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Une classe sans notes

Dans :  Techniques pédagogiques › 

Le texte est issu d'un entretien entre Hélène Pico et Lucie Chanu

 

Lucie : Dans ton collège la Principale te propose un projet de classe sans note, peux-tu nous en dire plus ?
Hélène : Elle a en effet répondu à une proposition institutionnelle d’une classe sans note pour la rentrée 2014. Elle m’a demandé d’en être le professeur principal et d’en assurer le pilotage car depuis 3 ans j’enseigne en pédagogie Freinet sans aucune note sans pour autant suivre le livret de compétence !

Lucie : Pourrais-tu nous expliquer ta vision d’une classe sans note et ensuite comment tu comptes faire avec cette proposition institutionnelle ?
Hélène : La note est un reflet très orienté d’un travail d’élève, elle ne représente pas toutes les qualités mises en œuvre. Dans la note n’intervient pas l’aptitude des élèves à participer au cours ni son engagement dans le travail, sa persévérance dans l’effort notamment, sa capacité à retravailler un devoir… Par ailleurs, la note crée, introduit en plus une hiérarchie qui favorise les favorisés.

Lucie : Cela permet-il de ne pas stigmatiser les élèves en difficulté ?
Hélène  : Oui car on leur reconnaît des compétences qui sont niées par ailleurs : la participation, l’esprit : coopératif, l’initiative, la créativité : un ensemble de savoir-faire et de savoir- être pour un travail donné.

 Lucie : Ne risque-t-on pas d’évaluer aussi leur personnalité ?
Hélène : Non, car on en reste aux travaux fournis en classe et non à leur personnalité dans leur intégralité. Il s’agit de compétences liées au fonctionnement de la classe. En même temps, savoir personnaliser sa lecture, sa production écrite est aussi une compétence qu’on évalue. En effet, savoir bien lire, savoir bien écrire, c’est investir personnellement sa lecture ou son écrit. Cette personnalisation demande d’ailleurs de passer par des connaissances extérieures : c’est quand on connaît une variété importante de courants littéraires que l’on ne se cantonne plus, par exemple, à une description pauvre reçue de l’enseignant.

Lucie : Donc la question de la personnalité est complexe dans le sens où on n’évalue pas leur personnalité mais on leur demande tout de même de personnaliser leurs apprentissages. Et quelle forme prennent tes évaluations ?
Hélène : Cette rosace provient du collège de Sainte-Maure où une équipe avait choisi des compétences communes à toutes les disciplines comme la créativité, la capacité à s’exprimer ou à travailler en groupe…
Les 4 cercles concentriques vont en partant du centre de : «  non satisfaisant » à « très satisfaisant ».

 
 
Lucie : Pourrais-tu maintenant nous parler du projet institutionnel ?
Hélène : Son but est de mettre en œuvre le livret de compétence pour évaluer le socle commun. Mais j’ai refusé d’emblée de participer à ce projet en suivant le livret de compétence et ma principale a accepté : elle soutient mes initiatives pédagogiques depuis le début. La classe sans note ne signifie pas évidemment que l’on réussisse à passer à une pédagogie Freinet.

Lucie : Comment l’équipe se met-elle en place ?
Hélène : C’est la principale qui va décider. Il faudra nécessairement qu’il y ait une coopération entre les professeurs pour établir des critères communs de compétences. Je vais proposer les critères que j’ai moi-même constitués mais il est difficile pour un professeur de changer sa pédagogie en commençant par les notes. Quand les profs commencent à changer leurs méthodes, ils ont tendance à vouloir des recettes car ils n’ont pas encore expérimenté ou mûri leurs pratiques. D’autres classes ont déjà tenté cette expérience et il faudra tenir compte des bilans qu’ils ont faits.

Lucie : Ce projet existe-t-il nationalement ?
Hélène : Oui il est lié à l’idée de socle commun et de livret de compétence qui se mettent en place depuis un moment. On part de cette idée assez juste selon laquelle on ne peut pas chiffrer des savoir-faire et des savoir-être et pourtant ceux-ci interviennent aussi dans l’apprentissage mais mettre une croix dans une case comme le propose le livret de compétence est très insuffisant. Si on veut évaluer par compétence il faut fabriquer des mots, une réflexion et donc avoir une optique pédagogique. L’idée de compétence suppose aussi de se concerter entre disciplines. Or cette concertation, cette cohésion de l’équipe est difficile à mettre en place dans une période où rien n’est prévu pour ça et que seul le bénévolat le permet.

