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"Peindre à la manière de"... soi-même - Méthode naturelle de peinture et dessein politique

Dans :  Principes pédagogiques › 

  

Revue en ligne CréAtions n°219 "Peindre à la manière de... soi-même"
annoncée dans le Nouvel Éducateur n°219 - Publication : octobre 2014

Classe de PS et MS sections, École maternelle, Marseille (Bouches-du-Rhône) - Enseignant : Jean Astier

 


          "Peindre à la manière de"... soi-même

                              en interaction avec le groupe

 

Méthode naturelle de peinture et dessein politique,
texte de Jean Astier

 

La méthode naturelle d'apprentissage décrite par Freinet(1) s'inspire de la manière dont les bébés et les jeunes enfants procèdent au cours de leurs premiers apprentissages, la parole, la marche. Elle estime les individus suffisamment équilibrés capables de se cultiver et de se former dans un environnement stimulant. Observons un moment de pratique de méthode naturelle de peinture dans une Section de Petits-Moyens d'école maternelle.

 

  Présentation technique de l'atelier


Il s'agit plus exactement d'un atelier gouache. De temps en temps, nous proposons plutôt de l'encre et, exceptionnellement, de la peinture acrylique. La gouache est privilégiée en raison de sa facilité d'utilisation et de nettoyage à l'eau. Dans notre classe de 60 m2, le coin peinture est constitué de deux tables à hauteur des enfants, accolées et formant un carré d'environ 4m2. Logiquement, l'atelier est installé à proximité du lavabo de la classe, le matériel est entreposé sur des étagères et dans des bacs rangés sous les tables. Les enfants peignent debout. L'atelier peut accueillir huit enfants, utilisant, la plupart du temps des feuilles de 120 grammes de format A3. C'est la taille maximale pour un atelier de huit et le grammage minimum acceptable pour la gouache. Plus légère, la feuille se gondole, supportant mal une couche de peinture épaisse. Un doigt de peinture non-diluée est préparé dans des petits pots bébé, rassemblés par dix dans des barquettes afin d'éviter qu'ils ne se renversent. Après chaque séance, les pots sont triés (rincés si les couleurs ont été mélangées), puis bouchés et rangés sur les étagères. Je regrette de n'avoir pas accès à de meilleures marques de gouache comme Pébéo car la plupart ont le défaut de perdre en séchant la vivacité de leurs coloris. Des pots de brosses rondes et plates de dimensions variées sont disposés sur la table. Les poils de soie, plus souples, rebiquent. Ils sont réservés à l'encre. Pour sécher, les œuvres sont suspendues par des pinces à linge percées dans leur travers (vieille technique de séchage des feuilles à l'ère de l'imprimerie). Dans l'idéal, nous rêverions de disposer du luxe d'un espace permettant d'autres expériences où les enfants auraient le choix de peindre à même le sol, sur des formats plus importants. Dans notre réalité, ceci reste du domaine de l'exceptionnel comme dans la cour de récréation, aux beaux jours sans vent.
Ces détails minutieux peuvent paraître rébarbatifs au néophyte, ils sont pourtant impératifs au succès de l'atelier. La méthode naturelle se fonde sur une organisation matérialiste scrupuleuse optimisant les conditions et les circonstances afin de proposer les situations d'apprentissage les plus adéquates. Les maîtres s'adaptent au milieu. Ils saisissent des opportunités. Dans certains cas, ils envahissent les couloirs, optent pour le plan vertical, squattent une salle de classe désaffectée. Ils profitent des matériaux abandonnés par les collègues, offerts par des parents ou rencontrés dans la rue. Ils font œuvre de créativité, d'invention pédagogique.

 

  Les séances de peinture


L'atelier peinture n'est pas obligatoire. Il est proposé avec régularité (une semaine sur deux). Aucune comptabilité des « passages » n’est nécessaire. Pour preuve, nous avons relevé sur cinq séances effectuées durant une période de deux semaines, la fréquentation spontanée de l'atelier par l'ensemble des enfants de la section, nous avons noté:
- une fréquentation moyenne de l'atelier identique chez les « Petits » (PS) et les « moyens » ( MS), d'environ huit enfants par séance, soit seize par jour.
- un seul enfant (PS) n'est jamais venu peindre.
- chaque enfant a fréquenté 1,7 fois l'atelier au cours des cinq séances retenues.
- une disparité certaine quant à la quantité d'œuvres produites au cours d'une même séance: seize enfants ont fait une seule peinture par séance. Ponctuellement, quatre enfants ont réalisé entre deux et quatre peintures au cours d'une même séance. Quatre enfants ont réalisé deux à trois peintures au cours de plusieurs séances. Mais au cours de cette période une enfant s'est particulièrement distinguée par une production prolifique d'une moyenne de cinq peintures par séance. Ce dernier cas est bien exceptionnel car il est rare qu'un enfant de cet âge reste concentré sur une même activité, de façon répétée,
durant une heure environ.
Cette trop succincte étude statistique n'est certainement pas représentative scientifiquement. Il aurait fallu l'étaler sur une bien plus longue période. Mais là n'est pas notre propos. La pertinence de proposer un libre accès des activités aux enfants n'est plus à démontrer. En place d'un passage obligé de tous par chaque atelier, il est plus efficace d'adapter notre pédagogie aux besoins particuliers de chaque enfant en fonction de nos observations et de sa demande. La motivation est moteur des apprentissages. Peu importe si tel enfant a rarement tenu un pinceau dans ses mains au cours de cette période pourvu qu'il se soit adonné à une autre activité avec sérieux et engouement. La méthode naturelle d'apprentissage offre à l'enfant cette possibilité de prendre sa formation en main en explorant un langage (ici le langage pictural), en conduisant des recherches personnelles en coopération avec ses pairs, comme nous allons l'observer. La question du rythme de l'enfant est pondérée par la qualité de son implication dans l'activité en fonction de sa motivation. Cette dernière résulte d'une complexe conjonction de paramètres combinant l'histoire du sujet, la stimulation du milieu et son sentiment de sécurité dans le groupe.


 
1- Célestin Freinet, Œuvres pédagogiques, Seuil, 1994. Édition en deux tomes.

"Peindre à la manière de soi-même"  

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