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Réalisation d'un roman-photo en 4°

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Décembre 1976

 

RÉALISATION D'UN ROMAN PHOTO EN 4e

 MICHÈLE : Une classe de 4e de 24 élèves, la "mauvaise classe" type dont tous les professeurs se plaignent : élèves faibles agités ou amorphes, profondément dégoûtés pour la plupart du système scolaire.

 

 

Une première tentative de travail commun français-dessin, au premier trimestre, c'est un demi-échec (imaginer la vie en l'an 3 000, textes et croquis).

 Fin novembre, je tente une nouvelle fois d'engager le dialogue avec la classe ; "On s'emm... ils s'emm... moi aussi, ça ne peut pas durer... qu'est-ce qu'on pourrait bien faire ?..." Silence... un des élèves avait vu l'année d'avant un montage audiovisuel réalisé par des 5e avec Jeanine : "On pourrait peut-être faire un montage ? " Réaction des autres : "Ouais... on l'a vu aussi ce montage. C'était bébé".

 

Je propose : "Alors peut-être un roman-photo ? "

 Dieu sait pourquoi, le mot roman-photo fait tilt ! Une petite étincelle jaillit enfin dans la classe : tous d'un seul coup ont des idées, des propositions à faire. Pour la première fois depuis deux mois ; on s'ennuie nettement moins (réflexion faite, ils ont dû s'emballer sur le mot "roman-photo" car beaucoup en lisent ; surtout les filles, et ça a une couleur moins scolaire que le mot "montage audiovisuel").

 

En dessin, avec Jeanine, le projet s'élabore : les photos seront développées à la M.J.C.

 En français commence le travail d'élaboration du scénario ; une première idée a immédiatement fait l'unanimité : il s'agira de l'enlèvement d'une élève par des "bandits", pendant un cours...

 

Les élèves répartis par groupes doivent bâtir les grandes lignes du scénario. Déception lorsque ces avant-projets me reviennent : aucune imagination, aucun humour ; aucun des groupes ne s'est écarté des clichés : "enlèvement-rançon-vague enquête policière" ; la plupart ont même été incapables de bâtir une intrigue policière à peu près cohérente. Je refuse ces avant-projets, j'exige (ah ! que c'est beau la non-directivité !), qu'ils fassent un effort d'imagination, que le motif de l'enlèvement soit autre chose qu'une demande de rançon, qu'iis construisent une véritable enquête policière (indices... fausses pistes... bonne piste... dénouement...) ; les groupes se remettent au travail avec une mauvaise humeur évidente, en maugréant ; "Ah ! ben, c'est fatigant ! Ben pourquoi pas une rançon ? À la télé c'est toujours une rançon d'abord..."

 J'ai la sensation physiquement de me battre avec la classe, et, sans Jeanine, j'aurais sûrement abandonné... Enfin, la semaine suivante, une petite phrase que j'attrape au vol dans un groupe de garçons, et que je renvoie à la classe débloque la situation : "Ça pourrait se passer à Prenois (circuit de voitures de courses à cinq, six kilomètres de Dijon..,).,, les kidnappeurs pourraient être des pilotes ou des mécaniciens... ils voudraient en échange de la fille kidnappée, les plans d'un moteur... ça serait un moteur révolutionnaire qui ne consommerait qu'un litre aux 100 km... ça serait le père de la fille qui aurait inventé le moteur,.," Les grandes lignes sont trouvées, mais il faudra encore une heure ou deux de travail pour construire l'intrigue policière.

 C'est un scénario très pauvre bourré de clichés, mais il me semble tout de même qu'avec le thème "Prenois-pilote de course-moteur révolutionnaire" il y a un petit effort d'imagination par rapport au schéma initial : "kidnapping- bandits classiques-demande de rançon-parents éplorés".

 

JEANINE : Alors que le texte s'élabore lentement en français, de mon côté, en dessin et travaux manuels, j'essaie de faire un sondage pour connaître ceux qui seront intéressés par le développement des photos en noir et blanc (ceci après une explication rapide de la technique) : 24 sur 24 intéressés !

 Je ne m'attendais pas à tant. Tant mieux... Mais cela va poser de sérieux problèmes d'organisation ! Nous sommes à la veille des vacances de Noël.

 J'ai quelques éléments avec lesquels je vais devoir élaborer une organisation :

 - tout d'abord il faut grouper deux heures pour se rendre à la M.J.C. afin de développer ces photos.

    - à la M.J.C., il y a trois laboratoires de photos.

    - certains élèves sont disponibles le mardi de 2 à 4 h ; d'autres le mercredi matin et le reste le vendredi soir.

    - deux ou trois élèves savent se débrouiller en photos.

 Successivement je vais trouver la Directrice qui me donne sans difficulté son accord : mes deux heures de cours que j'avais au C.E.S. avec cette classe seront supprimées et reportées à la M.J.C, La coopérative du C.E.S. paiera les frais de produits (il me reste du papier de l'année précédente).

 

Puis je vais trouver Gaby, le directeur de la M.J.C., avec qui j'élabore un plan de travail :

 - il y aura trois séances dans la semaine {de photos)

 * une le mardi de 2 à 4 h, avec Gaby et moi.

 * une le mercredi de 9 à 11 h avec Gaby (j'irai tous les 15 jours),

  * une le vendredi de 5 à 7 h avec moi.

 - à chaque séance il faudra que les élèves se répartissent dans les trois labos.

    - comme il serait utile que davantage d'élèves sachent se débrouiller seuls dès le départ, Gaby suggère de proposer à ceux qui seraient intéressés, d'aller suivre "une formation accélérée" les lundis soirs de 7 à 9 h au club photo de ta M.J.C. (quatre ou cinq iront quelques lundis).