Lucie : Quels bienfaits observes-tu de la disparition des notes ?
Hélène : Ce qui m’a beaucoup étonné c’est que dès que les notes disparaissent, elles disparaissent aussi dans la tête des élèves : ils n’en ont plus besoin, ils ne les demandent plus. Je ne m’attendais pas à ça. Ils ne comparent même plus avec les autres matières où ils ont encore des notes.
Ensuite l’effet essentiel est la détente dans la classe, il y a beaucoup moins de tension. C’est aussi facteur d’égalité car les distinctions qui s’opèrent, entre ceux qui participent et ceux qui ne le font pas, entre ceux qui coopèrent ou non, sont des distinctions qui peuvent changer facilement, contrairement aux notes qui évaluent bien davantage des capacités que tous les élèves n'ont pas à égalité. Ce ne sont plus les résultats ou les difficultés qui sont sanctionnés mais les manquements au règlement intérieur fixé de manière coopérative. Là où la note arrête le progrès, les élèves acceptent ici de continuer à travailler car ils ont la gratification de réussir dans leurs apprentissages. J’ai observé avec plaisir le ravissement des élèves lorsqu’ils apprennent, comprennent, progressent. La note était porteuse de blocages qui se délitent peu à peu. C’est le gai savoir.

Lucie : Penses-tu qu’à partir d’un projet sans note on puisse passer à un projet Freinet ? Ici il semble bien que la disparition des notes aille de paire avec un ensemble de valeurs liées à la méthode Freinet, non ?
Hélène : Si j’ai accepté le pilotage c’est justement à cause de ce vécu positif, c’est ce que je peux transmettre aux professeurs. Certains sont intéressés, ils sont parfois venus voir ce qui se passe dans mes classes mais ils ont toujours plein de bonnes raisons de ne pas s’y mettre.

Lucie : Quels sont les effets sur les élèves en difficultés ?
Hèlène : Ils sont moins stigmatisés car avec ce système ils ne peuvent pas se classer.
Lucie : Ils n’essaient pas tout de même de reproduire des hiérarchies ?
Hélène : Pas vraiment. Ils pourraient le faire puisque je colorie la partie acquise et non acquise mais ils ne hiérarchisent pas et je n’ai jamais eu de contestation.
Lucie : Est-ce que le risque n’est pas d’évaluer en permanence alors qu’on aurait peut-être surtout besoin d’arrêter ces évaluations perpétuelles ?
Hélène : C’est une question qui me turlupine et je lutte pour ne pas plaquer l’ancien système que j’ai encore en tête. Il faudrait ici un regard extérieur.
En sortant du système leçons/ contrôle, j’ai observé une forte détente . Pourtant j’ai remarqué, lorsqu'ils sont en contrôle, une surexcitation qui m’interroge : les enfants sont certes tendus mais ils ont des montées d’adrénaline qui les poussent aussi à se dépasser. Il y a là un plaisir qu’il ne faut pas nier, c’est le plaisir du challenge, du défi ou de la compétition. Je constate d'autre part que lors du rallye latin les élèves sont en concurrence mais tout reste ludique.
Lucie : Tout esprit de compétition n’est pas nocif, il l’est lorsque ce sont toujours les mêmes qui perdent. Il faudrait s’interroger sur la compétition et l’apprentissage. La concurrence semble nocive mais est-ce le cas de toute compétition ? Il existe par exemple les défis mathématiques dans la méthode Freinet.

Hélène : Je vais creuser le sujet. Ce qui me plaît aussi c’est la complicité qui se crée plus facilement avec le professeur car on a plus de temps pour chacun. C’est aussi une relation affective et ils ont plaisir à réussir pour le professeur.

Lucie : Si tu avais un bilan à faire de ces années sans note ?
Hélène : J'inscris souvent mes impressions sur de petits bouts de papier, que je reprends ensuite : pour l'instant c'est mon seul bilan. Ce qui est sûr c’est que je ne peux pas revenir en arrière ni sur les notes ni dans la méthode Freinet. J’ai expérimenté plusieurs changements dans ma carrière et je suis heureuse d’avoir franchi ce cap, même si je me sens encore très loin de l’application de la méthode Freinet comme elle est décrite : la correspondance, le texte libre restent en chantier…