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DITS DE MATHIEU - l'ecole sera-t-elle temple ou chantier?

Novembre 1947

Ainsi pourrait se résumer la grande querelle pédagogique des Anciens et des Modernes.

Jusqu'à ce jour, l’Ecole a été Temple, et elle le reste là où l’enfant, après avoir accompli quelques gestes rituels, entre en classe sur la pointe des pieds pour y vivre une vie totalement différente de sa vie véritable, avec le respect religieux de la parole du maître et la soumission aux « Ecritures ».

Cette Ecole-Temple ne se préoccupe point de préparer l’enfant à la vie. Elle croirait déchoir. Son royaume n’est pas de ce monde ! « Ne vous inquiétez point pour votre vie, a dit le Christ, de ce que vous devez manger, ni pour votre corps de quoi vous vous vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêlement ?... Considérez les oiseaux du ciel... Regardez les lis des champs... Ils ne sèment ni ne moissonnent... »

Certes, l’Ecole laïque ne va point chercher dans les Evangiles la justification de ses méthodes pédagogiques ni sa conception de son rôle social. Mais elle porte encore, au plus profond d’elle-même, les stigmates de ses origines, sinon religieuses, du moins scolastiques et doctorales. Elle reste persuadée que la connaissance abstraite, ta culture intellectuelle, le culte des idées et des mots, sont le but véritable et définitif de toute éducation. Le temps n’est pas si loin où toute activité manuelle était jugée indigne de la majesté de l’Ecole et, malgré certaines nécessités économiques et sociales qui tendent à promouvoir les conquêtes du travail, la « culture » moderne reste encore mineure devant la suprématie du temple. Les familles elles-mêmes n’acceptent jamais que comme des pis-aller l’orientation technique d’enfants pour lesquels elles avaient rêvé du prestige des Humanités.

Nous ne disons pas que tout soit mauvais dans l’Ecole-Temple qui a marqué des générations d’intellectuels et de savants. Certaines natures spéculatives s’accommodent même fort bien d’une atmosphère austère et imposante qui exalte justement leur dangereuse tendance à s’abstraire de la vie en hypertrophiant l’intellectualisme et le rêve. Cette hypertrophie pouvait servir une culture de classe fondée sur le divorce entre la culture et le travail. Elle ne saurait animer ni préparer l’éducation moderne du peuple.

Mais, pour servir la vie, direz-vous, l’Ecole-Chantier ne trahira- t-elle pas la splendeur de la montée humaine vers les vrais sommets, de la pensée et de l’esprit ?

Nous en discuterons une autre fois.