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DITS DE MATHIEU - ôtez les épines

Juin 1949

L’été, dès que les labours étaient finis, je partais, matin et soir, garder nos deux bœufs et l’âne.

Tant que je pouvais choisir pour eux de plantureux pacages, je n’avais aucun souci. Ni surveillance, ni barrières. Les bêtes avaient là de quoi se satisfaire et pouvaient même, de temps en temps, pour manifester leur satisfaction, amorcer une gambade qui ne les éloignait jamais d’un milieu si favorable à leurs besoins.

J’avais le rôle rêvé. Et, au retour, on me sacrait bon berger parce que les bêtes avaient le ventre rebondi et qu’elles n’avaient pas fait de dommages.

Mais, dès que l’herbe se faisait rare, que toutes les touffes avaient été râpées et piétinées et que les recoins de murs n’avaient plus de secret, alors commençaient les tourments : arrivés à la barrière du pacage, mes bœufs partaient d’un trait dans une autre direction et j’avais peine à les conduire là où ils ne voulaient point aller. Ils y étaient enfin, mais c’était pour renifler avec envie la luzerne proche, et pour se sauver, dès que je tournais le dos, par dessus les barrières d’épines que j’avais accumulées pour fermer le passage.

Ou bien, s’ils ne parvenaient pas à s’enfuir, ils se battaient, au risque de dégringoler les murs, et la moindre mouche les mettait naseaux en l’air et queue en bataille...

Les garder, alors, n’était plus un métier ! Et on m’accusait naturellement, au retour, de n’avoir pas su les rassasier.

Vous vous trouvez, éducateurs, devant les mêmes problèmes que le petit berger que j’étais.

Si votre salle de classe n’est que ce champ maigre, bordé de barrières et d’épines, où vos enfants ne trouvent aucune des satisfactions élémentaires qu’exige leur vie d’enfants ; si les yeux cherchent, par-delà les fenêtres trop hautes, un coin de liberté et de rêve, si tous les bruits de l’extérieur sont comme de nostalgiques appels ; si les tables sont trop lisses, les livres racornis et desséchés, alors, pauvres maîtres en proie aux enfants, vous n’avez pas fini de vous démener, de surveiller, d’obliger et d’interdire, de crier et de punir. Et pour de décevants résultats !

Mais si vous savez faire de votre école le riche atelier complexe où chaque être trouve nourriture et travail à sa mesure, si vous savez faire pousser les touffes vivaces jamais épuisées, si vous rajeunissez les sentiers offerts à la découverte, alors vous pourrez ôter les épines des barrières et vous mêler à la vie calme et profonde de vos enfants.

La paix du bon berger illuminera vos soirs.