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POURQUOI introduire COMMENT organiser favoriser DES ACTIVITES AUDIOVISUELLES

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Janvier 1984
POURQUOI introduire
COMMENT organiser

                      favoriser 
DES ACTIVITES
AUDIOVISUELLES 
Dans une pédagogie
de l’expression
et de la communication

Commission
Nationale
I.C.E.M.

Audiovisuel
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Plan général
 
Mots-clés
EXPRESSION
COMMUNICATION
DOCUMENTATION
PEDAGOGIE DE LA REUSSITE
IMAGE
SON

SOMMAIRE

Nous avons dit : « audiovisuel »… oui, mais... quel audiovisuel ? 
Depuis tantôt 25 ans, on entend parler d'audiovisuel dans l'enseignement, ou plus précisément des « moyens audiovisuels », parmi les « didactiques ».
Nous préférons parler de « techniques audiovisuelles », afin de bien marquer notre orientation.
Pourquoi ?
C'est vrai : le maître peut utiliser l'audiovisuel comme support d'information, en complément d'un discours pédagogique. Des « programmes », des réalisations sur disques, cassettes sonores, diapositives, films cinématographiques, cassettes vidéo, séquences télévisées ou radiophoniques sont écoutés ou visionnés grâce à des machines d'emploi facile : électrophones, magnétophones, appareils de cinéma, projecteurs fixes, radio, télévision, magnétoscopes.
Activité familière aux enfants puisque radio et télévision leur apportent chaque jour des masses de sons et d'images abolissant la notion d'espace et de temps. Cet apport peut donc se faire avec un puissant impact car il sollicite autant l'affectivité primaire que les facultés intellectuelles.
Il existe donc un audiovisuel, disons « de consommation », des activités documentaires audiovisuelles. Et nous pensons qu'elles doivent avoir une place importante dans les activités scolaires, en amont, en aval, ou en parallèle avec des moments de créativité ou d'autres activités utilisant d'autres supports : les livres en particulier.
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On peut imaginer que ceux qui sont aux deux bouts de cette chaîne d'information : les producteurs de documents audiovisuels et les enseignants qui dirigent l'analyse et l'exploitation de ces documents, soignent leur travail et se concertent.
On peut imaginer que les éducateurs apprennent aux enfants à lire l'audiovisuel : des images, des sons, des images et des sons qui se complètent. Ils apprennent bien à lire dans les livres, ces enfants ! ...
En est-il de même pour l'audiovisuel, mode d'expression, « langage », bien jeune, quand on songe que c'est depuis cent ans seulement que l'obligation est imposée de connaître le code de la langue écrite (1). On peut se demander dans quelle mesure ce que nous venons de dire a une réalité dans les classes d'aujourd'hui. C'est pourquoi le verbe « imaginer » est peut-être de rigueur...
Supposons que cet audiovisuel de consommation, habituel à la maison, devienne également habituel à l'école.
Quand bien même aurait-on intégré réellement sa « lecture », aurait-on fait œuvre éducative profonde ?
Apprendre à lire, mais aussi à écrire la langue, lire la pensée de l'humanité qui nous a précédés grâce aux livres, quelle ressource pour chaque homme !
Mais communiquer sa pensée aux autres à distance, dans l'espace et le temps, en sachant écrire, rédiger, posséder le code, le maîtriser : quel pas déterminant ! 
Il ne viendrait plus à l'esprit de quiconque actuellement, de séparer écriture de lecture. C'est pourtant ce que l'on fait pour l'audiovisuel.
 (1) Encore, dans ce cas, les choses sont-elles - relativement - simples, dans la mesure où il s'agit bien d'un code : pour tous, chaque « signe » a le même sens.
 
Écrire l'audiovisuel est encore loin d'être une réalité, c'est encore loin d'être considéré comme une nécessaire activité scolaire fonctionnelle.
L'expression et la communication sont depuis bien longtemps les moteurs de nos classes : dessins, lettres collectives et individuelles, textes libres, manuscrits imprimés y naissent chaque jour et s'y échangent.
« Si nous pouvions nous entendre, nous parler en direct, nous raconter... »
C'est bien pourquoi, vers 1953, lorsque vint le magnétophone, facile d'emploi pour tous, l'audiovisuel au service de l'expression de l'enfant, outil de créativité, de communication est vite apparu comme une nouvelle technique et s'ajouta avec la photo et le cinéma aux Techniques Freinet. L'audiovisuel fut alors utilisé comme moyen d'enseignement et comme outil :
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- Outil d'expression libre, de sa mise en mémoire et de sa diffusion.
- Outil pour l'affinement des codes et des modes de communication.
- Moyen de connaissance de soi, des autres : de leur environnement présent et passé.
Voici venue l'ère de la généralisation de la communication audiovisuelle. Alliée à l'informatique, elle entre dans la vie quotidienne et devient un élément déterminant du pouvoir.
Il est donc indispensable que tous les éducateurs se sentent concernés.
Notre expérience nous permet d'affirmer certaines orientations : 
Nous sommes :
POUR l'appropriation des techniques audiovisuelles par les enfants eux-mêmes.
CONTRE leur unique utilisation comme vecteur d'un savoir à transmettre. 
Nous sommes :
POUR le traitement des documents recueillis, qu'ils soient sonores ou visuels, pour un travail sur le langage oral et iconique.
CONTRE un audiovisuel même aux mains des enfants, où ils se conten teraient de capter images et sons sans objectif de formation. 
Nous sommes :
POUR une documentation réalisée PAR, POUR et AVEC les enfants et les adolescents, utilisant pleinement la spécificité de chaque technique audiovisuelle.  
Nous sommes :
POUR l'utilisation des matériels les plus aptes à enregistrer et à reproduire toutes les facettes d'une tranche de vie.
CONTRE un usage exclusif de cette technique et l'élimination de techniques audiovisuelles plus simples, qui peuvent avoir leur place dans toutes les écoles et ne nécessitent qu'un investissement modeste.
 
Nous avons dit quel audiovisuel… mais dans quelles conditions ? 
Certes, on peut bien affirmer que l'éducateur est le premier outil de sa pédagogie.
Mais Freinet a bien situé l'inefficacité du seul discours pédagogique comme moteur de la transformation de l'école. Il a insisté sur l'importance d'un certain nombre d'outils indispensables à la mise en oeuvre de telles orientations.
Il a montré l'importance du travail coopératif pour la définition, la réalisation et la diffusion de ces outils : travail des praticiens en prise avec la réalité quotidienne, aidés de tous ceux qui ont perçu le sens et l'efficacité de la démarche.
Même si la classe fonctionne en co-gestion (dans une démarche progressive vers l'autogestion), l'éducateur, avec son statut, son expérience et son recul, détient néanmoins un pouvoir déterminant et le niveau de maîtrise et d'affinement des codes de communication auquel lui-même est parvenu joue un rôle capital dans l'aide qu'il pourra apporter aux enfants afin qu'ils maîtrisent mieux les différents langages.
Cela signifie donc une formation à se donner.
Formé pour « l'enseignement » de la langue écrite, accessoirement de la langue orale, des mathématiques, et en très faible pourcentage pour la musique, les arts plastiques et graphiques et l'éducation corporelle, l'enseignant n'a, en général, aucune formation pour l'audiovisuel. Et cela explique en grande partie les réticences et l'inquiétude vis-à-vis de ce langage mal maîtrisé.
L'enfant, lui, entre beaucoup plus rapidement dans ce qui lui est inconnu. Pour lui, l'obstacle de la technicité est moins important. 
L'audiovisuel utilise des machines pour capter et restituer ce qui a été vécu, ce qui implique une connaissance de leurs possibilités et de leurs limites, une dépendance du contenu vis-à-vis des qualités d'enregistrement et de reproduction de ces machines et des lois physiques qui les régissent.
On peut essayer de résumer les caractères communs à toutes les techniques audiovisuelles, les conditions dans lesquelles le message peut être capté correctement et restitué correctement.
Il faut être très clair et très ferme sur la première réalité :
UN MESSAGE AUDIOVISUEL NE POURRA JAMAIS DÉPASSER LE NIVEAU DE QUALITÉ AVEC LEQUEL IL A ÉTÉ CAPTÉ :
Aucune amélioration ultérieure n'est possible et chaque génération de report altèrera même ce niveau originel.
C'est une des différences essentielles avec la langue écrite. Je griffonne un poème sur un papier graisseux, on pourra ultérieurement réécrire correctement les mots qui le composent, on pourra l'imprimer sur papier de luxe, en utilisant toutes les possibilités des arts graphiques, et tout lecteur, quel que soit son lieu d'habitation, pourra confortablement prendre connaissance de ma pensée, s'il possède bien sûr la clé du code : ma langue. Et ce sera toujours possible dans des années, voire des siècles. 
Si vous filmez, si vous photographiez, si vous enregistrez ce qui s'est échangé entre des personnes, vous ne conserverez QUE ce que la machine aura pu capter, dans les conditions où vous l'avez manipulée. Vous voyez déjà que le niveau de qualité va dépendre de deux facteurs : la machine, et la manipulation de celle-ci.
Et le contenu, les images, les propos, avec toutes leurs charges signifiantes et affectives, peut très bien ne plus exister si les erreurs de manipulation et la médiocrité de l'appareil ne permettent pas une prise de connaissance correcte de ce qui a été capté.
Il est donc nécessaire de faire preuve d'une double exigence dans cette phase du travail, sous peine d'avoir travaillé pour rien. Cela suppose donc un minimum d'apprentissages :
Une photo pour laquelle la mise au point n'a pas été correcte restera toujours floue ou surexposée si le diaphragme a été trop ouvert pour la lumière ambiante.
Un enregistrement restera inaudible si le son a été capté de trop loin, avec un micro médiocre, dans une ambiance bruyante, dans une salle réverbérante.
Il n'y a pas d'autre secret pour réussir que d'apprendre à maîtriser les facteurs qui interfèrent, compléter notre formation dans la connaissance des images et des sons.
Et l'expérience nous montre combien notre indigence peut être grande dans le domaine sonore. Petit à petit on découvrira qu'un micro n'est pas une oreille, que les sons se propagent selon certaines lois et non comme nous le désirerions.
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UN MESSAGE AUDIOVISUEL NE PEUT ÊTRE PERCU CORRECTEMENT (c'est-à-dire décodé) QUE DANS CERTAINES CONDITIONS.
C'est une deuxième caractéristique commune à toutes les techniques audiovisuelles. 
Là encore, nous aurons deux facteurs déterminants.
- Les appareils permettant la prise de connaissance des messages.
- Les conditions matérielles de prise de connaissance. 
Les constructeurs de matériel audiovisuel ne fabriquent pas des appareils destinés spécialement à l'usage scolaire. Dans la classification générale connue du public, il y a :
- le matériel professionnel.
- Le matériel amateur. 
Le matériel amateur jouit d'une connotation de moindre qualité par rapport au matériel professionnel. Lequel est parfois à tort qualifié de tel lorsqu'on le vend à des amateurs. 
A l'école, c'est le matériel amateur qui a cours, alors qu'il faudrait souvent un matériel de professionnel. Que dire par exemple de l'utilisation d'un minicassette à petit haut parleur pour sonoriser une classe ? 
Pourtant, certains administratifs trouveront que c'est suffisant et certains collègues penseront de même parce que, situés à côté de l'appareil, ils entendent correctement.
Que reste-t-il du contenu d'une cassette ainsi diffusée dans une classe ?... Et dire que bon nombre des parents de ces enfants ont chez eux une chaîne dite à haute fidélité et que l'école est dans une telle indigence ! onoriser une classe est actuellement une nécessité. Nous verrons comment réussir une écoute correcte, objectif essentiel pour recevoir l'audiovisuel.
Car l'audiovisuel ne se reçoit pas n'importe comment. Il faut être disposé d'une certaine manière autour du matériel ; il faut que l'acoustique de la salle possède certaines caractéristiques (peu réverbérante) ; il faut être face à l'écran, face au haut parleur ; que l'obscurité ou la pénombre règne, un certain silence, etc. 
Là encore, l'éducateur doit maîtriser ces facteurs pour que l'enfant de « l'âge de l'audiovisuel » puisse en profiter à l'école, c'est-à-dire, répétons-le s'exprimer, envoyer et recevoir des messages, démystifier les techniques, conditions essentielles pour qu'il soit un auditeur et un spectateur actif.
 
LES MESSAGES AUDIOVISUELS NE SONT PAS DES MESSAGES OBJECTIFS 
Pourtant, ils ont l'apparence de l'objectivité : « je l'ai entendu à la radio »... « Je l'ai vu à la télé ».
Oui, ce qui est diffusé a réellement été dit, l'image n'a pas été fabriquée, mais celui qui a capté les sons et les images a fait des choix : choix des interlocuteurs, choix de leurs propos, choix des images et de leur cadrage, choix de la structure du message.
De plus, le spectateur, l'auditeur, sont totalement asservis au déroulement du message ; aucune lecture rapide et personnalisée n'est possible et l'impact affectif rend la dépendance encore plus totale. La puissance d'induction d'une idée, d'une orientation, d'un comportement est donc énorme grâce à l'audiovisuel.
Pierre Guérin 
Pour lui restituer sa vraie figure, là encore la seule stratégie valable est d'offrir aux enfants la possibilité de lire le message audiovisuel, et surtout, de le produire.
Ainsi, il prend conscience de sa fausse objectivité et combien il peut être un outil merveilleux d'expression personnelle.
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Des activités audiovisuelles, dans une pédagogie de l’expression et de la communication 
La communication est un élément fondamental de tout système vivant. Les biologistes nous ont révélé que nous sommes maintenus en vie parce que de multiples communications existent. Par exemple entre nos différents organes, entre nos diverses cellules et au sein de chaque cellule, entre les molécules différentes qui la composent (voir B.T. Son n° 887). Les psychologues et les sociologues étudient les modes de communication et les supports de cette communication qui existent entre les individus et leurs proches et entre les groupes humains.
Que ce soit la communication non verbale entre une mère et son enfant, ou une discussion entre personnes, une communication directe ou indirecte par des mémoires diverses (la documentation), on trouve des composantes semblables qui peuvent se résumer en un schéma général modélisant : (d'après Joël de Rosnay).
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Une observation quelque peu attentive du fonctionnement d'une classe de type Freinet montre bien que toute cette pédagogie, même si elle se fonde en grande partie sur l'utilisation d'outils médiateurs, repose essentiellement sur des réseaux de communication et de relations. Le schéma ci-dessus est d'ailleurs insuffisant pour rendre compte, analyser, et surtout expliquer la richesse, l'imbrication et la fonction de ces réseaux, dans lesquels chacun est, en même temps émetteur et récepteur potentiel, dans et hors de la classe.
Chaque instant de la vie d'une classe ou d'un groupe organise et favorise des situations authentiques d'expression et de communication. Authentiques, c'est-à-dire correspondant à un besoin réel de l'enfant de marquer son environnement et aussi d'informer et de s'exprimer.
 
LES SITUATIONS SONT MULTIPLES. 
L'enfant s'exprime avec tout son corps : il danse, il mime, il crée un théâtre libre.
Il dessine, il grave, il pétrit la glaise, il sculpte.
Il chante, il découvre les sons, il joue avec, il compare avec sa voix, avec des sons très divers.
Il parle, il expose oralement ses pensées, dialogue avec les autres, il expose ses découvertes.
Il écrit : ses pensées intimes, ses observations, les comptes rendus de ses découvertes et de ses recherches.
Il expérimente et construit.
Il conçoit et réalise un programme informatique.
Il interroge ceux qui peuvent apporter des réponses à ses questions.
Il se documente : en consultant les écrits des hommes, il s'approprie leur expérience accumulée dans l'espace et le temps.
Il utilise les techniques audiovisuelles pour conserver et ensuite communiquer ce qu'il a créé :
- Il enregistre grâce au magnétophone les expériences orales ; chants, musiques, exposés, dialogues, discussions, réponses à des questions.
- Il photographie et filme en cinéma, en vidéo, les moments d'expression, de communication ou de découverte d'un milieu géographique ou humain.
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A travers ses dessins, ses textes, ses propos, ses recherches, l'enfant va se livrer. Il va prendre conscience que ses camarades, ses correspondants portent des regards parfois semblables, parfois différents des siens, sur les gens et les choses et qu'ainsi il peut mieux se situer.
Pour le maître, c'est l'obligation de prendre en compte cette diversité de représentations, de perceptions.
Il est bien certain, d'ailleurs, qu'une expression authentique ne saurait être purement gratuite : en s'exprimant, l'enfant mobilise, utilise ou approche un certain savoir disciplinaire (calcul, histoire, géographie, science, littérature... ).
Mais il s'approprie également, par et à partir de sa propre expression les différents codes et les différents modes d'expression et de communication, au niveau de maîtrise qui est le sien au moment où il s'exprime : communication non verbale - langue orale - langue écrite - langage mathématique - langage radiophonique, langue orale enregistrée langage iconique - langage audiovisuel : son et images diffusés simultanément. 
L'EXPRESSION PROVOQUE DIFFÉRENTS CERCLES D'ÉCOUTE
La composition et l'importance de ces cercles d'écoute interfèrent sur l'expression elle-même. L'avis de celui qui s'exprime est déterminant pour définir le diamètre des différents cercles d'écoute :
- L'expression orale peut très bien ne pas avoir de récepteur : on est seul devant le micro, c'est, en quelque sorte l'équivalent du journal intime.
- Dans la classe, plusieurs cercles peuvent être tracés : une partie de la classe participe à la communication, ou bien, c'est toute la classe (lectures, dialogues, discussions, exposés, conférences, expositions...).
- Des classes correspondent: par la correspondance, les échanges de lettres, d'albums, dessins, réalisations de toutes sortes, bandes magnétiques, photos, films, programmes d'informatique, etc.
- Des classes quittent leur lieu de vie habituel (classes de neige, de mer .. ) elles continuent à communiquer avec les familles, ou d'autres classes, par de semblables canaux.
- Au niveau du groupe scolaire, on fait des expositions dans la classe, elles sont visitées par d'autres.
- Les moments d'ateliers ouverts sont aussi de bons moments de communication dans le groupe scolaire.
- Les adultes du quartier, du village, prennent connaissance de l'expression libre par le journal scolaire, les expositions, la fête scolaire, les montages audiovisuels.
- Le grand public lui-même peut être touché par l'édition de brochures, de revues, de livres, des émissions de radios locales, voire de la radio nationale, mais également parla presse écrite locale.
 
Pour que la communication soit effective, il faut que chaque maillon soit satisfaisant. 
Une chaîne de communication fonctionne avec la qualité du maillon le plus médiocre.
 
La part du maître et les outils pédagogiques fourniront les moyens d'améliorer la communication, mais à la condition expresse qu'ait pu émerger auparavant la motivation pour parvenir à cette amélioration.
C'est généralement au sein des cercles d'écoute que celui qui s'exprime prend conscience que son message est mal perçu :
Qu'il lise son texte, qu'il explique sa recherche, qu'il argumente sur son analyse d'un phénomène, d'une situation, si le vocabulaire est imprécis, la syntaxe incorrecte, laissant place à des interprétations différentes de la pensée, les réactions de l'auditoire, le questionnement révèlent l'in­suffisance.
L'audiovisuel, l'enregistrement sonore peut offrir ensuite une autre analyse précise de l'imperfection de la communication.
Il est à noter que la relation avec le cercle d'écoute est bénéfique à tous les partenaires et que le locuteur prend également en partie la mesure des représentations mentales et des stéréotypes culturels de ses auditeurs, ce qui peut lui permettre de corriger et de mieux ajuster son langage aux récepteurs.
La nécessité de se « faire comprendre » (lors d'un exposé) motive une amélioration immédiate, après tâtonnement.
Si le code est celui de la langue écrite, un lecteur, le groupe classe permet une simulation motivante avant l'envoi au destinataire qui peut être éloigné dans le temps et dans l'espace.
Mais la correction immédiate améliorant la communication immédiate a ses limites. L'aide des camarades, du maître et des outils pédagogiques rendent efficaces des situations d'apprentissage motivées. Car la maîtrise des codes ne s'acquiert pas par la seule analyse, l'imitation de l'expression du maître et une simulation de l'expression non motivée (les devoirs scolaires) comme l'école l'a cru longtemps. Freinet et d'autres pédagogues, ont montré que, par le processus que nous décrivons, l'enfant devenait l'artisan de son propre savoir.
Mais l'intention seule ne suffit pas, si des outils spécifiques ne sont pas créés pour permettre à l'enfant d'affiner les codes et de maîtriser les modes d'expression, à son rythme et selon ses besoins.
C'est pourquoi la pédagogie Freinet assure la promotion d'outils définis selon les besoins des enfants, pour les apprentissages à réaliser. 
DES OUTILS PÉDAGOGIQUES SONTAUSSI UTILISÉS POUR DIFFUSER L'EXPRESSION LIBREdans les différents cercles d'écoute.
Ce sont les techniques qu'utilisent les hommes dans leur continuelle communication. Elles sont simplement adaptées aux possibilités d'utili­sation des enfants, lorsque c'est nécessaire.
Pour la langue écrite et les arts graphiques, ce sera l'imprimerie, la gravure, les systèmes divers de duplication.
Pour l'image : la photo, sur papier ou en diapositive, le film (muet).
Pour la langue orale : le magnétophone, ou la radio en direct.
Pour l'audiovisuel : la vidéo, le cinéma sonore. 
De cette conception générale d'une pédagogie de l'expression et de la communication, où toutes les acquisitions, tous les apprentissages se développent dans des réseaux de communication authentique, découle naturellement notre approche des techniques et des technologies audiovisuelles.
 
Après avoir précisé à quelles fins nous utilisons ces techniques, il nous faudra revenir sur l'importance des impératifs matériels et techniques dont dépend une communication audiovisuelle.
Pour bien montrer que tout cela peut maintenant se théoriser, grâce à l'expérience accumulée depuis les premiers échanges de films Pathé Baby, dans les années 20, nous illustrerons par quelques exemples précis la place que peut prendre telle ou telle technique audiovisuelle dans ces différents « cercles d'écoute » créés par l'expression libre
- audiovisuel et expression sans récepteur désigné,
- audiovisuel et cercles de communication à l'intérieur de la classe ou ses prolongements naturels (correspondance – voyage-échange - classe transplantée - enquête participation...),
- audiovisuel et communication avec l'environnement immédiat,
- audiovisuel et communication avec un public plus large.
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Néanmoins, le paradoxe serait de tomber dans le risque de laisser croire que, même à des fins d'analyse et d'explication, les différentes activités de communication puissent être dissociées, isolées et que puisse être disséquée chacune des fonctions d'un même outil qui pourra se trouver tour à tour, voire à la fois, jouer un rôle de révélateur, de médiateur, de valorisation, d'apprentissage, d'exploration ou de découverte d'un milieu d'expression et de création, en même temps, bien entendu, que de démystification et de formation.
Donc, sans prétendre dresser une « taxonomie » rigoureuse de ces diverses fonctions, nous tenterons plutôt de les approcher concrètement et de voir le rôle que peut jouer une utilisation réfléchie des divers moyens audiovisuels dans les cercles et réseaux de communication créés et soutenus par l'organisation coopérative du groupe de travail et son environnement.
C'est pourquoi nous préférerons souvent proposer certains témoignages dans leur intégralité.
Nous n'oublierons pas les conditions par lesquelles passent toutes ces activités :
Quel matériels, quels locaux, quelle organisation et quels aménagements ?
Quelle documentation ?
Puis nous aborderons la question de la spécificité des supports 
En fonction de ce que l'on veut exprimer, de la nature et de l'importance du cercle des destinataires.
Quel sera le moyen technique le mieux adapté ?
Quelles sont les possibilités et les limites de chacun d'eux, dans le cadre de l'enseignement public actuel et des moyens généralement à notre disposition ?
Alors : audiovisuel, objet d'étude, ou moyen pédagogique ? Certes, il est indispensable d'acquérir une maîtrise des modes de communication, cela justifie-t-il de vouloir enseigner l'audiovisuel ? 
S'il est bien, en effet, dans nos objectifs de permettre aux enfants et aux adolescents de démystifier et maîtriser, en les utilisant, ces moyens de communication, faut-il, pour autant apprendre à « lire » l'audiovisuel ? Qu'en est-il des « codes » et de la sémiologie de l'audiovisuel qu'il conviendrait d'enseigner pour qu'  « ils » puissent comprendre ?
 
A travers cette question reviendra celle, essentielle, fondamentale dans la pédagogie Freinet, de la PART AIDANTE, qui permet les apprentissages et l'appropriation progressive des connaissances et des modes d'expression et de communication.
On remarquera sans doute la place prépondérante du magnétophone dans plusieurs des témoignages que nous avons retenus.
Cette place s'explique essentiellement par l'histoire même de l'entrée et du développement des techniques audiovisuelles dans la pédagogie Freinet, histoire qui n'est pas sans lien de dépendance avec le développement des diverses technologies, notamment dans leur mise à disposition auprès du « grand public » : possibilités d'utilisation par les enfants et les adolescents eux-mêmes, et, bien sûr leur coût...
Pierre Guérin et Xavier Nicquevert
 
Quelques fonctions de l'audiovisuel dans une pédagogie de l'expression et de la communication 
L'audiovisuel, outil de formation fondamentale 
L'audiovisuel entrera dans la classe comme un simple outil nullement supérieur aux autres (fichier correspondance, limographe, plan de travail) mais complémentaire.
Son utilisation dépendra de l'enseignant, des enfants, de la pédagogie, du matériel, de l'installation, de l'organisation de la classe, des locaux, du temps qu'on veut bien y consacrer...
L'audiovisuel est au service de l'expression, c'est un outil de réussite, un médiateur, un merveilleux outil de communication qui pose les délicats mais passionnants problèmes du montage, du différé ou du direct avec la rapide extension des travaux radiophoniques.
Mais, qu'on y prenne bien garde :
La mise en oeuvre de ces orientations respectant les activités fonctionnelles nécessite une organisation rigoureuse et souple afin de profiter des multiples interactions entre les facteurs. Ce ne peut être réalisé que par une cogestion coopérative :
- gestion de l'espace-classe,
- gestion des aires de travail,
- gestion du temps et des activités communes ou individuelles, grâce, en particulier, au plan de travail individuel, que l'enfant, en responsabilité, va exécuter en fonction de ses choix d'investigation et d'expression, des exigences d'amélioration de sa maîtrise des outils et modes de communication et des exigences de son insertion dans un groupe social.
En d'autres termes :
La cogestion coopérative de l'espace et du temps scolaire permet à l'enfant et à l'adolescent de prendre conscience des multiples interactions entre les facteurs qui modèlent le vécu individuel et social, d'apprendre à mieux les maîtriser et de l'entraîner à une vue systémique.
On détermine ce que l'enfant veut faire, ce que l'on doit faire, ce que l'on fera, où on le fera, qui le fera, comment on le fera, selon quelles règles de vie sociale.
Ainsi conçue, la cogestion coopérative permet exigence et efficacité, mais, en même temps souplesse et harmonie entre l'individu et le groupe. Elle favorise les approches diverses propres à chaque enfant, mais, en même temps, la pluralité des modes d'intervention du maître : aide ponctuelle, dans les situations de libre recherche ou apports plus formels de contenus didactiques en fonction des besoins, présence recours ou garant des institutions et des décisions élaborées coopérativement... 
Dans une telle structure, l'audiovisuel, outil parmi d'autres, parce qu'il est présent dans le quotidien des enfants et des adolescents et fait partie maintenant de leur histoire culturelle peut devenir outil de réussite.
Christian, petit garçon de 6e souffrait de sa taille et d'un petit frère envahissant. Il échouait toujours.
Le jour de l'inauguration du marché il me demanda le magnéto pour la première fois. Il voulait faire une interview. J'étais fort réticent : je ne le voyais pas parler à des inconnus. Il était incapable de formuler une question clairement.
Le lendemain il arrive triomphant : il s'exprimait avec aisance, dialoguait, et les gens répondaient...
J'étais fort étonné et je le félicitai.
Arrivé à la maison, j'écoutai toute la bande, même le début, et j'entendis la voix de mon Christian.
Enfermé dans sa chambre, il s'entraînait à poser des questions et il les reprenait jusqu'à ce qu'elles soient claires.
C'est de l'élocution, je crois.
Pour Christian, c'est le magnéto, outil de réussite : il a tâtonné, s'est entraîné, a réussi. 
Il peut également déclencher ce que d'autres techniques n'avaient pas encore permis.
 
