoire.

— Et même quand ils s'y prêtent, l'instituteur n'a pas toujours la maîtrise suffisante pour bâtir un problème qui, tout en restant dans la réalité, comporte un certain nombre de difficultés répondant aux aptitudes des enfants et aussi à une certaine progression technique jugée indispensable.

— Dans la pratique, ce n'est qu'accidentellement qu'on fait ainsi un travail valable à 100%. Très souvent nous introduisons dans les données des éléments plus ou moins artificiels qui ne sont là que pour compliquer les problèmes et leur donner une meilleure allure scolaire.

Nous serions heureux que les camarades travaillant dans des CM et FE, nous disent ce qu'ils ont réalisé dans ce domaine, les difficultés rencontrées, les progrès à rechercher en commun pour une conception vraiment efficiente de l'enseignement du calcul,

Nous pensons que, pour cet enseignement, nous ne parvenons pas à nous dégager du formalisme des problèmes. Nous croyons que l'enfant doit s'habituer à les résoudre, non seulement parce que c'est cette même forme qui se présente dans tous les examens, mais aussi parce que nous croyons cette technique efficiente.

Tout comme pour l'enseignement du français, où l'on croit seule valable la technique : leçons de grammaire et de vocabulaire, lecture de textes d'auteurs et rédactions d'application.

Nous avons introduit dans le processus, la pratique du texte libre qui en a bouleversé le déroulement. Et c'est ce bouleversement qui effraie et déroute ceux qui ont besoin d'être soutenus par une forme sévère, fixe et inchangeable, même si elle tue la vie.

Pourquoi nos enfants ne nous apporteraient-ils pas des problèmes libres comme ils nous apportent des textes libres ? La chose est possible et nous l'avons expérimentée avec succès à l'Ecole Freinet.

Les fondements en sont exactement les mêmes : l'enfant éprouve le besoin de parler pour raconter les éléments majeurs de sa vie dans son milieu. Il éprouve le même besoin de calculer. Je dirais même que, dans notre société trop commercialisée, le calcul devient une des bases essentielles des relations enfants-parents-milieu-commerçants.

Les enfants se posent en permanence des problèmes. Nous nous posons en permanence des problèmes. Ils n'ont peut-être pas toujours la forme traditionnelle des problèmes scolaires. Ils n'en sont pas moins des points d'interrogation auxquels nous nous appliquons à répondre avec les Moyens du bord.

La mère de famille prépare son menu pour le repas du lendemain. Plusieurs solutions se présentent à elle : elle compare les prix, le temps que lui demandera la préparation, le profit qu'en auront les convives. Et elle décide en conséquence. Quand on va au marché, on se pose des problèmes sans arrêt. On m'offre une caisse de pommes à 40 fr., mais elles sont petites, mal venues, en partie avariées. Il y aura beaucoup de déchets. Quelle proportion ? C'est une question de mesure intuitive, fruit de l'expérience. En définitive, je-dirai : Non, je préfère ces pommes à 60 fr. Elles me feront plus de profit.

L'enfant part en auto avec son père : Mesure et problèmes sans arrêt. A quelle distance ? Quelle vitesse ? Combien d'essence ? Quel prix pour le dîner ? Combien vaut cette auto ? Et celle-ci ?

Nous n'aurions pas à « inventer » des problèmes. La vie en fourmille, et qui s'imposent à nous, que nous devons, bien ou mal, résoudre. Il appartient à l'Ecole d'aider à bien les résoudre.

Une première étape dans notre travail. Pour les problèmes naturels, essayer de les préciser, c'est dénouer la complexité. A l'origine, nous nous abstiendrons peut-être de faire les calculs formels et précis. Nous estimerons. L'estimation est une technique trop généralisée pour que nous puissions la négliger. Et, chemin faisant, nous montrerons, par nos calculs, comment nous vérifions l'estimation.

Nous n'aurons plus, dans le comportement scolaire, le vice de problèmes non raccordés à la vie et qu'on ne comprend pas justement parce qu'ils sont hors de notre processus de vie. Nous apprendrons à comprendre les problèmes. C'est, à mon avis, l'étape essentielle.

La résolution du problème compris n'est ensuite qu'une question de calculs techniques qui ne présentera ni les mêmes difficultés ni les mêmes dangers. Et les enfants s'y passionneront justement dans la mesure où ils en sentent là nécessité.

C'est évidemment un bouleversement des processus, des normes nouvelles que nous devons mettre au point et faire entrer dans nos mœurs. On nous disait au début de nos techniques : « Nos enfants ne savent pas écrire, et ils n'ont pas une pensée assez riche pour nourrir des textes valables. » L'expérience a aujourd'hui apporté sa réponse décisive.

Nous voulons montrer que la notion problème est naturelle à l'enfant. Il faut l'habituer à extérioriser et à chiffrer ses questions et ses estimations. Alors nous pratiquerons le calcul naturel. Et ce jour-là notre journal scolaire comportera, à côté des comptes rendus, et des complexes et des poèmes, des textes qui seront l'expression mathématique de cette infinité de problèmes que se posent les enfants, qu'on a toujours négligés parce qu'ils ne sont pas considérés comme « logiques ». Ils sont dans l'axe de la vie et c'est pourquoi ils sont les seuls valables pour notre pédagogie du calcul.

Qui commence ainsi des textes de calcul, sans prétention à une forme arithmétique. Posons les problèmes d'abord. Nous verrons ensuite comment les résoudre.

Nous nous heurterons d'ailleurs pour ce qui concerne les enfants, aux mêmes difficultés que le texte libre. L'enfant ne saura plus poser naturellement son problème. Il aura tendance à le bâtir sur la norme traditionnelle. Il cherchera trop vite l'inconnu, inventera des opérations prématurées, tous vices qui donneront à nos premiers essais un aspect bâtard qui risque de nous décourager.

Mais nous remonterons le courant et nous mettrons sur pied notre méthode naturelle de calcul.

C. F.

Type de calcul naturel : Je n'ai plus de soulier, me dit Jean-Jacques. Tu veux m'en acheter à Cannes ?

— Oui, mais il faudrait l'autorisation de ton père. Il peut en avoir peut-être à meilleur marché.

— Oui, mais il faut qu'il aille exprès à Toulon, avec l'auto. Et puis s'il faut qu'il les envoie, en définitive, les souliers lui coûteront beaucoup plus cher.