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logo ressource btn Compte-rendu de lecture : Écoute petit homme ! par Wilhelm Reich

Niveau de lecture 5
Dans :  
Juin 2014

"Amour, travail et connaissance sont les sources de notre vie, ils doivent donc la gouverner."
 
Wilhelm Reich
 
 
 Écoute petit homme ! a été écrit par Wilhelm Reich, un célèbre psychiatre, psychanalyste né en 1897. Élève de Freud à Vienne, toute ses œuvres et recherches sont largement inspirées de la doctrine freudienne: il étudie la sexologie, et la thérapie psychanalytique plus particulièrement au niveau de la satisfaction sexuelle qu’il considère comme la base de l’équilibre psychologique. Reich s’investit dans le parti communiste allemand, son intérêt pour la psychanalyse s'accompagne d'une implication sociale et politique. D’origine juive, il est contraint de fuir Berlin en 1933 après la montée du nazisme. Émigré en Norvège puis au États-unis, il continue ses recherches sur la sexualité de l’enfant, sur la fonction sexuelle dans la psychanalyse et enfin s’attarde sur sa découverte majeure « l’orgone » (à base de radium et de plomb) qu’il souhaitera utiliser comme remède dans la lutte contre le cancer. Il sera traité de fou et de lubrique par la communauté de la médecine américaine et sera également accusé de priver les malades de thérapie et de les mettre en danger. Il meurt en prison d’une crise cardiaque en 1957.
Le livre Écoute petit homme a été rédigé en 1945 pour témoigner de « l’aboutissement d’une lutte intérieure d’un homme de science ». C’est une analyse de « l’homme moyen », de « l’homme commun », celui sur qui tout repose dans les démocraties, l’homme qui appartient à la masse prolétaire, ce même homme qui a permis, en 1933 à un Führer de prendre en charge sa liberté pour « l’honneur national » et pour la sécurité, ce qui a conduit à l’oppression et la mort de millions de personnes.
Cette œuvre s’adresse à ce petit homme, que Reich connait mieux que personne car il côtoie et étudie cet homme et cette femme qui ne se voient pas eux-mêmes, qui ne veulent pas se voir eux-mêmes car cela leur fait peur. Reich peut le décrire car en lui comme en chacun de nous, existe un petit homme qu'il connait, qu'il observe mais auquel il ne veut pas se soumettre. Cette œuvre dévoile les états d’âme de Reich qui tente de trouver les causes des atrocités que peut commettre ce petit homme, sans aucun sentiment de culpabilité, de honte.
Reich commence par définir qui est l’homme moyen. En s’adressant directement à lui, il lui apprend qui il est, et pourquoi il en est ainsi, puis il tente de proposer des solutions à ses problèmes. Le livre est organisé comme une grande diatribe contre toutes les peurs du petit homme, diatribe appuyée par des illustrations caricaturales et explicites.
 
Le thème principal ici reste la bêtise humaine, la faculté de la masse à « être son propre oppresseur ».
On peut trouver des liens avec les notions de pouvoir, de vérité, d’histoire, de morale et surtout de liberté.
 
La principale interrogation est : comment l’homme moyen a-t-il été capable de tant d’atrocité ? Pourquoi l’homme est-il son propre persécuteur ? Pourquoi assassine-t-il ses amis et confie-t-il le pouvoir de prendre les décisions à son ennemi ? De plus, cette œuvre est une réponse aux accusations auxquelles Reich a été soumis pour ses recherches sur l’Orgone.
 
La thèse de Reich est très nettement Freudienne, il pose la frustration sexuelle comme la plus grande cause de la mesquinerie, et du vice humain. L’homme moyen se fait passer pour la victime dans toutes les situations, alors qu’il est son propre persécuteur. L’homme a peur de la vie, peur du plaisir, peur des grands hommes : ces petits hommes qui ont compris « pourquoi ils étaient petits » et préfèrent confier la responsabilité, le pouvoir (la chose la plus effrayante pour lui) à ses oppresseurs ; car le petit homme a tué Jésus, Socrate, Lincoln et Marx afin d’être l’esclave de « petits grands hommes » comme Staline, Mussolini et Hitler. Cette thèse peut être mise en parallèle avec celle de Kant qui, dans son ouvrage Réponse à la question : qu'est-ce que les lumières ? distingue les mineurs qui choisissent la facilité en réservant le pouvoir et l’usage de la raison aux tuteurs. Le petit homme a peur de se regarder en face et préfère se draper dans sa dignité car il se préoccupe davantage de ce que son voisin pense de lui que de ce que lui-même interprète face au miroir. Il déteste l’innovation et les hommes vraiment grands qui ne souhaitent que son bonheur, c’est pour cela qu’ils accusent Reich d'être un danger pour l’honneur de la nation.
 
