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Apprendre ensemble à écrire tout seul

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Comment donner du sens aux apprentissages en orthographe ?
Comment permettre aux enfants de s’en saisir ?
Et aux yeux d’un enfant, quel sens cela peut-il avoir ?

 

Entrer en écriture : le texte libre !

 

La pédagogie Freinet a depuis longtemps trouvé une réponse simple et vivante avec le texte libre : apprendre à écrire... en écrivant !
Entendons-nous bien, le texte libre idéal est celui que l’enfant écrit de lui-même, hors temps balisé, mais il me semble important pour que cela arrive que les enfants soient mis dans une démarche régulière d’écriture quand ils n’en ont pas l’habitude.

Ainsi, dans mes classes, j’ai toujours veillé à garantir un temps suffisant pour que chacun écrive tous les jours un nouveau texte, ou recopie sur son cahier d’écrivain le texte précédent corrigé. Cette correction peut être faite en direct avec l’enfant, quand c’est possible, ou, le plus souvent, rendue le lendemain.

Quand on laisse les enfants s’exprimer, on est étonné par la richesse et la diversité des textes produits : histoires vécues ou imaginaires, poèmes, lettres, documentaires... et par ce que ça génère en plus, l’entrée en écriture ! (1)
Car non seulement penser un texte, puis en suivre le fil est un sacré travail qui ne s’acquiert qu’en le faisant vraiment, mais entrer en écriture, c’est s’ouvrir un autre monde.

Avec un cahier d’écrivain alternant feuilles lignées et feuilles de dessin pour pouvoir illustrer chaque texte, l’envie d’écrire est toujours là, pas question d’être privé d’un moment d’écriture !

Ne reste plus qu’à organiser des moments de présentation à toute la classe de ces histoires, poésies ou exposés, pour les valoriser et donner envie aux autres.
Car de ce premier plaisir personnel d’écrire en nait un deuxième : lire aux autres, répondre à leurs questions, en un mot être reconnu comme auteur.

 

C’est bien joli tout ça, mais la grammaire et l'orthographe alors ?

 

Là aussi, des techniques existent, à commencer par la relecture-correction collective. Dans mes classes, pas de vote, mais une liste pour inscrire son texte pour la relecture, sachant que les enfants qui ne sont pas encore passés sont prioritaires.

Deux relectures de 25 minutes par semaine permettent de balayer largement toutes les notions essentielles.

Dans un premier temps, je tape le texte choisi pour le rendre plus lisible, en espaçant les lignes et en les numérotant, puis je le distribue.
Chacun a alors cinq minutes avec le libre accès aux outils de correction de la classe (aide-mémoires, carnet personnel d’orthographe, dictionnaires, conjugueurs...) pour corriger le maximum d’erreurs tout seul.

Ensuite, le texte est montré au vidéoprojecteur et son auteur se poste devant l’ordinateur, face à la classe, pour distribuer la parole.
Priorité aux plus petits, les erreurs les plus difficiles à trouver seront pour les plus grands. À chaque intervention, il fait préciser le numéro de la ligne, l’erreur à corriger et surtout « Comment tu le sais ? » : « C’est un nom propre, il faut lui mettre une majuscule », « C’est le verbe... », « Je l’ai trouvé dans le dictionnaire ! »... et quand cela est nécessaire, je refais juste préciser la notion ou l’outil à utiliser. Peu à peu, les enfants se les approprient.

Pendant cette phase collective, chacun reporte les corrections sur sa feuille, mais le texte final, bien propre, est de toute façon imprimé pour tout le monde.

Le sens est là, mais aussi le plaisir de chercher ensemble, de trouver les erreurs, chacun à sa mesure, de coopérer pour les comprendre, à mille lieues de la culpabilisation stérile de la « faute » d’orthographe.
De ce travail ressortent souvent des notions à repréciser, la nécessité d’écrire un aide-mémoire pour ne pas les oublier, de s’entrainer avec des fiches autocorrectives... bref, on remet tout dans l’ordre : nous apprenons ensemble pour mieux écrire tout seuls !

 

Personnaliser l'apprentissage

 

Bien, mais alors, pour toutes les erreurs faites dans les textes libres, ne compte-t-on que sur ce lent apprentissage et sur une imprégnation progressive en recopiant les textes corrigés ?

Cette question renvoie aux fameuses listes de mots à apprendre. Tous les élèves du CE1 au CM2 y sont confrontés ou presque, travail souvent rébarbatif.

Là encore, les idées ne manquent pas pour en faire quelque chose qui ait du sens. Celle-ci m’est venue en en discutant notamment avec un autre enseignant, Philippe Ruelen (2).

Dans mes classes, chaque matin, les enfants prennent leur carnet personnel d’orthographe et s’entrainent à écrire au moins cinq mots ou groupes de mots. Ces mots sont directement issus des erreurs qu’ils ont faites dans leurs textes libres, ce qui leur donne une bonne raison de les apprendre ! En général, je les choisis soit en corrigeant leur texte, soit en reprenant leur brouillon avec eux. Mais attention, je ne leur donne que des mots qui ne peuvent s’écrire que d’une seule manière, comme « sa maison » ou « les maisons », mais jamais « maison ». Pour les homophones, j’ajoute une petite précision : « cent (le nombre) ».
Parfois, c’est un problème d’accord, un mot d’usage ou une conjugaison.

Ces mots sont notés dans un répertoire alphabétique personnel que l’enfant a en permanence à l’école et à la maison.

Chaque matin, l’entrainement proprement dit ne dure que cinq minutes, mais en silence complet pour permettre à tout le monde de se concentrer. Le responsable du temps chronomètre dès que tout le monde est installé et chacun doit :
   – lire le mot dans son carnet ;
   – le revoir dans sa tête (fermer les yeux) ;
   – l’écrire sur le cahier de brouillon plusieurs fois ;
   – le réécrire sans regarder ;
   – mettre une croix dans le carnet (pour dire que ce mot a été travaillé) ;
   – et passer au mot suivant...

Un autre moment est réservé à la validation de cet apprentissage, sous forme de coévaluation : l’enfant peut demander à l’un de ses camarades de le tester sur les mots ayant déjà été travaillés cinq jours de suite (cinq croix). Son camarade les lui dicte alors et si le test est concluant, il met un point vert en face du mot dans son carnet. Dans le cas contraire, c’est un point orange et il faudra le retravailler les jours suivants.

Cette solution me permet d’être au plus près des besoins de chaque enfant, tout en ayant du sens pour lui : il travaille ses mots parce qu’il en a besoin pour écrire ses textes !

 Bruno Jolys

texte paru dans Le Nouvel Educateur n°221
« Orthographe, grammaire... peut mieux faire ! »

 


(1) voir par exemple ce qu'a pu écrire Matéo : L'enfant pleure, Ma plume d'or, Un moment pour un sacré restaurant ...

(2) Philippe Ruelen s’est lui-même inspiré du travail de Michel Barrios et Paul Le Bohec.