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logo blog Notre position en face de la religion en général et du catholicisme en particulier, janvier 1936

Une position, notamment de compréhension pour certaines individualités « sincères et dévouées » que le mouvement rencontre sur son chemin.


Notre position en face de la religion en général et du catholicisme en particulier

 Nous sommes une des rares revues d’avant-garde qui aient suivi, et d’assez près, ces années-ci, le mouvement de pédagogie et d’action sociale du catholicisme.
Notre but n’a pas été seulement de dénoncer cette action mais d’en tirer un enseignement pour notre propre comportement dans notre œuvre de vulgarisation. Nous avons voulu faire besogne équitable, solide et profonde, non pas pour nous en tenir à la surface mais étudier attentivement cette merveilleuse adaptation de sa propagande que l’Église a su faire, au jour le jour ; par quels actes, par quels procédés, elle attire à elle, malgré nous, des masses considérables d’hommes, de femmes et d’enfants ; par quel filet d’entreprises sociales la religion peut rester dans la société actuelle en apparence « déchristianisée », une des plus redoutables forces de réaction.
Notre critique et notre effort dans ce domaine n’ont pas été ce que nous aurions désiré, mais nous avons du moins lu, pour en rendre compte dans cette revue, quelques-uns des livres les plus suggestifs du mouvement pédagogique et social religieux. Nous ne sous-estimons ni l’importance des boys-scouts catholiques et protestants, ni l’effort que fait Marie Fargues par exemple, depuis une dizaine d’années pour moderniser l’enseignement religieux et mettre nos techniques modernes de libération enfantine au service de ceux que nous persistons à considérer comme les plus dangereux bourreurs de crânes. En face de la propagande si souple et si soucieuse des faiblesses humaines, en face de l’organisation systématique de la charité capitaliste chrétienne, nous avons essayé de voir clair pour y parvenir.
Nous ne pratiquons plus cet anticléricalisme des « mangeurs de curés » du début du siècle. Nous reconnaissons et nous ne craignons pas de le dire, qu’il y a parmi les propagandistes de la Foi chrétienne, des personnalités totalement sincères et dévouées à leur idéal, et nous leur rendons hommage toutes les fois que nous rencontrons ces « hommes » sur notre chemin.
Mais nous n’oublions jamais, par contre, que ces hommes eux-mêmes ne sont que des rouages de la machine religieuse au service du capitalisme et que cette machine reste, de ce fait, notre ennemie permanente.
Cette position de compréhension, vis-à-vis des hommes et de claire et définitive opposition en face du cléricalisme nous a valu à diverses reprises des témoignages réciproques de catholiques influents.
Lors de notre affaire de St Paul déjà un Professeur des Universités catholiques de Lille nous adressait spontanément un télégramme d’enthousiaste sympathie.
Ce télégramme, détourné(e) en cours de transmission, paraissait aussitôt dans la presse royaliste qui opérait une sorte de chantage dont l’auteur devait être la victime.
Parmi d’autres témoignages, nous donnerons notamment de larges extraits de lettres reçues d’un Directeur d’une grande école religieuse que nous nous abstiendrons de nommer, afin d’éviter les représailles possibles contre les rares hommes qui pensent librement. Les conclusions que nous en tirerons nous situeront parfaitement en face de l’action religieuse contemporaine.
« J’ai lu avec un grand intérêt l’Éducateur Prolétarien que vous avez eu l’amabilité de joindre à l’envoi.
Nous devons faire un effort sérieux et sans arrière-pensée pour nous comprendre, pour pénétrer nos mystiques différentes. Il me semble que j’ai fait cet effort consciencieusement avec vous. Certaines remarques de vos articles m’ont paru justes. Permettez-moi de vous apporter, comme elles me sont venues, celles que j’ai faites et sur lesquelles je crois ne devoir pas être d’accord avec vous. La recherche de la vérité est un travail collectif et continu. St Augustin avait dit autrefois : « Cherchez comme quelqu’un qui doit trouver, et trouvez comme quelqu’un qui doit trouver encore ». Spinoza disait : « Ne pas s’irriter, ne pas admirer, mais comprendre ». Voulez-vous qu’on mette ces diverses paroles en pratique ?
J’ai lu très attentivement vos recensions de livres ; il m’a semblé que vous n’avez pas bien saisi certains aspects du catholicisme. Combattez le cléricalisme qui est une soumission, un asservissement de la religion aux fins utilitaires d’une classe ou d’une caste ; les vrais catholiques les combattront autant que vous ; ils en souffrent comme le Christ a souffert des Pharisiens. (C’est nous qui soulignons. CF.).
Dans votre compte-rendu de l’abbé Teberghien, vous l’accusez de torturer les mots et les textes. Certes, je reconnais que nous pouvons comprendre de travers des textes et des mots… mais nous avons cette même impression qu’on torture nos mots et nos textes quand des adversaires de bonne foi ne nous comprennent pas.