 Mais Reich ne fait pas que révéler au petit homme qui il est, il lui propose des solutions, comme l’expérimentation de la satisfaction sexuelle, qui selon lui règlerait les problèmes de frustration violente du petit homme qui accepterait enfin d’être son seul maître.
 
La lecture du livre m’a énormément fait réfléchir sur ce que l’homme, en général est capable de faire. Ce livre est une succession de révélations sur notre peur de vivre et notre lâcheté. On peut se retrouver dans le petit homme qu’il décrit, même si l’expérience n’est pas agréable. J’ai appris des choses sur la doctrine freudienne. J’ai pu comprendre dans quel état d’incompréhension et de désespoir Reich pouvait se trouver après guerre alors qu'il avait été chassé par les nazis, que ses livres avaient été brûlés et ses idées proscrites.
 
Dans l’ensemble, le livre m’a fascinée dans la mesure où c’est une réelle provocation pour le petit homme que nous sommes de s'entendre dire que nous sommes coupables de notre propre malheur et de notre propre oppression. Ses thèses sont défendables et l’argumentation est parfaite, on sent à travers ces pages l’émotion qu’a pu ressentir Reich au moment de l’écriture de cette œuvre.
De plus, les illustrations sont très explicites voire humoristiques et viennent éclairer les propos de Reich en imposant une touche de dérision. Cependant je suis en désaccord avec le fait de mettre tous les individus dans le même cas, il nous parle directement en nous « traitant » de petit homme, en avançant que la quasi-totalité du peuple est constituée de petits hommes. Pour ma part je trouve que la vie est faite d’une multitude de « grands petits hommes » et que nous ne sommes pas tous aveuglés par notre propre haine et notre dégoût de la vie.
De plus, je ne suis pas Reich quand il met la cause de tous les maux sur le compte de la frustration sexuelle et de l’expérience de l’enfance. Il me semble que la sexualité n’est qu’une partie infime de ce qui forme notre inconscient. Reich et Freud n’ont pas connu la période de « la libération sexuelle » des années 70, malgré cette libération nous constatons qu'il y a toujours des petits hommes. Je pense que même si énormément de gens assumaient entièrement leur sexualité, cédaient à tous leurs fantasmes et atteignaient l’orgasme, ils ne seraient certainement pas guéris de la « pathologie du petit homme ».
 
 
 
 
Alain Cassiot, lecteur assidu de Reich et fin connaisseur de sa pensée a relu cette fiche de lecture et propose quelques précisions pour avancer dans l'étude de cet auteur.
"Le livre Écoute petit homme est une exception dans les publications réalisées par Wilhelm Reich. Il publie en principe seulement le résultat de ses travaux scientifiques, et plutôt 10 ans après les avoir réalisés pour plus de certitude grâce au recul. Alors qu'il s'agit là d'un cri de colère, initialement non destiné à la publication, puis publié quelques mois plus tard. C'est une colère envers ses compatriotes, d'Europe (1) puis d'Amérique qu'il rejoint en 1939, et dont il expose sans le moindre fard les attitudes anti-sociales et la dangerosité pour les scientifiques et les hommes soucieux comme lui du bonheur humain. Je ne pense donc pas qu'il s'agisse vraiment de "l’aboutissement d’une lutte intérieure d’un homme de science".

  
Vous avez justement remarqué le caractère iconoclaste de cette dénonciation : c'est l'homme moyen, "petit homme" ou "petite femme", qui est responsable des oppressions et massacres de masse, et non l'adversaire "capitaliste" lointain et théorique. W. Reich dresse ainsi un portrait très précis dans lequel chacun et chacune peut encore de nos jours se reconnaître, dans tout ou partie de son comportement habituel.
 
Pour ne pas commettre d'interprétation erronée il faut se replacer dans le contexte dans lequel ce petit texte vengeur a été écrit. S'il était coupé de l'œuvre de W. Reich, il serait effectivement aisé de croire avec vous que ce savant se trouvait dans un état d'incompréhension et de désespoir lors de sa rédaction en 1945.
Or les quelques allusions à ses raisons d'espérer (3) renvoient effectivement à ses travaux déjà réalisés, et dont il publiera plus tard les derniers avancements. Ils sont preuves à la fois de son optimisme et de sa croyance en l'humain. Une croyance qu'il appuie sur l'approfondissement radical des découvertes de Sigmund Freud, ce qui lui vaudra de perpétuelles tracasseries de la part de ses confrères en psychanalyse qui ont selon lui émasculé le caractère révolutionnaire des découvertes de Freud sur la libido et le refoulement. Il trouvera des confirmations sociétales de l'éclairage innovant qu'il donne sur le caractère humain (4) dans les travaux de l'ethnologue Malinovski dès 1930.
 
