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De l'engagement pédagogique

Certains enseignants ont en commun de vivre leur métier, non pas comme un sacerdoce, mais comme un engagement. Ils ont choisi de travailler avec des enfants ou des jeunes, ils ont opté pour des techniques particulières de transmission des connaissances et défendent une perspective originale du rapport au monde. Ils sont militants pédagogiques. Ils ne se satisfont pas d'un prêt-à-penser ou d'un kit d'enseignement, ils s'approprient les démarches éducatives en les pensant, en les théorisant. La tâche est ardue car, souvent, ils se sont engagés spontanément, en se laissant porter par un sentiment d'évidence. Ils ont été séduits par l'idée vague d'une posture. Dans l'après-coup de la réflexion, par leurs lectures, les échanges avec leurs pairs dans des groupes organisés, ils découvrent des cohérences à leur cheminement. Ils en assoient peu à peu les raisons, prennent de l'assurance. Leur façon singulière de vivre leur métier résulte d'une histoire personnelle ancrée dans un mouvement social, marquée par un contexte politique. On ne décide pas de guider des jeunes vers leur émancipation en toute gratuité. Il faut bien être porté par une volonté d'influer sur ce devenir. Et cette décision émane de désirs diffus de revivre, peut-être autrement, son propre rapport aux apprentissages. L'idéologie vient, alors, à la rescousse de cet éducateur. Il trouvera dans la philosophie, le politique, la morale ou les sciences, des arguments justifiant sa démarche. Il parviendra partiellement à des démonstrations rationnelles complétées par d'évidents refuges impensés. Les « bonnes raisons » d'être ou de faire aident à vivre la subjectivité. Il est plus gratifiant de croire s'être engagé délibérément dans une direction plutôt que d'avouer ses faiblesses ou son suivisme.
L'engagement dérange les habitudes institutionnelles. Alors que la hiérarchie attend une parfaite fidélité de ses clercs, exigeant une simple perfection dans l'application des programmes et des directives, elle s'interroge et peine à comprendre où s'origine l'engagement pédagogique. Le sentiment d'étrangeté est d'autant plus fort qu'au cours de leur carrière, pour accéder aux postes de responsabilité, les membres de la hiérarchie ont dû rassurer le système en renouvelant les signes d'allégeance pour bien le servir. Rares sont les brebis égarées. Les responsables hiérarchiques ont généralement été de bons élèves et demeurent appliqués leur vie durant à répondre aux attentes institutionnelles même quand son langage ment démagogique. Ils en acceptent les règles et admettent l'engagement de certains seulement comme d'exceptionnelles expériences singulières. Ils sont les garants d'un ordre certain et le défendent contre toute menace sans toujours en comprendre les enjeux pour ne pas en avoir éprouvé les principes.

A encontra das aguas (La rencontre des eaux)
La hiérarchie et les pédagogues militants entretiennent un étrange commerce. Les mots, les idées et leur concrétisation pratique ont rarement un sens commun en Sciences Humaines. Malgré cet écueil, à force d'échanges et de communications au sein d'un mouvement pédagogique, on parviendra à définir des concepts, mais lorsque l'institution les récupère en les expurgeant de la cohérence de leurs liants, leur sens en est quasi-systématiquement dénaturé. Il en va ainsi, par exemple, des concepts de coopérative, de méthode naturelle, de tâtonnement expérimental, d'expression libre comme des pratiques du texte libre, de la correspondance scolaire ou de l'art enfantin. La survie institutionnelle de l'engagement pédagogique relève de la coexistence pacifique. Leur rencontre est faite de mystère et d'étrangeté comme en amont de Manaos où l'Amazone naît de la confluence de deux fleuves parcourant côte à côte en un même lit plusieurs dizaines de kilomètres avant que les eaux boueuses du Rio Solimões consentent à se mélanger à celles plus sombres du Rio Negro, dans cette aire où, les jours de chance, on peut apercevoir la danse des dauphins roses.

 

Eduquer, un acte politique par essence.