ELLES SAVAIENT PARLER... ELLES ONT PRIS LA PAROLE...
UNE CLASSE DE 5e QUE J'AVAIS EUE EN 6e, C.E.S. DE VEDÈNE (VAUCLUSE)
7 ADOLESCENTES SE CONTENTAIENT D'ÉCRIRE, MUETTES...
 
Elles n'avaient jamais haussé la voix ; elles n'avaient jamais imaginé qu'elles auraient pu prendre la parole au milieu de 17 garnements déchaînés et « maîtres » de la classe.
Le magnétophone, outil scolaire et inquiétant ne les attirait pas.
A la rentrée un élément nouveau apparaissait : la possibilité de participer à des émissions à Radio Garance ; à 25 km du collège...
Les enfants pouvaient en toute liberté et sans animateur adulte présenter leurs enregistrements, discuter entre eux ou avec leurs invités. Deux filles, Stéphanie et Malika ont fait le déplacement...
Elles se sont assises derrière un micro mais elles n'ont pas ouvert la bouche...
Je les ai félicitées pour leur présence, les garçons les ont agressées pour leur silence... Elles avaient pris des places dans les voitures et elles n'avaient rien dit : « Quand on va à la radio c'est pour parler ».
Quelques jours après, Stéphanie emprunte un magnétophone pour enregistrer ses voisins, sa maman, sur la science-fiction, thème abordé par un de ses camarades pour une future émission...
Elle connaissait ses interlocuteurs ; elle possédait bien son sujet : elle pourrait corriger « ses erreurs »...
Elle ramena sa cassette avec un léger sourire et la donna aux garçons qui s'en servirent pour leur montage. C'était bien enregistré : les questions hésitantes au début, étaient naturelles à la fin...
Ils discutèrent avec elle du montage : elle existait, ils la découvraient... Elle ramena un nouvel enregistrement sur les veillées mais déclara vouloir se débrouiller toute seule. Elle repiqua sa cassette sur une bande pour pouvoir la modifier à sa guise... En quelques minutes, elle apprit les gestes élémentaires et elle se plongea dans sa solitude avec ses écouteurs... Après 3 heures de travail, elle présenta ses 4 minutes sous l'oeil ahuri de ses camarades. Dans la classe régnait un silence religieux. Stéphanie, une fille muette, seule, avait pu faire toute cette réalisation du début à la fin.
Elle continua à fréquenter le studio chaque samedi et attira d'autres amies... Parfois, elle disait un mot... mais un jour en sortant, elle me dit : « Chaque fois que je sais ce que je vais dire, les autres l'ont déjà exprimé... » A la veille des vacances de février, 4 volontaires se présentèrent pour organiser l'émission : c'étaient 4 filles : sourires ironiques de leurs camarades mâles...
Le jour de l'émission, les garçons, tous à l'écoute apprécièrent les histoires de « mamie Paulet » interrogée par les 4 filles sûres d'elles et seules...
Elles parlaient en direct, elles présentaient leurs enregistrements.
Leurs phrases, leurs questions étaient un peu brèves, un peu sèches mais l'essentiel était dit.
Elles avaient pris leur temps ; elles étaient allées à leur rythme et le moment venu elles s'étaient élancées...
Après les vacances, à l'écoute des cassettes enregistrées, elles étaient regardées autrement et sous un très léger sourire se cachait pas mal de fierté.
Elles levaient le doigt, elles s'exprimaient davantage et, même dans les couloirs on les bousculait moins...
A Pâques, toutes les filles étaient allées à Radio Garance et toutes avaient participé.
Dans la classe il n'y avait plus de filles et de garçons, il y avait des enfants et des adolescents            
Georges Bellot
 
OUTIL RÉVÉLATEUR, MÉDIATEUR ET FÉDÉRATEUR 
Il n'est pas rare non plus de voir l'audiovisuel servir de « MÉDIATEUR » porteur de la parole d'un enfant.
Josépha, en 5e, venait d'une classe de transition. Grande et charmante, elle ne savait que sourire et rougir sous les sarcasmes des garçons. Elle écrivait beaucoup mais jamais personne n'avait entendu sa voix quand elle disait ses textes. Elle ne voulait plus les lire : c'était la catastrophe elle n'écrivait plus. Il fallait précipiter l'événement... Je choisis son meilleur texte et j'enfermai Josépha dans une classe libre avec un magnétophone et je lui ordonnai de lire son texte...
Le lendemain, Josépha, rougissante, écoutait sa voix et son texte, sous le regard et l'oreille admiratifs de ses camarades qui l'applaudirent. Après ce jour-là, elle accepta de s'enregistrer en direct car elle avait beaucoup de choses à dire...
C'était le magnéto « médiateur », il avait permis à Josépha de communiquer avec les autres élèves...
On se souvient de l'émerveillement et de l'émotion des enfants découvrant l'imprimerie dans le film « L'école buissonnière ». Dans le souci permanent d'enrichir le milieu et les moyens d'expression, l'éducateur Freinet cherche ainsi à introduire de nouveaux outils, à créer de nouvelles situations. Mais l'introduction de techniques audiovisuelles dans une classe implique, en soi, une modification de certains comportements et, donc, une PART AIDANTE spécifique du maître. Et cela dès le plus jeune âge.  
ARRIVÉE DU MAGNÉTOPHONE CHEZ LES 2 A 4ANS, MATERNELLE DU BOIS EN RÉ. 
Ce matin, le gros magnétophone, anonyme boîte grise, est posé sur la moquette du coin langage.
On s'installe pour la conversation dans le brouhaha habituel. Chacun veut faire sa place près du copain du moment.
J'ôte le couvercle de la grosse boîte, je prends le micro, je mets en route, silence rapide.
Ils sont attentifs au mouvement des bobines, intrigués par le micro et très silencieux... puis...
- Qu'est c'est ca maîtresse ?
- Pourquoi ça tourne ?
Quelques commentaires que j'enregistre de loin. STOP.
On re-enroule. Quel succès cette vitesse de bobines ! On écoute.
Alors, là, les visages se transforment, plus graves, plus recueillis, plus attentifs, plus inquiets. Moment un peu magique.
Nathalie, qui est la plus grande se hasarde, elle a reconnu une voix.
- J'ai entendu Michaël.
Tous le regardent, lui demeure incrédule. Et pourtant !
Comme je ne veux pas faire du magnétophone un objet magique, je reprends l'enregistrement et je présente.
- Ça c'est le magnétophone, ça c'est le micro. Et j'ose approcher celui-ci de mon visage.
Nathalie répète « le magnétophone » et le jeu démarre.
Les plus audacieux s'approchent comme moi du micro et jettent « le magnophone... le matophone... » (c'est long MAGNÉTOPHONE) puisse retirent avec un rire nerveux. La plupart n'osent pas. Que d'appréhension encore. Nathalie s'impatiente, elle a compris et veut écouter. Allons-y. Cette fois on rit haut, on nomme fort le camarade reconnu...
Guillaume se trémousse, pour lui ça suffit, il a quelque chose d'important à dire et c'est justement d'une telle importance qu'il oublie le micro discrètement rapproché.
- Tu sais, mon lapin, il est mort...
Lui et moi, nous engageons le dialogue.
Sa plus grande surprise sera bien sûr quand le magnétophone lui restituera mot à mot notre entretien.
On l'écoutera deux fois de suite et on le gardera pour l'entendre encore d'autres fois, car, le magnétophone va devenir un objet de plus en plus familier.

Jocelyne Pied

L'audiovisuel au service de l’expression orale 
L'audiovisuel peut jouer le rôle de miroir permettant aux élèves, de prendre conscience de leur degré de maîtrise des formes du langage parlé, et au maître de son mode d'intervention.
En 4e pratique à Béziers.
J'avais sept heures par semaine dont une était toujours consacrée à des discussions « bilans ».
J'ai rapidement constaté combien ces adolescents en avaient assez de l'école, de l'enseignement intellectuel mais aussi du travail manuel. Nous avons eu de nombreuses conversations (il m'était difficile de faire sérieusement autre chose) et j'ai vite compris quelle proie facile ils allaient être dans les mains des exploiteurs de toutes sortes. Ne dit-on pas
« Qui détient le verbe, possède le pouvoir » ? 
Vérifier une hypothèse... 
Le stage d'août organisé par la Commission audiovisuelle me rappela que le magnétophone pouvait jouer un rôle décisif dans la maîtrise du langage oral. Le but a priori que je me fixais, était d'expérimenter cette idée qui pour moi n'était qu'une hypothèse.
En outre, les discussions étaient les seules activités qui n'avaient pas une coloration scolaire et ils s'y prêtaient volontiers unanimement. Il ne me restait qu'à enregistrer ces entretiens. J'ai donc introduit le magnétophone sans me poser de questions quant à la manière de le faire. J'ai enregistré en leur demandant la permission, c'était du « forçage-doux ». Apparemment, il n'y a eu aucune réticence. L'unanimité y était pour diverses raisons :
- Soit que « c'était bon » comme ils disaient, on n'était pas obligé de parler, on pouvait paresser.
- Soit qu'on aimait déjà parler.
Il me fallait être vigilant, quant à l'évolution de l'expression orale ; en utilisant comme technique l'écoute a posteriori des montages des discussions enregistrées. 
COMMENT CELA S'EST-IL PASSÉ ? 
C'est dans le sens d'une maîtrise efficace de la langue orale que j'ai utilisé et favorisé l'utilisation du magnétophone.
Systématiquement toutes les discussions, tous les débats ont été enregistrés. Le magnétophone au milieu de la classe, les élèves autour plus ou moins en rond, un camarade tient le micro et le dirige vers celui qui veut parler.
Au début, on dirait qu'ils n'ont rien à dire ou pas grand chose. Le magnétophone est sans doute gêneur.
Alors, je parle beaucoup. A l'écoute des enregistrements, je constate que je parle trop et souvent à mauvais escient. Ce qui me permet de modifier mes interventions.
Puis, ils parlent de plus en plus, mais surtout pour eux, pas pour communiquer avec un autre. On se tourne presque toujours vers le maître, on le prend à témoin et ca suffit. Il est difficile de s'effacer tout en restant présent pour faciliter l’échange, la communication.
Certains parlent pour parler, répètent ce qui a été dit, utilisent des slogans publicitaires de la télé pour faire rire.
Les forts physiquement, parlent et s'imposent. Il n'est pas question de les contredire sans que pèsent sur le contestataire de lourdes représailles à la sortie.
Les caïds mènent la barque avec la complicité de quatre ou cinq sympathisants, de la majorité silencieuse et neutre et du maître qui tâtonne. 
LA SITUATION ÉVOLUE... 
Au deuxième trimestre, on écoute quelques montages de discussions qui suscitent d'autres discussions. Deux carpes, Isidore et François prennent la parole. Aussitôt, je valorise ces interventions courageuses face aux leaders. François et Isidore prennent peu à peu confiance en eux et s'expriment de plus en plus. L'écoute enregistrée de leurs interventions les a beaucoup stimulés.
Ces deux nouveaux parleurs s'expriment assez facilement et dominent sur ce plan là leurs rivaux. Peu à peu, le rôle de leader est tenu par Isidore et François, soutenus par quelques muets qui enfin se mettent à parler. Les nouveaux leaders l'emportent parce qu'ils s'expriment mieux. François analyse à merveille les situations et Isidore synthétise pour être efficace.
Patrick, le « baraqué » au lieu d'abandonner a pris goût à ces discussions et pour rester leader, essaie de tenir tête, a du mal, perd sa place puis devient le rival de ceux qui lui avaient subtilisé son rôle.
Et les joutes oratoires reprennent de plus belle et beaucoup d'élèves (en fin d'année scolaire) s'expriment à leur tour, tantôt pour soutenir le point de vue de Patrick ou de François ou le leur. Sur beaucoup de sujets, les leaders se sont mis d'accord par ces échanges verbaux.
Isidore joue presque toujours le rôle de conciliateur.
C'était les principaux orateurs, ils ont entraîné les autres qui parlaient moins souvent.
A partir du deuxième trimestre, au moment des écoutes des montages des discussions, je constate une évolution, un progrès surtout au « plan de structures de la phrase ». 
Laissons-les parler... 
- Je pense que... - Moi, je suis d'accord avec... - Tu veux dire que... - Ce n'est pas tout à fait ça ! - Moi, je sais que... - Je vois pas tout à fait ce que... - Moi, je voudrais pas te contredire, mais... - C'est mon avis - Tu commences à t'intéresser... Alors tu fais une petite synthèse... – Peut-être pas sur le plan de... Avant, je parie que tu... - Tu liais conversation avec... - C'est justement ça Il sera obligé de prouver... - Ce qu'il y a aussi, c'est que... 
Il me faut ajouter qu'au troisième trimestre, le goût de la discussion était si grand qu'un groupe m'a demandé de prêter le magnétophone pour enregistrer leur conversation dans une classe adjacente à la nôtre. Cela s'est produit chaque fois que quelques élèves ont éprouvé le besoin d'échanger leurs points de vue sur un sujet qui les intéressait. Sans ma présence, le magnétophone a joué le rôle de pont et a facilité entre eux et moi la communication, surtout chez ceux qui ne parlaient pas souvent en classe et qui parlaient beaucoup au sein d'un petit groupe de copains. Ces discussions se sont toujours déroulées sérieusement. Ils me portaient la bande en me recommandant à chaque fois de l'écouter avec beaucoup d'attention, ce que je faisais bien sûr, puis nous en discutions.
Qu'a permis le magnétophone ? Qu'a permis l'analyse a posteriori de leurs discussions ?
Laissons-les parler à propos de leurs entretiens : 
- On n'a pas toujours de bonnes idées pour parler et comme le sujet ne nous plaît pas, on n'en parle pas beaucoup.
- Moi, quand j’ai un sujet qui me plaît, on arrive à avoir une bonne discussion.
- S'il n'est pas intéressant, (le sujet) j'aime mieux pas parler.
- On dit beaucoup d'idées à la fois, on en parle assez vite, on va pas assez loin.
- Parfois, t'arrives pas à les exploiter toutes à la fois.
 A propos du magnétophone. 
- Ca nous apprend à bien parler.
- On cherche des termes compliqués pour...
- Avec les copains ou avec quelqu'un d'autre, je parle mieux.
- On voit les progrès qu'on fait..
- Moi, je pense que je fais des progrès en écoutant les bandes.
- Au début de l'année, t'as pas l'habitude de parler...
- Les mots y viennent tout seuls maintenant...
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De quoi ont-ils pris conscience ? Sont-ils conscients de tout ce qui s'est dévoilé à eux en prenant la parole ?
- Le vocabulaire trop pauvre ou trop riche est un frein pour la communication.
- L'utilisation de phrases stéréotypées est un langage superficiel.
- Les mots sont souvent vides de sens, sans rapport avec la réalité.
- Les idées que l'on véhicule le sont, soit par habitude, soit par opposition à...
- Les idées et la pensée sont souvent exemptes d'action. On se leurre et on leurre les autres.
Dans un climat de détente et de confiance réciproque, tout ceci peut amener ces adolescents à :
- Personnaliser leur langage sans tomber dans la rhétorique, l'emphase, l'éloquence (à l'honneur dans notre société bourgeoise : télé, radio).
- Utiliser un langage naturel simple mais clair et précis. Il faut bien se faire comprendre et communiquer.
- Une meilleure écoute d'autrui et meilleure perception des autres (attention et disponibilité plus grande).
Le magnétophone peut être un excellent outil pour améliorer l'expression orale, autrement dit la communication.
Ne pas pouvoir communiquer est triste pour l'individu lui-même et ceux qui l'entourent. C'est réjouissant et intéressant pour ceux qui autorisent légalement l'exploitation de l'homme par l'homme et sont les spécialistes de la démagogie.
La démagogie ? La prise de conscience peut aller jusque-là : prendre conscience que la démagogie, ça existe ; donc devenir méfiants vis-à-vis des mots et avoir cette position privilégiée qui permet de garder la tête froide face à cette multitude de sons et d'images qui agressent l'homme.

Raymond Blancas

 
Ici, l'outil audiovisuel a joué un rôle de miroir, permettant aux élèves de prendre conscience de leur degré de maîtrise des formes de langage parlé et au maître de son mode d'intervention. On voit bien alors l'importance de l'organisation coopérative pour que cela soit possible dans un climat non culpabilisant et que « l'amélioration de l'expression orale, autrement dit la communication » ne consiste pas dans l'apprentissage d'un modèle normatif imposé. 
L'audiovisuel, outil de structuration 
Lorsque l'on donne à l'audiovisuel la charge de porter et de transmettre à un destinataire extérieur à ce cercle, qui n'a donc pas vécu le moment de l'émission du message, alors il devient indispensable de se préoccuper de la manière dont il va être reçu, et par conséquent de la forme de ce message, tout autant que de son contenu.
Lorsque, pour la première fois l'enfant - l'adulte aussi - saisit un instru­ment audiovisuel, il y a d'abord cet attrait irrésistible pour cette chose nouvelle : une véritable frénésie de « prendre », d'enregistrer, que ce soit sur le ruban magnétique ou sur la pellicule. Dans cette première phase seul prime le désir de stocker un document : portraits de proches, si mièvres qu'en soient les expressions, échos de conversation, si futiles qu'en soient les thèmes, peu importent les qualités techniques des images comme des sons recueillis, l'essentiel est qu'on les reconnaisse, qu'on « les ait ». La primauté est donc entièrement au subjectif, encore accru par la fièvre d'entrer en possession de ces appareils aux pouvoirs quasi magiques puisqu'ils peuvent fixer et conserver des instants de vie.
Dans nos classes, une des premières motivations qui pourra faire éclater un peu cette fascination sera la possibilité offerte, par le truchement des moyens audiovisuels, d'entrer en relation avec d'autres, et d'abord, évidemment, avec les correspondants : se présenter, faire entendre nos voix, montrer comment on est, savoir comment ils sont.
Il nous est arrivé de recevoir de tels documents animés par ce seul zèle enthousiaste : photos à peine lisibles à cause de la mise au point imprécise ou du manque de lumière dans la classe, bande dont l'intensité so­nore empêchait l'écoute collective, bruit de fond trop important ou arrêts intempestifs et désagréables dans l'enregistrement. Les critiques vont alors leur train, à la mesure de la déception, tout comme pour un album peu soigné ou un journal taché, aux tirages illisibles. Freinet raconte l'émotion intense qui régnait dans la classe de Bar-sur-Loup lorsqu'on recevait un film de chez Daniel. Les défauts techniques devaient certainement être nombreux et ne tempéraient probablement pas l'enthousiasme des spectateurs. Mais quel auditeur, si peu mélomane soit-il, prendrait encore un grand plaisir à l'écoute des cires où l'on grava les voix pourtant mélodieuses de chanteurs tels que Caruso, s'il n'est pas en mesure de replacer cet enregistrement dans son contexte ?
Nous rejoignons là tout le débat sur la mise en valeur d'une production qu'elle soit texte chant, dessin... Je ne voudrais pas l'aborder ici à son plan esthétique, voire moral, mais insister simplement sur l'aspect communication : pour être compris, il faut au moins se faire comprendre, ce qui nécessite un minimum d'exigences dans la forme : de certains ca­marades, je préfère recevoir une lettre tapée à la machine que manuscrite, je peine moins au déchiffrage. Avec les moyens audiovisuels cette nécessité est peut-être plus impérieuse du fait de l'influence plus grande que peut avoir ce moyen de communication. « Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours », disait-on déjà bien avant l'apparition de la photographie. Et ce n'est pas à nous qu'il faut démontrer la supériorité d'une B.T. Sonore sur un cours magistral, le pouvoir stimulateur du disque pour le démarrage de la musique libre dans une classe. Je comprends assez mal l'aversion de certains pour ce minimum de technique dans la réalisation d'un enregistrement ou d'une prise de vue, même parmi ceux qui se font les chantres d'un beau journal scolaire ou de peintures réa­lisées avec des matières premières de bonne qualité. Ce refus d'accepter les contraintes des moyens d'expression les plus modernes me paraît étonnant. Pourtant, combien n'avons-nous pas constaté et regretté le peu d'intérêt manifesté pour un document très intéressant dans son contenu, mais qui, présenté tel quel devant une assistance trop nombreuse ne passait pas la rampe ?
Il est naturel que l'enthousiasme créateur qui a vibré dans la classe pendant un enregistrement, tout le contexte affectif qu'il porte en lui pour ceux qui ont vécu ce moment, empêchent de prendre conscience de ces impératifs, surtout lorsque la classe, maître comme enfants, commence la découverte de ces moyens d'expression nouveaux. Là encore, je reprendrai ma comparaison avec le journal scolaire : les premières pages que l'on imprime dans une classe ne sont, souvent, pas très belles. Mais quelle joie, quelle fierté, lorsqu'elles sortent de la presse. Et les premières photos tirées dans la chambre éclairée de jaune, et les premiers linos, et les premiers... ?
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Je crois que si l'on attrape un outil audiovisuel, ou un pinceau, une gouge, c'est avant tout pour montrer à d'autres, pour communiquer. Il n'empêche que se pose souvent le problème du décalage entre cet enthousiasme du moment de la création et les résultats qui pourront en découler. Ici revient sans doute le problème de la maîtrise des techniques mises en oeuvre les contraintes et les freins qu'elles peuvent d'ailleurs être amenées à apporter dans l'élan de création. On constate souvent une certaine déception lorsque les enfants prennent conscience qu'ils n'ont pas réussi à transmettre ce qu'ils avaient vécu ensemble, dans la joie. Cela peut soit les bloquer, soit au contraire les amener à chercher à dominer davantage les outils. Cela dépend probablement des enfants, du moment, mais aussi, très certainement de la part du maître : après la phase de découverte de l'outil, où la manipulation de celui-ci constitue une fin en soi, sans aucun souci, ni de contenu, ni de forme, vient le besoin de réaliser quelque chose avec cet outil et bel et bien pour le montrer à d'autres. Ne voit-on pas cela aussi bien en art enfantin, en théâtre libre, en marionnettes ou dans tout autre moyen d'expression dont la liberté d'usage est donnée aux enfants ?
Xavier Nicquevert
COMMENT DANS UN COURS PRÉPARATOIRE, APPARAISSENT PEU A PEU, LES EXIGENCES D'ORGANISATION DU DÉBAT, DE TECHNIQUE D'ENREGISTREMENT, ET SURTOUT DE STRUCTURATION DU MESSAGE : LE MONTAGE 
C'est d'abord David qui a emporté (il n'y avait pas 8 jours que nous étions rentrés) le minicassette pour demander à sa mamie d'origine italienne comment était la vie quand elle était petite. 
David revient à l'école avec l'enregistrement d'une poule qui vient de pondre, de vaches meuglant et de cris d'étourneaux. Chouette, on posera des devinettes aux correspondants !
Quant à l'interview, la maman remplaçant la mamie-qui-soit-disant-parle-si-mal-le-français, lit un texte. Punaise, on croirait Marie de Rabutin-Chantal marquise de Sévigné ! (Au fait, n'aimeriez-vous pas l'entendre l'effet marquise ?) Je la soupçonne même d'avoir eu le toupet d'imposer ses questions à David. Ne pourra-t-on jamais laisser les enfants libres
En tout cas, voilà ce qu'il ne faut pas faire.
Puis ce sont Hélène, Valérie et Carole qui ont chacune enregistré les poèmes qu'elles avaient écrits. Tiens, trois filles ! Comme c'est bizarre.
Après écoute de la B.T. Son : « Nous vivons en banlieue », les élèves ont débattu le 2 octobre durant 18 minutes, de leurs peurs.
L'enregistrement terminé, les enfants ont voulu se ré-entendre. Rembobinage de la cassette et, en route pour la lecture.
Cinq-six minutes s'écoulent et déjà Karine avec son double-décimètre joue à la loterie, Estelle murmure à l'oreille d'Elsa, Christophe feuillette un livre, Pascal se balance sur sa chaise, Benoît s'asseoit sur sa table... Ça s'agite. Le bruit s'enfle. J'arrête le magnétophone et m'étonnant de leur attitude, de leurs faits, de leurs gestes, je leur demande :
« Vous ne me semblez pas très intéressés, pourriez-vous me dire pourquoi ? », et timides, les réponses arrivent :
Ludovic : « Ça ne les intéresse pas parce qu'ils n'ont pas parlé ». (Murmures de désaccord),
Karine : « On sait ce qui est enregistré et quand on le connaît, ce n'est plus intéressant ».
Stéphanie : « Quand on écoute, à la fin on en a marre d'entendre parler ».
David : « Moi, quand ce n'est plus bien, ça m'endort ».
Estelle : « Quand ça ne m'intéresse plus, je n'écoute plus ».
Elsa : « C'est trop long et certains disent des choses qui ne sont pas intéressantes ».
Valérie : « Oui, c'est trop long et il y en a qui disent des choses qui ne sont pas de nos peurs ».
Le mot est lâché : TROP LONG
J'interviens à nouveau :
« Vous trouvez que c'est trop long ? Alors que diront les corres quand ils recevront cet enregistrement ? »
« ... »
« Que peut-on faire ? Que proposez-vous ? »
« Il faut leur envoyer ce qui est intéressant et pas le reste ».
18 volontaires se proposent d'écouter la cassette pour choisir les moments intéressants. 7 ne se manifestent pas.
Nous nous organisons et formons 3 équipes de 4 et 2 équipes de 3 qui, à tour de rôle, jour après jour, écouteront aux casques en notant les « bonnes » interventions. De manière très succincte, ils indiqueront en colonne les noms des intervenants « intéressants » et un mot-clé de ce qu'ils ont dit (par exemple : Zhora, squelette).
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Une équipe, à ma demande, note les noms de ceux qui sont intervenus et combien de fois ils sont intervenus. Voilà ce que cela donne : 10 enfants n'ont pas pris la parole, c'est ÉNORME !!!
2 l'ont prise 1 fois - 3 l'ont prise 2 fois - 5 l'ont prise 3 fois - 2 l'ont prise 4 fois - 2 l'ont prise 5 fois - 1 enfant l'a prise 8 fois, moi, je l'ai prise 12 fois uniquement pour inciter à parler. Soit, pour un total de 26 personnes, 61 interventions.
Réunion de tous les groupes qui font part de leur choix. Le premier groupe lit, un à un, ses choix et les autres groupes indiquent si leur choix est le même. Puis, tour à tour, les autres groupes font de même pour les interventions non encore citées.
Je note les noms des intervenants choisis et les mots-clés. Je fais les comptes : 35 interventions ont été retenues.
18 interventions ont été retenues par 1 seul groupe - 11 interventions ont été retenues par 2 groupes - 4 interventions ont été retenues par 3 groupes - 1 intervention a été retenue par 4 groupes - 1 intervention a été retenue par 5 groupes.
En ayant plusieurs équipes les copains de chaque groupe n'ont pas été forcément retenus.
A la maison, j'avais décripté l'enregistrement original : noms des intervenants et mots-clés et je m'aperçois que mon choix personnel aurait été assez semblable à celui de mes élèves.
Cela dit, je demande si l'on doit copier toutes les interventions retenues ou seulement celles qui l'ont été plusieurs fois. L'on décide de retenir uniquement les 17 interventions citées de 2 à 5 fois.
La copie de la cassette sur le magnétophone à bande est faite en classe. Un représentant au moins de chaque groupe était présent pour nous assurer que les interventions copiées étaient bien celles qui avaient été retenues.
La copie terminée, nous écoutons et, à la fin de l'audition, les remarques fusent :
Sabine : « Il faut l'arranger ! »
Stéphanie : « Il faut le mettre en ordre parce qu'il est en désordre ».
Hélène : « Il faut mettre les serpents avec les serpents, les araignées avec les araignées, le noir avec le noir et ainsi de suite ».
D'ACCORD ! 
J'écoute la bande après la classe et, le lendemain, après avoir dédoublé 2 interventions, je propose le schéma suivant qui est retenu :
 
Nous aussi nous avons peur ! ... des serpents, des araignées, de nos rêves provoqués par des discussions, ou des films, ou la télé, des fantômes et des disparitions, du noir, des ombres et de la lumière, de l'inconnu, des inconnus, pour terminer par l'intervention d'Estelle qui prétend ne pas avoir peur.