Dans le même compte-rendu vous accusez certains catholiques de se faire de Dieu une idée mesquinement rétrécie… Je ne vous trouverai pas tort là-dessus… C’est un catholique qui a dit que « Dieu a créé l’homme à son image et que… les hommes le lui ont bien rendu ». Mais ne confondez pas catholiques et catholicisme. L’idée de Dieu telle que la donne notre grand philosophe St Thomas, voilà ce qu’est le catholicisme, ou telle que la donne l’évangile de St Jean disant : « Dieu est amour, Dieu veut le salut de tous les hommes ; seuls ceux qui refusent de suivre les appels de leur conscience ne seront pas sauvés ».
…Il me semble que vous saisissez mal la vraie doctrine de l’Église catholique. C’est d’ailleurs normal quand on ne la connaît que du dehors, quand on la considère de loin et qu’on y découvre si souvent des hommes qui se croient catholiques ou qui cherchent à se servir de l’Église. Il faut éviter de juger d’après ces pauvres gens : on ne les exclut pas, car on garde toujours l’espoir de les améliorer mais évidemment, ce ne sont pas eux qui, dans leurs livres, expriment la doctrine ou incarnent l’esprit chrétien dans leur vie.
Autre réflexion, toujours à propos d’analyses d’ouvrages : Ne cherchez pas, je vous prie, la doctrine de l’Église sur la guerre et les rapports internationaux dans les journaux dits « de droite »… Dans une exposition internationale de la presse catholique au Vatican, on n’a retenu en France que deux journaux de Paris et publiés pour la France entière : La Croix et l’Aube.
Quand le Pape condamne la guerre (« toutes les guerres », comme vient de le préciser encore tout récemment le journal officiel l’Osservatore Romano) en raison de l’existence actuelle de moyens nouveaux et légaux pour régler les conflits, il est évident que d’une part, les journaux payés et soutenus par les marchands de canons, les agences capitalistes, déforment ou passent sous silence ces déclarations qui leur déplaisent. En face d’eux, les journaux dits « de gauche », inspirés par des préjugés d’ordre métaphysique et antireligieux, imitent les journaux capitalistes dans la déformation de la vérité et des faits…
Encore une fois, croyez, Monsieur, qu’à côté de ces critiques, j’admire votre œuvre. Je Ne vous critiquerais pas si je ne vous admirais pas et ne vous estimais pas, ou du moins, je ne vous écrirais pas si longuement. »
Nous ne pourrions mieux dire, nous ne saurions plus justement stigmatiser cette masse de catholiques sans doctrine qui se servent de l’Église . Et si des âmes doivent être sauvées, nous sommes donc tranquilles, car nous n’avons jamais refusé de suivre les appels de notre conscience.
C’est à bon droit donc, que nous considérons comme des ennemis de la vérité et du bien social la masse conformiste des cléricaux pour qui sembleraient bien impies les assertions de notre correspondant, anticlérical comme nous.
Et pourtant l’expérience nous a appris à ne nous faire aucune illusion sur ces chrétiens 100 % qui stigmatisent, dans le privé, les marchands du Temple qui déconsidèrent la religion. Nous jugeons leurs déclarations pour ce qu’elles sont : des positions idéalistes et verbales, des jeux d’esprit, des jeux de mots dans lesquels les Jésuites sont, depuis longtemps passés maîtres. Mais ces convictions ne supportent que très accidentellement l’épreuve du grand jour et de l’opposition effective, dans l’action, aux pratiques condamnées.
Nous avons eu, au cours de notre affaire de St Paul, l’expérience d’un juif converti au catholicisme et qui fait aujourd’hui métier d’écrire des livres à la gloire de sa nouvelle religion. Dans le privé, en tête à tête, il nous tenait exactement les mêmes propos que notre correspondant. À l’entendre, il était encore plus révolutionnaire que nous et le gros curé qui prostitue à l’église de St Paul sa vierge noire n’avait pas de pire ennemi.
Mais le dimanche venu, ce grand écrivain - René Schwob pour parler clairement - allait s’incliner devant ce même curé et écouter béatement les balivernes dont il émaille ses sermons.
Mieux, quand un groupe d’écrivains de passage - dont Lucien Jacques et André Viollis - ont pris l’initiative d’une déclaration publique pour ma défense, le catholique révolutionnaire s’est piteusement dégonflé : il a préféré servir les marchands du Temple que les faiseurs de vérité.
Si notre correspondant était placé dans la même alternative : condamner publiquement les mauvais catholiques pour servir la vérité, - servirait-il la vérité ou s’inclinerait-il ?
L’expérience nous a prouvé qu’il s’inclinerait et c’est pourquoi nous ne prenons les déclarations du genre de celles que nous venons de donner que comme des sursauts de consciences angoissées qui voudraient bien ne pas pactiser avec le mal et qui, à défaut de courage suffisant pour conformer leur actes à leurs convictions tiennent à jeter quelques bravos discrets à ceux qui, logiques avec eux-mêmes, disent tout haut ce qu’ils pensent bien bas.
Et qu’on ne vienne point comparer cette position du chrétien dans l’Église à celle du communiste qui, lui aussi, serait asservi à une certaine orthodoxie. Il y a du moins cette différence primordiale que les communistes jettent hors de leurs rangs ceux qui, au lieu de servir le peuple, se servent du peuple et de leur parti. Dans l’Église, ce sont les trafiquants d’idéal, mar(r)ionnettes dont le capitalisme tire les ficelles, qui se servent de faux idéalistes qui prétendent penser révolutionnairement mais qui, en aucun cas, ne savent réagir révolutionnairement.