 

Que valent les techniques Freinet pratiquées hors du contexte socio-politique et de la situation faite à l'école ?
La nouvelle version du Tableau Excel du Projet d'Ecole enferme l'école dans des programmations déshumanisantes.
Les enseignants ne sont toujours pas reconnus comme une communauté de chercheurs. Leur hiérarchie leur accorde peu d'autonomie dans leur travail infantilisé.
Les aides aux enfants en difficulté se raréfient : Les RASED n'ont pas été rétablis, les listes d'attente aux CMP et CMPP sont exponentielles.
Les emplois précaires, sans formation et salaires dignes, se multiplient dans l'enceinte de l'école : Auxiliaires de vie scolaire, secrétaires, animateurs du temps périscolaire.
Peut-on rester impavide face à l'hypocrisie d'un usage abusif de cette novlangue qui nomme « refondation » et « Temps d'Activité Péri-éducative» (TAP) ce qui devrait être appelé « démantèlement » ? Un double constat : avec les TAP les enfants de pauvres vont moins à l'école. L'école privée prospère, une brèche s'initie dans le service public d'éducation.
Les sureffectifs des classes empêchent depuis toujours une réelle personnalisation des apprentissages.
Comment s'appuyer sur la devise de la République pour justifier un quelconque engagement pédagogique lorsque la démocratie parlementaire a perdu de sa vaillance à nous porter comme éducateur ?
Comment continuer à cultiver l'imaginaire dans une école dont la survie est menacée par une gestion libérale sans valeur et sans spiritualité ?
Que vaut l'expression libre dans une classe d'un pays riche sur les rivages duquel viennent s'échouer des corps d'enfants pauvres venus d'ailleurs?
S'il n'y a plus d'alternative politique, quel message transmettre à nos enfants ? Et à quoi bon si l'on ne rêve plus d'un avenir meilleur ?

Obstinés à ne pas céder sur ce dernier pré carré d'espérance, la classe.
Par l'éducation, l'enfant devrait acquérir les moyens de devenir un adulte capable de subvenir à ses besoins. Il devrait apprendre à mieux se connaître, à s'intéresser et tenter de comprendre le monde et les autres. L'école devrait aussi lui donner les moyens de devenir un citoyen responsable et conscient des enjeux démocratiques. L'Education Nationale peine à s'acquitter de l'ensemble de ces devoirs d'autant plus que la société en place n'a jamais suffisamment adhéré aux valeurs Républicaines pour se les appliquer. La dichotomie entre le discours et le réel perdure depuis l'instauration de la République et de son école. Les privilèges de classe n'ont jamais vraiment été menacés. En temps de crise du système capitaliste, les diplômes universitaires ne protègent pas du chômage et de la précarité, particulièrement lorsqu'un vent idéologique libéral démantèle les protections sociales. Historiquement, dans ses pratiques, dans sa forme et dans ses contenus, l'école a davantage visé à constituer une élite et à former des travailleurs et des citoyens dociles plutôt que des êtres épanouis et socialement impliqués.

 

 

Le bon sens éducatif

 

 