Claude Curbale


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Audiovisuel, outil de réussite, d'expression, de valorisation, de médiation, de structuration, d'apprentissage... mais... 
COMMENT introduire cet outil… motiver et former les enfants et les adolescents à son utilisation 
SEPTEMBRE : MISE A DISPOSITION : 
J'ai 4 classes de 6e et 1 de 5e en Sciences Humaines (30 + 30 + 24 + 24 + 17 = 125) et 1 classe de 6e très faible en français (17).
Et j'ai mon « attaché-case » : appareil photo, minicassette et petit matériel, mis à la disposition des élèves, en liberté d'utilisation. 
Prernière constatation : 
Mettre à la disposition n'est pas une incitation suffisante à couper le cercle et à y pénétrer. Pour avoir l'idée de se servir des appareils, il faudrait D'ABORD « savoir QUOI FAIRE ? », ce que l'on peut en tirer.
Mais, pour savoir cela, il faudrait déjà s'en être servi, avoir l'expérience. 
OCTOBRE: PREMIERS TÂTONNEMENTS: 
Emmanuelle est la première à demander le magnétophone. Elle enregistre une conversation le soir, avec sa mère, autour de la table de cuisine. Ceci est présenté à la classe, complimenté. Mais je ne me hasarde pas à en exprimer une « exploitation pédagogique ». 
Enhardie, Emmanuelle demande l'appareil photo. Nous établissons le contrat. Elle choisit de photographier les églises anciennes de Caen (Xle-XIIIe siècle) et les églises récentes de quartiers reconstruits et des villages voisins.
Les photos sont développées sur le bureau, pendant l'heure de cours. 
Le développement sans cabinet noir (1)
(1) Voir la B.T. « Apprenons à photographier » n° 896 et le S.B.T. « Je développe tout seul mes diapositives » n° 433.
Première expérience de développement des diapos pendant l'heure de cours : elle fait apparaître les difficultés : temps assez long de réchauffement des produits à 20". Course à l'eau courante. Patouillage dans la classe. Elle aboutit à l'organisation suivante :
Une équipe de deux élèves - l'un opérant et l'autre au compte-temps et à la surveillance des opérations et petits services - développent les photos dans l'heure de cours, pourvu qu'ils aient préparé le bain-marie à 20° pendant l'inter-classe précédent. 
L'organisation matérielle et spatiale est la suivante: 
Bureau :
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0   Serpillière neuve étalée sur le bureau
1   Cuvette bain-marie, eau à 20°, contenant...
2   5 gourdes en plastique de 250 cc, pour les 5 produits,
3  Cuvette pleine d'eau tiède pour rinçages,
4   Pot à eau calibré en cc, avec marque à 300 cc,
5  Petit matériel (thermomètre, ciseaux, 2 épingles à linge, agent mouillant),
6  Compte-minutes à sonnerie,
7  Attaché-case avec liste des opérations à suivre collée dans le couvercle,
8  Cuve à développement plein jour, chargeable en plein jour, indispensable et pratique pour éviter le cabinet noir (référence : cuve Agfa Rondinax U 35). Fonctionne avec 200 cc de produit pour films 36 vues,
9  Seau recevant l'eau de vidange des rinçages. 
Par la suite, les enfants s'enhardissent, et, à mesure des succès des opérations, je peux faire mon cours pendant que deux élèves développent sur le bureau. J'ai ceil sur eux, mais c'est une précaution inutile. 
OCTOBRE... NOËL... - TÂTONNEMENTS, ENCORE... 
Emmanuelle développe ses photos avec Ghislaine. Déception : elles sont trop noires ! 
Et, nouveau problème : comment laisser les enfants avec un appare il photo et faire leur enquête en « devoir du soir », après la classe ou un jour de congé, sans leur avoir inculqué quelques notions de prise de vue, réglage de l'appareil ?
J'avais donc posé ce problème, en posant comme hypothèse que le résultat obtenu était dû à la maladresse des élèves... Il m'aura fallu plus d'un mois pour constater que c'était l'appareil qui était détraqué. 
L'appareil et la prise de vues 
Le premier appareil dont nous nous servons permet les trois réglages distance -vitesse - diaphragme, contrôlé par une cellule incorporée. 
Explication donnée aux élèves, avec une proposition de réglage type, pour une situation donnée (extérieur - temps gris - intérieur ... ). 
Devant les résultats devenus régulièrement mauvais, je me suis décidé à me servir moi-même de l'appareil, pour constater alors que la cellule était tout à fait déréglée et que l'appareil s'enrayait définitivement. 
Je demande donc à la directrice l'achat d'un COSMIC-SYMBOL, qui possède les trois réglages mais sans cellule, il est d'un maniement plus simple. 
Avec cet appareil, on règle le diaphragme en fonction de la sensibilité de la pellicule. Il ne reste à l'enfant qu'à régler la vitesse, exprimée simultanément en chiffres et en symboles :
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Et il faut, à chaque photo, régler la distance, bien entendu. Il faut donc tester l'appareil, surtout pour l'utilisation de la trousse permettant d'obtenir des diapositives noir et blanc à partir d'un film noir et blanc normal et pour des cas limites (photos en intérieur sombre, sans flash, par exemple). Tâtonnements nécessaires et éducatifs. Les enfants sont donc encouragés à doubler leurs photos, en prenant des réglages différents. Les résultats sont critiqués ensuite. 
JANVIER-FÉVRIER - LES CONTRATS 
Après Emmanuelle, Lydie et Isabelle prennent pour contrat : « Les services administratifs publics ou privés du quartier ». Bien reçues au Crédit Agricole, à la Caisse d'Épargne et à l'annexe de l'Hôtel de Ville, elles ont été rudoyées et évincées aux P.T.T. 
Arnaud, à son tour prend pour contrat la mairie du village où il habite. Réussite. Puis Joël et Ludovic : « une ferme ». Demi-réussite : les photos prises à l'intérieur des étables sont sombres...
Mais il y a de nombreux autres candidats qui piaffent d'impatience, trouvant que l'appareil ne circule pas assez vite.
Il est vrai qu'une équipe conserve souvent l'appareil une semaine : il faut trouver le temps de la prise de vues, ensuite l'heure de développement, l'heure de mise en forme pour la présentation, et, enfin, la présentation à la classe.
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FIN FÉVRIER : LA VIDÉO... ET LA SUITE 
C'est à ce moment qu'une deuxième aventure s'enclenche. La Bibliothèque Municipale propose son matériel de vidéo. Les élèves de 5e sont tentés, mais, ne sachant que faire, ne sont pas décidés. Toujours ce même cercle...
Nous les mettons d'office devant les appareils et l'enthousiasme s'allume. On va chercher le prof de français qui doit faire son cours dans l'heure suivante et elle s'inclut dans l'équipe.
Certains se serviront de la vidéo pour réaliser des reportages, d'autres pour enregistrer leurs créations en théâtre.
Mais la vidéo de la Bibliothèque Municipale n'est pas toujours libre. C'est alors qu'ils (re)découvrent la minicassette et l'appareil photo. 
Première équipe : Nicole, Nathalie choisissent pour contrat « l'usage des médicaments ». Elles ont contacté pharmacien, médecin, mères de famille enfants, public de la rue. Le pharmacien leur a dit « Je ne vois pas très bien le rapport avec vos leçons d'Histoire ». 
IL FAUT MAINTENANT DÉMONTRER EN QUOI L'AUDIOVISUEL EST l'INSTRUMENT DES SCIENCES HUMAINES.
Gabriel Barrier
 
En dehors même de tous les problèmes matériels, organisationnels et institutionnels que pose l'introduction de telles activités dans les structures d'un collège « classique », un tel témoignage soulève clairement deux questions importantes :
- Quel est le « support » le mieux adapté : une fois dépassé l'attrait quelque peu magique de la vidéo, n'y a-t-il pas des techniques plus simples, plus aisées à mettre en oeuvre et parfois mieux adaptées pour ce que l'on veut dire ou transmettre ? Nous y reviendrons plus loin.
- Comment intervenir, comment aider, permettre les apprentissages nécessaires pour accéder à l'expression par l'audiovisuel ?
En effet, chercher à permettre aux enfants et aux adolescents de s'exprimer par des moyens audiovisuels et de produire un message à la fois et « reçu » par ses destinataires, exige une « part du maître » beaucoup plus délicate, qu'il conviendra d'analyser plus en détail.
 
Dans chaque cas, le problème pour moi, en tant qu'animateur, a toujours été celui de la « part du maître », dans une démarche que je voulais conforme à Ma conception de la Pédagogie Freinet. 
En introduisant des techniques telles que l'audiovisuel, ne se trouve-t-on pas en permanence sur la corde raide, pour concilier deux grands principes fondamentaux de cette pédagogie :
- Apprentissage par tâtonnement expérimental,
- Pédagogie de la réussite.
Compte tenu des contraintes de temps - et souvent de lieux et de moyens - dans lesquelles on est généralement placé, compte tenu du fait qu'il s'agit d'apprentissages dans lesquels la place du tâtonnement expérimental est difficile à situer dans certains domaines, sans prendre des risques d'échec total ou partiel (qui se révèlent souvent démobilisa­teurs), sans parler des défaillances ou des détériorations subies par le matériel :
- Quand et où situer son intervention ?
- Jusqu'où laisser les apprentis tâtonner, se dépatouiller ?
- Comment assumer l'éventualité d'une quête qui se révélerait totalement infructueuse ?
- Comment amener le groupe à considérer ses échecs comme positif dans sa marche vers l'appropriation des outils ?
 
Ma seule ligne de conduite constante a été, je crois, de donner à chaque fois les « coups de pouce » nécessaires pour que, à l'échéance fixée, il y ait toujours quelque chose à montrer, mais en même temps de donner aux groupes des éléments pour analyser les raisons des échecs, tant il m'est apparu vrai qu'une erreur a moins de chance de se reproduire si, ayant pu accepter la déception de l'instant, on avait pu comprendre les causes et apprendre comment éviter cette erreur.
Xavier Nicquevert
 
Quels supports audiovisuels, pour quels types de communication,d’expression et d'apprentissage ? 
Donnez les appareils, pour que l'enfant vive :
- le théâtre par l'atelier,
- la mathématique par l'atelier,
- le cinéma par l'atelier... 
Quand on pense que certains critiquent la télévision par le langage... Ils disent : « on va étudier le langage télévisé ».
NON, c'est la CAMÉRA...
Mettez la caméra dans la main des enfants et quand ils auront filmé, ils sauront ce que c'est que mentir, ils sauront ce que c'est que s'exprimer, et déjà toute la télévision pâlit...
Paul Delbasty
 
Nous sommes allés en vendange. Jean-Pierre et Marie-Odile ont enregis­tré le pressoir, le bruit du jus qui coule, l'ambiance dans la vigne, les exclamations et les silences des travailleurs. Gérard a fait un schéma la coupe du pressoir, après en avoir parlé avec le vigneron. Paul a pris des photos. Patrick écrira les circonstances de la visite et Corinne fera un   tableau clair des poids et prix du raisin. Jean-Paul, Nathalie et MarieAgnès, aidés par le maître, ont dessiné un organigramme général des activités de la vendange et des travaux nécessaires pour fabriquer le champagne (ce qui fera l'objet d'une autre étude). 
Si chaque enfant pouvait, petit à petit, acquérir la réelle maîtrise de tous ces langages, de quelles armes puissantes nous les doterions Quelle qualité d'autonomie atteindraient-ils
Pierre Guérin
Si nous rapprochons ici ces deux citations, c'est essentiellement pour insister à nouveau sur l'importance de la définition des intentions : nous avons bien vu, à travers tous les exemples précédents à quel point, plus que tout autre outil d'expression, l'outil audiovisuel est un moyen privilégié de communication, mais aussi de démystification.
Un dossier sur « Le cinéma à l'école » publié dans L'Éducateur en mars 1979 s'ouvrait par cette justification de Jacques Labarre : 
Pourquoi le cinéma dans la classe ? 
Il semble tout d'abord que le choix de cette technique est dû à un grand intérêt de ma part et à l'idée que cela m'aiderait à résoudre les problèmes d'expression de mes élèves. 
Il m'apparaît de plus en plus évident que les adolescents de C.P.P.N., au moins dans l'établissement où j'exerce, sont tout à fait bloqués dans l'utilisation des techniques « scolaires » d'expression telles que l'écriture et le dessin.
J'ai essayé de trouver dans des techniques utilisant des outils assez fascinants tels que caméra, magnétophone, appareil photo, stimuli qui feraient resurgir ces enthousiasmes si souvent menacés chez nos élèves. 
Pourquoi le cinéma ? 
D'abord parce que nous ne disposons pas au C.E.S. de matériel vidéo... sinon cela aurait sans doute donné une toute autre orientation à nos travaux, bien que les utilisations que nous avons faites au Centre du Mans semblent poser bien des problèmes. Sans doute ces outils sont-ils plus complémentaires que concurrentiels. 
Insistant sur l'importance de cette démystification, il poursuit 
Il serait temps de ne plus se fermer les yeux sur la réalité de l'importance de l'image et du signe, et de se réfugier dans des livres qui paraissent de plus en plus désuets dans la vie quotidienne. Il ne s'agit pas non plus de faire de l'image une panacée, les deux types de communication ont leur place, mais de fait et sans que l'école n'y puisse rien, l'image « prend le dessus », et parfois bien à tort. Si nous refusons par notre mutisme d'éveiller le sens critique des adolescents sur les images qu'ils reçoivent partout autour d'eux, si nous refusons de leur apprendre certaines techniques simples, la fabrication de celles-ci, nous nous faisons complices de toutes les aliénations que les détenteurs de ce savoir veulent installer. Je pense en ce moment aux affiches électorales où le portrait séduisant et en couleurs des candidats (de tous les partis d'ailleurs), s'installe à la place de leurs programmes, ou à ces publicités de chez Total où l'on parle de verdure, de romantisme, de bonhomie pour vendre de l'essence.
Ce sont sans doute aussi ces raisons qui m'ont amené à utiliser le cinéma, mais je suis persuadé qu'on peut aussi atteindre ces objectifs avec la photographie, le matériel vidéo ou tous autres outils utilisés par les média. 
Alors : « qu'importe le moyen » : ils sont tous propres à permettre d'atteindre le but visé ?
Est-ce que tous ces outils, tous ces « supports » ont exactement la même fonction, le même impact ? 
Plus que toute autre, la communication audiovisuelle n'existe que si elle peut être véhiculée par un ou des appareils qui la recueillent, la diffusent, l'amplifient, la multiplient. Elle en est donc étroitement tributaire.
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Mais le but de ce modeste ouvrage n'est pas de tenter un inventaire comparatif de tous les supports audiovisuels existants ou à venir avec leurs avantages et leurs inconvénients, leurs performances ou leurs spécificités technologiques. Nous voudrions plutôt demander pour quelques instants le DROIT de RÊVER.
Imaginons donc que (les « choses ayant réellement changé ») chaque établissement scolaire possède une dotation en matériel permettant un choix des matériels à utiliser non plus par « ce que l'on peut avoir sous la main », mais par la nature même du message à réaliser ou par le projet éducatif dans lequel s'intégreront des éléments audiovisuels.
Alors, la question sera de savoir si le diapo-son, la vidéo, ou le cinéma, ou plutôt un album ou des panneaux de photos, ou le son seul sera le « véhicule » le mieux approprié au projet, en dehors des contraintes économiques (lesquelles ont, néanmoins des aspects très formateurs).
 
Claude Curbale, quant à lui, pense que cinéma et télévision sont « proches cousins », mais qu'ils doivent vivre chacun leur vie propre :
« L'image ciné, même en super 8, a pour l'instant une meilleure définition. Elle est plus lisible que l'image vidéo. Cette dernière s'adresse à quelques personnes, alors que l'image ciné projetée sur un écran peut atteindre un groupe important. C'est vrai que l'image vidéo est un super moyen de tâtonnement... » 
N'a-t-on pas trouvé dans la vidéo l'outil rêvé de découverte et d'appropriation par la pratique, du langage audiovisuel, et ce dans la forme la plus élaborée ?
En effet, ne voilà-t-il pas enfin - sur le même support - la possibilité d'enregistrer :
- Des images en mouvement et en couleurs, avec une facilité qui se rapproche de plus en plus de celle du super 8.
- Le son parfaitement synchronisé avec le mouvement, dans l'ambiance réelle.
Et, merveille des merveilles, sans attendre un quelconque développement, il suffit de revenir en arrière, comme avec le magnétophone, pour « visionner » la séquence enregistrée.
Plus fort encore : à l'heure actuelle, le plus modeste magnétoscope de type « grand public » se laisse « traverser » pour transmettre l'image électronique captée par la caméra sur un téléviseur ordinaire.
Alors, à nous de déceler - en direct, même si nous le voulons – les erreurs, et de reprendre autant de fois que nécessaire : une bande dure 3 heures et on peut réeffacer…
Oui, mais : « ne devons-nous faire que des tâtonnements ? » se demande C. Curbale, qui ajoute :
« Je pense que le cinéma, par la cherté même de la pellicule qu'il faut économiser à tout prix, donne aux images un rythme bien plus percutant que celui des images vidéo qui s'étirent en longueur et en langueur du fait de leur support bon marché ! »
Nous reviendrons plus loin sur cet intérêt éducatif de l'exigence d'économie dans le cinéma tel que l'utilise C. Curbale qui reconnaît cependant que, dans le présent, la vidéo est idéale :
« - comme outil de tâtonnement
- pour la circulation des images « à bon marché »
- pour la confirmation immédiate des résultats ».
La tentation était donc très forte d'essayer. Mais la rareté des matériels existant - souvent peu fiables, peu pratiques et difficiles à se procurer sans-le-« technicien-qui-seul-compétent-peut-faire-marcher-les-machines » - nous ont longtemps empêché de vérifier comme nous l'aurions voulu cette hypothèse, avec des enfants, des adolescents ou des adultes.
La « remise entre les mains » d'un matériel vidéo à un public « non initié » est devenue maintenant une pratique courante. C'est même une tech­nique d'animation socio-culturelle très répandue dans certains pays où l'on ne craint pas trop cette « expression démocratique spontanée ».
Mais il serait intéressant d'analyser quelle peut être la place de la vidéo dans ce processus d'appropriation des langages audiovisuels par la pratique.
L'un des terrains privilégiés d'utilisation de la vidéo pourrait bien être, à l'instar de Jacques Labarre avec ses classes de C.P.P.N.,les stages « d'insertion sociale et professionnelle », qui accueillent souvent des jeunes issus de telles classes, et qui sont donc pour leur grande majorité, en rup­ture avec toutes les formes d'expression écrite.
Conseiller en formation continue, X. Nicquevert a souvent l'occasion d'intervenir dans de tels stages : 
La première préoccupation des formateurs est de rechercher tout ce qui peut concourir à permettre la constitution du groupe et surtout débloquer l'expression.
On pense donc tout naturellement à la vidéo, avec cette idée que les jeunes vont s'en emparer que... il en sortira bien quelque chose. Mais, la plupart du temps, ce qui « sort » est assez décevant et peut, en tout cas difficilement sortir du cercle d'origine : on retrouve évidemment cette « langueur » et cette « longueur » que critique C. Curbale, mais surtout « on n'entend rien », c'est souvent flou ou ça bouge trop. Ou encore : celui qui était à la caméra arrêtait de filmer alors que la personne qui parlait n'avait pas fini sa phrase, ou bien, tout à coup s'est mis à filmer tout à fait autre chose qui détourne complètement l'attention par rapport à ce qui est dit. 
Toutes ces expériences sont, en soi, très intéressantes et peuvent tout à fait entrer dans un processus de tâtonnement expérimental.
 
A condition, là comme ailleurs, qu'il y ait véritablement tâtonnement EXPÉRIMENTAL, c'est-à-dire une analyse des défauts constatés, en essayant de trouver leurs causes, de manière à pouvoir les éviter et, si possible, s'y prendre autrement, ou bien savoir que compte tenu du matériel dont on dispose, il n'y a pas moyen de faire autrement, sauf à modifier certaines conditions.
  
