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En Chantier n°17. Célestin Freinet et les Dits de Mathieu

Dans :  Techniques pédagogiques › 

Extraits du livre de Célestin Freinet « LES DITS DE MATHIEU » : « Donner soif à l’enfant » et « ceux qui font encore des expériences »

Article proposé par Annie Dhénin
 
Les Dits de Mathieu : un petit livre qui se présente sous la forme de paraboles, pour parler de pédagogie en termes simples et directement accessibles. Il est toujours bon d’y revenir, à l’heure où la pédagogie est bien galvaudée et ressemble davantage à un catalogue de « trucs » qu’à une réflexion à portée philosophique, quand elle n’est pas tout simplement remisée aux oubliettes de l’Histoire. En voici deux petits extraits. Pour donner envie de lire ou de relire Célestin Freinet…
 
I – Donner soif à l’enfant.
II – Ceux qui font encore des expériences.
III – la méthode naturelle.
 
 
I - DONNER SOIF A L’ENFANT (p.24)
 
Avez-vous vu des mamans-poules essayer de faire manger leur enfant ? Elles attendent, cuiller en main, que le patient entrouvre la bouche encore pleine pour y enfourner la ration de potage… Encore une pour papa !… Et une pour le minet !…
À la fin, cela déborde. L’enfant recrache sa pâtée, à moins qu’il n’en fasse une indigestion. Placez cet enfant en milieu vivant, si possible communautaire, avec la possibilité de s’y livrer aux activités qui sont dans sa nature. Il se présente alors aux repas, ou avant les repas, affamé. Le problème de l’alimentation change de sens et d’esprit. Vous n’avez plus à enfourner à la sauvette une bouillie d’avance refusée, mais à fournir seulement les matériaux suffisants et valables. Les processus de déglutition et de digestion ne sont plus votre fait.
On ne fait point boire le cheval qui n’a pas soif ?
Mais quand il aura mangé tout son soûl, ou traîné lourdement la charrue, il retournera de lui-même à la conque familière, et alors, vous pourrez tirer sur la longe, crier ou frapper… le cheval boira jusqu’à plus soif, puis partira apaisé.
A moins que l’obligation que vous lui aviez faite, de boire à cette fontaine, les coups que vous lui avez donnés, n’aient créé une sorte de dégoût physiologique de la fontaine et que le cheval se refuse désormais à boire l’eau que vous lui présentez et qu’il préfère chercher ailleurs, librement, la flaque qui le désaltèrera.
 Si votre enfant n’a pas soif de connaissances, s’il n’a aucun appétit pour le travail que vous lui présentez, ce sera de même peine perdue que de lui « entonner » dans les oreilles vos démonstrations les plus éloquentes, c’est comme si vous parliez à un sourd. Vous pouvez flatter, caresser, promettre ou frapper, le cheval n’a pas soif ! Et méfiez-vous : par votre insistance ou votre brutale autorité, vous risquez de susciter chez vos élèves une sorte de dégoût physiologique pour la nourriture intellectuelle, et vous boucherez à jamais peut-être les chemins royaux qui mènent aux profondeurs fécondes de l’être.
Donnez soif, par quelque biais que ce soit. Rétablissez les circuits. Suscitez un appel du dedans vers la nourriture souhaitée. Alors, les yeux s’animent, les bouches s’ouvrent, les muscles s’agitent. Il y a aspiration, et atonie ou répulsion. Les acquisitions se font désormais sans intervention anormale de votre part, à un rythme qui est sans commune mesure avec les normes classiques de I’École.
Toute méthode est regrettable qui prétend faire boire le cheval qui n’a pas soif. Toute méthode est bonne qui ouvre l’appétit de savoir et aiguise le besoin puissant de travail.
 
 
II - CEUX QUI FONT ENCORE DES EXPÉRIENCES (p.135)
 