C'est pourquoi une lecture attentive d' "Écoute petit homme !" ne peut en aucun cas renvoyer au pessimisme que vous lui attribuez in fine quant à la nature de l'homme. Bien au contraire, W. Reich s'est fortement opposé, pour des raisons cliniques, au concept "d'instinct de mort", imposé selon lui à Freud par ses disciples (5). Un concept qui est, lui, profondément mortifère malgré son absence de réalité clinique, et rendu inutile par les explications que Reich donne des dysfonctionnements de l'être humain par rapport à sa nature qui apparaît foncièrement pro-sociale.
Donc toutes ses œuvres ne sont pas "largement inspirées de la doctrine freudienne", et elles ne portent pas seulement sur "la fonction sexuelle dans la psychanalyse".
 
En lisant d'autres publications signées de ce savant, vous verriez que la partie de son œuvre qu'il juge principale est hors du champ de la psychanalyse. Elle se trouve dans celui de la physique "de l'Orgone", nom qu'il donne à l'Énergie vitale désignée couramment dans les civilisations indiennes et asiatiques (comme le ki, le chi et le prana, elle n'est absolument pas "à base de radium et de plomb"). Cette œuvre lui a valu d'être pourchassé, déjà en tant que Juif par les nazis en 1933 comme vous le soulignez. Mais vous oubliez qu'il a subi aussi la vindicte continue des tenants de la Société Psychanalytique, qui craignaient que son engagement social ne ternisse l'image de la psychanalyse encore toute nouvelle, l'obligeant à courir de pays en pays jusqu'à son exil aux USA en 1939. Il a aussi été exclu en 1933 du parti communiste, qui redoutait son influence émancipatrice sur les enfants et les femmes de la classe ouvrière.
 
Je suis toutefois heureux que cette lecture vous ait permis de réfléchir "énormément" sur ce que l'homme est capable de faire, de néfaste en l'occurrence. Je vous invite maintenant à approfondir votre découverte des travaux de Wilhelm Reich hors de tout préjugé. Peut-être alors saurez-vous comment j'ai acquis la conviction qu'il existe une voie pour que les êtres humains puisse vivre ensemble et au sein de la nature dans une relation empreinte de respect et d'harmonie. Des raisons qui ont à voir avec l'émancipation de la jeunesse pour qu'elle sorte des sentiers délétères vers lesquels les conduit la méconnaissance générale des fondements du caractère humain et de ce qui l'enracine dans la nature (6). "
 
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(1) Beaucoup de personnages qu'il a côtoyés s'y retrouvent décrits sans concession, mais sous une forme impersonnelle. W. Reich règle visiblement ses comptes avec ceux et celles qui l'ont profondément déçu dans son entourage, y compris Freud que l'on reconnaît parmi d'autres personnages moins célèbres (Cf. page 124, dans "Écoute Petit Homme" de l'édition Petite Bibliothèque Payot).
(2) Par exemple, c'est suite à l'action d'une "petite femme" qu'une chaîne d'évènements judiciaires l'a conduit à trouver la mort le 3 novembre 1957 dans un pénitencier du Connecticut, deux jours avant sa libération. D'où le doute encore actuel sur les causes de sa mort, crise cardiaque ou assassinat en raison des enjeux économiques et militaires de ses découvertes (qui ne concernaient pas seulement le cancer). Il était poursuivi en fait pour non respect par l'un de ses patients d'une loi fédérale interdisant le transport entre États de ses "boîtes à Orgone". Un prétexte pour l'empêcher de continuer ses recherches. Éléments biographiques, parmi de nombreux autres ouvrages, dans le numéro 83 de la revue l'Arc (1982) consacré à Wilhelm Reich.
(3) Relire la fin de l'introduction (p. 13 op. cit.) et la métaphore de l'aigle p. 81, par exemple.
(4) Dans "l'Analyse Caractérielle" publiée en 1933, mais aussi dans des livres plus récents comme "La Fonction de l'Orgasme" publiée en 1940 pour la 1ère édition.
(5) Sur ses rapports personnels avec Freud, je conseille de lire son livre de dialogue fiction "Reich parle de Freud" paru en 1954, que je trouve très éclairant sur la distance théorique entre leurs travaux concernant la psyché humaine.
(6) Allez, un dernier livre pour parcourir cette route escarpée : "L'Éther, Dieu et le Diable" paru en 1949, et à lire après les précédents pour plus de clarté me semble-t-il.