Ainsi, dans un stage « Jeunes femmes » à Orange, où le formateur avait demandé mon aide, un groupe avait décidé de réaliser en extérieur une séquence de « caméra invisible ». L'idée était bonne, mais je soupçonne le formateur de n'y être pas complètement étranger.
Le projet était de poster une fille maghrébine, sur un banc dans un jardin public, dans un endroit suffisamment passager pour qu elle attire des passants (mâles), se laisse « draguer » et qu'une copine arrive et lui fasse une scène en l'accusant de lui avoir pris son copain.
On voit tout de suite pointer /à derrière les techniques du « théâtre de l'opprimé » dAugusto Boal. Mais les filles avaient surtout retenu l'aspect « caméra invisible », comme à la télé, bien entendu.
Les difficultés commencèrent dès le choix des lieux : où cacher cette fameuse caméra ?Il fallait, bien sûr être loin, pour ne pas être remarqué. Ah oui, mais alors, quand on est loin, on voit mal, même en « zoomant » au maximum. Et le son ? On veut entendre ce qui va se dire. Et le micro est sur la caméra... pas moyen de « tirer un fil » pour se rapprocher...
La tentative a donc été faite quand même, puisqu'elles y tenaient: à la terrasse d'un café, et tout un groupe de filles, parce que, devant la situation réelle, aucune n'acceptait de se lancer seule... Les images furent acceptables techniquement; on voyait le groupe. Mais c'était vite lassant : pas de changement de point de vue, ni de cadrage, toujours les mêmes personnages de dos... Par contre, le son, n'en parlons pas : parfait, quant à l'ambiance de la rue...
Comme ça, pour le prestige a posteriori, je m'étais risqué à poser quelques questions du genre : « Vous ne pensez pas qu'on n'entendra pas grand chose ? »
Mais je savais bien que seule l'expérience pouvait les convaincre que leur projet n'était pas réalisable avec les moyens dont elles disposaient. Je ne crois pas que cela puisse « traumatiser » au point d’ôter l'envie de refaire autre chose. Au contraire, c'est bien souvent le moyen de faire prendre conscience de la nécessité d'un minimum d'apprentissages.
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Avant l'apparition de la vidéo « grand public » j’utilisais le plus souvent la diapositive - d'abord noir et blanc, puis couleurs - dans le but de sensibiliser aux problèmes d'angles de prise de vue, cadrages, profondeur de champ... Nous partions à la « chasse aux images » et je demandais de photographier un même sujet sous différents angles, avec des réglages différents du couple « diaphragme- vitesse », et lorsque nous avions les appareils le permettant, avec différentes focales d'objectifs, en notant, pour chacun les conditions de prise de vue. Je me suis dit qu'il devait être possible de raccourcir cela, et, justement de permettre un tâtonnement expérimental instantané ou presque avec la vidéo.
J'ai donc essayé de faire la même chose avec un magnétoscope portable en mettant en place un dispositif de contrôle instantané de l'image produite sur un moniteur qui donne une image bien plus grande que celle obtenue dans le viseur. Je peux dire que ce système est extrêmement efficace pour faire comprendre les notions de cadrage : plongée, contre plongée... et de focale de l'objectif : grand angle, télé-objectif... Mais l'expérience m'a conduit à être assez strict sur certaines consignes : la caméra est fixée sur un pied, chaque vue est prise d'abord sans aucun mouvement de caméra.
Je suis également arrivé à penser qu'un passage par de tels exercices un peu systématiques était nécessaire lorsqu'était dépassé le stade « narcissique » pendant lequel il est inutile d'essayer de demander davantage que de « faire joujou avec le matériel » tout en se familiarisant avec le retour de sa propre image sous cette forme inhabituelle. Cette phase reste bien évidemment tout à fait essentielle et même très délicate, la vidéo ayant ici un impact beaucoup plus fort que tous les autres médias.
Une deuxième phase à dépasser, c'est bien souvent l'envie de faire comme à la télé. Quoi de plus normal, /à encore !
Ce n'est pas le lieu ici de redire toute l'importance, mais aussi la délicatesse de la part de l'adulte pour amener un groupe à dépasser cela et parvenir à ses propres expressions.
Et c'est précisément dans ce domaine que je me demande s'il n'est pas intéressant de recourir à d'autres formes d'expression et de communication audiovisuelle »
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N'est-ce pas également l'avis de C. Curbale lorsqu'il proclame : (1)
Voir B.T.J. n° 200 « Notre cinéma à nous ». 
La CAMÉRA est à la TÉLÉ ce que L'IMPRIMERIE est au LIVRE. Elle donne une autre dimension au langage plastique - au langage oral ou écrit - au langage sonore parce qu'elle les associe et les entraîne dans le mouvement.
 Et qu'il précise : 
Comme ailleurs sans doute, se pressent dans ma classe, des enfants nés sous l'étrange signe de la télé. Des enfants de Nounours, de Kiri le clown, de Pépin la Bulle, du Manège enchanté, de la publicité... que sais-je encore ! Ne vous ont-ils pas dit : « Monsieur, (ou maîtresse), hier à la télé... » Ils avaient observé le monde en images.
Ces enfants de nos classes...
« ... Ils sont le bataillon local de lourde écoute
Sous le hérissement des antennes râteaux
Qui ramènent les foins d'ailleurs à leurs coteaux
».
                    Hervé Bazin 
Ces enfants, j'ai voulu – et je veux, puisque c'est mon métier - les aider à se former, penser, sentir, communiquer avec les autres. 
A l'exemple de Freinet qui avait sciemment démystifié/démythifié le LIVRE et L'IMPRIMERIE, j'ai introduit, pour démystifier/démythifier la TÉLÉ, cette imprimerie moderne qu'est la CAMÉRAdans ma classe. 
Et, avec le désir est entré le plaisir. Le réel s'est mêlé à l'imaginaire en devenant un outil de développement intellectuel et affectif. C'est ainsi qu'a commencé l'aventure des IMAGES et des MOTS.
Si vous saviez l'intérêt et la force des images créatrices de sensations
Réaliser un film c'est écrire un poème. Évasion certes, et si nous nous échappons ce n'est pas pour oublier le quotidien mais pour mieux le comprendre et le dominer. Nous possédons la clé d'un monde magique qui anime le papier, donne vie au dessin et dispose des « êtres » et des choses en les faisant : avancer - avancer/reculer - sauter/plonger se lever/se coucher - rire/pleurer -laver le linge plus noir - agrandir les pulls.. .
Voici un aspect très important : l'accès concret au langage cinématographique par la découverte des trucages, notamment, que ne permet pas du tout - ou très peu actuellement - le matériel vidéo courant. A ce point de vue, on a peut-être rangé un peu vite dans les placards et presque les vitrines de musées - les caméras simples qui permettent tout cela. 
L'animation d'objets 
Ce peut être un point de départ intéressant pour familiariser les enfants avec les secrets de l'image animée. Ce procédé ne limite en rien l'imagination des enfants : ils arrivent vite à créer une histoire où les personnages sont des jetons de couleurs, des allumettes, des boutons, des fils, etc. Ils parviennent également très vite à « faire vivre » des poudres de couleurs ou de la pâte à modeler. 
Dans un premier essai, il peut être intéressant de remarquer les différences obtenues en filmant image par image, puis deux par deux, trois par trois... Là encore, il est important de noter tout ce que l'on fait, pour pouvoir comparer à la projection.
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Le cinéma d'animation : 
On peut travailler sur un décor fixe où s'animeront des personnages ou des animaux, ou sur un décor mobile (qui se déroule en utilisant un statif). L'essentiel est de ne pas « voir trop grand » : il faut un très grand nombre de dessins variant très peu de l'un à l'autre (18 images par se­conde au moins !)
Si l'accès à l'image en mouvement, par le cinéma ou par la vidéo est très important dans un but de démystification des grands médias actuels, on peut se demander si l'appropriation de l'image fixe, là encore dans une démarche de production par les enfants et les adolescents eux-mêmes, ne constituent pas un passage privilégié, de même que l'école du son reste et restera, selon nous la meilleure voie pour une éducation de l'oreille et même pour un apprentissage de toute technique de montage audiovisuel.
Nous avons été très souvent frappés - et les professionnels peut-être davantage encore - des critiques émises par des enfants sur des films produits par des professionnels et qui mettaient en évidence les insuffisances du son par rapport aux images.
Il ne s'agit donc pas d'établir on ne sait trop quelle hiérarchie entre les différents supports, ou de considérer l'un d'eux comme dépassé par rapport à un autre plus nouveau, et donc, apparemment plus « performant ». Ainsi, comme pour le magnétophone qui permet la meilleure approche de la communication par le son, la photographie garde, évidemment toute son efficacité pour une approche du message de l'image fixe et peut-être même de l'image en mouvement.
C'est pourquoi notre choix de départ a été la diapositive noir et blanc - Parce qu'elle n'exige que des investissements limités.
- Parce que, lorsqu'on utilise des appareils simples, les tâtonnements « technologiques » sont limités et permettent donc de se préoccuper principalement de l'image que l'on veut construire.
- Parce que le développement en est simple et peut être réalisé par les enfants eux-mêmes dès le cours moyen. Ce qui permet, une heure et demie après les prises de vues d'avoir les résultats.
- Parce que c'est une école de rigueur : c'est à la prise de vue qu'il faut avoir conçu l'image. La projection permettra une critique et une découverte progressive de certains principes de construction ou de composition de l'image.
- Parce que c'est un facilitateur d'échanges : grâce à la grande dimension de l'image projetée, elle est visible par tout le groupe. Elle devient donc moyen d'échanges entre les membres de ce groupe. La pratique de telles séances où l'on étudie les travaux des membres du groupe est extrêmement enrichissante. Les progrès sont rapides. Cet apprentissage en commun ouvre aussi d'autres perspectives : on y prend l'habitude d'observer d'un ceil critique une image venue d'ailleurs.
- Parce qu'elle contribue efficacement à la formation esthétique, à l'éveil de la sensibilité. Elle focalise l'attention sur le jeu des lignes, des formes, des lumières et laisse une large place à l'imaginaire. 
Associée à une bande magnétique bien montée, elle permet également une excellente sensibilisation au problème du rapport son-image trop souvent négligé par des photographes qui se contentent de « sonoriser » leurs diapositives ou d'en faire un commentaire qui ne fait, la plupart du temps, que répéter ce qu'exprime l'image. 
Mais pourquoi pas la couleur ? Notamment avec des adolescents, lorsqu'une certaine maîtrise des techniques de prise de vue a été acquise. 
La diapositive n'est cependant pas un choix exclusif. Bien au contraire, l'image sur papier a, elle aussi ses caractéristiques. Elle reste irremplaçable dans les échanges par correspondance, dans tout ce qui nécessite un compte rendu, que ce soit celui d'une visite, ou d'un voyage ou d'un séjour en classe transplantée.
L'audiovisuel est un outil de découverte d'autres temps, d'autres lieux et d'autres milieux. 
L'acquisition de nouveaux savoirs permet bien évidemment d'élargir son champ d'investigation et de communication.
L'enfant, s'il aime effectuer des recherches, découvrir par lui-même, se construire en multipliant ses expériences, désire aussi s'approprier l'expérience des autres pour hâter sa propre évolution. Il peut prendre connaissance de ce « savoir et savoir faire » par un contact direct, mais aussi en utilisant de la documentation. Cette présence autour de l'enfant, peut être plus ou moins enrichissante pour lui, suivant la manière dont il en prendra connaissance et selon les caractéristiques du document. 
En ce domaine, notre mouvement a réussi à définir et à promouvoir un certain type de documentation audiovisuelle. Cette ceuvre coopérative a été possible, parce que dans des classes se pratiquait un audiovisuel au service de l'expression libre des enfants et que des structures permettaient de centraliser des réalisations et de les mettre en valeur. 
Contrairement à la majorité des collections documentaires existantes réalisées pour le maître, notre documentation est faite avec les enfants et elle lui apporte des réponses à ses interrogations dans une expression qui lui est accessible et lui fournit simultanément des ouvertures et de nouvelles pistes de recherches. Les documents audiovisuels de la Bibliothèque de Travail se présentent sous forme de documents sonores en partie illustrés par des diapositives et accompagnés d'une brochure ellemême illustrée. 
La documentation audiovisuelle de l’I.C.E.M. 
Aucun album n'est rigoureusement identique aux autres dans sa conception. On peut cependant distinguer : 
1. Une série : reportages : des prises de son et des prises de vue réalisées en situation. En pêche sur un chalutier (n° 868), Dans la mine (n° 892). 
2. Une série : regards sur le passé : par ceux qui ont vécu depuis un siècle. Soldats de 14-18 (n° 880). Quand le moteur c'était le cheval (n° 884). Naissance et petite enfance autrefois (n° 897-898). 
3. Une série : des enfants se racontent : Nous vivons en banlieue (n° 879). Vivre à la campagne aujourd'hui (n° 893). 
4. Une série : rencontre des enfants avec une personnalité ayant une expérience exceptionnelle et capable d'apporter les dernières réponses de la science moderne : Les origines de l'homme avec Yves Coppens du Musée de l'Homme (n° 870). Origines de la vie avec Joël de Rosnay (n° 872). Jean Rostand, Haroun Tazieff, Henri Laborit, Charles Fehrenbach, Paul-Émile Victor, Robert Gessain, Philippe Taquet, Jacques Tixier préhistorien, etc.  
NAISSANCE D'UNE B.T. Son 
Pour bien montrer les liaisons étroites entre le travail audiovisuel quotidien d'expression de la classe et la documentation voici une rapide esquisse de la genèse de l'album n° 893 Vivre à la campagne aujourd'hui, réalisé par les enfants du cours élémentaire de Mézilles en Puisaye dans l'Yonne avec leur instituteur Daniel Carré. Les archives sonores de cette classe, étaient riches de documents collectés lors des trois dernières années. 
a) Enregistrements d'enfants discutant de leur vie de jeunes campagnards
- l'environnement de forêts et d'étangs avec les animaux, hérons, sangliers, renards, etc.
- la ferme et les activités agricoles auxquelles très jeune l'enfant participe
- les conséquences de la vie en région et habitat dispersé. Les « voisins » à 500 m ou 1 km, le ramassage scolaire, la tournée des commerçants, etc.
- le bourg où vivent d'autres campagnards qui ne sont pas des agriculteurs u rs.
b) Enregistrements effectués en enquête par les enfants s'intéressant aux artisans et commerçants : le boucher, le boulanger, le « coop », le maréchal ferrant, le coiffeur, café, tabac, le bûcheron en pleine forêt et divers agriculteurs, mais aussi à la vie de la commune en la personne du maire, du facteur, des pompiers. 
L'exploitation normale de toutes ces quêtes d'information a conduit la classe à s'intéresser au plan cadastral, aux cartes et photos aériennes de la commune, à conduire des enquêtes plus précises sur les origines des nouveaux habitants, le lieu de naissance de leurs parents, les activités agricoles, les itinéraires du facteur, du boulanger, de l'épicier, la liste des lieux où s'effectuent les différents achats en alimentation, habits, ménagers, etc. par commerçant ambulant, au supermarché de la ville voisine, dans les boutiques du bourg, etc. 
D'autres enquêtes plus précises sur les activités agricoles, les différents types de fermes, etc. 
Rassemblées et mises en forme dans une structure d'édition toutes ces archives nées de la classe constituent une étude remarquable de la vie dans un village de bocage où l'habitat est dispersé. Elles nous proposent de multiples informations sensibles qui nous font pénétrer dans l'intimité des campagnards, nous font prendre conscience de leurs joies et de leurs difficultés, des informations qui nous interrogent et nous obligent à nuancer nos perceptions a priori sur un mode de vie qui n'est pas le nôtre. 
En ce sens la documentation joue un rôle éducatif essentiel mais elle est aussi une somme de témoignages historiques dépassant l'audience scolaire. C'est certainement pourquoi notre documentation a été remarquée par des professionnels de la communication audiovisuelle. L'académie Charles Cros a récemment encore, en 1983, décerné un grand prix du disque à un ensemble de 8 cassettes produit par Radio France avec nos archives sonores : 5 heures de documents sur la vie depuis le début du siècle, 3 heures d'expression libre d'enfants sur leur perception du monde qui les entoure.
 
NOS RELATIONS AVEC LES CHERCHEURS 
Nous estimons que notre collection doit aussi couvrir des sujets que le hasard des glanes n'a pas apportés, nous mettons alors ceux-ci en chantier : exemple 1936 et la condition ouvrière à cette époque, les origines du monde, de la Vie, de l'Homme, questions qui reviennent sans cesse dans la bouche des enfants ou dans les boîtes à questions, etc. 
Dans ce cas, des camarades orientent particulièrement leurs efforts en ce sens. 
En faisant participer les enfants aux interviewes et enquêtes, on réussit à ce que les adultes questionnés s'adressent « naturellement » à des enfants et en un niveau de langage et de communication qui leur est accessible. Nous faisons souvent appel à nos collègues du C.N.R.S., très heureux de vulgariser leurs recherches. 
Il faut ajouter que la mise au point ultérieure de l'ensemble audiovisuel et du livret s'effectue aussi OBLIGATOIREMENT en accord avec les personnes qui se sont exprimées. En aucun cas nous ne pouvons disposer à notre gré de leur opinion pour la modifier, la tronquer, la déformer. De plus, le refus de tout endoctrinement par l'information est présent à notre esprit ; l'information doit provoquer la réflexion, et pour cela nous nous efforçons d'en saisir les diverses facettes (ce qui est parfois difficile). 
Lorsque les interlocuteurs des enfants parlent de leur vie, de leur expérience, ils forcent l'intérêt de ceux qui utiliseront cette documentation, car c'est l'Homme qui répond, l'Homme avec ses sûretés, ses contradictions, ses interrogations. C'est l'essentiel. 
Les premières B.T. Son naquirent en 1960, elles bénéficient donc maintenant d'une longue expérience, non seulement dans leur mode d'élaboration, tel que l'exemple ci-dessus le montre, mais dans leur présentation. Elles se présentent actuellement sous forme d'un ensemble multisupport qui permet des utilisations encore plus diversifiées et plus adaptées aux objectifs, aux besoins et aux moyens des classes. Dans cet ensemble, chaque élément a sa fonction propre : 
1. Le son. 1 cassette de 45 minutes. 
Il est le témoignage d'une relation de qualité qui s'établit toujours entre ceux qui interrogent - enfants et adultes - et ceux qui apportent une réponse grâce à leur expérience, au savoir de toute leur vie. Désir profond de se comprendre, de s'approprier les richesses de l'autre. Pour celui qui questionne, c'est le désir de profiter, pour son propre tâtonnement, de l'acquis, des interrogations et des doutes de celui qui a eu la possibilité d'expérimenter et de réfléchir en tel ou tel domaine ; pour celui qui ré­pond, c'est le désir de bien comprendre le sens des questions qui lui sont adressées et de répondre dans un langage qui permet la communi­cation sans frelater le sens profond de sa pensée, sans concession exces­sive, à la rigueur donc d'affiner aussi ses idées. 
Que ce soit une personne dont l'expérience est reconnue comme exceptionnelle par le grand public ou un « anonyme » pêcheur breton, un ou­vrier imprimeur qui évoque ses débuts en 1930, ou un jeune agriculteur du marais Poitevin, le caractère de la relation est le même et contient toute une charge affective. Elle accroche l'intérêt de l'auditeur qui n'a pas assisté à la rencontre, mais qui se reconnaît, s'identifie avec ceux qui ont pu bénéficier du contact direct, et cet auditeur a souvent sur les lèvres les mêmes questions. 
On peut penser que le contenu sonore est assez dense. Le montage qui' intervient après les enregistrements a pour but d'apporter la concision nécessaire pour l'écoute d'un son transmis uniquement par le haut-parleur, concision qui n'est pas utile pour ceux qui vivent la relation dans son inté­gralité, et qui acceptent un certain laxisme dans l'expression orale parce que d'autres moyens de communication existent entre les interlocuteurs. 
De plus, la possibilité de réécouter le contenu sonore autant de fois qu'on le désire permet une connaissance plus fine de ce contenu qui résiste à l'usure et permet un niveau de préoccupation supérieur. 
2. Les images 
Il nous faut souvent insister pour bien différencier notre collection des habituels « montages de diapositives sonorisées », commentés « avec beaucoup de musique derrière » !!!
Les B.T. Son sont des DOCUMENTS SONORES ILLUSTRÉS; la nu­ance est d'importance : ce ne sont pas des diapositives sonorisées où, généralement, le son est un commentaire auquel - trop rarement - est ajoutée une ambiance qui souligne tel ou tel passage.
Nous venons d'examiner le caractère direct et vivant du contenu sonore de nos albums audiovisuels : c'est clair, je crois, pour qui a écouté plu­sieurs numéros. Pourquoi avons-nous ajouté un soutien visuel à nos docu­ments sonores ? Lorsqu'on prétend, par l'audiovisuel, restituer un envi­ronnement éloigné dans l'espace et le temps pour permettre une analyse, il est préférable d'éliminer les possibilités d'interprétations erronées introduites par le « théâtre intérieur » de l'auditeur. 
Lorsque j'entends Madame Marty, centenaire dire (B.T. Son n° 823) 
« On vivait bien en ce temps-là (1870), on n'allait pas au boucher tous les jours... » OU : « En revenant de la foire, on se déchaussait pour économiser les souliers », je pense, moi, adulte à quelques images dont je me souviens vaguement en feuilletant tel ou tel livre... je pense à telle ferme du Périgord qui ne semble guère avoir changé, mais c'est bien flou tout cela ! ... 
Nous savons fort bien que nous n'aimons pas, lorsque nous lisons, ou lorsque nous écoutons une oeuvre musicale, que l'on nous impose un schéma de pensée par d'autres moyens d'expression... que nous aimons modifier à loisir ces schémas de pensée. Mais lorsqu'il s'agit de documentation, il nous semble que le problème est bien différent. 
Si, pendant que Madame Marty parle, on présente pendant un certain temps une photo prise en 1880, sur le pas de la porte d'une ferme, et où l'on remarque costumes simples, enfants pieds nus, visages de femmes marqués par le dur labeur, les champs où tout se fait à la main, si l'on examine ce retour de foire avec ce paysan en blouse, à pied, portant dans ses bras un cochon de lait, ces quelques phrases prononcées par cette vieille dame prennent immédiatement un relief qu'elles ne possédaient pas malgré les qualités effectives de l'image sonore. 
La série de douze diapositives de chaque B.T. Son s'harmonise avec le contenu sonore, base de la documentation, mais il constitue en lui-même un ensemble possédant sa cohérence, apportant l'essentiel sur le sujet abordé. Il faut proscrire les doubles emplois qui seraient nécessaires dans un montage présentant de plus nombreuses images, même si parfois le contenu sonore déborde un peu l'objet précis photographié. 
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3. Le livret d'accompagnement 
Il apporte des informations complémentaires à la partie sonore et visuelle de l'album, facilitant leur accès, fournissant l'explication de mots, des détails de lecture de l'image insuffisamment éclairés par les propos tenus ; et des pistes d'élargissement de recherches, et avec référence aux autres sources de documentation. 
Le livret permet, sans perte de temps ni préparation excessive, de profiter pleinement des qualités spécifiques de l'audiovisuel sans pour cela sacrifier l'orientation fondamentale de notre pédagogie qui est de mettre l'enfant en contact avec la globalité d'un sujet, dans une forme et sur des supports comparables à ceux de la vie, et que celui-ci devra déchiffrer, analyser. Par la suite, l'enfant sera mieux armé pour appréhender avec un oeil critique et avec plus de bénéfice l'audiovisuel de son époque. 
Pourquoi trois supports ?
Le son et l'image sont deux voies de communication de l'expérience des autres que nous désirons nous approprier. Mais toutes les facettes de cette expérience ne sont pas communicables de cette façon. Nous nous efforçons de véhiculer chaque information par la voie qui lui convient le mieux. 
Pour une communication dans l'espace et le temps, le texte écrit et la photo imprimée sont aussi à utiliser. C'est pourquoi les B.T. Son ne peuvent être séparées des autres collections documentaires B.T. et S. B.T. 
Rien ne peut, mieux que le son, rendre l'ambiance de ce village de la savane africaine, ou nous faire apprécier ce chant de contestation des pêcheurs bretons asservis aux acheteurs des conserveries, ou encore permettre à P.-E. Victor de nous initier sommairement à la langue esquimaude. 
S'il nous paraît inutile de consacrer une diapositive à un schéma d'huître ou à celui permettant de comprendre le décalage horaire entre Paris et New York (documents faciles à se procurer par ailleurs), par contre, une larve d'huître ou de moule au microscope, ou le poste de pilotage d'un Boeing 747, des paléontologues dégageant un squelette de dinosaure, cette vue de l'Inde et de l'Himalaya prise d'un satellite, et permettant d'appréhender la dérive des continents... ces documents ont bien leur place en diapositives. 
UTILISATION DE LA DOCUMENTATION AUDIOVISUELLE 
La présentation sur trois supports permet une grande souplesse d'emploi, des approches multiples. L'entrée est toujours possible à tout endroit du son, de l'ensemble image, du livret, selon les besoins du questionnement initial et la démarche pédagogique adoptée. On peut projeter les diapositives d'abord, sans le son, discuter sur elles et apporter les images sonores ensuite. On peut procéder aussi dans un ordre inverse. On peut effectuer la projection en synchronisation avec la cassette. L'exploration de la vue, selon un rythme assez lent se substitue alors au schéma personnel échafaudé pendant que la voix et les bruits, de par leurs qualités agissent sur la sensibilité du spectateur et aident à la compréhension de la globalité du message. Les pistes d'exploration sont très diverses...
Pierre Guérin
 
En voici un exemple, à partir de la B.T. Son n° 864 : « Moutons et bergers des Alpes et des Causses ».
C'est un inventaire des pistes possibles, ce qui ne signifie pas qu'on doive les exploiter toutes, bien sûr !
Géographie :
- Relief : Alpes du Sud : vues 1, 5, 6 Alpes du Nord : vue 7 - Causses : vue 10 Altitude 900 m : vue 6 -Altitude 2 500 m vue 7.
- Situation : Départements des Hautes-Alpes : vues 1, 2, 3, 4, 5, 6 - Département de la Savoie : vues 7, 8 - Département de l'Aveyron : vues 10, 11, 12.
- Végétation : Alpes du Sud : vues 1, 5, 6 (arbres, herbages) - Alpes du Nord : vues 7, 8 (herbages) -Causses : vue 10 (herbage).
- Habitat : Villages des Alpes du Sud : vue 6 (Etoile-Saint-Cyrice) - Bergerie dans les Alpes du Sud : vue 3 - Bergerie dans les Causses : vue 11.
- Humaine : types de bergers : La bergère d'Étoile : vue 1 (Alpes du Sud) - Le berger d'Étoile : vue 6. 
Français :
- La langue, langue parlée, les accents : accent des bergers des Alpes du Sud (disque face 1) - Accent du berger du Midi (en transhumance) (disque face 11, première partie) - Accent des bergers et ouvriers des Causses (disque face 11, deuxième partie).
- Les expression régionales :
? « On large les moutons » pour : on sort les moutons.
? « Le gros fort » pour le moment où les brebis ont le plus de lait.
- Vocabulaire : gestation, agnelage, bercail, précipice, transhumance, sonnailles, redons, claps, clavelas, causse, devèze, lavogne, lactation, affinage, hibernation, congélation. 
Sciences
- Fabrication du fromage de Roquefort : le champignon de fermentation, l'hibernation, la congélation.
- Maladie des moutons - vaccination (disque).
- Naissance du mouton : vue 2 et disque (face 1).
- La faune, le mouton, comparaison entre les races : Préalpes du Sud (vues 1, 2, 3, 4, 5, 6) - mérinos (7, 8) - Lacaune (10, 11).
- Les chèvres (vues 5, 7). 
Économie :
- Élevage pour la boucherie, pour le lait, fabrication du fromage, peaux, gants, mégisserie, laine.
- Élevage de chèvres, lait, chevreaux, viandes. 
Folklore - couturnes :
- Sonnailles (disque face 1 et face 11).
- La transhumance... aujourd'hui (disque face 11) - hier (disque D.S.B.T. 18 « Histoire de bergers »). 
Histoire :
- La vie des bergers autrefois : B.T. Son n° 864 (face 1) et ses compléments sonores.
Jean-Pierre Jaubert 
Et l'ingéniosité permet de tirer parti de conditions a priori peu favorables et de donner des possibilités d'individualisation pour écouter, apprendre ou rêver.
  
 
Faut-il apprendre aux enfants et aux adolescents à « lire » l'audiovisuel ? 
Il pourra paraître surprenant que nous posions une telle question au terme d'un livre dans lequel tous les témoignages montrent assez d'euxmêmes les étonnantes capacités des enfants à s'approprier ou du moins à réinvestir presque inconsciemment les moyens d'expression et de communication audiovisuels. 
Mais, suffit-il vraiment d'utiliser pour maîtriser ?
Certes, il a été très facile de montrer que, ici comme dans bien d'autres domaines d'expression, l'accès au « faire-soi-même » développe l'intérêt et le désir de comprendre et d'analyser des messages produits par d'autres, que ce soit en peinture ou en littérature, par exemple.
Nous avons également l'aspect « démystification » des grands médias télévision, publicité, notamment - Il est cependant important que nous nous situions très clairement sur cette question, puisqu'elle commence à être posée publiquement : 
« L'audiovisuel doit-il être un moyen d'étude, de découverte, d'expression et de communication ou un objet d'enseignement ? » 
Pour la plus grande joie des « faiseurs de manuels », certains universitaires au savoir « scientifique » prestigieux répondent : 
Bien sûr ! Bien sûr ! l'image s'apprend. Il faut l'apprendre pour la prendre. La comprendre. Sinon elle nous échappe aussi   sûrement qu'un drame lyrique japonais. . . 
   
