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Décembre 1934

Une magistrale réfutation

 
Mon cher Freinet,
 
Il m'est parfois arrivé, au cours de conversations avec des collègues auxquels je vantais l'Imprimerie à l'Ecole, de m'entendre dire : « Vous avez en somme imposé un travail supplémentaire à vos élèves : ils ont l'air de l'accomplir de bonne grâce, mais n'est-ce point pour vous faire plaisir ? Et, si vous quittiez Nouans, ils seraient peut-être contents d'en être débarrassés... » Sur le premier point, je répondais que l'Imprimerie n'était pas un travail supplémentaire, mais une autre façon de travailler. Quant au deuxième point, sait-on jamais !... La plupart du temps, mes élèves de Nouans imprimaient avec enthousiasme, mais il y avait bien des périodes de relâche. Aucune relâche, certes, dans le plaisir d'écrire (les textes m'arrivaient toujours aussi abondants et aussi copieux), mais du laisser-aller dans le travail d'impression, dans le reclassement des caractères, dans l'entretien du matériel. Et parfois, je me demandais avec angoisse si, moi parti, on ne laisserait pas de côté l'imprimerie avec le plus grand des plaisirs... Je sais bien que les plus jeunes élèves (ceux qui, chaque année, arrivaient de la 2e classe) adoraient l'imprimerie, qu'ils y sacrifiaient au besoin leurs récréation, qu'ils arrivaient le matin dès 7 h. 30 pour pouvoir faire une ligne supplémentaire. Mais l'année suivante, ils étaient déjà moins enthousiastes et l'année du C.E.P. ils se débrouillaient pour esquiver leur ligne une fois sur deux. Alors ?
 
Eh bien ! j'ai reçu à Amboise la lettre ci-dessous, qui émane d'un de mes anciens élèves de Nouans (12 ans), et qui n'a certainement été inspirée, par personne :
« Nouans, le 4 novembre 1934.
« Cher maître,
 
« J'ai été bien content d'apprendre mon abonnement à la « Gerbe » en récompense de mes deux cahiers de textes libres envoyés à M. Freinet. Aussi je ne saurai pas comment vous remercier de tout le mal que vous vous êtes donné pour moi et pour nous tous. Je regrette beaucoup votre départ et je pense souvent à notre imprimerie, à nos fêtes d'hiver et aussi à notre voyage à Royan. Nous aurions bien voulu que vous auriez (sic) encore resté à Nouans. Mes parents vous adressent leurs sentiments dévoués. J'envoie à Mme Davau mes bons souvenirs. A Michel et à Claude aussi, Et pour vous mes sincères remerciements et mes plus vifs regrets.
 
« André Couturier.
 
« P.S. - Le nouveau maître a longtemps regardé nos échos de « La Ruche ». Et il nous a dit hier qu'on referait peut-être de l'imprimerie bientôt. Ça fait qu'on est un peu plus content aujourd'hui. Si on imprime, on vous enverra nos journaux. »
 
Le nouveau maître en question (mon successeur) m'a dit en effet que les enfants semblaient navrés de ne plus imprimer. Cela me réjouit, et ne vous laissera certainement pas indifférent. C'est pourquoi j'ai pris la peine de vous signaler le fait.
 
Bien fraternellement.             DAVAU.