 

MICHÈLE : Les premières prises de vue ont été réalisées en classe, pendant une heure de français avec l'aide de Gaby.

 Auparavant le scénario avait été découpé en six séquences : un "script" des prises de vue à réaliser avait été établi pour chaque séquence. Les photos ont été prises dans une salle de classe, dans les sous-sols du collège, chez le concierge, à la bibliothèque... Un collègue de gymnastique a été contacté par les élèves pour tenir le rôle du père de l'élève kidnappée. Les "extérieurs" ont été "tournés" un samedi après-midi avec quelques élèves, dans la Z.U.P. et sur le circuit de Prenois.

 Par chance tout cela s'est déroulé sans trop de difficultés.

 JEANINE : Les prises de vue commencent. Il nous faut fixer une date pour le développement, sans oublier quelques impératifs indispensables, mais agaçants :

 - note destinée aux parents, les avertissant de changements d'horaires et de lieu des cours de dessin ; ceci pour un nombre indéterminé de semaines.

    - note à la directrice l'informant du début de nos travaux à la M.J.C.

    - note à la conseillère d'éducation, la mettant au courant de nos projets...

 Le développement des films et les tirages sur papier vont durer quatre semaines.

 Chaque groupe va commencer à travailler seul dès la deuxième semaine.

 C'est l'enthousiasme ! Certains viendront à tous les cours. C'est ainsi qu'on va souvent se retrouver au coude à coude dans les labos. Heureusement qu'il y aura un va-et-vient constant entre le ping-pong, les jeux d'échecs... et les photos.

 Pendant quatre semaines l! va s'établir une ambiance très sympathique et je vais alors communiquer avec eux bien plus rapidement que je l'ai fait durant le premier trimestre au C.E.S.

 Dès la fin de nos travaux à la M.J.C., il me faut à nouveau faire prévenir les parents, la directrice ; la conseillère d'éducation, de notre reprise des cours au C.E.S.

 La mise en page du roman-photo va être plus laborieuse que le développement et le tirage :

 Pourquoi se creuser la tête et trouver une présentation originale et intéressante ?

 Michèle et moi, allons encore lutter pendant plusieurs cours, discutant avec chaque groupe de travail, essayant de réveiller ou de faire naître quelques idées,..

 Bref nous étions vidées à chaque séance.

 Heureusement la présentation ne fut pas si banale et si pauvre qu'on le craignait.

 

MICHÈLE : Les dialogues et textes de liaison furent au fur et à mesure qu'ils étaient rédigés, tapés à la machine par deux filles à la bibliothèque ; le roman-photo enfin terminé fut exposé à la bibliothèque où la directrice le vit un beau jour. Sa réaction nous irrita quelque peu Jeanine et moi :

 "Platitude navrante - bourré de clichés - aucune invention, aucun humour - platitude et vulgarité du langage..."

 Tout cela était d'ailleurs vrai, mais ce qui ne l'est pas du tout, c'est la suite : "il y a juste un travail de photo, il n'y a pas de travail de français".

 Alors là ! Faut-il obtenir un résultat génial pour que ce soit considéré comme un vrai travail de français ? Il me semble que pour beaucoup (et peut-être même à l'I.C.E.M....) ce soit une obligation d'obtenir des travaux originaux, passionnants... Est-ce que quelqu'un a quelquefois dit à un professeur traditionnel qui dans sa classe n’obtient que des réactions plates et pauvres :

 "C'est pas du travail de français ? "

 La sacro-sainte rédaction, même mauvaise, reste du travail sérieux ! Tandis qu'un roman-photo médiocre, ça n'est plus du français : ce genre de réalisation ne se justifie que si on obtient des résultats brillants !

 JEANINE : Celte réflexion de la directrice a été faite peu de temps avant le conseil de classe de fin de trimestre où elle a assisté.

 A ce conseil, les professeurs déclarèrent dans l'ensemble que le travail et l'ambiance allaient nettement mieux, mais combien il fallait lutter et se bagarrer !

 Les élèves sont au courant des remarques de la directrice, et ne sont pas ravis bien sûr ! Ils en parlent fort souvent de leur roman-photo.

 Etaient-ils vraiment motivés comme l'a laissé entendre Michèle, au début de ce texte. Sont-ils définitivement bloqués au point de plus pouvoir faire de travail intellectuel, personnel ?

 En tout cas nous avons eu régulièrement des échos : parmi les plus "blasés", quelques-uns fréquentaient déjà la M.J.C. avant notre travail. Or ces "blasés" n'ont pas manqué d'en parler à Gaby à maintes reprises ; ceci avec beaucoup d'enthousiasme, avant même les premières recherches, en français ! C'est Gaby qui nous a souvent dit : "Avec la façon dont ils m'en parlent, mais si, ça les intéresse rudement ! " Il a même suivi par leurs discussions, le montage sur papier, l'installation à la bibliothèque, la réflexion de la directrice. Alors ?

 Depuis ce roman-photo, le professeur d'anglais travaille avec nous.

 "imaginez une question que j'ai posée : "Est-ce qu'un sujet, un projet... Français-Anglais-dessin vous intéresse ? ".

 Une minute après : "Les Beatles". Un quart d'heure plus tard : ... un montage audiovisuel..."

 Nous y sommes. Mais ça traîne, faute de documents photographiques. Mais on va y arriver.

 Depuis notre travail de photo à la M.J.C., quelques nouveaux fréquentent cette maison. N'est-ce pas là notre meilleur bilan ?

 

Michèle COLIN - Jeanine POILLOT- C.E.S. Chapitre 21300 Chenove