Ne sommes-nous pas en pleine scolastique : « La lecture courante » jamais expression ne fut mieux venue pour définir un objectif ! et « si les messages iconographiques entrent si souvent dans le procès d'une communication manquée, la faute en revient d'abord à l'interlocuteur » sous-entendu (voir plus haut) : c'est « inintelligible, faute d'avoir appris les codes ». 
Et puisque, donc, il FAUT APPRENDRE, alors, il FAUT ENSEIGNER 
Sa voir lire l'image, savoir s'exprimer à travers elle, ne doit pas être le privilège d'une chapelle, mais le lot commun de tous dans une société en constante mutation, société où l'enfant vit constamment dans le monde de l'image et passe plus d'heures devant un récepteur de télévision que face à ses livres de classe, où l'adulte est également cerné par elle et reçoit du matin au soir des quantités extraordinaires de messages audiovisuels, où la formation permanente est vouée à compléter l'instruction, où l'insertion dans le monde doit avoir le pas sur la rigidité des structures,où la signification fait partie de notre environnement, où la communication est le grand fait du siècle.
Cela nous fait penser à ce réalisateur professionnel que l'on nous montrait il y a peu à FR3, qui cependant mettait déjà davantage en pratique son « enseignement » en installant dans une classe un dispositif sophistiqué de « circuit fermé de télévision » (où seuls des adultes - « compétents » - manipulaient les caméras. Et ce, dans le but d'initier les enfants au « langage télévisuel ». Et le commentateur nous annonçait - avec un rien d'admiration - que les enfants pourraient accéder dans quelques mois à la manipulation des appareils, « lorsqu'ils auraient acquis les rudiments » du dit « langage ». Appliquez, mes petits, nos belles leçons !
Il ajoutait même : « Lorsqu'ils auront appris à DEVENIR CRÉATEURS », tant il est bien connu, ma brave dame, qu'un enfant de 8-10 ans, ça ne peut rien exprimer de personnel, avant d'avoir ingurgité laborieusement les fameux « codes » de l'écriture poétique, de la peinture, du modelage ou de la danse. 
Mais voyons, à nouveau à travers un exemple, ce qu'il peut en être dans une pédagogie de l'expression et de la communication. 
Après avoir lu :
« L IRE, CES T VRAIMENT SIMPLE, QUAND C’EST L'AFFAIRE DE TOUS » Jean Foucambert 
Nous avons eu envie de faire de la LECTURE D'AFFICHE avec les enfants. 
Dans ce livre, en effet, Foucambert insiste sur la nécessité de faire acquérir aux enfants une lecture rapide, et de leur faire vivre des situations de lectures différentes. 
Les enfants sont confrontés sans cesse à ces situations de lecture d'images et il nous semble important de chercher à comprendre ce qui se passe dans leur tête lors de ces moments. 
Un jour, Lucette s'amène avec des affiches sur le rugby, chargée par son mari de les placer auprès des copains. Lisez la suite : 
Une précision matérielle : nous avons présenté les affiches aux enfants du C. P. sans aucun commentaire ; nous nous sommes contentées de noter leurs remarques. (Ce n'était pas facile ... ) Dans les témoignages suivants, nos observations sont écrites en retrait. 
LUNDI 11 OCTOBRE, CLASSE DE LILIANE 
Marie : Je vois un cartable et un ballon.
Gali : C'est un joueur de rugby ; c'est un ballon de rugby. Mon frère en a un.
Thomas : Son cartable est comme un sac. Il y met ses affaires de rechange.
Marie : Non, c'est pas vrai, puisqu'on voit ses cahiers.
Sébastien : Il y a un truc pour faire passer le ballon.
Gali : C'est les cages de rugby.
Xavier : Je crois qu'il revient de l'école. Y a des maisons je crois...
Romain Oui, parce que s'il y allait, on le verrait de dos.
Anne H. Oui, il y a écrit « école » là. 
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J'écris « ÉCOLE », comme sur l'affiche, puis « école ». 
Marie : Il y a l'église, puis le coq sur le clocher.
Romain : C'est peut-être une école de sport ? Mes frères sont dans une école de sport.
Anne H. : Non, parce que dans une école de sport il n'y a pas de cartable avec des cahiers.
Noémie : Y a même le cahier rouge.
Thomas : C'est peut-être comme dans notre école. C'est lui qui amène le ballon pour jouer à la récré. 
Je résume tout ce que l'affiche nous a appris. 
Gali : Il a le coq sur les vêtements, il est de l'équipe de France.
Thomas : Non, il a les chaussettes rouges et blanches. L'équipe de France, elles sont bleues.
Sébastien : C'est un village. Y a plein de maisons.
Gali : Il a des chaussures à crampon. 
Je sollicite, et je montre le cadre de l'affiche :
- « Cherchez aussi à savoir ce que vous apprend le bas de l'affiche ». 
Anne H. : Y a écrit des choses. 
Elle déchiffre lentement et à voix haute
- « de la vi-e. École ».
Puis elle lit les deux lignes, hésite un peu sur rugby... « ru »... puis devine rugby.
- « les points, ça veut dire que c'est fini ». 
Gali : J'y comprends rien, dans ces deux lignes. 
Les enfants parlent de ces deux lignes. Ils n'y comprennent rien. 
Xavier : Y a un vieux, il va mourir.
Gali : On se tue des fois au rugby. Y en avait un, il avait écrasé la main de l'autre. C'est la mort. 
Je donne mon interprétation des deux lignes
- « C'est au contraire joyeux, comme la vie. C'est intéressant, la preuve, le garçon est content ».
Les enfants n'ont pas l'air convaincu. 
Deux choses m'ont surtout frappée :
- La référence permanente à leur propre vécu.
- Leur capacité d'analyse, à partir de repères. 
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A - RÉFÉRENCE A LEUR PROPRE VÉCU:
C'est un ballon de rugby, mon frère en a un. Mes frères sont dans une école de sport. Y a même le cahier rouge (chez nous, c'est le cahier d'écriture). C'est comme dans notre école, c'est lui qui emmène le ballon pour jouer à la récré. 
8 - ANAL YSE DES REPÈRES PAR LES ENFANTS:
Cette analyse très rapide (les réparties fusent et l'on a bien du mal à les noter) permet aux enfants
- de décoder le message.
- De le prolonger par l'élaboration d'une histoire. 
Ils décodent :
C'est un joueur de rugby. Il a des chaussures à crampons. Il a un coq sur le polo. Ce n'est pas un sac, c'est un cartable, puisqu'on voit les cahiers. Je crois qu'il revient de l'école. Oui, parce que, s'il y allait, on le verrait de dos. Il va sûrement pas à l'école. Il y a une maison « École », derrière. Il va dans l'autre sens. C'est un village : il y a une église avec un coq. 
A partir de ces informations, ils échafaudent l'histoire : 
« Il y a un coq sur les vêtements : il est de l'équipe de France », information immédiatement rejetée par Thomas, qui utilise ses connaissances antérieures. 
« C'est peut-être une école de sport, une école de rugby » : tout de suite rejeté : dans une école de sport, il n'y a pas de cartable ni de cahiers.
« Peut-être qu'il arrive le dernier et ils ont déjà commencé... »
« Peut-être que c'est les jours de vacances ».
« Il rigole, parce qu'il voit ses copains dans la cour ». 
Au niveau du message :
Gali : « Je n'y comprends rien, dans ces deux lignes... » 
Ils en ont discuté longuement (je n'ai pas pu tout transcrire). Mais aucun enfant n'a compris. Ils sont partis sur « la vie, la mort ». A aucun moment, ils n'ont fait le lien entre l'écriture et le dessin plein de gaieté, de ce joueur de rugby. C'est peut-être que, pour eux, la mort n'est pas triste. 
Nouvelle séance de lecture d'affiche, avec ces mêmes enfants de C. P., le 31 janvier :
Il me semble qu'elle constitue une étape nouvelle pour les enfants, dans leur accession à la maîtrise des différents langages. Mes remarques pré­cédentes portaient surtout sur :
- L'importance du vécu personnel de l'enfant, véritable plateforme de lancement dans l'accession à la communication.
- La rapidité de l'analyse des repères par les enfants et leur intégration presque immédiate (au niveau de l'image).
- Et, par opposition, la difficulté apparente de communication entre les enfants et l'auteur. 
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Ici, je note :
1. La capacité d'élaboration d'hypothèses par les enfants, leur fa­culté d'argumentation s'appuyant toujours sur un décodage très rapide de l'image.
J'en suis vraiment très étonnée : pour ma part, je n'avais pas appréhendé ces traits qu'analyse très bien Mikaël (cette analyse montre d'ailleurs une certaine culture au niveau de l'image, due probablement à une fréquen­tation de la bande dessinée) :
« Ca se voit qu'il tombe : il a des traits derrière... Les bonshommes sont verts, ca laisse la trace en vert, le camion est rouge, les traits sont rouges » Arguments repris par Xavier :
« Les traits du bonhomme sont verts, ca montre qu'il tombe ». Et par Thomas, plus loin :
« Les traits verts, ca veut dire qu'il tombe vite ».
Toute la discussion qui suit montre très clairement qu'il y a échange au niveau des enfants, véritable communication, ce qui n'est pas évident, d'ordinaire, au niveau des C.P. Ils sont sensibles aux arguments des autres, les discutent, les acceptent. 
2. La liaison très nette qui apparaît entre l'image et le code écrit.
On assiste à une interpénétration réelle entre les deux modes de lecture, l'un s'appuyant sur l'autre, pour accéder finalement au sens du message. Pendant que certains décodent l'image, plusieurs autres sont centrés sur le code écrit. Il est vrai que nous ne sommes plus en début d'année et que de nombreux enfants sont en train d'accéder à la lecture.
C'est vraiment le code écrit qui, là, donne la clé du message. Les inter­ventions suivantes s'appuient sur cette information donnée par le code écrit, en l'intégrant pour progresser encore plus vers une compréhension plus profonde du message. Pour les enfants, le code écrit et l'image de­viennent complémentaires. Ils ont accédé, me semble-t-il, au langage de l'affiche. 
Au cours de cette séance, j'ai mieux senti quelle pouvait être ma part ai­dante. Alors que je restais auparavant plutôt extérieure à leur discussion, attentive, mais indécise sur l'attitude à prendre, spectatrice, en quelque sorte, là, je sentais comment m'insérer dans la discussion, pour l'aider à se développer positivement, afin qu'elle aboutisse à la communication avec le message de l'auteur. 
Mes interventions se résument essentiellement à
- Une reformulation régulière des découvertes, les faisant progressive­ment évoluer en des acquis.
- Un recentrement de ces mêmes découvertes, éliminant les parasites, qui, à mon avis, ne menaient qu'à des impasses A ma première récapitulation, j'ai volontairement laissé tomber leurs re­marques sur l'engin et le camion, pour centrer sur les personnages, ce qui me semblait plus aidant pour l'accession au message.
Un peu plus loin, d'autres remarques sur le tracteur sont tombées d'elles­mêmes car Sophie a décodé : « Passager interdit », ce qui m'a, d'ailleurs évité une nouvelle formulation puisque l'argumentation des enfants se construisait solidement. Ensuite, il m'était facile de recentrer sur la ques­tion : « Est-il tombé, ou veut-il monter ? » 
Lorsque les enfants ont acquis la conviction que le passager était tombé, je pense que le message était sous-jacent dans l'esprit des enfants. Ma dernière question en a simplement permis la verbalisation. Mais il est vrai que la verbalisation est importante puisqu'elle permet la clarification des notions, en même temps que leur intégration. 
Je suis bien consciente que, si mon intervention s'est ainsi précisée, c'est que les objectifs afférant à la lecture d'image se clarifient pour moi. D'ail­leurs, ce n'est qu'à cette condition que la part aidante peut se développer, ici comme dans tous les domaines.
Liliane Corre
 
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En général, toute personne qui produit une image y met une (des) inten­tion(s) qu'elle traduit forcément à l'aide de techniques et d'outils : quel est donc ce grand photographe qui fut étonné des analyses et commen­taires faits par Roland Barthes sur quelques-uns de ses clichés ? N'était-­il pas hasardeux de transférer les concepts et les outils de la sémiologie du langage verbal pour une étude systématique du langage « iconique » ? 
Néanmoins, sans chercher à « décoder », « décrypter » une image, n'est-­il pas important de la regarder comme un message, donc de rechercher ce que son auteur nous dit ? C'est très certainement le souci de Liliane lorsqu'elle parle de « communication entre les enfants et l'auteur ». 
Ici, les enfants sont mis en présence d'un message « image-texte » et, comme toujours dans la pédagogie Freinet, ils s'expriment en toute liber­té sur ce qu'ils voient, sans consigne préalable, ni même un rappel de la règle habituelle dans tous les échanges : « toutes les opinions émises sont également respectables ». C'est peut-être bien cette règle (qui s'est introduite dans la pratique par la vigilance de l'adulte) qui permet ces échanges, ces tâtonnements par confrontation des idées, suppositions, interprétations et contradictions conduisant vers une réponse. La démarche n'a donc rien ici d'original, mais elle a déjà permis de mettre en évi­dence la capacité des enfants à la formulation collective d'hypothèses à un stade plus précoce que ne le situe Piaget, grâce, précisément, à ces échanges dans une démarche de tâtonnement expérimental. 
Un des piliers importants sur lesquels les enfants peuvent s'appuyer dans leur découverte du message de l'image ne serait-il pas leur propre expé­rience de producteurs de messages et, là encore, les « retours » dont peut bénéficier en permanence chacun sur ses productions ? 
L'acte créateur et le tâtonnement expérimental : 
L'axiome de la pédagogie Freinet, c'est que l'acte créateur poussé jus­qu'à son aboutissement est, par lui-même, formateur, alors que l'axiome de l'enseignement traditionnel tient pour indispensable l'acquisition préalable de certaines techniques :
« Apprends la grammaire, le solfège, la danse... ensuite, tu pourras t'exprimer ».
Nous refusons de commencer par les apprentissages techniques, dans tous les domaines de l'expression, pourquoi en irait-il autrement avec l'audiovisuel ?
Tout comme le petit découvre la parole et l'écriture et ne parvient que progressivement à se faire comprendre de n'importe qui, pourquoi ne pourrait-il pas balbutier avec l'appareil photographique, le magnétophone et la caméra ?
Xavier Nicquevert
 
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- Magnéto et expression
- De la parole qui surgit parfois
- Radios libres : les bahuts à l'assaut des ondes . 
 

