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Stage de Rostrenen - Deux ans après

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En Août 2012, à Rostrenen, j’ai pris l’initiative d’interviewer plusieurs stagiaires enseignants sur leurs motivations à s’approprier et mettre en œuvre la Pédagogie Freinet, et pourquoi on ne les revoyait plus dans le mouvement ensuite? Cinq d’entre eux ont bien voulu alors répondre à mes questions, dont Chloé et Jérémie, que je viens d’avoir la chance de croiser à nouveau sur le même lieu et dans les mêmes circonstances. Que sont-ils devenus deux ans après ?

 

Chloé - 39 ans - prof des écoles S1- Rostrenen 23 août 2012-

« Jusqu’à l’heure actuelle, j’ai eu une vie précaire de militante faite de luttes différentes qui convergeaient vers une pensée anticapitaliste, libertaire, écologiste. C’est à travers le militantisme et les pédagogies alternatives que j’ai abordé l’éducation. Ce que j’ai vu et vécu de l’enseignement bridait les émotions et enfermait dans des normes.

J’ai vécu des expériences d’éducation populaire sur un mode mutuel, égalitaire.
Au moment où j’ai décidé de m’inscrire au concours, j’ai lu trois pages de Montessori et je me suis endormie. Par ailleurs, j’avais beaucoup entendu parler de Steiner par des babas cool que je fréquentais, mais j’ai senti que ce n’était pas pour moi, c’était trop ésotérique. Par contre, j’ai lu « l’Education du travail » et dès la préface j’ai compris que Freinet avait la vision socialiste d’après 1945, super optimiste sur l’arrivée d’un monde meilleur, mais aussi une vision émancipatrice. Je me suis dit que c’était vraiment ça que je voulais, car j’ai toujours eu une lecture politique du monde. Des rencontres humaines m’ont confortée dans cette direction.
Il n’y a que chez les instits Freinet que j’ai rencontré un véritable accueil et une envie de transmettre un métier, un savoir-faire et la liberté. Je sais que pendant les années de stage je ferai patte de velours, mais après, c’est vraiment cela que je veux faire.
Quand je vois ici des gens qui pratiquent depuis quinze ans et que cela devient fluide et simple, ça donne envie.
Pour moi, l’éducation c’est de la politique, c’est de la pratique concrète plus que des idées. »

 

Chloé 41 ans- quatre niveaux- CE1/CM2- 15 enfants- Rostrenen 21 août 2014-

 

Francine : « Depuis deux ans que nous nous sommes vues et entretenues, alors que tu étais sur le point de prendre une classe, que s’est-il passé pour toi, sachant ton passé de militante politique et ton envie d’émancipation, d’égalité, de fluidité pour les enfants dont tu allais prendre la charge ?

Chloé : « Depuis 2012, c’est le parcours du combattant. Pour l’institution et quelques parents, je ne suis pas assez formatée.
L’année scolaire 2012-2013 a été mon année de stage. J’ai fait exactement tout ce qu’on m’a dit de faire : fiches de prep... Je me suis rapidement sentie surmenée, fatiguée en permanence. Je travaillais beaucoup. Mon couple a explosé en fin d’année. A la rentrée 2013/2014, j’ai vécu un burn-out : je voulais faire de la Pédagogie Freinet mais ne la maîtrisais pas. De plus j’avais sans arrêt les parents et la hiérarchie sur le dos… Au bout de quatre mois, j’ai accepté de faire quelque chose de plus classique mais sans fiche de prep, avec quatre niveaux c’est impossible.
 J’ai même dû subir une réunion dans ma classe avec l’inspectrice, la psychologue, au motif que j’avais institué des séances de massage dans ma classe en début d’après-midi. Il s’agissait de techniques de relaxation où les enfants se massaient les uns les autres. J’avais cadré cette séance au maximum pour que tout le monde puisse se sentir en sécurité. En début d’année j’avais prévenu les parents, que je souhaitais redonner une place au corps à l’école. Suite à cette réunion, et une convocation à l’inspection, je me suis sentie accusée de pédophilie. Face à la difficulté à vivre cette situation une majorité de parents m’ont soutenue, sentant la bonne relation que j’entretenais avec les enfants. Ils ont écrit et se sont déplacés à l’inspection, d’abord spontanément et ensuite à ma demande… Leur intervention m’a permis de terminer l’année plus tranquillement. »
 

Francine : « Que viens-tu chercher dans un stage Freinet comme celui-ci ? »

Chloé : « Je me suis sentie en panne, chargée d’émotions négatives, même si j’ai réussi à maintenir quelques techniques Freinet tels que le QDN, le texte libre, un atelier mathématique, une correspondance, et un atelier philo. Venir ici, c’est me recharger en énergie, parler avec des instits qui veulent une autre méthode, qui ne souhaitent pas formater des petits soldats.
J’ai besoin de la créativité des autres après l’impression d’avoir rampé pendant deux ans. J’ai besoin de sentir la liberté des autres pour me l’autoriser pour moi-même. Je suis au GD 22, mais j’ai l’impression que les membres sont très inféodés à Rennes, et ça je ne veux pas. Ce qu’il faut faire, j’aime qu’on le découvre par nous-mêmes, sans avoir besoin d’aller le chercher ailleurs. Il y a deux copines qui viennent enseigner dans le 22, peut-être allons-nous pouvoir nous retrouver. Et puis, j’ai aussi besoin de militer sur la plan politique, pas uniquement sur le plan pédagogique. Quand on est en centre Bretagne, ce n’est pas facile.
Francine Tétu
 

 
« Quand j’ai été convoquée pour m’expliquer sur les pratiques de massage à l’école devant la psychologue scolaire, j’avais l’impression que le but de la réunion était de savoir si j’étais ou non une perverse. L’inspectrice m’a demandé si le fait que les enfants se touchent ainsi entre eux n’allait pas inciter à la violence sexuelle. J’ai répondu que pour moi, au contraire, apprendre le contact physique bienveillant me semblait un très bon préventif. Et que le massage était tabou dans la culture occidentale justement parce que la seule façon massivement représentée et pratiquée d’aller vers le corps de l’autre est la violence. Les enfants sont spontanément « agressifs » mais le plus souvent par jeu, parce qu’ils cherchent le contact avec le corps de l’autre, la rencontre. Si cette envie d’aller vers l’autre ne trouve pas d’autre modèle que la violence et/ou une sexualité de domination-soumission, elle ne deviendra rien d’autre. Le massage peut éduquer à la bienveillance envers le corps de l’autre et dès lors, à une vie sexuelle future égalitaire et joyeuse. Mais avec la menace permanente pour les enseignants d’être accusé de pédophilie, le corps et toutes les questions liées à la sexualité sont taboues, et c’est ainsi que nous restons des robots « sans contact »  éducateurs de robots « sans contact », prêts à soumettre leur corps à la violence du travail exploité, des machines, comme à celle d’une sexualité de domination. Encore aujourd’hui, revendiquer l’existence du corps à l’école et la nécessité d’en prendre soin autrement que par des activités sportives extrêmement codifiées reste très subversif et difficile à assumer face aux peurs et au rejet. Mes séances de relaxation m’ont été formellement interdites par la hiérarchie, et dans ma peine d’abandonner cette pratique que les enfants appréciaient beaucoup, je me suis réjouie d’avoir eu le temps de faire découvrir cette connaissance que j’avais, à une quinzaine d’enfants pendant quelques mois. »

 

Chloé