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logo blog Pourquoi défendre la pédagogie nouvelle prolétarienne, 25 février 1935

Une certitude pour Freinet, l'école  ne pourra changer qu'avec le soutien des parents prolétariens. Il est donc essentiel de leur ouvrir les yeux, d'expliquer les rouages de l'école capitaliste afin d'agir dès maintenant sans attendre le grand soir pour ne pas laisser les enfants la subir au quotidien.

Il fera plusieurs appels au parents prolétariens.

« Camarades ouvriers et paysans, on vous demande souvent de défendre l'Ecole.

Mais quelle école ?

Celle que les meilleurs d'entre nous accusent de servir hypocritement le régime d'exploitation contre lequel vous vous dressez, celle qui ne serait qu'un rouage de la grande machine d'asservissement capitaliste ?

Et quelles raisons avez-vous alors de défendre cette école ?

La condamner en bloc et irrévocablement pour attendre patiemment la révolution et, pendant ce temps, laisser les jeunes générations entre les griffes tenaces de la réaction ?

Agir dès maintenant, mais en quel sens ?

Nous sommes en France de nombreux éducateurs d’avant-garde qui essayons de tirer du présent le maximum d'avantages pour le progrès socialiste, qui jetons, au sein même de cette école capitaliste dont nous dénonçons obstinément les tares, les fondements inébranlables de votre école prolétarienne.

On m'a demandé instamment de préciser ici, d'une part, les griefs que nous faisons à l'école capitaliste ; de montrer, d'autre part, dans quelle mesure et comment nous pouvons, dès aujourd'hui, oeuvrer modestement mais hardiment dans le sens du progrès et de l'avenir.

Dans aucune branche d'activité humaine, la domination capitaliste n'est aussi bien camouflée que dans l'asservissement de tout le processus scolaire. A tel point que de nombreux éducateurs, militants clairvoyants et dévoués de la classe ouvrière, continuent servilement à l’école une besogne obscurantiste dont ils ne comprennent point encore les dangers. Et c'est cet aveuglement quasi général qui complique étrangement notre tâche.

Ah ! certes, tant d'hommes éminents ont élaboré les idées qu’on nous inculque à l’école ; tant de penseurs, tant de philosophes renommés ont écrit les livres précieux qu’on nous impose, tant de vénérables législateurs ont fixé les cadres dans lesquels doivent évoluer les universels principes éducatifs !

Et nous sommes quasi seuls à opposer un clair bon sens aux grands mots de la scolastique, à ses formules débordantes d’idéalisme et de spiritualité. L'instituteur, le professeur, élevés dans le culte et l'admiration de cette culture, en restent éblouis et déformés. Le pauvre travailleur lui-même, ancre à la terre et au labeur par sa condition et sa destinée, et qui ne peut s’élever à cette hauteur de pensée formelle, éprouve une sorte de béate et traditionnelle vénération devant les grands hommes Pères de ces grands principes. On a changé nos dieux, pense-t-il. Et il redoute, et il adore, et il courbe la tête. Les Intellectuels satisfaits gonflent leur orgueil et, derrière la coulisse, le capitaliste sourit de la candeur des uns, de la présomptueuse suffisance des autres, et renforce d'autant son exploitation.

N’en déplaise à tous les philosophes et à tous les théoriciens, grands ou petits, nous ne les suivrons pas dans leurs spéculations. Nous ramènerons le problème sur le terrain du bon sens et de la raison matérialiste ; nous tâcherons surtout de voir clairement les voies futures où pourront s'engager les activités prolétariennes. »

Célestin Freinet

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