J'ai réalisé un auditorium 
Travailler en ateliers en classe homogène ou travailler en ateliers en classe unique amène souvent à faire un choix de ceux-ci en fonction de la grandeur de la classe, de la disposition des locaux, des effectifs... 
Et souvent l'audiovisuel est sacrifié car il demande un espace approprié si on ne veut pas déranger le reste de la classe... 
Aussi créer au cœur de la classe un auditorium permanent peut être la solution à une meilleure intégration de l'audiovisuel dans notre pédagogie. 
La boîte de dérivation qui permet de brancher quatre casques d'écoute fut le point de départ de cet auditorium.
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Le plan ci-joint montre une manière simple de le fabriquer. Celui-ci peut être déplacé, casques et cassettes rangés. 
Ainsi, dans ma classe unique grands et petits ont découvert casques et cassettes... et la joie d'être « seuls » prisonniers du monde sonore. 
Gadget ou outil ?
Mettre quatre casques en série pour écouter, c'est facile, mais est-ce un outil ou un gadget ? 
Gadget, l'auditorium le sera s'il est un beau meuble trônant dans une classe, outil il deviendra si on en saisit toute sa valeur. 
Outil discret et très maniable 
Des casques d'écoute en série, un magnétophone à cassettes, et une gamme variée de programmes sur cassettes sont pour l'enfant d'un emploi très facile. Le maniement du magnétophone n'est plus un secret pour beaucoup. Personne n'est dérangé. Discrètement, l'atelier est occupé. Seul le maniement des touches du magnétophone signale une présence à l'auditorium. 
Outil d'imprégnation 
L'enfant baigne dans un monde sonore. Ne réagit-il pas aux spots publicitaires de la télé, à telle ou telle musique d'un générique ? Ne fredonne-t-il pas le dernier refrain à la mode ? Il s'est imprégné de ce monde sonore. 
Alors pourquoi pas à l'école avec l'auditorium. En offrant un grand choix de cassettes, l'auditorium pourra se substituer à l'enseignant qui n'interviendra qu'en conseiller.
Un enfant dyslexique écoutera une cassette de sons et de mois accompagnée d'une fiche lui permettant de se corriger. Et cette cassette pourra être reprise plusieurs fois... 
De même un document sonore (B.T. Son) sera mieux compris car avec une cassette, on s'arrête, on revient en arrière, on réécoute... 
La poésie et le chant s'apprécieront d'autant plus que l'enfant pourra écouter, chanter les mots et se laisser bercer par la musique des vers ou des notes. 
Outil d'individualisation ou outil de groupe 
Seul, à deux, trois ou quatre, l'enfant peut occuper l'auditorium et travailler sans déranger. 
Ce peut être une B.T. Son qu'on écoute à quatre ou une lettre sonore des correspondants qu'un seul veut entendre. 
Ce peut être encore une acquisition « plus scolaire » qui peut être proposée ou un conte que les petits (en classe unique) vont pouvoir savourer sans gêner les grands. 
Outil de conquête de l'audiovisuel 
Conquête de l'audiovisuel certainement car l'auditorium en s'intégrant dans la classe, au même titre que la bibliothèque, ou l'imprimerie, offre à ceux qui avaient « peur » des produits audiovisuels, la possibilité de s'en servir à tout moment. 
Finie, l'écoute obligatoire pour tous, à un moment donné, fini l'isolement dans un couloir ou un réduit, l'auditorium balaie les préjugés défavorables, et l'audiovisuel s'installe en classe. La variété des documents sonores va pouvoir enrichir et compléter le monde de l'écrit.
Un outil multi-média 
Un outil multi-média associe des documents sur des supports différents mais complémentaires image -son - écrit. 
L'auditorium favorise l'utilisation de ces outils multi-média (comme la B.T. Son), mais aussi comme d'autres outils existants ou à créer. Pouvoir lire une B.T.J., en écoutant le texte enregistré, ou des commentaires sur telle ou telle photo, pouvoir écouter une histoire en la suivant sur un livre ou dessiner le conte entendu, l'auditorium le favorisera.
J'ai copié à partir d'une bande « mère » préalablement préparée des cassettes de chants, poésies, contes, jeux sonores, cris et chants d'animaux ou d'oiseaux, B.T. Son, D.S.B.T., disques I.C.E.M ...
Des fiches de travail complètent les cassettes. Elles sont regroupées dans des classeurs (format écolier). 
L'atelier fonctionne en permanence... Petits et grands de la classe unique s'y relaient. Dans notre préfabriqué, très éclairé, l'audiovisuel a maintenant droit de cité. 
Jean-Pierre Jaubert
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Quelle place peut tenir le processus d'apprentissage par tâtonnement expérimental dans l'appropriation d'un outil audiovisuel ? 
Si le tâtonnement expérimental s'apparente, par bien des aspects, à une démarche épistémologique, il ne s'agit nullement d'amener ou pire, de laisser les enfants redécouvrir eux-mêmes les acquis de toutes les générations qui ont précédé. Mais, néanmoins de découvrir, par l'expérimentation, dans les limites de leurs possibilités, les principes scientifiques et de comprendre la démarche des inventeurs successifs. 
En 5: La photo... Mystère... puis intérêt acquis 
Première heure de cours  
J'intrigue le public d'élèves :
« Dans l'escalier sombre de ma cave, j'ai vu se dessiner sur le mur, en couleurs, la tête en bas, la maison de mon voisin... et le voisin qui marchait. En obturant de la main, j'ai vérifié que l'image passait par le trou de la serrure ».
On en parle. Au cours de la discussion, Martine transpose :
« Les hommes préhistoriques, dans leur grotte sombre... pourvu qu'il y ait un petit trou dans les rochers... »
Allons donc ! L'image est naturelle ?
Je propose le schéma au tableau... et... un garçon celui-ci : pccdec-0032.JPG (1378 bytes)
Et nous définissons les conditions par rapport à l'observation dans l'escalier de la cave : 
a) une boite fermée, b) noire, c) un orifice petit, d) un fond transparent. 
A EXÉCUTER EN « DEVOIR DU SOIR », SANS PLUS DE COMMENTAIRES.
Deuxième heure de cours : 
Une quinzaine d'appareils (sténopé) sont faits. Réflexion unanime : « Ça ne marche pas ! » 
Il est vrai qu'ils regardaient dans la boîte en collant l'oeil à l'orifice. Moi, je regarde à l'envers et je constate : « Ça fonctionne ». On reprend, on discute, on essaie... Par tâtonnements successifs, on établit au tableau le schéma suivant : pccdec-0033.JPG (1828 bytes) 
On « imagine » les améliorations possibles à exécuter en « devoir du soir » : 
a)      Agrandir le trou ?
b)      Peindre en noir l'intérieur.
c)      Éclairer l'objet.
d)      Image floue : rapprocher l'orifice du papier calque (système « en tiroir »)
e)      Calque plus ou moins épais.
f) Mettre une loupe devant l'orifice. 
Il reste du temps sur l'heure de cours. Je déballe ma science et mes documents :
a)      La chambre noire au XIIIe siècle.
b)      Le singe qui montre la lanterne magique.
c) Les lentilles au XVIIIe siècle.
d) Niepce et Daguerre au XIXe siècle.
e) Auguste et Louis Lumière. 
Troisième heure de cours : 
- « Ça marche ! » : l'un d'eux, en démontant une visionneuse de diapos, s'est fait un sténopé qui lui donne de grandes satisfactions. 
Résultats observés :
a)      Agrandir le trou donne une image plus lumineuse. J'explique le diaphragme et montre le fonctionnement d'un appareil, boite ouverte, intérieur noir.
b)      Les trois sténopés-tiroir montrent la possibilité de la mise au point d'une mise au point de l'image. Voyons aussi sur l'appareil, la mise au point de la distance.
c) Observation de la lentille et de la vitesse de déclenchement. 
Mais passons à l'autre question : comment conserver l'image ? 
Au début du cours, j'avais mis sur une table une feuille de papier d'écolier, puis une gomme, un crayon, des ciseaux posés sur la feuille. Maintenant, la feuille est brune et porte en blanc l'image des objets posés. 
Surprise et mystère, à nouveau. 
Je verse dans le fond d'une pelle à poussière un peu de nitrate d'argent. Les enfants viennent y mouiller des feuilles de papier qu'ils sèchent rapidement à l'abri de la lumière. 
A EMPORTER, POUR « DEVOIR DU SOIR ». 
Quatrième heure de cours : 
Ils montrent ce qu'ils ont réalisé : leur photogramme au nitrate d'argent sur papier d'écolier. Mais... l'image s'efface ! Je les emmène alors au laboratoire, et fais devant eux un travail rapide : révélateur - fixage -rinçage. C'est compris. Ils reviendront seuls au labo et se serviront du matériel sans erreur, avec ordre et soin, sans autre apprentissage. Je leur distribue des restes de paquets de papier photo (périmé : peut être obtenu gratuitement chez un photographe), à utiliser chez eux, en « devoir du soir »). Pour moi, c'est fini. Pour eux, ça continue. Pendant mes cours, il y en a encore deux ou trois, à tour de rôle, qui passent au labo développer leurs essais. Des tâtonnements, et puis des progrès. Mais ? Comment, chez eux, ont-ils installé des labos de fortune, pour utiliser leur papier, sous lumière jaune ou rouge ? Mystère des « devoirs du soir »...
Gabriel Barrier 
La place nous manque ici, pour analyser en détails la démarche de Gabriel. Soulignons simplement le rôle déterminant qu'a joué l'enseignant :
- Dans le déclenchement de la curiosité des enfants.
- Dans la structuration des hypothèses émises à partir de la question de départ.
- Dans l'équilibre délicat à établir entre les vérifications concrètes proposées aux enfants « en devoirs du soir » (une heure de cours... c'est court !) et les apports de documents ou les « démonstrations ». 
Le problème devient, évidemment encore plus complexe, lorsque le même professeur entame volontairement une démarche qui va conduire à l'apprentissage pratique du développement des photos et permettre simultanément un entraînement à la maîtrise de la prise de vues. 
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Enregistrer, filmer, mais c'est un jeu d'enfant ! 
« Si on pratique l'audiovisuel, il faut le connaître en tant que système et comme des appareils qu'on sait faire marcher. Il est indispensable à l'utilisateur d'un appareil audiovisuel comme du conducteur d'une automobile, de bien maîtriser le fonctionnement de son engin ».
Pierre Schaeffer
 Maîtriser le fonctionnement d'un appareil audiovisuel nécessite un apprentissage-action mais c'est en fait très simple pour peu qu'on se plie à certains impératifs. C'est une partie du programme de nos stages audiovisuels. 
A titre d'exemple voici une fiche sur l'emploi du magnétophone : 
Enregistrer est un jeu d'enfants (à preuve Sabine 7 ans - écoutez Cassettes Radio-France SON 060)
1. Le magnétophone 
Qu'il soit à cassette ou à bande d'abord l'équiper d'un bon micro. Nous avons testé et adopté un micro omnidirectionnel bien adapté à l'acoustique des classes (vente C.E.L.). Votre magnétophone à bande sera de préférence à deux pistes. 
Les pistes correspondent aux têtes magnétiques, pour l'usage en classe choisir un magnéto « deux pistes », la qualité sonore est meilleure que pour un « quatre pistes ». Pour permettre le montage par coupage de bande n'utiliser qu'une seule piste (piste 1 pour un magnéto « 4 pistes »). 
2. Les bandes magnétiques: 
Choisir les plus épaisses parmi celles que tolère votre magnéto, elles seront plus solides (le plus souvent des « standard » ou « longue durée » à la rigueur). 
3. La prise de son 
a) En direct
• Montrer à l'enfant preneur de son (magnétophone branché à l'appui) comment, après avoir enroulé 1, 2 ou 3 tours de fil autour du petit doigt, en laissant une boucle, tenir le micro tout simplement sans le serrer mais SURTOUT éviter de pianoter sur le corps du micro, de le triturer et de jouer avec le fil ou le micro ce qui a pour effet (écoute au magnétophone) de provoquer des bruits épouvantables.
• Ne pas frotter le fil du micro sur les vêtements.
• Pour la parole, placer le micro à 25-30 cm de la bouche de l'interlocuteur.
• Attention au vent ! Dehors, tourner le dos aux courants d'air et en général mieux vaut s'abstenir si le vent souffle.
• Contrôler le niveau d'enregistrement sur le cadran du vu-mètre.
• L'aiguille ne doit pas passer dans la zone rouge. Un bouton, le potentiomètre d'enregistrement, permet de régler les niveaux. On peut aussi, sans toucher au potentiomètre, reculer le micro de la source sonore. 
b) Avec câble de liaison
(câble de copie) entre le magnéto et un poste de radio, de télé, un pick-up ou un autre magnéto. Posséder les câbles de liaison adéquats (rien n'est universel). Régler le niveau d'enregistrement à l'aide du potentiomètre. 
c) Imposer deux règles dans les débats
1.       Celle de nous taire, de lever le doigt si l'on désire intervenir.
2. Celle du temps (15 à 20 mn maxi). (Si l'on n'a pas dit dans ce temps imparti ce que l'on avait d'essentiel à dire peut-être n'y avait-il pas grand chose à raconter ?) 
4. Monter 
La mise en ordre se fait en classe.
On repère les séquences en notant avec précision le déroulement de la bande. On élimine toutes celles dont la qualité technique est défectueuse. On fait un plan avec les séquences qui restent. On fignole en supprimant les bruits parasites, les bafouillages. Un document sonore ne doit pas durer plus de 10 mn si l'on souhaite une écoute attentive. 
5. Pour couper 
On coupe en face de la tête de lecture avec des ciseaux magnétiques (en bronze). On colle les deux bouts avec du ruban adhésif spécial, en biais de façon à éviter un blocage de la bande en cours de défilement. On colle ce ruban adhésif sur la face brillante de la bande, la face mate est celle qui porte l'oxyde ferrique. Pour les petits, le maître au début aide bien plus au repérage et colle le morceau d'adhésif. 
6. Entretien 
Ranger le micro à l'abri du bruit (dans une boîte, un sac de plastique). Lui éviter les chocs. Net toyer les têtes magnétiques à l'alcool à 901. Mettre les bandes à l'abri de la poussière (elles se chargent facilement d'électricité statique). 
7. Vers les correspondants 
Nous écoutons une fois encore, ce qui nous permet de retirer encore quelques bruits, quelques bafouillages.
Une dernière écoute et, satisfaits de notre travail, nous effectuons sur cassette une copie de 7 minutes pour nos correspondants. Les enfants savent maintenant comment on peut manipuler la langue orale, comment arranger un message verbal, qu'on peut tricher même si nous ne l'avons pas fait, qu'on peut supprimer les hésitations du bégayeur, qu'on peut faire dire le contraire...
Ils savent parce qu'ils sont RICHES de L'EXPERIENCE.
Claude Curbale Jean-Louis Maudrin 
8. C'est en pensant à toutes les exigences d'une bonne communication qu'a été élaborée la fiche sur : 
LES ÉCHANGES
INTERSCOLAIRES AVEC
BANDES MAGNÉTIQUES 
(Consignes pour les débutants... et les autres). 
L'engagement de correspondre avec régularité, maximum de quantité et de qualité, fidélité, hônneteté est SOUS ENTENDU mais ne doit pas être perdu de vue. 
N'oubliez pas de RENVOYER LES DOCUMENTS qui ne vous sont pas donnés expressément (surtout les documents sonores originaux). Ne les effacez pas, ne les abîmez pas... ils ont un grand prix pour leurs auteurs - peutêtre aussi pour notre collection coopérative et leur perte serait IRRÉPARABLE. 
Si vos appareils disposent de plusieurs vitesses de déroulement (19 cm seconde, 9,5 cm/s, 4,75 cm/s... etc.) choisissez de travailler avec la PLUS RAPIDE qui soit commune avec celle de votre partenaire. 
Il est toujours préférable de travailler sur une seule piste (en cas de montage l'autre ou les autres sont saccagées la plupart du temps et irrécupérables). 
Si, malgré tout VOUS TRAVAILLEZ sur DEUX PISTES, indiquez-le par écrit sur la bobine, sur chaque face considérée et placer en fin de première piste une amorce rouge (convention très facile à comprendre). 
SI VOUS AVEZ 4 PISTES - ce qui n'est pas un avantage contrairement aux apparences - et que votre PARTENAIRE se trouve en possession d'un appareil à double piste, N'ENREGISTREZ QUE SUR LA PISTE n° 1 et sur la n° 4 au maximum afin de lui éviter d'entendre EN MÊME TEMPS soit les pistes 1 et 2... soit les pistes 3 et 4 l'une des deux lue à l'envers ou à reculons, si vous préférez... ce qui est très gênant pour la compréhension ! 
ENTENDEZ-VOUS avec votre partenaire sur le rythme des échanges, mais aussi sur le diamètre des bobines échangées. 
GARDEZ SI POSSIBLE CHACUN VOTRE MATÉRIEL D'ÉCHANGE. 
NE DÉPASSEZ PAS DES ENVOIS SONORES DE PLUS DE 12 A 15 MINUTES.Un bobineau de 5 mn par semaine a un retentissement plus efficace qu'une indigeste mouture de 60 mn par mois. 
Raymond Dufour
Les moyens audiovisuels ont un rôle important et spécifique dans le pouvoir thérapeutique de l'expression libre 
Introduit et utilisé avec toutes les précautions nécessaires, sans chercher à jouer les « apprentis-sorciers », ni se prendre pour un psychiatre, ou un psychothérapeute, le magnétophone, en particulier, peut contribuer efficacement à la résolution de certains problèmes d'ordre psychologique.
Les deux témoignages qui suivent insistent bien sur tout ce qui « environne » l'action de l'outil audiovisuel, lequel n'est donc jamais qu'un des agents permettant de telles évolutions. 
Magnétophone et expression 
Le magnétophone n'a pas été l'élément déclencheur de la créativité orale dans ma classe. En effet, nous avions acquis tant d'élan sur le front de l'expression écrite, de la création littéraire orale collective et de la gymnastique que natu­rellement, cela devait gagner également l'oral. Mais deux circonstances ont sans doute particulièrement contribué à son explosion « atomique ». En effet, au cours de mon adolescence, j'avais eu des problèmes de parole. Et cela m'avait par conséquent, rendu très sensible à ce domaine d'expression. Or, il s'est trouvé, précisément, que les petits Bretons, de ce temps-là, surtout ceux « côté campagne » étaient très limités sur ce plan et, pour ainsi dire, mutiques. Il y avait donc, là, un problème préoccupant auquel je me trouvais dans l'obligation de fournir une solution. C'est dans cette intention que j'ai décrété, unilatéralement, d'introduire une heure quotidienne de techniques parlées dans ma classe, suivie d'une demi-heure d'expression-création chantée et musicale.
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 Et cette liberté que j'avais prise et donnée et la présence de petits bretons de la côte a suscité une telle production diversifiée que je n'ai eu de cesse de la communiquer aux camarades de l'I.C.E.M. Dans le mouvement à ce moment, il y avait des chercheurs tous azimuts. Et dès que l'un d'eux avait pris un contact intéressant avec un domaine nouveau (math moderne, machines à enseigner, linguistique, audiovisuel, etc.) il se devait d'en informer tous les camarades. Et c'est pour cette raison essentielle que j'avais acquis l'appareil. 
Avant d'aller plus loin, je veux souligner un point particulier. On se figure peut-être maintenant que ce problème de la parole a disparu depuis longtemps. Mais je crois que l'on se trompe si l'on croit que les enfants parlent : non, ils bavardent : ils restent au niveau de l'écume. Et ils ont peut-être besoin encore plus qu'avant, d'accéder à leur parole, à leur expression profonde et véritable. Mais les enseignants tels qu'ils ont été sélectionnés, tels qu'ils sont enfermés dans leurs peurs peuvent-ils être sensibles à cet aspect du problème. Comme le dit Roger Gentis, ce qu'ils ont à faire essentiellement c'est étouffer la parole des enfants. Alors, on leur a appris, pour commencer, à étouffer la leur propre. 
Lorsque le magnétophone est présent, surtout au début, cela crée comme une tension, comme une exigence de rigueur, c'est comme si l'enfant se disait inconsciemment : « Attention pas question de se laisser trop aller à faire n'importe quoi. Et cette légère tension permettait au message d'être plus approfondi et plus facilement perçu.
Mais attention, ce n'était qu'une légère tension que l'on pouvait accepter sans fatigue et sans perturbation parce que, parallèlement à cela, il y avait la folle liberté de l'émission sans enregistrement. C'est-à-dire qu'on avait tellement l'occasion de se libérer de l'exigence capitaliste de production qu'on pouvait accepter d'y revenir sans renoncer aux plaisirs mais en s'en créant d'autres, d'une autre sorte. 
Ajoutons que ce rien de sérieux introduit par le magnétophone devait accompagner l'arrivée de l'appareil que je transportais avec beaucoup d'efforts. Ce n'était pas rien. C'était un appareil de poids qui n'incitait pas à un laxisme échevelé. 
Mais je voudrais insister sur un deuxième aspect qui ne me paraît pas avoir jamais été sérieusement pris en compte. Il s'agit de ce que j'appelle l'aspect confident, pour ne pas dire l'aspect magique du magnétophone. Il semble qu'il y ait là quelque chose que l'on retrouve au niveau de la relation de l'enfant avec l'ordinateur. C'est un interlocuteur qui ne semble pas avoir de désirs propres, qui ne semble vouloir rien imposer et qui, par dessus tout semble « régulier » et disponible. Pourtant, l'enfant sait bien qu'on pourra écouter le message qu'il livre puisqu'il a l'expérience de l'enregistrement. Mais il s'en moque ; il se laisse aller au présent de la situation et elle est tellement satisfaisante. En fait il semble que ce soit surtout au niveau de l'inconscience que s'origine le plaisir. Une telle occasion ne se rate pas. Et même si le message reste totalement symbolique et indéchiffrable, quelque chose de réel s'est manifestement exprimé. Et parfois, on pourrait dire : « Enfin ! » Et cela transforme des choses. J'en veux donner trois exemples : 
Voici Christian, petit Parisien de 7 ans et demi qui vient d'arriver dans ma classe, à 500 km de sa mère qui est en instance de divorce et de ses trois petites sœurs. 
Un matin, en rentrant de récréation, cinq ou six garçons proposent la dernière invention orale qu'ils viennent de réaliser dans la cour. Cela me paraît si riche que je décide d'apporter le magnétophone l'après-midi. Parmi eux, il y a Christian dont la simple phrase « Le petit balai s'est marié avec la vache » a déclenché l'hilarité générale. Quand son tour vient, je l'installe, comme les autres, un casque sur les oreilles et le dos presque tourné à la classe. Et au lieu de cette simple phrase il dit avec beaucoup de silence, de difficulté, de déglutition, bref d'angoisse, les paroles suivantes «    Alors... le petit balai s'est marié avec la bouteille... la bouteille s'est cassée... alors, la bouteille ne pouvait plus vivre... Et alors... le petit balai s'est marié avec un autre balai. Et l'autre balai s'est cassé aussi... Alors... la vache arriva se marie... avec le petit balai... Et, alors la vache... elle se tua car elle en avait marre de le petit balai... Et alors le petit balai va chercher un cochon et alors le cochon s'est marié avec le petit balai... Le petit balai se maria avec le cochon... Alors le cochon ne voulait plus vivre avec le petit balai. Le petit balai se tua et... alors... y en a plus de petit balai... alors ... le cochon va se marier avec une autre vache et alors la vache et le petit cochon faisaient toujours la bagarre et... alors. Le petit cochon prend les pattes de la vache et la vache tombe. Et alors, la vache, de ses cornes tue le petit cochon. » 
Et c'est certainement la situation - magnéto, casque, dos tourné à la classe - qui a déclenché tout cela qui n'était absolument pas prévisible. Le magnétophone a joué le rôle de média pour l'émergence de l'angoisse profonde de l'enfant. 
Une autre fois, alors qu'on venait d'inventer la poésie, Pierrick lève le doigt une seconde pour venir improviser à son tour devant les autres, mais il baisse aussitôt la main nerveusement, je l'ai vu. Je dis « Pierrick, viens !! «, le micro est sur une boite en carton, elle-même posée sur une chaise, face à la classe. Et voici ce qu'il dit : « Y avait de la neige - Je marchais dans la neige J'ai vu un petit chat - Je lui ai dit : « Tu veux rentrer » Mais il n'a pas voulu - Alo s, après je l'ai vu Il était tout blanc comme un bonhomme de neige - Je suis parti vite me cacher Et après je suis rentré profond dans la neige, très profond dans la neige - J'étais bien au chaud dans la neige - Mon père est venu avec une tranche - Et il a coupé ma tête et je ne voyais plus rien -Il a continué et après il m'a cassé ma main - Et après c'était l'autre main - Et après c'était les deux pieds et je ne pouvais plus bouger ». 
Pour moi c'est encore la présence du micro et la semi-barrière de la boîte et du dossier de la chaise qui a fait oublier les camarades. Alors l'enfant peut laisser monter sa parole profonde. Et contrairement à Christian dont la catharsis a été beaucoup plus longue, il semble bien qu'il y ait eu une catharsis ce jour-là, c'est-à-dire une expulsion symbolique de son problème principal puisqu'il y a eu, à la suite une transformation, sur beaucoup de plans de cet enfant. 
Enfin, il faudrait également signaler l'usage que font certains camarades de l'Éducation spécialisée du magnéto à pile. Ils le confient à un enfant qui peut dans l'isolement régresser à volonté au niveau des a - re - a -re, caca, pipi puis il rend le magnéto après avoir effacé la bande. 
Il m'est souvent arrivé de sentir que l'émission au micro avait fait monter des profondeurs des bulles oppressives qui venaient ainsi éclater à la surface de l'être. Mais, comme le recommande Jacques Levine dans la post-face des « Dessins de Patrick », je me situais toujours dans la zone n° 2 qui permet l'expression sans interpétation. J'ai donc voulu insister sur cet aspect sollicitation du magnétophone. Mais je me demande, après tant d'années, pourquoi cette dimension n'a pas été prise réellement en compte.

Paul Le Bohec

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De la parole qui surgit parfois... 
... Quand on prend le parti de l'expression libre, de techniques libératrices, d'aménagement coopératif du milieu, le parti de l'éducation et non celui de l'enseignement. 
Les quelques pages qui suivent expliquent comment des enfants ont pu dire ou chanter ou écrire ces choses « chargées de sens » et qui nous semblent être des éléments importants de l'éducation. Les maîtres disent tous : « Nous ne sommes pas des psychothérapeutes et ne tenons pas particulièrement à l'être ». 
Et pourtant, une autre dimension est introduite ici, qui fait éclater les notions étroites et sclérosées de « méthodes », « d'apprentissages scolaires », « d'intelligence ». Cette dimension pourrait bien être la plage floue et fluctuante qui n'en finit pas de faire jacasser sur le « normal » et le « pathologique », « l'éducateur » et le « psychanalyste », « ce qui relève de l'éducation », et « ce qui relève de la thérapie », etc. 
Nous nous sentons concernés par cela. Et c'est pourquoi nous publions « un peu de cette parole » qui est une façon de poser une question, sans que la façon même de la poser, bouche l'accès à sa réponse.
Qu'on ne s'y trompe pas. Si ces enfants parlent, c'est parce que le milieu le permet. Ce milieu c'est celui qui appartient aux enfants, celui dans lequel ils peuvent se retrouver en tant que sujets confrontés à leurs questions, à leur manque, à leur devenir, c'est le milieu où peut émerger leur passé et leur présent remodelé, reformulé, à l'abri momentané de la chappe institutionnelle de l'école. Ce milieu, c'est aussi le maître qui abandonne son personnage pour vivre plus sainement avec les enfants. Ce milieu, ce sont les techniques qui l'aident (au maître), à offrir des circuits nombreux et variés, pour que se véhicule jusqu'au grand jour la houle trop souvent réprimée des forces profondes de l'être, des éléments indispensables pour qu'il accède à la culture, c'est-à-dire au langage et à la communication. 
Le français et le calcul prennent alors un autre sens. Les enfants se sentent concernés dans le même temps où l'école, elle, non. 
MAGNÉTOPHONE ET CRÉATION SONORE DANS UNE CLASSE DE PERFECTIONNEMENT 
Depuis 14 ans j'ai une classe de perfectionnement (15 élèves de 7 à 12 ans, de niveaux Section Enfantine à Cours Élémentaire 2, année). Les enfants y restent plusieurs années. Nous occupons un préfabriqué nanti d'un couloir. 
En début d'année tout le matériel n'est pas en place. Seuls la cuisinière, la panoplie d'outils, la bibliothèque, l'atelier peinture et le magnétophone sont installés. Le reste (imprimerie, limographe, fichiers, documentation, encres ... ) sort ensuite en fonction des besoins. Les décisions concernant l'ensemble de la classe sont prises au conseil de coopérative. Très rapidement des moments de paroles apparaissent (quoi de neuf ?, conseil, présentation de t'au vaux), bientôt suivis par le choix et la misé au point des textes pour le journal scolaire ateliers, les enquêtes, le travail individualisé. 
Précisons que j'utilise le magnétophone en classe depuis 18 ans. En 1965 après l'achat de mon premier appareil j'ai fait un stage audiovisuel I.C.E.M. Depuis j'ai participé à l'encadrement de 8 autres. Je sais donc me servir de l'appareil et réparer les erreurs habituelles. 
Le magnétophone à bande - 2 pistes - siège près de la porte sur une table roulante. Le micro est fixé sur un pied d'appareil photo coincé dans un support de parasol. Nous disposons d'un câble-rallonge de 5 m pour le micro et d'une bobine de 10 m de fil pour l'alimentation au secteur, on peut soit se faire entendre par les autres en enregistrant dans le couloir, soit enregistrer pour soi tout seul, soit procéder à un enregistrement public dans la classe avec l'accord du groupe. 
Nous n'utilisons pas de craie, mais des feutres, sur de grandes feuilles de papier. Pas de poussière, ennemie de la bande magnétique et de l'appareil ! 
Placé devant tout le monde, le magnétophone est dès le début un outil privilégié de la classe : nous écoutons nos productions et des réalisations très variées d'autres enfants. Les enfants sont très vite accrochés. La machine gagne en intérêt ce qu'elle perd en mystère. Elle est utilisée à la demande des enfants et à la mienne pendant le « Quoi de neuf ? » (entretien matinal), les débats ou le conseil, et pendant les ateliers (musique, théâtre radiophonique, chants libres, récits) dans le couloir. Les enregistrements sont écoutés au cours du moment de présentation de travaux, critiqués, retravaillés en atelier si nécessaire (éventuellement par montage). Ceux qui ont été sélectionnés sont envoyés à nos correspondants, au même titre que les lettres, les albums ou les recherches de math. Nos « corres » nous retournent leurs remarques, et leurs réalisations, dont nous discutons. Chaque jour la date est annoncée au début du premier enregistrement. Les auteurs écrivent leur nom sur une feuille qui ira dans le livre de bord de la classe. Les bandes magnétiques sont achetées avec la Caisse de coopérative.
Pour les enquêtes nous disposons dans l'école d'un magnéto à bande portatif.
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Le matin le responsable du magnéto installe le matériel. C'est lui l'ingénieur du son : il règle les potentiomètres, donne des conseils. C'est moi qui le forme. Sa compétence doit être reconnue au cours d'un essai d'une semaine. S'il a l'intention de démissionner il doit former son successeur. Le soir il range le matériel et signale s'il manque de la bande magnétique. Pour les discussions collectives il est doublé d'un preneur de son. Celui-ci doit veiller à ne pas faire de bruit avec ses doigts sur le micro et à le tendre à 30 cm environ de celui qui veut intervenir. Évidemment les difficultés d'organisation sont traitées par le Conseil de coopérative.
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GHISLAINE CHANTE 
A l'époque j'étais à Compiègne. Nous allions souvent travailler en forêt. J'emportais une minicassette. 
Le 13 mai (!) Ghislaine, 9 ans et demi, petite fille triste, peu loquace, plutôt suiveuse que meneuse - vient enregistrer un chant libre. Depuis le printemps elle semble
se dégourdir un peu...
Quand j'étais à peine née
Il faut que j'aide ma mère
Il faut que j'aide ma mère
A peine née
Il faut que j'aide ma mère
parce que ma mère est vieille
et mon père aussi il est vieux
A peine née
Il faut que je fasse la vaisselle

et puis que je les écoute
parce que ils vont mourir,
ils sont trop vieux
Alors il faut que je les obéisse.
A peine née
Il faut que je fasse la vaisselle
Il faut que je les écoute
Il faut que je les...

que je les guéris
c'est tout.
 
Ce n'est pas juste musicalement, mais, emportée par sa mélodie, Ghislaine a pu dire, après avoir pris son élan, ce qu'elle avait sur sa petite patate de neuf ans et demi. 
Qui est cette maman qui revient souvent ?
D'abord laquelle ? La vraie est morte de maladie il y a 4 ans. Le père (le vrai) ne s'occupe plus de ses deux petites filles. Elles ont été recueillies par des voisins âgés qu'elles appellent « papa et maman ». Ils s'occupent bien d'elles et ils les aiment. Mais Ghislaine, l'aîné, doit aider à la tenue de la maison car les parents « adoptifs » (en fait les enfants n'ont pas été adoptés et le « vrai » père ne paie même pas leur pension) sont des gens de « devoirs ». Le ménage Doit être bien fait, on Doit être poli, obéissante, propre et tout et tout. Ghislaine fait le ménage, est polie, obéissante, propre et tout et tout. Il faut bien sinon « ils vont mourir »... et de ça, Ghislaine a l'expérience.
Est-ce qu'une enfant de 6 ans peut voir mourir sa mère sans se sentir un peu coupable ?
Comment ne pas être triste après un coup pareil, triste et inhibée ?
Si on ne veut pas qu'ils meurent, ses parents, on Doit bien les « écouter ». Mais cette hésitation à la fin de l'enregistrement : « Il faut que je les... Il faut que je les guéris », qu'est-ce qu'elle veut dire ? Je n'en sais rien. 
D'autres enfants enregistrent. Puis Ghislaine revient et chante :
Les arbres ils ont presque plus de feuilles.
Il y en a qui en ont.
Pourquoi que les autres n'ont pas de feuilles ?
Une petite fille, elle dit aux arbres :
-
Pourquoi vous avez pas de feuilles ?
Et l'arbre répond :
- y en a qui z'ont pris nos feuilles...
C'est tout.
 
Tiens, tiens le ton change.
Deux enregistrements, plus loin encore, nouveau chant :
Les oiseaux chantent cuicui
pour que les arbres dansent
et la petite fille rigole
et les papillons jouent à la ronde
et les coccinelles dansent autour des arbres.
 
La paix et la joie semblent revenues. Effectivement, Ghislaine est gaie, souriante maintenant. Elle va chanter encore trois chants de même style dans l'après-midi.
Les jours suivants, elle chante encore beaucoup de la même façon. Elle évolue même vers l'humour...
Ghislaîne prend alors de plus en plus de place dans la classe.
... sur le moment je n'ai pas fait le lien entre « quand j'étais à peine née » et le mieux de Ghislaine... Ce qui est important, c'est que Ghislaine et les autres aient pu dire, sans se paniquer, sans paniquer le groupe, ce qu'ils avaient à dire.
Extraits de la B.T.R. 9-10 « De la parole qui surgit parfois »
 
UNE RECHERCHE SUR LA VOIX 
Une élève de la classe de la directrice entre. Elle parle très vite ; on comprend vaguement qu'elle apporte une circulaire... ce n'est pas trop difficile, puisqu'elle tient celle-ci ! 
Dès qu'elle a refermé la porte, nous éclatons de rire. Jean-Michel déclare : « Elle a dit : bloulou bloulou ! » Le maître suggère d'enregistrer ces drôles de paroles. Jean-Michel bondit devant le micro et continue son imitation. Hervé vient lui donner la réplique. La conversation s'installe. José intervient à son tour. Toute la classe est stupéfaite. Les « bavards » s'en donnent à coeur joie. Ils en rient de plaisir ! L'un d'eux propose : 
« tous ensemble » et on a un beau bruit de volière, de brouhaha de hall de gare, ou de... ou de... 
Nous sommes en face d'un objet sonore nouveau pour nous et plutôt humoristique. Anne-Marie demande : « On réécoute ? » L'effet de surprise s'atténue. Il ne reste que la construction sonore. 
On s'est bien amusé. Mais est-ce bien tout ? N'a-t-on pas domestiqué sa voix ? Ne l'a-t-on pas menée vers des chemins qui lui étaient inhabituels ? N'a-t-on pas, pour quelques instants, débloqué sa fantaisie créatrice ? 
N'a-t-on pas oublié, l'espace d'un petit bout de matin, tous les interdits qui chargent notre langage, retrouvé les cheminements d'un Henri Michaux, la démarche des peintres abstraits ou des enfants de l'École Freinet explorant les coulures de peinture ? 
N'a-t-on pas visité les limites du verbe et démonté le mécanisme de celui-ci ? Que reste-t-il quand on a enlevé le sens des mots ? Que se passet-il quand on se trouve oreille à oreille avec une langue étrangère ? On est face au support, face à la musique de la parole, face aux intonations. Et cette musique influence le langage et est influencée par lui, comme l'a dit le Docteur Tomatis, comme le constatent les chercheurs du Laboratoire d'ethno-musicologie du Musée de l'Homme. 
Les voix n'ont-elles pas été utilisées comme des instruments de musique, conversant entre eux, comme dans « what love » de Charlie Mingus, et nombre de recherches contemporaines ? 
De telles réalisations ne sont-elles pas typiques de la vie des enfants ? Pourquoi ne rentrentelles donc pas dans nos classes ? 
In Dossier Pédagogique 91-92-93 Musique libre
 
