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PROJET de cahier de revendications pédagogiques de l’Ecole Moderne française

Février 1950

Le métier des travailleurs, quels qu’ils soient, est aujourd’hui tellement lié au sort même de la société que toute revendication est inopérante si elle ne déborde pas le cadre des seules exigences de salaires, d’avancement ou de retraite.

Les mineurs, dans leur Congrès, étudient les questions de modernisation des installations de sécurité et de rendement ; l'organisation complexe d’une grande entreprise comme l’Electricité de France, ne saurait être exclue des préoccupations majeures des travailleurs de l’électricité.

Et les maires de France, groupés dans leur association nationale, se réunissent annuellement pour étudier quels aménagements administratifs et techniques seraient susceptibles d’améliorer le rendement de leur gestion.

Nous disons de même, pour ce qui regarde les éducateurs, que, s’il est de première urgence de défendre hardiment la situation matérielle des maîtres, ce serait une erreur mortelle que de négliger la place que le métier tient forcément dans notre comportement et dans notre vie.

Nous avons trop agi jusqu’à ce jour comme une entreprise qui, à pied d'œuvre, se préoccupe bien du salaire et du logement des ouvriers, mais qui n’a pas prévu le détail des techniques et des outils par lesquels elle va aborder la réalisation de l’édifice envisagé. Pas de matériaux à pied d’œuvre, ou de mauvaise qualité, outils de travail rudimentaires et en quantité insuffisante, techniques retardataires ne correspondant ni aux formes actuelles de travail ni à la contexture des matériaux.

Résultat : les ouvriers se fatiguent dix fois plus pour un résultat insuffisant. C'est l’échec qui rejaillit naturellement sur la situation matérielle des ouvriers eux-mêmes. ,

Nos conditions de travail, la valeur des matériaux qu’on met à notre disposition, la modernisation des locaux et des techniques sont forcément conditions du succès de notre école. Et ce succès conditionne son tour notre situation administrative et sociale.

Si l’école remplissait mieux son éminente fonction, si elle avait une plus totale efficience, elle aurait, dans les préoccupations des parents, et donc des élus et des pouvoirs publics, une plus grande place. Et notre situation en serait améliorée.

Ces conditions de travail et cette efficience posent également d'une façon brutale la question si grave et si angoissante de la fatigue nerveuse des éducateurs et de leur santé. Si nous rendons le travail plus intéressant, nous réduisons la fatigue nerveuse ; si nous réduisons la part de la salive dans la fonction éducatrice, nous diminuons d’autant la fatigue exagérée de la gorge et des poumons.

Nous ne pensons pas que ce soient là considérations négligeables.

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Nous avons donc des revendications pédagogiques à formuler et que nous demanderons aux syndicats et aux diverses associations pédagogiques de défendre auprès du Parlement et des pouvoirs publics, après les avoir popularisées parmi les parents eux-mêmes.

Quelles sont ces revendications ? Quel en est l’ordre d’urgence ? Quelles sont les revendications lointaines comme une sorte d’idéal vers lequel nous devrons tendre, et celles au contraire dont nous devons et pouvons demander la réalisation immédiate selon les milieux.

Il appartiendra à notre Congrès de dresser avec précision ce cahier de revendications dont nous donnons ici une ébauche.

Nous laissons donc aux Syndicats le soin d’aborder les graves questions de traitement, de logement, d’avancement, de retraite dont nous n’avons nullement l’intention de minimiser l’importance mais que nous complétons, nous, par les revendications touchant plus directement à notre travail pédagogique scolaire et post-scolaire.  

Les éducateurs réunis au Congrès de l’Ecole Moderne Française présentent aux Syndicats à tous les degrés, et non seulement aux Syndicats de l’Enseignement mais aussi aux Syndicats ouvriers de tous ordres, aux parents d’élèves, aux élus du peuple, aux administrations et aux pouvoirs publics les revendications suivantes dont la satisfaction permettrait de faire de l’Ecole Française la grande entreprise rationnelle qui formerait en l'enfant l’homme, le citoyen et le travailleur de demain.

1° L'Ecole ne peut faire du travail efficient si les matériaux qu'on lui donne à travailler sont de qualité insuffisante.

Les conditions de logement des parents, donc des enfants, les soins physiologiques et d’hygiène, l’alimentation, l’habillement, le repos et le calme des enfants sont déterminants pour le succès de notre éducation.

Nous demandons que les pouvoirs publics et les administrations portent une attention croissante à ces considérations que nous ne pouvons que signaler, dont nous souffrons au premier chef, dont nous dénoncerons les dangers, mais qui nécessitent des solutions qui dépassent le cadre scolaire.

2° Une école efficiente suppose d'abord des locaux suffisants, adaptés aux besoins de notre travail.

Pour moderniser les magasins de vente, on a hardiment rasé des immeubles pour reconstruire des salles vastes avec rayonnages, tables, tapis roulant, ascenseur, larges baies vitrées, espaces libres favorables à l’exposition et à la vente des produits.

Nous demandons la même décision et la même hardiesse pour la modernisation primordiale des écoles.

Les salles de classes uniques, exiguës et uniformes, construites au début du siècle pour une pédagogie dépassée, doivent faire place à la conception classe atelier de travail, avec une salle commune et des ateliers annexes attenants à la classe et permettant l’activité multiple et complexe qu’exige la préparation des enfants à une vie multiple et complexe.

