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Mise en place et justification des structures coopératives

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Janvier 1983

 

La logique de nos pratiques

 

MISE EN PLACE ET JUSTIFICATION

DES STRUCTURES COOPÉRATIVES
 
Cette année, avec mes classes de 6e et 5e, je n'ai introduit les structures coopératives en E.M.T. que fort tard ; quelques semaines avant Pâques pour tout avouer ! J'observe que, bien qu'intimement et tout à fait fermement persuadé de l'intérêt éducatif majeur de la chose, j'ai souvent besoin de me faire violence pour la mettre en place. Le fait que je sois loin d'être seul en ce cas ne constituant pas une excuse! Les bonnes raisons ne manquent pas : ne suis-je pas débordé par de multiples tâches ? Et les gosses de même ? De toutes façons tout ne marche-t-il pas bien dans l'ensemble ? Les enfants paraissent-ils malheureux ? Ne produisent-ils pas avec enthousiasme des tas de trucs plutôt chouettes ? Peut-on d'ailleurs me considérer comme un despote ? Est-ce que je ne demande pas souvent l'avis de mes classes ? Ne fais-je pas droit chaque fois que possible aux suggestions ? Pourquoi alors se casser la tête ?
Sans une conversation avec Simone Cixous qui m'a pénétré de mon indignité, je ne sais pas si je me serai même lancé cette année. C'est vrai ça: on n'a pas le droit de vouloir impulser un module de recherche-action sur le thème si on reste soi-même tranquillement les pieds au sec !
 
Il est vrai que la manière plutôt traditionnelle dont j'entame chaque année scolaire se prête mal à l'implantation d'emblée d'une structure qui tournerait plutôt à vide. En effet, même si je commence par des fiches-jeux autocorrectives ( 1) pour l'apprentissage du dessin technique, par des chasses aux fautes sur dessins d'architectes (2) par des jeux de société pour la sensibilisation à la diététique ( 1) , même, donc, si la forme n'en est pas traditionnelle, la démarche, elle, l'est indéniablement. Ne serait-ce que dans la mesure où les enfants, aussi intéressés soient-ils dans l'ensemble, n'ont aucun loisir de proposer une autre procédure. Même si les interros écrites s'exercent sur des bandes dessinées où il faut découvrir ce qui cloche dans l'alimentation des Durand, si on ne les requiert que de composer un menu diététiquement horrible, elles restent des interros écrites, quand bien même on a le droit de se mettre à deux pour y répondre.
Ceci en tous cas nous mène fin novembre.
Suit une phase plus longue qui est d'application par conception individuelle du dessin technique d'un objet aux choix de chacun. Objet dont la réalisation constituera une troisième phase.
 
Chacun donc, au gré de son imagination, s'attelera qui au dessin d'une chaise, d'une table, d'un lit ou d'une armoire de poupée, qui d'un trieur à courrier, qui d'une voiture rétro ou d'un petit train, qui d'un chalet miniature ou d'un cadre photo,
etc. Activité individuelle donc, permettant à la rigueur un travail à deux, très défendable certes au niveau de la créativité individuelle mais occasionnant peu de problèmes d'ordre collectif, procurant peu de raisons de prendre ensemble des décisions.
 
C'est seulement avec la troisième phase, selon le rythme propre à chacun de février à Pâques, que commencent à se poser un certain nombre de problèmes qui dépassent l'individuel pour déborder même le cadre de chaque groupe-classe : gestion du matériel, achat et maintenance de l'outillage et des matériaux, vente des objets... Mais ce n'est vraiment en gros qu'après Pâques, ces fabrications individuelles réalisées, que l'installation d'ateliers diversifiés: cuisine, cuir, travail des lattes de bois, du contreplaqué découpé, micro-informatique. . . pose vraiment, sans placage artificiel, des problèmes de coordination inter-classes (installation, gestion des ateliers, répartition selon ces mêmes ateliers, problèmes de rotation, achat de fournitures et de denrées, nettoyage et maintenance, ventes, etc. Tout ceci sinon pour justifier du moins pour éclairer le caractère tardif de la structuration coopérative (3).
 
Leçon tirée pour l'an prochain: au lieu de solliciter des créations individuelles je demanderai des dessins - individuellement réalisés certes et portant sur des éléments individuellement imaginés - mais s'intégrant dans une création collective et si possible débordant le cadre d'une seule classe (4). Exemple: P.A.E., les 6e et 5e réalisent pour l'école maternelle proche une boutique d'épicerie, un castelet et une maison de poupée. . . On se répartit suivant les classes les différentes tâches: exemple, la 5e A réalisera la maison de poupée et la 6" A se répartira la réalisation des meubles. . .
 
La nécessité de se mettre d'accord sur le projet de P .A. E. à déposer, de consulter l'école maternelle, de coordonner plans et mesures devrait justifier dès la rentrée une concertation et des structures “ ad hoc ”. La créativité ne saurait y perdre, altruisme et coopération devrait y gagner .
 
FONCTIONNEMENT DU CONSEIL CETTE ANNÉE
 
Ce n'est d'ailleurs pas un conseil de coopérative au sens habituel du terme mais selon le mode que je me suis permis de baptiser “ intercoopératif ” (5).
Deux délégués de chaque classe, soit de quatre 6e - dont une dédoublée - et de trois 5e, d'une demie-C.P.P.N. et de deux 3e.
Rendez-vous donc tous les lundi entre 13 h 15 et 13 h 45 ; mise en place d'une feuille de présence des délégués (appel très consciencieux et un peu fastidieux avant chaque séance par une élève qui y tenait beaucoup), d'un carnet d'ordre du jour à côté de l'entrée avec crayon à la disposition de tout un chacun, feuille de compte rendu tenue à tour de rôle par un délégué désigné. Reprise de ce compte rendu en début de chaque conseil par le président de séance, bref toute l'indispensable “ liturgie ” de toute réunion qui se veut efficace! Avec en plus, bien sûr, compte rendu des délégués à leurs classes respectives en début de chaque séance d'E.M.T. Noter le temps volontairement très court affecté à cette concertation des délégués: on ne se veut pas là pour la “ parlotte ” ou pour raconter sa vie... .
 