***


La question n’est pas ici de savoir si Dieu existe, si la science le révèle ou le nie . Car ce Dieu alors n’a rien de commun avec le Dieu que l’Église exploite et impose à la masse des asservis.
Le Dieu des idéalistes n’a rien de contre-révolutionnaire et il s’identifierait assez bien avec notre conscience de l’immensité de la nature et de l’infini dont nous sommes des éléments.
Mais le Dieu des curés, le Dieu des Papes, le Dieu au nom de qui les peuples se déchirent, le Dieu dont le capitalisme fait un utile paravent, ce Dieu que les véritables chrétiens ne reconnaissent plus comme leur Dieu, comment ne les considérerions-nous pas comme le pire ennemi de la vérité et du progrès ?
Et ces quelques réflexions nous poussent à dire à nos camarades : qu’elle soit avouée ou tacite, la collusion de toutes les forces de réaction est certaine. Notre correspondant chrétien lui-même assure que capitalisme et cléricalisme poursuivent la même action d’asservissement du peuple. Il nous faut lutter sans cesse contre le cléricalisme soutien permanent du capitalisme. Mais, dans cette lutte, évitons l’influence amollissante des croyants sincères qui voient cette collusion mais prêchent du moins, en faveur du catholicisme, les circonstances atténuantes. Le bloc religieux est plus compact que nous ne croyons et ses éléments avancés, si près qu’ils soient de notre idéal, se replient toujours, en fin de compte, sur le corps puissant de l’Église qui reste notre grande ennemie.
La religion est une maladie qui affecte les faibles : ceux qui, vaincus provisoirement, ont besoin d’un illusoire appui - et ceux aussi qui, idéalement conscients, manquent du ressort nécessaire pour regarder la vie en face, sans le secours d’une mystique.
La société socialiste de demain, l’organisation collective qui rendra impossible l’exploitation de l’homme par l’homme, la possibilité infinie de développement qui s’offre aux yeux des hommes libérés donnent aux individus d’autres raisons de vivre et de lutter. Dégagé de la religion, opium du pays, l’homme pourra alors, s’il le désire, évoquer un Dieu splendide et infini, à la mesure de ses rêves et de ses conquêtes, un Dieu qui sera l’aboutissement des efforts de tous les chercheurs courageux, de tous les ouvriers de justice et de vérité, de tous les ennemis déclarés d’un cléricalisme soutien et instrument du capitalisme national et international.

Célestin Freinet

L’Éducateur Prolétarien, n° 7, 10 janvier 1936 dans son intégralité.

texte de freinet

Je reconnais la pensée de freinet de cette époque.Je ne sais pas s'il a souvent évoqué ce problème après.Que dirait-il du tapage religieux médiatique actuel? Pourquoi chaque religion veut avoir son école pour les jeunesenfants et payée pat l'Etat,quand je vois la décadence de l'école publique?Merci pour l'initiative de ces publication.
andre.maurice2[arobase]libertysurf.fr