3° Le Congrès demande que soit mis à l'étude, par une commission tripartite : administration, parents d’élèves, personnel enseignant, un projet de plans types pour locaux scolaires 1950, qui serviront de bases pour les constructions nouvelles et pour les aménagements des locaux anciens à moderniser.

4° L'éducation des enfants et leur préparation pratique à la vie ne peuvent se faire sans l'adjonction à l'école d'un minimum indispensable d'espaces libres : cours de récréations, stades de culture physique, jardins et champs d’expérience,

5° Devront être notamment reconsidérés selon ces principes les grands groupes scolaires des villes dont l'organisation et la structure sont un obstacle à tout travail pédagogique et humain.

Il faudra prévoir un programme hardi : de modernisation de ces locaux, d’adjonction d’espaces libres et peut-être de transfert en banlieues de certains groupes trop congestionnés.

6° L'ameublement des locaux scolaires est également à reconsidérer.

Le Congrès demande :

Le remplacement des bancs-pupitres, symbole d’une pédagogie condamnée, par des tables de travail et un ameublement (rayonnages et fichiers) permettant les activités modernes.

Il demande que la Commission tripartite, constituée pour les locaux, établisse également des modèles de tables et des plans d’installation intérieure, dont devront être munies les constructions nouvelles et vers lesquelles s’orienteront les modernisations en cours.

7° C'est par le travail complexe que nous préparons les enfants à leur fonction complexe de travailleurs efficients. .

Pour travailler, il faut des outils.

Le Congrès demande que toute classe soit munie dans un délai le plus bref possible du matériel minimum, qu'il appartiendra â la commission de définir et de fixer :

— Tableaux noirs.

— Imprimerie à l’Ecole.

— Matériel de polygraphie.

— Outillage scientifique minimum.

— Bibliothèque de travail.

— Fichier scolaire coopératif.

— Appareil de projections.

— Disques ou Radio.

Des crédits correspondants devront être prévus sans retard.

8° Les élèves-maîtres devront être initiés dans les Ecoles Normales aux formes et aux techniques nouvelles de travail.

Des cours spéciaux et des stages seront organisés pour préparer les éducateurs à l’emploi des nouveaux outils pédagogiques.

9° Nous n'avons pas posé en tête de nos revendications celle des effectifs qui reste fonction de l’organisation matérielle et technique de la classe.

L’effectif d’une classe ne devra pas dépasser le nombre d’élèves qui peuvent y travailler normalement, compte tenu des aménagements ci-dessus.

10° Par le texte libre, les enquêtes, l'imprimerie à l'école, le journal scolaire et les échanges, les conférences d'enfants, l'école ira de plus en plus chercher dans la vie du milieu l'essentiel de ses enseignements.

Toutes dispositions législatives devront intervenir pour recommander et faciliter cette intégration.

11° Le Congrès demande que soient reconsidérés sur des bases mieux conformes aux exigences de la pédagogie, les examens aux divers degrés et qu’une réorganisation des services de l’Inspection scolaire permette aux Inspecteurs de mieux remplir leur rôle de conseillers et de guides techniques des instituteurs.

Les notes ci-dessus n’ont rien de complet ni de définitif. Elles constituent plutôt un schéma sur lequel les camarades peuvent dès maintenant discuter. Le Congrès de Nancy apportera les derniers aménagements à ces revendications que nous nous appliquerons ensuite à populariser.

Notre camarade Sénèze le disait fort bien à notre Congrès de Dijon, il y a deux ans : « Nous nous sommes trop contentés jusqu’à ce jour d’être les tâcherons qui exécutent servilement, dans n’importe quelles conditions, avec n’importe quels outils, les besognes dont on les charge, et qu’on accuse ensuite d’incompétence parce qu’ils n’ont pas réussi à la perfection le travail inhumain et irrationnel qu’on attend d’eux.

Nous serons désormais les techniciens de l’éducation, appliqués à améliorer sans cesse nos conditions de travail et le rendement des techniques dont nous poursuivons le perfectionnement. Mais nous exigerons aussi, non seulement des traitements de techniciens, mais des conditions de travail sans la réalisation desquelles nous déclinerons toute responsabilité.

Nous cesserons alors d’être les Aliborons, placés en tampon entre les exigences naturelles des parents et la ladrerie des pouvoirs publics.

Nous n’avons pas la candeur de penser qu’il suffit de formuler ces revendications pour espérer les voir aboutir. Si nous parvenons à en faire admettre le bien fondé, nous aurons contribué à éclairer, donc à faire avancer un des problèmes les plus urgents pour le triomphe de la démocratie.

Nous saurons alors prendre délibérément notre place dans le grand combat de la libération et de la paix.

C. FREINET.

Nous recevons de M. Cousinet, directeur de la revue L’Ecole Nouvelle Française, la mise en demeure suivante :

«r Le Mouvement de l’Ecole Nouvelle Française a été visé dans le n° de l’Educateur du 15 janvier 1950, où il est présenté comme un mouvement confessionnel.

« Nous protestons contre cette qualification. Il est impossible de relever dans toute la collection de la Revue de l’Ecole Nouvelle Française un seul article ayant une tendance confessionnelle.