MUSIQUES « CONCRETES » 
Dans l'école nous échangeons quelquefois des élèves.
Un jour deux élèves de ma classe sont allés dans la classe de la collègue du C.M.2 pour participer à l'interview enregistrée de personnes ayant vécu la guerre de 14-18.
A leur retour, ils nous racontent ce qu'ils ont entendu, mais nous voulons en savoir plus long. Un enfant va chercher la bande magnétique. Triomphalement, il revient…
On met le magnétophone en route... mais surprise, il sort des bruits bizarres du haut-parleur : une voix piaille, une autre grogne. On entend en même temps une voix très aiguë et des borborygmes. 
Que s'est-il passé ? Rien que de très courant : sur notre magnéto deux pistes nous écoutons une bande enregistrée par un magnéto quatre pistes... dont deux pistes sont utilisées, de plus nous écoutons en 19 cm/s des enregistrements faits en 4,75 et en 9,5 cm/s.
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Mais pour l'instant l'explication technique nous intéresse peu. Tout le monde rit. Denis, un malentendant, vient coller son oreille contre le hautparleur. Lui aussi apprécie.
Hervé, le responsable du magnéto - un C.E. L. tripote les têtes magnétiques, les monte, les descend : une voix grave vient de temps en temps, repart, revient et les rires redoublent.
Puis il pense à la technique du montage qu'il connaît bien. Il fait tourner les bobines à la main... alors là c'est encore mieux, il retourne la bande, remonte les têtes magnétiques et passe la bande à l'envers : la voix est grave, le borborygme aigu, il change de vitesse, s'affaire... Tout le monde est subjugué, c'est la même bande et pourtant c'est toujours différent... et c'est drôlement rigolo !
Jean-Patrice : « On pourrait faire de la musique comme ça ! » Allons-y 1 Jean-Patrice et Hervé essayent : les créations vocales reviennent dans la classe.
Le groupe des auditeurs s'effiloche, les tâtonnements des copains sont fortement concurrencés par les ateliers permanents...
Infatigablement, les enregistrements sont écoutés, bricolés, on essaie les voix, les percussions, la cithare trouvée dans une poubelle, on change les vitesses, on écoute la bande à l'envers, on tourne les bobines à la main.
Je vais chercher le magnéto de l'école. Je le branche au nôtre - en position de copie, touche pose enfoncée - quand les enfants veulent enregistrer, il leur suffit de relever cette touche. Quand les enfants on trouvé un effet intéressant, ils travaillent sur la bande originale (en la conservant) et enregistrent sur le deuxième magnétophone les effets obtenus.
Les essais dureront jusqu'à la fin de l'année. Les enfants sont fascinés, moi aussi d'ailleurs, par l'univers sonore qu'ils explorent. Un seul bruit enregistré peut produire des heures de créations, toujours renouvelées. Les critères esthétiques sont bousculés, on ne peut plus dire si c'est beau ou non, si ça plait ou non. Les enfants se trouvent devant l'inouï... devant un monde neuf dans lequel les facteurs d'échec ont disparu. Quelle impression pour des enfants de classe de perfectionnement !
Et les oeuvres de Pierre Henry ou de Schaeffer ne viennent que les confirmer dans leurs recherches.
La musique libre permet déjà une libération de l'enfant par une expression voilée : l'enfant est masqué comme derrière un castelet... mais ce sont les mots qui sont déguisés. Cela lui permet de s'exprimer avec moins de censure, de laisser beaucoup affleurer l'expression de ses pulsions, sans pour autant se mettre en insécurité, au contraire en utilisant ces pulsions. La sublimation est de fait dans la musique libre. Mais dans le cas de la musique concrète, l'expression est encore plus voilée et libérée de toute contrainte esthétique ou morale. L'enfant est libre devant un monde sans limites, sans interdits. Il se heurte cependant à la réalité qui est le matériel. Mais sans grand apprentissage, il arrive à produire des sons qui l'étonnent, le séduisent et l'emportent au-dedans et à l'extérieur de lui. 
Art enfantin n° 71 
 
OLIVIER LE POÈTE 
Quand Olivier arrive dans la classe, il est impossible de l'approcher : il se bute, ou fonce sur l'intrus. C'est un enfant très sensible, inhibé et agressif. A la suite de son frère il découvre le chant libre, puis le poème oral. Il s'y lance, tête baissée, et produit énormément. Voici sa quatrième création : 
MOURIR EST UN JEU D'ENFANT 
Mourir est dans dans un manteau
mourir est dans le froid
mourir est dans une porte qui nous regarde
le silence est dans rien du tout

est dans un pot de fleurs
qui regarde un crayon de couleurs.
La poignée, la poignée d'un manche d'outil est mort
le silence est là
on n'entend rien
on n'entend que les oiseaux qui sifflent
auprès de moi
les oiseaux sont pas là
les oiseaux sont plus là
les oiseaux sont partis en Afrique
pour voir les Noirs !
moi je vais avec eux
je dirai (à) un oiseau
emmène-moi en Afrique
pour que je te voye un peu plus
car moi je t'ai jamais vu, petit oiseau
Toi petit oiseau tu peux foutre le camp
si tu veux pas m'emmener
Bon allez au revoir petit oiseau
pip pipip
le petit oiseau qui n'est pas gentil
sera parti demain que le verrai plus
moi je partirai dans ma maison
où que je suis bien
car là ici je suis bien je suis dans mon fauteuil
que je dis rien
je dis tout bas tout bas
on n'entend rien du tout
car moi je ne dis jamais rien
quand on me dit quelque chose
je réponds rien du tout
car on m'embête
moi je n'aime pas les questions
j'aime pas rien du tout
j'aime pas le manger
j'aime pas les choux de Bruxelles
j'aime pas rien du tout
j'aime pas qu'on parle à mes oreilles
car je fais un bond
je fais un bond
et je retourne
sur mon fauteuil
car moi je ne dis rien
parce que le monde est là
à me questionner comme je ne sais pas quoi
je leur dis merde
car je n'ai rien à dire
qu'est-ce que j'aurais à dire
j'aurais rien à dire
car je n'ai rien fait
et ils m'ont rien fait
alors je dis rien
je dis rien aux gens
ils peuvent s'en aller à leur maison
car je n'ai pas besoin d'eux
car moi je suis bien tout seul
mais on rencontre des gens qui nous questionnent
aussi pour que je ne sais pas quoi
une femme qui me dit une fois
vous, vous avez des enfants ?
je lui ai rien dit j'ai rien dit
elle m'a poursuivi
pour me dire si elle avait des
si j'avais des enfants
j'ai rien dit
car elle c'est une chinoise
qui m'a demandé ça.
                                      Olivier
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C'est dramatique d'un bout à l'autre. Mais il y a des moments très intenses, dans lesquels Olivier se fâche. Quelques images « surréalistes » pour se lancer... et c'est le déferlement. Olivier règle ses comptes... en sachant qu'il dit un poème et il retombe sur ses pieds - ou plutôt sur son fauteuil - et termine par la pirouette » c'est une chinoise qui m'a demandé ça ! »
Mais ne dit-il pas la vérité ? N'est-il pas vrai qu'il a toujours quelqu'un sur le râble, à la maison, à l'école, ne le questionne-t-on pas sans tenir compte de lui au bout du compte ? C'est clair ! Il est même trahi par les bestioles, qui ne peuvent rien pour lui !
Et grâce à la forme poétique il a pu nous lancer tout ça à la figure... et peut-être même parler au nom de tous les enfants ! Et nous avons pu l'écouter sans nous fâcher. Son comportement général signifiait ça.
Mais il fallait un lieu, une ambiance, une forme - la poésie orale - un couloir où l'on est avec les autres en étant à côté, un confident muet - le magnétophone. Et quel confident ! Il répète aux autres, si on le veut. On peut détruire, si on le veut, ce qu'on a dit. On peut rectifier, si on le veut, son message. On peut s'écouter pas uniquement à chaud, mais après.
Il permet de s'entendre de l'extérieur (avec un casque) tout en créant. Il joue le rôle de miroir avec en plus la possibilité de faire intervenir le temps.
Il impose ses propres lois comme tous les objets, les outils, et ce ne sont pas des lois imposées par les autres (du moins on l'ignore), mais des lois implicites et fonctionnelles. Il ne fait pas de cadeaux. Mais le mur auquel l'enfant se cogne offre-t-il des cadeaux ? Pourtant il faut bien reconnaître son existence, sa solidité sur laquelle on peut compter pour s'appuyer, et aussi l'existence de l'enfant qu'on est, qui existe puisqu'il a mal.
Tous les poèmes et les créations sonores d'Olivier, qu'il a présentés au groupe ont été accueillies... Olivier a été félicité. Par là-même il est devenu un être existant parmi des êtres qui lui reconnaissent sa propre identité.
A l'écoute de « Mourir est un jeu d'enfant » on lui a dit : « Il est beau ton poème ! »... Onne parlait pas du contenu, mais celui-ci était implicitement apprécié. C'est là un des mérites et des risques de l'Art Enfantin : parler de « l'art » c'est accepter ou refuser « l'artiste »... Pour la première fois Olivier avait pu dire ce qu'il avait sur le cœur... Il a quand même enregistré ensuite un chant « anglais » entrecoupé de « français ». « Français » particulièrement intéressant. Et un autre chant « anglais » très plaintif, dans lequel il pleure, crie, si fort que l'on vient voir dans le couloir ce qui se passe, et qui se termine sereinement, calmement.
Il enregistrera encore beaucoup de poèmes, de pièces de théâtre radiophonique (c'est spécial : le micro interdit de bouger trop). Les accessoires sont remplacés par des bruitages. Il inventera des pièces de théâtre, toujours avec Catherine. 
Faisons le bilan de l'année pour Olivier :
Il est beaucoup plus sociable, plus maître de soi. Il a progressé un peu en écriture. Pas mal en lecture. En calcul, il sait manipuler, vérifier sa monnaie. Il se sort d'histoires de calcul, avec des mesures, des pesées. Il a appris à additionner, soustraire, faire les multiplications par un nombre d'un chiffre. Il n'a toujours pas beaucoup de goût pour le dessin. Pour l'éducation physique, il a gagné en assurance et il ne se moque plus des plus faibles que lui. Il parle mieux et davantage. Son classeur est toujours en désordre mais il est devenu un chef de file. Il a entraîné Catherine H., Catherine B., Corinne, Ghislaine, Jocelyne, Marc, Jannique dans son sillage poétique. 
Quelques questions au sujet de l'évolution d'Olivier :
- Est-ce le fait d'avoir dit ce qu'il a dit ?
- Est-ce le fait qu'il ait été accueilli ?
- Est-ce le fait qu'il ait trouvé des copains, des copines ?
- Est-ce le fait des techniques de travail, socialisantes et structurantes ?
- Est-ce mon influence ?
qui ont amené cette évolution ? Je ne peux pas le dire mais ça pourrait bien être tout en même temps !
 
Extraits de la B.T.R. 9-10
De la parole qui surgit parfois
 
ÇA BARDE ! 
Suite à un incident à la récréation, les tensions sont telles que le travail se révèle impossible. Pas question d'attendre le jour du Conseil. Les protagonistes demandent un conseil extraordinaire. « D'accord je propose qu'on enregistre ». Je m'attends à une jolie corrida et me tiens prêt à soutenir le président de séance.
La discussion se déroule à peu près normalement. Les attaques sont dures, on répond vertement, mais on s'écoute et on parle à son tour. L'un des accusés, Pascal, est preneur de son. Bien que fortement impliqué, il donne la parole à qui la demande, sans monopoliser le micro, même quand il est agressé. Le conseil extraordinaire se déroule dans l'ordre.
Comment expliquer ça ? J'ai l'impression que le magnétophone y est pour quelque chose. Dire qu'il a joué un rôle de modérateur n'explique rien. Je crois plutôt que le fait d'enregistrer équivaut à un renforcement de la loi du conseil : le passage à l'acte est interdit, les créations imaginaires sont peu admises, tout doit passer par la parole, par les « défilés du signifiant », par le symbolique. N'est-ce pas aussi la fonction du magnétophone ? Renforcement de la foi qui permet la communication...
D'autre part, comme l'imprimerie, comme tous les outils, comme tous les objets, le magnétophone a ses propres lois qu'il impose. Il est sourd aux lamentations et comme un mur (comme je le disais précédemment) il ne fait pas de cadeaux... Un peu de réel, interdisant les envolées de l'imaginaire a peut-être joué un rôle de lest dans ce groupe en ébullition ? La réalité ramène... à la réalité. Ce conseil sera le dernier « conseil extraordinaire » de l'année, et les belligérants ne s'agresseront plus.
N.B. : Ne nous enthousiasmons pas trop vite, le magnétophone ne joue pas toujours ce rôle de modérateur, dans « Qui c'est l'conseil ? » son apparition provoque un fou-rire.
(Cf. Ca barde, L’Educateur n°4 du 15.11.80).
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EDMOND LE MUTIQUE 
Edmond, 7 ans : un des petits nouveaux. Nerveux. Fils unique. Mutique l'année dernière au cours préparatoire. Maman très anxieuse : « Edmond a des problèmes « pisschologiques », il fait pipi au lit. J'ai consulté un « pischologue ». Son père était comme lui, il n'a jamais rien appris à l'école ; c'est ma belle-mère qui me l'a dit. Il se débrouille bien dans son travail quand même » m'a-t-elle confié, en présence d'Edmond. Les parents sont timides, mais sont en conflit violent avec leur voisin. Ils ont fait construire un pavillon, mais depuis, l'usine où travaillait la maman d'Edmond a fermé, et elle ne trouve pas d'autre employeur. Edmond ne parle pas à son père.
Le premier jour de classe, il ne parle pas. Le deuxième jour, il répond aux questions en lecture par monosyllabes. Le troisième jour, il dit qu'il a une histoire à nous raconter : au moment de le faire il se tait. J'interviens : « Tu as dis que tu avais une histoire, vas-y ! » Il se lance : « J'ai été chez Mémère, on a été promener... » Christian, Freddy et moi posons des questions. Nous apprenons qu'il est allé au cimetière avec son père, sa mère et sa mémère. Je propose qu'on le félicite. Toute la classe est d'accord.
Le quatrième jour, il parle encore au « quoi de neuf » du matin. Il a du mal à commencer. Je l'aide, il raconte la fugue de son chien.
Le cinquième jour, aidé par les questions de Loïc il décrit la promenade de son chien et les batailles (sanglantes) de petits soldats qu'il organise chez lui. Je lui propose d'enregistrer, en ajoutant que s'il le veut on pourra faire entendre la bande à sa mère : « Elle croit que tu ne parles pas... Comme ça elle t'entendra ! ».
Le sixième jour, il raconte qu'il construit des châteaux. En mathématique, nous nous classons en porteurs et non porteurs de lunettes pour nos présenter à nos correspondants. Quand son tour arrive, il reste pantois, un petit regard malicieux au coin de l'oeil, et ne répond pas aux questions formulées par les autres pour l'aider. Je lui dis : « Tu sais, si tu veux embêter ta maman, ce n'est pas comme ça qu'il faut faire : là, tu nous embêtes, nous ! Allez viens au tableau ! » Il se lève. Il a la braguette baissée. Je la lui remonte... et il répond correctement aux questions permettant de remplir le tableau !
Le septième jour il s'inscrit pour raconter. Sur ma proposition, il essaye d'enregistrer... mais rien ne sort ! On réécoute. Je dis : « On efface, ca ne compte pas ! » Il parle alors très très près du micro : « J'ai joué aux billes ! », Freddy, Eric, Graziella, Lucienne, Christian, Sylvie le questionnent et il répond. Freddy, le responsable du magnétophone, repasse l'enregistrement. Tout le monde rit. Edmond se bouche les oreilles, puis se détend, souriant.
Le huitième jour, il s'inscrit pour enregistrer. Il raconte ses jeux chez sa grand-mère : il a organisé un accident, un incendie avec ses petites voitures. La maison a brûlé, mais l'ambulance s'en est tirée.
Le neuvième jour de classe, jeudi 28 septembre, il enregistre dans les premiers - il est prioritaire puisqu'il est nouveau et qu'il parle peu en groupe - une histoire de petit oiseau. Il participe activement aux discussions.
Le soir sa mère vient le chercher. Je demande à Edmond, avant qu'il ne la rejoigne, s'il veut que je fasse entendre ses enregistrements. Il est d'accord. La maman est toute contente. Elle dit qu'Edmond m'aime bien, et qu'il n'a pas peur de moi. Mais elle est encore inquiète. Elle veut savoir ce qu'elle peut faire faire à son fils le soir. Je lui dis : « rien ! », et je propose à Edmond d'emporter des livres de la bibliothèque, s'il le veut évidemment. Il ne répond pas. Je le fais remarquer à la mère : « Il vous fait marcher ! » Elle avoue que ce silence la tracasse...
Edmond n'aura plus de difficulté pour s'exprimer oralement en classe. Deux ans plus tard il quittera la classe de perfectionnement pour un cours élémentaire 2e année. 
In L'Éducateur n°11 du 15.04.82
Sansle magnétophone, comment aurais-je découvert le chant libre, les techniques parlées, et a fortiori la musique concrète ?
Jean-Louis Maudrin
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Enfin... ce vieux rêve commence à devenir réalité : 
Quand la communication scolaire se conjugue avec la communication sociale 
Quel rêve ? 
Si l'histoire de l'audiovisuel dans la pédagogie Freinet commence très tôt, par la création en 1920, dans la Gironde, de la « Cinémathèque de l'Enseignement Laïc », il semble bien que c'est avec l'idée de la radio que se construit une pédagogie de l'audiovisuel, telle que l'évoque l'un de ses pionniers tenaces, Raymond Dufour :
« J'avais rencontré Freinet en décembre 1945 reconstitution de la C.E.L. (72 présents !) et en 1946 pendant le stage de Cannes, je fus bientôt bombardé responsable de la commission radio... numérotée 32.
Ma prospection auprès des porte-paroles de la radio... Weillé, Samy Simon, ne finit par être fructueuse que lorsque j'ai pu voir, revoir et surtout entendre Jean Thévenot. En le voyant mettre au point un disque pour son émission « On grave à domicile », il me parut évident de tenter avec des enfants la gravure sur disque...
1948 Congrès de Toulouse. Je lance (dans le vide et 1 600 oreilles, et autant d'yeux narquois) ce défi ! « Bientôt le journal scolaire imprimé sera remplacé par le journal parlé émis de nos classes » (Rires unanimes) ». 
Quels espoirs ? 
L'acquis des trente années de documents sonores illustrés devrait nous permettre d'évoluer à l'aise au milieu de la multiplication des radios libres. A nous de démontrer qu'une information correctement recueillie a intérêt à être traitée avant d'être diffusée...
A nous d'aider les enfants à distinguer l'accessoire de l'essentiel.
A nous de leur faire comprendre l'importance du choix, de la rigueur, de la concision exigée par une communication sonore authentique.
A nous de montrer que ce travail développera une meilleure maîtrise de la langue orale qui ne sera plus fugitive mais qu'il sera possible de soumettre à une critique individuelle ou du groupe avant de la soumettre aux auditeurs non scolaires (là voilà l'ouverture sur la vie) qui peuvent réagir pendant la diffusion...
A nous de montrer que le direct est difficile mais possible à condition de s'y préparer et de ne pas confondre expression libre et bavardages...
A quoi bon manipuler des appareils et des techniques si les productions ne trouvent jamais ou trop peu le chemin de la communication ?
A quoi bon écrire une rédaction ou préparer le montage d'une émission si elle doit rester enfermée dans sa page ou sa bobine au seul bénéfice de quelques privilégiés ???
Gabriel Barrier
Georges Bellot
 
Les bahuts à l'assaut des ondes 
La Brèche : revue du second degré (six mois de radio lycéenne). 
Les débuts 
L'idée traînait depuis longtemps : on rêvait sur des schémas d'émetteurs, on devinait les pistes possibles d'échanges, de correspondance par les ondes...
Pour ma part, j'avais eu quelques expériences ponctuelles mais très positives avec FR3. Je me souviens en particulier d'une émission en direct sur les journaux de classe avec des élèves de 1re il y a quelques années. J'avais constaté la fascination exercée par le direct, le trac vite vaincu, l'aisance, l'esprit de répartie, les bonheurs imprévus d'expression (que sous-tendait une solide préparation). On aurait pu continuer : FR3 offrait au groupe départemental un créneau hebdomadaire. Mais on se méfiait de la radio « officielle », de l'animateur professionnel. Il fallait aussi y croire ets'yinvestir. En fait l'idée n'était pas mûre.
Puis il y eut le raz-de-marée des radios libres, à Bordeaux comme partout, le changement, un réel besoin de communiquer. A la suite de contacts entre le groupe départemental et une des radios libres les plus importantes de Bordeaux (par l'écoute et le nombre d'émissions, beaucoup plus que par les ressources) - radio essentîellement tournée vers la vie associative - une réunion eut lieu en novembre 1981, sur un projet d'émissions avec élèves du primaire et du secondaire.
C'est là que naquit l'idée d'un « projet » d'action éducative pour le second degré. D'où une nouvelle réunion à laquelle nous avions invité un certain nombre de collègues et d'élèves de l'agglomération bordelaise (portée de l'émetteur : 15 km environ de rayon). A vrai dire, nous fumes déçus de nous retrouver avec deux lycées et trois collèges seulement. D'autre part, il y avait désaccord sérieux de conception entre le lycée Montesquieu, partisan du direct et le lycée Mauriac qui, en raison des difficultés de déplacement (élèves habitant dans un rayon de 25 kilomètres) penchait plutôt pour des émissions pré-enregistrées au sein de clubs radios dans les divers établissements. Conflit aggravé par les préventions, les images de marque attachées aux deux établissements, les soupçons de mainmise par des adultes, ou des « groupuscules »...
Une nouvelle réunion en décembre permit de rédiger en commun un « projet d'action éducative », largement diffusé dans les établissements de l'agglomération, et qui, dans notre esprit - s'il avait été repris par d'autres, aurait pu augmenter les chances d'avis favorable... et le financement. C'était sans doute trop tard. Finalement, seul mon établissement déposa le P.A.E. dans les délais, et reçut une subvention qui permit l'achat de bandes, cassettes, micros, colleuse...
En fait, notre projet restait vague : c'était surtout un cadre ; une heure nous était accordée chaque semaine, le vendredi soir, de 18 h à 19 h (horaire qui émergeait largement dans les sondages). Mais qu'allait-on y mettre, et comment l'organiser !
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Les étapes et les problèmes 
- La première émission.
Elle eut une publicité discrète, par prudence... Il s'agissait seulement de présenter l'émission. Or nous vîmes arriver une quarantaine de lycéens et collégiens. Le petit studio disposait heureusement de pièces annexes. Nous essayâmes d'endiguer le flot, en faisant venir les participants par vagues successives autour des deux micros, mais nous finîmes par y renoncer. Tout de suite quelques jeunes animateurs se révélèrent par leur aisance et leur à propos, se passant sans problème d'animateur adulte.
Quelques moments furent salués avec enthousiasme :
- Le choc du premier appel téléphonique : l'émotion de se savoir entendu par les auditeurs sans visage, la réaction immédiate du studio.
- L'arrivée imprévue au studio d'un lycéen auditeur à qui l'on passe aussitôt le micro...
Il est difficile de traduire avec le recul ces quelques moments de la vie intense. Les adultes présents eurent l'impression que, malgré l'improvisation, le désordre, le trac, la timidité des plus jeunes, c'était un bon départ, montrant la capacité des participants à se tirer d'affaire, et le vif intérêt qu'ils prenaient à l'entreprise.  
- Direct ou différé ?
Il fallait continuer. J'eus alors un conflit significatif. J'avais longuement parlé du projet dans mes classes (2e et 1ère). La matière ne manquait pas : les travaux d'ateliers avaient déjà donné lieu à divers débats et interviews enregistrées avec une technique acceptable en fin de trimestre. Il suffisait de. réécouter, de procéder à des montages, et je voyais toute une série d'émissions possibles qui auraient eu de nombreux avantages :
- Permettre à un maximum d'élèves d'être diffusés sur les ondes, des plus à l'aise aux plus timides (d'où la valorisation de ces derniers), la prise de la parole me paraissant a priori plus facile qu'au studio, en petit groupe, à l'intérieur d'une classe au C.D.I., entre copains.
- Permettre de participer à ceux - très nombreux - qui habitaient loin, ne pouvaient se déplacer même le vendredi soir à 18h.
- Constituer un prolongement nouveau et original de tout notre travail de classe, un élargissement, une ouverture sur l'extérieur, un autre type de correspondance, des appels...
- Entraîner des motivations nouvelles (recherche d'enquêtes, d'interviews, amélioration de la technique d'enregistrement... ) .
- Favoriser la cohésion de la classe à travers une entreprise commune, la construction d'une émission au nom de tout un groupe, au même titre qu'un journal de classe.
Tout cela me paraissait évident. L'émission d'une classe de seconde était prête. J'avais oublié l'impact de la première émission. Je pris peu à peu conscience de fortes réticences des premiers participants, issus de diverses classes de mon établissement : ils avaient goûté au direct, ils entendaient bien continuer avec ou sans l'accord d'un adulte dont ils se méfiaient a priori.
Je fis donc marche arrière, non sans inquiétude, quelques heures avant l'émission, en donnant carte blanche aux animateurs de première et terminale qui s'étaient révélés. J'eus connaissance du sujet choisi une heure avant : les rapports entre élèves et professeurs...
Le résultat, vu le manque de préparation, et le sujet, ne pouvait être que médiocre et explosif à la fois : manque évident de réflexion, redites nombreuses, bévues, maladresses techniques, piétinements jusqu'aux dernières minutes qui provoquèrent enfin les questions essentielles : et d'un autre côté, bouillonnement intense, interventions passionnées, nombreux appels téléphoniques d'adultes (parents, professeurs) et d'élèves. J'étais le seul adulte présent dans le studio, très anxieux et agréablement surpris, refusant de prendre le pouvoir par la parole, mais très impliqué et essayant tout de même de proposer quelques questions quand le débat s'embourbait. L'émission dépassa l'horaire prévu d'une demi-heure, généreusement accordée par le responsable de l'émission suivante.  
-Place des adultes.
La troisième émission, par un mouvement de balancier, imprévu, allait tomber dans un excès inverse. Elle devait être consacrée à la Pologne. Elle était prise en charge par un autre lycée de Bordeaux... en réalité, par un groupe d'enseignants plus que par un groupe d'élèves. L'exposé initial de 25 minutes provoqua une réaction brutale sur l'antenne, des jeunes qui se sentaient dépossédés de « leur émission », et qui réagissaient contre une forme « traditionnelle »d'information. 
- Élaboration d'un règlement.
Après ces deux émissions, le sentiment d'échec était tel, que les lycéens sentirent le besoin de trouver d'autres formules, à mi-chemin entre l'improvisation et la présence trop directive d'adultes. D'où une réunion de mise au point et d'explications entre les élèves des deux établissements pilotes, qui permit de dépasser les rivalités naissantes, les quiproquos, les procès d'intention. Voici le règlement qui fut alors élaboré :
- Chaque établissement prendra en charge une émission à tour de rôle, cherchera des personnes pouvant témoigner, en direct ou en différé.
- Il mettra au point un plan précis de l'émission (interventions, documents, musique... ).
- Il communiquera aux autres établissements, quelques jours à l'avance, par lettre circulaire, un plan succinct de l'émission en vue de favoriser l'échange, d'éviter les interventions inutiles.
Mon rôle - seul adulte, à ce moment-là, avec le président de la radio, - enseignant lui aussi - à suivre régulièrement l'entreprise, fut de tenir le secrétariat, d'établir avec les élèves le planning des projets, de favoriser les rencontres et les contacts, de diffuser l'information.
 
- Les clubs-radio.
Tout le travail de préparation et de coordination fut facilité, dans les deux établissements pilotes, par la création des clubs radios, qui prirent place parmi les autres clubs de chaque foyer. Leurs buts :
- Rassembler les impressions positives et négatives des auditeurs (soit en réécoutant des cassettes enregistrées lors du direct, soit en écoutant la rediffusion que finit par faire l'émetteur, à notre demande, le mardi de 13 h à 14 h, pour favoriser l'écoute dans les foyers des établissements de Bordeaux).
Susciter des projets nouveaux:
- Organiser la préparation des émissions retenues. Grâce à un noyau d'élèves, dans chaque établissement, l'organisation se mit peu à peu en place, et grace à elle, l'émission hebdomadaire fut assurée sans à-coups (au total : 24 émissions, sans compter les rediffusions). Et mon travail fut allégé.
 