Si à sa fondation, la pédagogie du bon sens de Célestin Freinet a cru possible une transition socialiste, aujourd'hui, elle peine à imaginer la forme de l'avenir. La pédagogie du bon sens pourrait être définie comme un système holistique1 de résistance politique.
Cette pédagogie tente de résister au fatalisme d'une idéologie de la résignation aux chaos anthropologique et écologique annoncés.
Cette pédagogie est de bon sens car, même si elle ne parvient pas à projeter un avenir, elle pense le devenir des enfants et de l'Humanité toute entière possible seulement à certaines conditions.
Aussi,
  • Elle résiste à l'idée qu'il n'y a rien à faire sinon de la pédagogie pour la pédagogie. Elle sait que les enseignants, les éducateurs, l'école, comme tout citoyen dans un espace éducatif démocratique, doivent s'intéresser au Monde et s'impliquer dans ses modes de fonctionnement.
  • Elle résiste à la reproduction par l'école des classes sociales en s'intéressant au sort fait aux enfants en souffrance psychologique, sociale et culturelle. Elle refuse sa déclinaison contemporaine résumée dans le concept de socle.
  • Elle résiste à une conception rétrograde des apprentissages par une survalorisation de la mémoire du par cœur et des méthodes d'enseignement excluant le sens, en lecture comme dans l'ensemble des domaines d'apprentissage. Elle prône une éducation dont l'enfant est acteur et auteur de ses apprentissages.
  • Elle porte un regard critique sur l'envahissement technologique qui pousse au consumérisme et prive les enfants de leurs moyens naturels d'appréhension du Monde par manipulations et tâtonnements. La pédagogie du bon sens repose sur le postulat que tout apprentissage est un processus d'expérimentations grâce à une méthode naturelle d'apprentissage2 basé sur l'expression, la création, la communication et la coopération.
  • Elle résiste au new management de l'école en tentant d'accorder la primeur à l'épanouissement d'individus responsables et aux coopérations humaines. Elle résiste aux pressions évaluatives et au culte de la compétition et des performances individuelles.
  • Elle défend l'idée d'une nature suffisamment préservée pour permettre aux générations futures d'y puiser selon leurs nécessités. Pourtant, comme pour la plupart, cette prise de conscience reste encore trop récente et empêtrée dans des contradictions pour qu'elle ait imaginé et planifié une diminution concrète de sa consommation scolaire en papier, photocopies, plastiques et au sujet de l'impact énergétique croissant de son usage des technologies de l'Informatique et de la Communication.
  • Elle se réclame d'un humanisme condamnant les privilèges continentaux, nationaux, ethniques ou de classe. Elle demeure internationaliste et cultive la fraternité en souhaitant tout mettre en œuvre pour permettre à tous les enfants du Monde de bénéficier des mêmes ressources de survie et pour qu'ils aient accès universellement à une éducation épanouissante et une formation leur permettant d'assumer, une fois adultes, leurs responsabilités sociales. La pédagogie du bon sens est, par principe, pacifique et favorable à la libre circulation des populations sur Terre et à l'émancipation des peuples.
  • Elle résiste en ayant conscience de l'immense capacité de nuisance de la financiarisation de l'économie mondialisée dans le phénomène d’endettement et de paupérisation des Etats et des populations. Elle combat les idéologies fascisantes désignant les plus fragiles comme boucs émissaires. La pédagogie du bon sens est au côté des plus faibles et tente de concourir à l'utopie d'une inversion du rapport de forces en faveur d'une multitude unie.

L'Histoire est en train de se faire, conclure serait absurde. Simplement, le réalisme nous accule à constater notre position ultra-minoritaire dans le monde de l'éducation et au-delà. Objectivement, nous ignorons comment convaincre le plus grand nombre de la nécessité d'instaurer un Monde de paix et de justice dans une généreuse fraternité et par quels moyens y parvenir. Nous demeurons dubitatifs quant aux délais pour l'accomplir. Mais nous le savons, « la vie est une dynamique »3 et elle continue avec ses incertitudes, nos inquiétudes, nos espérances et nos engagements dans la réflexion et dans l'action.

1 Le CNRTL* donne comme définition de « holistique » : Doctrine ou point de vue qui consiste à considérer les phénomènes comme des totalités.
La pertinence de la Pédagogie Freinet est d'aborder l'enfance, l'éducation, l'enseignement, l'école, la société, le monde, l'humanité, le sens de la vie comme un tout interdépendant.
 

* http://www.cnrtl.fr/lexicographie/holistique

2Freinet C. Oeuvres pédagogiques, Seuil, 1994.

3Seconde Loi - Essai de psychologie sensible in Freinet C. Oeuvres pédagogiques, Seuil, 1994.  

Commentaire de Jean Le Gal

Jean, ton texte sur l'engagement pédagogique est dynamisant et nous envoie un souffle vivifiant en ces temps où nous nous posons beaucoup de questions dont celles de nos relations avec l'olympe ministérielle. Il est lucide sur la situation actuelle mais engage à continuer notre action, une action que d'autres avant nous ont mené dans des situations elles aussi peu favorables à la réalisation de leurs espérances.

D'où venons nous? Où allons-nous? Ce sont des questions que notre Mouvement et ses militants ont déjà posées au fil de notre longue histoire.

Je suis plongé actuellement dans l'étude de l'ouvrage de Gaëtan Le Porho, " Syndicalisme révolutionnaire et éducation émancipatrice- L'investissement pédagogique de la Fédération Unitaire de l'Enseignement - 1922-1935 ( Editions Noir et Rouge).

L'instituteur Freinet a participé activement aux réflexions pédagogiques de la FUE et de l'ITE ( Internationale des Travailleurs de l'Enseignement) qui réunissent les syndicalistes révolutionnaires. Ils veulent "faire oeuvre émancipatrice en pratiquant dès maintenant une pédagogie en accord avec la société qu'ils appellent de leurs voeux" Un siècle après, nous n'avons pas changé d'objectif.

"L'émancipation de l'éducation doit être l'oeuvre des éducateurs eux-mêmes".

Jean Le Gal