Des problèmes ? Pas vraiment.
• Une ou deux classes qui se sont un peu désintéressées de la chose et n'ont envoyé leurs délégués que tout à fait épisodiquement: on voulait les “ coincer ” en les mettant devant les conséquences dommageables pour eux de leur incurie mais on n'en a pas trouvé l'occasion !
Une tendance, facilement régulée, à poser au niveau du conseil des délégués des problèmes relevant de la compétence de chaque classe: exemple: “ Chez nous il y a un petit pain au chocolat qui a disparu à peine sorti du four. . . ”
• Un élève de 5e, très sympa bien sûr mais abusif qui doit être écarté de la présidence de séance où il voulait s'incruster.
• Une carence au niveau de la prise en note des décisions par les délégués qui, faisant trop confiance à leur mémoire, ne trouvaient souvent plus rien à dire au moment de rendre compte à leurs mandants.
C'est à peu près tout.
 
Par contre, chez la plupart des délégués, un étonnant attachement à cette réunion hebdomadaire. Au point de se creuser parfois la tête pour qu'il y ait quelque-chose sur le carnet d'ordre du jour et que la réunion ait lieu! Avec au bout une tendance à engouffrer dans cette structure d'interinformation et de concertation coopérative, unique en son genre dans l'établissement, des problèmes tout à fait extérieurs au fonctionnement des ateliers d'E.M.T. Extrêmement positif diront certains. Bien sûr, mais fort délicat aussi et gros de problèmes virtuels. D'excellentes occasions aussi d'envisager les obligations liées au rôle de mandataire d'un groupe.
Prenons un exemple pour terminer: les classes de 3e ont mis sur pied, dans le cadre d'un P .A.E., une petite salle à manger coopérative: il faut trouver un nom à ce mini-restaurant. On décide de consulter toutes les classes représentées au conseil des déléguées; une semaine leur est laissée pour y réfléchir, puis court moment de “ brain storming ” dans chaque classe.
On récapitule en conseil des délégués la cinquantaine de propositions recueillies, on en retient une vingtaine et on renvoie dans les classes pour vote. Retour. Certaines classes, pour l'heure encore peu concernées par ce mini-restaurant, ont pris la chose plutôt à la légère et ont voté massivement pour des propositions plutôt absurdes: la majorité des suffrages est ainsi allée au “ ver de terre sauté ” !
Les délégués des 3e arrivent remontés à bloc; l'une d'eux demande la présidence de la séance, une autre propose très vite de retenir le nom arrivé en troisième position : “ la ripaille ”.
 
Ce nom avait été proposé par un élève de 3e parce que le collège est bâti tout près d'un lieu-dit “ Moulin de ripaille ” mais n'avait pas rencontré de succès, parce que le terme est aujourd'hui étranger au vocabulaire des collégiens sans doute.
 
N'empêche que la proposition est instantanément adoptée à l'unanimité des délégués présents moins une abstention. (y aurait-il eu campagne de couloir ?)
 
Je demande la parole: “ Vous rendez-vous compte de ce que vous êtes en train de faire ? Vous êtes choisis et mandatés par vos camarades pour faire prendre en compte leurs décisions, vous les avez consultés et vous ne tenez aucun compte de leur préférence exprimée majoritairement. Comment allez-vous justifier ça ? Je ne voudrais pas être à votre place!
Rogne des délégués des 3e : “ Cette salle à manger c'est nous surtout qui l'avons mise en place, les autres classes seront bien contentes de pouvoir prendre la suite les années à venir. D'ailleurs on veut demander aux 4e (non représentées dans la structure cette année parce que travaillant avec un autre professeur d'E.M.T. dans un autre atelier) s'ils veulent prendre notre suite l'an prochain. S'ils sont d'accord, on leur passera les comptes du P.A.E. avec la caisse. Et on verra bien s'ils veulent que la salle à manger s'appelle Le ver de terre sauté ou La ripaille! ”
Alex LAFOSSE
 
(1) Voir détails dans L'Éducateur no 8 du 15 février 1983 : “ Messieurs faites vos jeux ”.
(2) Voir exemple dans La Brèche no 70, juin 81 page 9.
(3) Noter cependant qu'en ce qui concerne les deux classes de 3e, relativement peu chargées et attelées à la réalisation de deux P.A.E., la vie coopérative est intervenue beaucoup plus t6t. A l'intérieur de chaque classe et'au début de chaque séance d'abord, entre les deux classes ensuite ( une fois tous les quinze jours et profitant pour cette concertation d'une heure de permanence commune). Mais je ne m'étends pas là-dessus, L'Éducateur devant publier prochainement le compte rendu par les enfants eux-mêmes de chacun de ces P.A.E.
(4) Noter que nous avons eu à envisager le même problème en élaborant avec Marie-France Adenier, professeur d'espagnol, un projet de recherche-action sur le thème d'une structuration intercoopérative de ses classes pour l'année 83-84 (voir La Brèche no90 juillet 83).
(5) On peut consulter à ce sujet L'Éducateur, Dossier Pédagogique no 165-166, La Brèche 81, octobre 82 Vers une pédagogie intercoopérative et no90 de juillet 83 : Projet de recherche-action. Ce texte est extrait d'un cahier de roulement qui circule à l'intérieur du module “ structures coopératives au second degré”.
Alex LAFOSSE 
 
 
 

 

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