II y a, dans la vie, deux sortes d'individus : ceux qui font encore des expériences et ceux qui n'en font plus. Ils n'en font plus parce qu'ils se sont assis au bord de la mare à l'eau dormante, dont la mousse a effacé jusqu'à la limpidité et jusqu'au pouvoir qu'ont parfois les mares de changer de couleurs selon les caprices du ciel qu'elles reflètent. Ils se sont appliqués à définir les règles de l'eau morte, et ils jugent désordonnée, incongrue et prétentieuse l'impétuosité du torrent troublant l'eau de la mare, ou le vent qui balaie un instant vers les bords les mousses stagnantes, redonnant un court souci de profondeur azurée à la nappe verdâtre.
Ils ne font plus d'expériences parce que leurs jambes lasses ont perdu jusqu'au souvenir de la montagne qu'ils escaladaient naguère avec une audace qui triomphait parce qu'elle allait toujours au-delà des ordonnances et des prescriptions de ceux qui s'appliquent à réglementer l'ascension au lieu de la vivre. Ils se sont confortablement installés dans la plaine toute marquetée de routes et de barrières et ils prétendent juger selon leur mesure à eux la hardiesse des montagnes dont les aiguilles semblent défier l'azur.
Ils ne font plus d'expériences. Alors ils voudraient arrêter la marche de ceux qui risquent de les dépasser et de les surclasser. Ils essaient de retenir les inquiets et les insatisfaits qui grondent avec le torrent ou qui partent par des voies inexplorées, à l'assaut des pics inaccessibles. Ils codifient sur leurs grimoires les lois de la mare morte ou de la plaine marquetée et ils condamnent d'avance, au nom d'une science dont ils se font les grands maîtres, toutes les expériences qui visent à sonder ce qui reste encore d'inconnu, à découvrir des voies hors des routes traditionnelles, et à tenter chaque jour l'impossible parce que c'est cet incessant assaut de l'homme contre l'impossible et l'inconnu qui est la raison vivante de la science.
Il y a deux sortes d'hommes : ceux qui font des expériences et ceux qui n'en font plus. Il faut, hélas ! en ajouter une troisième : celle des malfaiteurs qui ne craignent pas de bondir avec le torrent ou d'escalader les pics avec les intrépides, mais dans le seul souci de s'approprier, pour les exploiter à leur profit, les découvertes désintéressées des éternels perceurs d'ombres, des chasseurs de vérité, des créateurs de justice, de lumière et de beauté.
Avec notre idéal, ils font Hiroshima. Jusqu'au jour où nous leur barrerons la route pour reconquérir la vraie science, dynamique et humaine, que nous faisons tous ensemble, avec nos muscles, avec notre cœur, avec notre volonté et avec notre sang.
 
 
 

Les Dits de Mathieu n’ont pas fait l’objet d’une réédition récente. Ils ont été publiés pour la première partie en 1949 dans les Brochures d’Éducation Nouvelle Populaire (N° 47, juillet 1949 – Éditions de l’École Moderne Française, Cannes, Alpes-Maritimes) et en édition intégrale en 1954. La dernière publication semble être celle de 1978 chez Delachaux et Niestlé.

 

Heureusement…On peut en télécharger les pages sur le site de l’ICEM. À découvrir absolument !

 

 

III – LA MÉTHODE NATURELLE
 

En complément aux extraits ci-dessus, voici une présentation de la méthode naturelle théorisée par Freinet, que l’on peut trouver sur le site de l’ICEM, et que nous vous invitons à explorer…

 

« Un des fondements de la pédagogie Freinet est qu’un certain nombre de connaissances «scolaires » peuvent être acquises suivant le même processus «naturel» que celui qui permet à l’enfant d’apprendre à se tenir debout, à marcher, à parler, etc. Ce processus « naturel » s’appuie sur le « torrent de vie » cet élan vital qui rend l’enfant curieux, chercheur et expérimentateur ; ses réussites l’enthousiasment et cette jubilation le pousse encore plus loin.  
 

« Aucune, absolument aucune des grandes acquisitions vitales ne se fait par les procédés apparemment scientifiques. C’est en marchant que l’enfant apprend à marcher ; c’est en parlant qu’il apprend à parler ; c’est en dessinant qu’il apprend à dessiner. Nous ne croyons pas qu’il soit exagéré de penser qu’un processus si général et si universel doive être exactement valable pour tous les enseignements, les scolaires y compris. Et c’est forts de cette certitude que nous avons réalisé nos méthodes naturelles dont les scientistes essaient de contester la valeur ».

 

La Méthode naturelle suit donc la loi du tâtonnement expérimental «en tâtonnant, l’enfant cherche sans cesse, consciemment ou non, la réponse essentielle et constructive aux problèmes complexes que lui pose la vie » et vise à instituer des techniques de vie « l’éducation consistera justement à faire varier les éléments du tâtonnement et de la réussite pour asseoir des techniques de vie favorables ». [1]

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La Méthode naturelle questionne profondément le rôle et le fonctionnement de l’école dans la société.
 
 

Pour Freinet, il s’agissait de repenser entièrement la forme scolaire. En 1921, dans la revue L’école émancipée il précisait « L’école n’est pas le lieu où l’on apprend telle ou telle chose d’un programme défini. L’école doit être l’apprentissage de la vie. »

 

 

 

 

 

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