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DITS DE MATHIEU - Gare au chant haschich !

Décembre 1947

Chaque siècle a sa spécialité de haschich, selon les besoins des profiteurs qui ont intérêt à endormir le peuple.

Dans mon jeune âge, on avait recours à la prière.

Oh ! les longues heures passées dans l’église à regarder vaciller les chandelles pendant que curé, bedeau et prieuresses psalmodiaient des litanies incompréhensibles ! Et ces soirs interminables de chemin de la croix où il fallait attendre que se débite, devant chaque station, le lot régulier de marmonnement !

Puis j’ai été soldat. Là, plus l’étape est dure, plus les godillots sont lourds sur le sac, plus le danger est grand, plus les chefs recommandent aux troupiers en marche de chanter. Ainsi, nul ne pense à son destin. La rengaine domine les soupirs des découragés ou les réflexions amères des philosophes. Et plus la chanson est bête, mieux elle remplit sa fonction.

Bientôt, si nous n’y prenons garde, on appliquera le même régime du chant haschich aux écoles, aux maisons d’enfants, aux colonies de vacances et aux mouvements de jeunesse. On ne se fatiguera plus à sonder la psychologie des enfants ni à mettre au point une saine pédagogie qui leur permette de satisfaire leurs besoins majeurs d’expression et de travail. Inutile désormais de réfléchir, au risque de discuter les ordres reçus, d’essayer de comprendre pour choisir et agir d’une façon autonome et originale. On chantera. Et plus la route est dure, plus le présent et l’avenir sont incertains, plus on chante. Et plus le chant est vulgaire, mieux est atteint le but de ce nouveau haschich : abêtir.

Ma mise en garde n’est point la critique, elle est la défense de la vraie prière — celle qui est humble communion spirituelle préconisée par les Evangiles — de la musique et du chant qui sont la communion supérieure par laquelle écrivains, poètes, musiciens et artistes nous offrent des ailes splendides pour monter vers les sommets.