Divers types d'émissions réalisées
- Le débat en direct, avec préparation et diffusion d'un plan ou d'un questionnaire.
- Le débat en direct, avec présence de quelques invités portant témoignage (exemple : Iturria, pour l'émission sur la bande dessinée, des militants de M.A.N. pour le Service Militaire, une Polonaise de Solidarité pour l'émission sur la Pologne... ).
- Le débat en direct, enrichi de pré-enregistrements (exemple : interview d'Agnès Laury, écrivain, ancienne prostituée) ce qui entraîna un très gros travail de montage, qui était aussi une initiation : comment réduire 30 minutes à 3 fois 2 minutes, selon le plan retenu pour l'émission.

- Le débat en différé, mais avec présencé de quelques participants au studio pour répondre au téléphone (exemple : enfants de divorcés, la vie en internat). Avantage : cela permet de faire participer des élèves, des classes, des établissements qui n'auraient pas pu venir au studio (éloignement, internat, horaires...).
Inconvénients : la rediffusion enlève toute la tension inséparable du direct, et l'émission est moins bonne. La réécoute en studio est moins attentive. - Le reportage et l'interview en différé, pour des personnes ne pouvant se déplacer au studio (interview d'un juge, d'Agnès Laury, d'un groupe de Mormons). Mêmes problèmes que dans le cas précédent.
Le projet envisageait une durée de trois mois. En fait le planning fut plein à craquer jusqu'au soir même du bac, et on eut besoin de quelques heures supplémentaires en semaine.
D'autres types d'émissions auraient pu être envisagés mais l'essentiel était de ne pas s'être enfermé dans un seul modèle. 
Bilan provisoire 
A partir d'une émission-bilan réalisée au bout de trois mois. 
Eléments positifs
- Les lycéens ont retenu en premier l'importance de cette tribune libre donnée à des jeunes ; d'où l'explosion invévitable des débuts, avec ses risques (mise en cause de personnes, en direct : je leur ai seulement rappelé que l'accusation de diffamation était toujours possible).
- Ils ont très vite vu les dangers de l'improvisation, la nécessité d'une information et d'une préparation sérieuses.
D'où le gros travail réalisé pour la plupart des émissions (lectures, contact avec des associations, des spécialistes, recherche de documents, mise au point d'un plan...) .
C'est surtout à ce niveau que j'ai pu intervenir.
- Les critiques des auditeurs et la réécoute les ont rendus sensibles à certaines exigences techniques : ne pas triturer le fil, parler près du micro (d'où le bricolage d'une perche avec micro suspendu par des élastiques à une boite de conserve... ). Certains ont découvert le travail passionnant du montage d'une bande. Quant au maniement de la table de mixage, lors du direct, il n'a pas offert de grosses difficultés, ce qui a permis une autonomie totale vis-à-vis des adultes et des responsables du studio.
- Mais il ne leur suffisait pas de s'exprimer, ils attendaient des réactions :
·          Réactions de leurs camarades lycéens d'abord la radio a suscité des réactions passionnées au sein d'un même établissement. C'est ainsi que le club Femmes, responsable d'une émission, jusque-là isolé et minoritaire, a pu s'exprimer, non sans mal, et se faire reconnaître, dans une certaine mesure.
·          La radio a aussi permis des contacts entre les lycéens d'établissements différents. Ce n'est pas si fréquent. Les images de marque et connotations attachées à tel ou tel établissement se sont estompées. Les lycéens ont découvert qu'ils avaient des problèmes communs.
·          Ils attendaient aussi et peut-être même surtout des réactions d'adultes, enseignants, parents... Il était important pour eux d'être reconnus, d'avoir une écoute adulte. Ils ont eu quelques auditeurs fidèles, de tous âges, curieux, amusés, surpris parfois par le sérieux des sujets choisis, auditeurs qui ont pris la peine de téléphoner, d'écrire leur intérêt, leur plaisir, parfois en de très longues et très riches lettres : « Certains parents ont découvert nos idées » (Denis). Sans compter tous ceux qui ne se sont jamais manifestés, sauf au hasard d'une rencontre de couloir, ou d'un geste inattendu, comme cette collègue proposant à ses élèves l'enregistrement sur cassette de l'émission de la veille.
- Ce fut bien entendu pour eux l'occasion de multiplier des contacts, une ouverture sur le monde : contacts avec des associations (le C.R.I., pour le proxénétisme , M.A.N. pour le service militaire, etc.), ce qui entraînait des réunions préparatoires, des lectures, des recherches. Notre radio étant tournée vers la vie associative, ces contacts ont été facilités. Il est même arrivé, à l'inverse, que des contacts dont nous avions eu l'initiative aient eu prolongements dans d'autres émissions de la radio (par exemple, pour les Femmes).
- Tous ces contacts ne pouvaient qu'apporter des prises de conscience à divers niveaux. « Quand j'arrivais à l'émission, j'avais mes petites idées ; après l'émission, il m'est arrivé de ne pas dormir la nuit, à remuer les arguments qui s'étaient échangés » (Sophie 1e). Prise de conscience d'un autre ordre lorsqu'un commando masqué fit irruption un matin dans le studio (alors qu'une lycéenne était présente) pour une manceuvre d'intimidation qui visait une série d'émissions courageuses, consacrées aux massacres du Salvador. D'où communiqué de soutien des lycées, lu lors de l'émission suivante des « Bahuts ».
- Enfin être responsable d'une heure par semaine exige des prévisions à long terme, des engagements qu'il faut tenir coûte que coûte avec parfois des incidents, des défaillances auxquelles il faut remédier. Cet apprentissage de l'autonomie était difficile, vu la complexité de la coordination, l'extension que j'ai essayé de donner à plusieurs reprises, par lettres-circulaires : mon rôle de coordination est donc resté important. Mais un petit groupe d'élèves s'est senti de plus en plus concerné, a pris conscience qu'il faisait partie d'un ensemble, et a assisté tout naturellement à l'assemblée générale de la radio, ainsi qu'aux réunions hebdomadaires des responsables d'émissions. C'est ainsi que quelques élèves de terminale ont participé peu à peu à d'autres émissions, et ont même proposé des émissions nouvelles. Ils se sont très vite intégrés à la vie de cette radio, à ses problèmes. Ils se sont sentis très concernés par le passage à Bordeaux de la commission ministérielle pour les dérogations, par la cruelle absence de ressources des radios libres.
- Apprentissage du débat : par la réécoute critique, par les réactions des auditeurs, on découvre qu'il faut aller très vite vers l'essentiel, mettre au clair ses idées, écouter les autres, ne pas répondre à côté... Une heure passe très vite. D'où la confection de grands panneaux tels que : « il te reste 30 secondes », ou « tu sors du sujet ». apprentissage fragile certes, mais la comparaison avec certains débats d'adultes (émission de Michel Polac) n'était pas forcément au désavantage de notre émission.
 
Éléments négatifs 
Nous aurions souhaité une participation d'établissements beaucoup plus nombreux. Seuls quatre lycées et un collège ont participé régulièrement. Les contacts personnels, entre élèves, semblent avoir été beaucoup plus efficaces que mes circulaires...
Dans chaque établissement, la proportion d'élèves participants et auditeurs n'a pas été aussi importante qu'on aurait pu le croire, malgré nos efforts d'information (tracts, affiches, intervention de quelques collègues).
Très peu d'enseignants se sont sentis concernés par l'entreprise, dans mon établissement, et dans les autres. Entreprise sentie probablement comme trop marginale par rapport au bac... C'est pourquoi mon investissement personnel est resté important, surtout au début. Je regrette de n'avoir pu donner suite à un travail de réflexion qui m'était proposé par le C.R.D.P., intéressé par l'expérience.
Malgré mes efforts, et malgré quelques prises de conscience, les « grands » (terminales) ont un peu écrasé les « petits » (élèves de collèges et secondes), à cause de la prééminence du direct, où ils étaient évidemment plus à l'aise. Pour rétablir l'équilibre, il aurait fallu maintenir absolument le différé, ou prévoir deux séries d'émissions, sans pour autant établir de cloisons étanches par niveaux.
Nous avons exploré quelques directions, quelques types d'émissions. Mais il y en aurait eu bien d'autres. Je regrette ainsi l'inexistence des émissions de création. Elles sont restées à l'état de projet. Il aurait sans doute fallu y consacrer un temps sans commune mesure avec les possibilités d'élèves et d'enseignants de lycées.
Finalement ce bilan a paru largement positif, malgré les réserves émises ci-dessus. L'équipe d'animation s'est donc donné rendez-vous à la rentrée, pour une nouvelle aventure. Juillet 1982. 
Jacques Brunet et l'équipe d'animation des  
Annexes
Extraits du P.A.E. Buts du projet
 - Mettre en place une entreprise collective d'expression et de communication entre des groupes et classes différents, entre plusieurs établissements et pour un public varié, par le canal d'une radio locale.
- Permettre aux lycéens de rencontrer des personnes ou des groupes ouverts sur les problèmes du monde, et d'en débattre.
- Effectuer une activité en vraie grandeur grâce à un moyen de communication : la radio.
- Démythifier les médias en y participant effectivement.
- Aborder le problème de l'information.
- Favoriser l'expression multiforme des jeunes.
- Développer le sens de l'organisation, de la responsabilité, de la coordination en s'efforçant de travailler entre plusieurs établissements.
- Développer les qualités du jugement critique (tri des documents, travail de synthèse).

- Donner une forte motivation au travail autonome. 
Titres des émissions réalisées
- Rapports élèves-professeurs.
- Enfants de divorcés.
- Prostitution et proxénétisme.
- Le féminisme aujourd'hui.
- Des hommes au service des marginaux.
- Higelin.
- Bande dessinée (2 émissions).
- Les Beatles.
- Du théâtre chez les handicapés.
- Interview d'un juge.
- Interview de Mormons.
- La Pologne.
- La musique et les jeunes.
- Règlements intérieurs.
- Le comique.
- La contraception.
- L'union libre.
- Le service militaire en question.
- La vie en internat.
- Les jeunes et le vêtement.

- Interview d'Agnès Laury.
- Bilan. 
D'où une lettre ouverte à Michel Polac, après l'émission sur les radios libres et l'indigence de la participation des lycéens parisiens. 
Article paru dans La Brèche n° 82.
La pédagogie Freinet au second degré.
Novembre 1982. C.E.L. P.E.M.F. B.P. 109

06322 CANNES LA BOCCA
Introduction à un moyen d’expression et de communication audiovisuel pour un groupe d'adolescents
 
Il ne s'agit ici, en aucune manière, d'une « expérience », tout au plus d'une « récupération » de ce qui s'est déroulé de nombreuses fois et dans des conditions diverses. L'intention était ici :
- De proposer à des lycéens en congé et ne sachant trop à quoi occuper leurs loisirs, une activité susceptible de les intéresser.
- De leur prouver à eux-mêmes qu'ils étaient capables, en un temps limité, avec des règles de jeu précises et un matériel simple, de réaliser un montage diapo-son sur un thème choisi par eux.
- De disposer, par voie de conséquence, d'exemples de ce qu'il est possible à des jeunes de faire dans des conditions accessibles pour eux, avec un minimum d'aide au départ. 
Cette proposition était : 
Consacrer trois jours des congés de la Toussaint à l'apprentissage des techniques élémentaires de prise de vue de diapos couleurs, de prise de son avec magnétophone portatif, et de montage d'un diapo-son à images en succession court. Elle avait été faite à quatre lycéennes et deux lycéens de 2d, 1re et terminale.
Compte tenu du matériel disponible, il était possible de constituer deux équipes comprenant chacune deux filles et l'un des garcons. 
Les « règles du jeu » 
Compte tenu du temps disponible, j'ai décidé de « cadrer » en limitant :
- Les supports disponibles : bande son d'une durée maximum de 30 minutes pour les reportages, une pellicule 36 poses.
- La durée du montage final : 6 à 8 mn.
Seul est autorisé le son recueilli en reportage ou créé par l'équipe (donc impossibilité d'utiliser des disques).
Pour des raisons techniques (développement des dias), les reportages devront être terminés - au moins pour les photos - dès le premier soir.
Brève initiation à la manipulation des appareils. Les garçons connaissant déjà bien le maniement des appareils photos devront permettre aux filles de s'y essayer. Je fais confiance à leur agressivité pour veiller à ce qu'il en soit ainsi. 
Les reportages 
L'une des équipes a choisi un reportage sur les Gitans qui séjournent dans le voisinage de l'une des filles et dont elle est connue. Cela facilitera les contacts. De magnifiques et pittoresques images peuvent ainsi être fixées - du moins l'espère-t-on ! Malheureusement la cellule de l'appareil ne sera pas à la hauteur des circonstances : couleurs éclatantes des robes, chevelures ébouriffées mais dorées des enfants ne laisseront sur la pellicule que traces surexposées. Le son, par contre s'avère percutant : de quoi faire siffler les oreilles d'un maire « qui avait pourtant bien promis, au moment des élections... »
Le deuxième groupe avait décidé de tenter l'aventure d'une « enquête-coup de poing » sur le Cours Mirabeau. Une seule et même question posée aux passants : « Êtes-vous racistes ? » Certains silences en disent souvent plus long que réponses circonstanciées.
Si la technique photographique n'a pas, ici, joué de mauvais tours, s'est tout de même posé le problème de la mise en image : comment sortir d'un simple « défilé de têtes » des personnes interrogées ?
Comment rendre présente à l'image cette notion de racisme ?
Un détour sera donc fait par quelques chantiers pour compléter les « croquis » d'acheteurs maghrébins cueillis sur le marché.
Il faut souligner ici, pour être précis, le rôle joué par le garçon, entraîné déjà à ce type de reportage photo. Une expérience semblable avec des adultes m'a convaincu de la nécessité d'un minimum de maîtrise technique sans lequel le taux de réussite est insuffisant pour permettre ensuite un choix par élimination sans faiblesse de toute photo ne présentant pas une qualité technique satisfaisante quant à la lisibilité.
Nous touchons là au problème de la communication, lorsque le produit sort du cercle de ses créateurs, touchant ainsi un milieu récepteur non impliqué (donc peu enclin à l'indulgence) qui a besoin d'un message lisible ayant une relation non équivoque avec le son.
Il est bien certain que les conditions de cette réalisation ne pouvaient permettre d'atteindre un tel but, assez ambitieux, mais elles obligent à prendre conscience de ces problèmes. 
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La réalisation 
Les diapositives étant développées par mes soins, chaque équipe peut se consacrer à la bande son, disposant de tout le matériel nécessaire pour procéder à un prémontage par copie des éléments intéressants de l'original.
Je dois noter le degré d'implication dans ce travail pourtant fastidieux : une équipe ira jusqu'à la transcription intégrale et minutée de l'original, ce qui lui permettra d'aller beaucoup plus vite au moment du montage.
Après une initiation à la technique du montage par coupage de la bande, je suis intervenu le moins possible : quelques « visites » de temps en temps pour suivre l'évaluation et surtout rappeler l'échéance et ce qui reste à faire. Éludant les questions sur le contenu, lorsqu'on me demande mon avis, je me contente de remarques techniques : « on entend des bruits de micro..., ici, il y a une rupture de ton... ou de rythme... là, le montage se sent... »
Mon but principal étant que chaque équipe puisse présenter un produit qui lui paraisse satisfaisant, j'ouvre mes collections de diapos au groupe dont l'appareil a été défaillant. Mais ça ne remplacera tout de même pas, et ils préféreront souvent conserver certaines des leurs, malgré leurs imperfections : il est bien certain qu'elles « collent » mieux avec le son. 
La présentation 
Elle se fait en présence de la plupart des parents. Bien qu'ayant accepté - peut-être assez heureux qu'on offre un loisir à leur enfant - je crois qu'ils étaient plutôt sceptiques sur nos chances de réussite.
D'où leur étonnement en voyant défiler les images tombant au moment voulu. Étonnement également devant la description de tout le travail fourni volontairement, l'acceptation des contraintes et des rigueurs qu'exige ce type de travail.
Étonnement également devant la gravité des sujets choisis, la hardiesse dont on fait preuve les enquêteurs.
Je crois que j'enfoncerais vraiment des portes ouvertes en insistant sur une autre constatation faite par tous ceux qui pratiquent de telles activités :
Cette capacité qu'ont les adolescents et les enfants de la « galaxie Marconi » à s'approprier les moyens de communication audiovisuelle. Mais alors, nous entrons là tout à fait dans la grande querelle : Y a-t-il un (des) langage(s) audiovisuel(s) ?
Orson Welles, à qui l'on demandait de parler de cette question, répondait : « De qui parlez-vous ? »
Pourtant, arrive actuellement à grand pas l'ère de « l'audiovisuel-objet d'enseignement » : avant même que les Inspecteurs Généraux aient eu le temps de nous bâtir un beau programme, fleurissent déjà les « manuels » d'initiation à la communication audiovisuelle » où l'on apprend à découper les images avec les outils et les termes de la sémiologie du discours écrit.
C'est pourquoi j'ai très envie de citer Pierre Schaeffer, dont j'ai, un jour déclenché la fureur (qui n'en demandait pas plus pour éclater), en prononçant devant lui la formule « lecture de l'image ») :
On peut bien dire, approximativement, que l'audiovisuel a deux composantes : le son et l'image, mais qui peuvent se composer de façons très variées et qui sont eux-mêmes très complexes.
Je commence donc par dire que cette prétention de « lire l'image » et cette référence à un langage qui est lui-même un système qu'il faudrait bougrement apprendre, est une erreur de référence, une erreur d'analogie et une négligence de recherche prodigieuses. On n a même pas compté le disparate. On n'a pas compris que ce n'est pas le même système : la lecture et J'écriture, ça a mis des millénaires à s'élaborer. Et ça s'apprend, en effet. Mais le système audiovisuel, hétéroclyte, disparate, est sorti tout à coup, comme un furoncle.
Vous dites qu'il y a des codes.
Vous savez très bien qu'il n'y en a pas.
Mais, même si nous prenons ce mot au sens large, au sens, si vous voulez, de « stipulations », alors, ce qu'on a mis dans une image, plus ou moins suggéré et plus ou moins dissimulé, lorsqu'on cherche à savoir ce qu'on a voulu dire, il y a un effet d'aller et retour qui ressemble bien à une codification et à un décodage.
Oui, mais le mot est extrêmement dangereux.
Que l'on dise qu'il y a, dans les moyens d'expression, des choses que l'on a voulu suggérer, c'est entrer dans le système beaucoup plus vaste : ça renvoie à beaucoup de notions très riches, tandis que, quand on parle de « code », ça renvoie au télégraphiste...
La langue est un système de signes. On code une langue. Mais elle passe par la parole, c'està-dire la présence, l'intonation, la part de musique qui est dans la voix.
Tout ça n'est pas synonyme. Quand je parle de« signe », je me réfère à Saussure : un rapport artificiel entre un contenant et un contenu et l'idée d'un concept attaché à une sonorité qui est ensuite traduit par écrit.
Rapprochez cela d'une image et d'un bruit vous voyez bien qu'une image n'est pas un concept attaché à un référent visuel ou sonore arbitraire. L'image, par définition, est le contraire d'un signe...
Alors, vous voyez bien pourquoi je suis violemment contre la « lecture d'images », parce que la lecture de l'image, ça consiste, justement, a apprendre à ne pas lire l'image. 
Toute l'ambition de ce Pourquoi-Comment ? aura été, précisément de témoigner de quelques pratiques pour aider les enfants et les adolescents à mieux maîtriser ce mode d'expresion et de communication qui imprègne leur quotidien.
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CONSEILS PRATIQUES ET BIBLIOGRAPHIE 
La commission nationale audiovisuelle de l'I.C.E.M. met à la disposition des enseignants divers services : 
  • CORRESPONDANCE SONORE : Ce service est en mesure de mettre en relation des classes qui désirent établir des échanges réguliers de documents sonores (bandes ou cassettes). Il suffit pour cela de demander une fiche à l'adresse ci-dessous et de la retourner dûment remplie au responsable des échanges dans la période précédant la rentrée ou mieux, lorsque cela est possible, dès le mois de juin.
 
  • LA SONOTHÈQUE propose aux enseignants des enregistrements réalisés dans des classes Freinet, témoignages de techniques pédagogiques : exemples de débats, interviews, séquences de classe, etc.
 
  • LA CINÉMATHÈQUE SUPER 8 regroupe des films réalisés dans des classes, notamment dans le domaine du cinéma d'animation. Il s'agit de créations originales.
 
  • LE GROUPEMENT D'ACHAT est en mesure de fournir à des prix serrés le matériel nécessaire à la pratique des techniques sonores : magnétophone à cassette « amélioré », micro de bonne qualité, bandes magnétiques et cassettes, bobines vides, matériel de montage.
 
LA COMMISSION AUDIOVISUELLE COMPREND DIVERSES SOUS-COMMISSIONS: SON, PHOTO, CINÉMA D'ANIMATION, RADIOS LIBRES, VIDÉO. Elle organise chaque année UNE RENCONTRE NATIONALE AUDIOVISUELLE d'une durée de deux semaines au cours de laquelle est assurée une formation technique et pédagogique permettant par la suite de pratiquer utilement les techniques audiovisuelles. Au cours de ces stages sont également réalisées LES PRODUCTIONS AUDIOVISUELLES DE L'I.C.E.M. et notamment LES ALBUMS AUDIOVISUELS B.T. SON. 
Pour maintenir le lien entre ses membres, la commission édite UN BULLETIN TRIMESTRIEL qui regroupe des témoignages de pratiques, des textes de réflexion pédagogique, des informations techniques, et bien sûr des nouvelles de la commission. 
Pour tous renseignements, écrire à 
 Pour votre documentation, vous pouvez lire (et acquérir à l'adresse ci-dessus) :
-       Dossier Pédagogique n° 119 La documentation audiovisuelle.
-           Dossier Pédagogique n° 159-160 – Expression sonore et musique.
-           B.T.J. n° 200 – Notre cinéma à nous.
-           B.T. n° 846 – Apprenons à photographier.
-           S.B.T. n° 181 - La photographie.
-           S.B.T. n° 283 - Réalise un dessin animé.
-           S.B.T. n° 387 - Cinéma d'animation.
-           S.B.T. n° 433 - Je développe tout seul des diapositives. 
Ce Pourquoi-Comment a été conçu par une équipe restreinte du secteur audiovisuel mais il est le fruit du travail et de la réflexion de nombreux camarades qui au cours des années, ont contribué à affiner notre pédagogie de l'audiovisuel.
Par ordre alphabétique : 
Madeleine et Gabriel Barrier - Dany et Jacques Baud - Annie et Georges Bellot - Monique et Christian Bertet - Robert Besse - Annie et Raymond Blancas - Marie-Jo et Christian Blosseville - Liliane Bon Jacques Brunet - Paulette Brun -Thérèse et Lucien Buisson - Michel Cahu - Daniel Carré - Pierre et Paulette Chaillou - Yvon Chalard - Jean-Claude Colson - Claude Curbale - Liliane Corre - Marcel Daoust Odile Delbancut - Bérénice et Jean-Claude Doussin -Marcelle Drillien - Raymond Dufour - Renée et Robert Dupuy - Fernand Ernult - Jean Fraboulet - Pierre Guérin - Marc Guétault - Éliane et Georges Hérinx - Alain Hymon - Jean-Pierre Jaubert - Paul Le Bohec - Éliane et Aimé Leclerc -Daniel Léger Pierre Legot - Jacqueline et Raymond Massicot - Jean-Louis Maudrin - Xavier Nicquevert - Suzon et Renée Papot - Gilbert Paris - Odette et Maurice Paulhies - Jocelyne Pied - Denise et Paul Poisson Nicole Redheuil -Jean Rousseau - Monique Rouyre - Françoise et André Royaux. 
Ce travail a été coordonné par Georges Bellot - Pierre Guérin - Jean-Pierre Jaubert et Xavier Nicquevert.
Photographies :
P. Guérin : p. 3, 24, 29, 65 - F. Goalec : p. 5, 32, 36, 64, 66, 71, 93 - G. Belle : p. 8, 10, 12, 15, 27, 44 J.-P. Jaubert : p. 31, 69, 77 - R. Ueberschlag : p. 74 - S. Mensillon : p. 76 - R. Massicot : p. 78, 81 - D. Léger : p. 84 - J. Brunet : p. 87, 89, 94 - Klaas Bekker : p. 85 - Photo X : p. 41, 60, 80. 
Collection coordonnée par Guy Champagne et Claude Cohen. 
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POURQUOI INTRODUIRE
COMMENT ORGANISER, FAVORISER

DES ACTIVITÉS AUDIOVISUELLES
DANS UNE PÉDAGOGIE DE L'EXPRESSION  
L'image et le son ont un rôle à jouer, égal au texte, surtout à notre époque où ils sont omniprésents pour tous les âges et toutes les couches sociales.
Le but de ce Pourquoi-Comment n'est pas de tenter un inventaire comparatif de tous les supports audiovisuels existants avec leurs avantages et leurs inconvénients ou leurs spécificités technologiques, mais dans un premier temps de montrer seulement quelles peuvent être les principales caractéristiques communes et comment l'audiovisuel a sa place naturelle parmi les outils d'expression dans une pédagogie de la communication.
L'audiovisuel n'est pas uniquement un simple « moyen d'enseignement » au service de l'expression, il est ainsi démystifié et maîtrisé, et enfants et adolescents acquièrent alors la faculté d'utiliser ces merveilleuses possibilités sans en être abusés et deviennent ainsi plus autonomes et plus responsables. 
Les POURQUOI-COMMENT de l'École Moderne  
Au service de ce qui peut et doit déjà changer dans l'école et autour d'elle, une nouvelle collection d'ouvrages permettant à ceux qui débutent ou veulent infléchir leur pratique pédagogique d'aller à l'essentiel. 
Chacun de ces petits guides se veut un outil clair permettant, dans un domaine précis, de cerner rapidement le POURQUOI d'une démarche et le COMMENT d'une technique. 
Il présente :
- la description de pratiques et les fondements théoriques qui les sous-tendent,
- des conseils recentreurs pour leur mise en oeuvre réaliste,
- des témoignages conçus non comme modèles à imiter ou directives à suivre mais comme présentation de moments de vie propres à éclairer et soutenir la réflexion du lecteur, à lui permettre d'avoir ses propres initiatives.
Les « POURQUOI-COMMENT » s'adressent :
- aux enseignants de tous niveaux, intervenants directs dans le système scolaire,

- à tous les autres intervenants, appelés de plus en plus nombreux à jouer un rôle dans l'action éducative. Ils peuvent également être lus avec intérêt par les parents d'élèves qui pourront alors se faire une idée précise de ce que vivent les enfants dans une perspective éducative transformée, en classe ou ailleurs, et comprendre les raisons profondes des changements intervenus.
Déjà parus            
Correspondance scolaire et voyage-échange.

Les journaux scolaires.
Des activités audiovisuelles en pédagogie. 
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