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BENP N°1 - La technique Freinet

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Janvier 1937

 

PUBLICATION MENSUELLE - N°1 - SEPTEMBRE 1937

Brochures d'Education Nouvelle Populaire

LA TECHNIQUE FREINET

MÉTHODE NOUVELLE D'ÉDUCATION POPULAIRE

BASÉE SUR L'EXPRESSION LIBRE PAR L'IMPRIMERIE A LÉCOLE

Editions de l'Ecole Moderne Française

CANNES (Alp.-Mar.)

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La Technique Freinet

MÉTHODE NOUVELLE D'ÉDUCATION POPULAIRE

BASÉE SUR L'EXPRESSION LIBRE PAR L'IMPRIMERIE A L'ÉCOLE

Parce que nous avons travaillé depuis de longues années à mettre au point une technique, l'Imprimerie à l’Ecole, que nous estimons essentielle pour le succès nouveau de notre enseignement populaire ; parce que nous disons sans cesse les avantages incontestables que cette technique présente dans, nos classes, on a cru parfois que notre technique n'était que l'Imprimerie à l'Ecole et qu'elle ne pouvait intéresser la grande masse des Educateurs qui n'ont pas encore fait l'achat du matériel nécessaire.

Les éducateurs se méfient à bon droit aussi des nouveautés ; ils savent que le changement radical et total est rarement possible dans nos classes et qu'il s'agit de les améliorer par une adaptation longue et délicate, susceptible de faire rendre à l'école le maximum de ce qu'elle peut donner dans les circonstances présentes et dans le milieu où elle se trouve.

Nous ne sommes pas, à proprement parler, un pur mouvement d'éducation nouvelle au sens où on l'entend communément, parce que nous sommes plus préoccupés de bâtir pratiquement que de dresser aristocratiquement des constructions qui peuvent être parfois des modèles, certes, mais qui restent des modèles inaccessibles à la grande masse des éducateurs.

Nous sommes un groupe d'Educateurs Populaires qui oeuvrons pratiquement pour adapter aux possibilités et aux nécessités actuelles des techniques centenaires dont l'impuissance reste à peine à démontrer. Nous voulons que, selon les théories nouvelles de la production, notre enseignement puisse rendre au maximum avec le moins de déformation possible de l'enfant. avec le moins de travail inutile de l'éducateur.

Dans cette oeuvre, nous ne craignons pas de prendre notre miel part out où nous le trouvons ; nous gardons des expériences passées ce que nous croyons compatible avec notre effort et nous puisons dans les essais et les théories plus récents, les enseignements capables d'aiguiller notre audace. Mais nous ne sommes pas nécessairement des éducateurs nouveaux. Nous ne rompons avec le passé que lorsqu'il contrarie nos efforts. Hardiment tournés vers la vie et l'avenir, nous gardons cependant solidement ancré dans le sol de nos petites communes, de nos provinces et de, notre pays, l'essentiel de notre construction.

Nous plaçons notre technique non pas sous le signe de l'Education Nouvelle, mais de la réadaptation matérielle, pédagogique et technique de l'Ecole, au milieu et à l'idéal prolétarien qui nous anime.

La garantie de cette préoccupation est notre nature même : nous sommes un groupe de plusieurs miliers d'écoles Publiques travaillant toujours dans les conditions difficiles de l'Ecole populaire, malgré les parents parfois. Malgré les Inspecteurs et l'administration même, jusqu'au jour où les Instructions Ministérielles sont venues apporter une heureuse consécration à nos efforts et à nos innovations.

Nous dirons justement pourquoi à l'encontre des manifestations verbales d'Education Nouvelle, nous accordons une importance primordiale aux conditions matérielles, économiques et techniques de J'Education Populaire ; nous dirons l'emprise de la misère et de l'exploitation, la tradition d'asservissement et de passivité des locaux scolaires et des vieux bancs, la malfaisance des manuels scolaires.

Nous ne vous demanderons pas de négliger ces réalités ; au contraire, nous vous engageons à vous joindre à nous pour accentuer et accélérer l'évolution qui est aujourd'hui si heureusement en marche. Nous vous enseignerons surtout comment, sans révolution radicale et immédiate dans votre école, vous pourrez vous orienter avec sûreté vers cette réadaptation que nous préconisons. Nous vous apprendrons à tirer un meilleur parti de vos possibilités, nous vous dirons les réalisations immédiatement possibles et qui préparent des réformes profondes auxquelles vous vous attaquerez ensuite.

Et tout cela, sans que nul ne puisse se dresser contre notre tentative générale de rénovation de la masse dangereuse des programmes et des examens. Car nous ne négligeons point l'efficacité de rendement de notre école : les techniques que nous recommandons doivent permettre dans nos classes et avec une moindre dépense d'énergie tant de la part des enfants que du côté des éducateurs, UN MEILLEUR RENDEMENT SCOLAIRE, DE MEILLEURS SUCCES AUX EXAMENS. L'expérience passée en donne l'assurance.

Nous prétendons tout à la fois servir la pédagogie nouvelle libératrice et satisfaire pourtant aux multiples obligations de l'école : suivre les programmes et les horaires, satisfaire les parents et parfois même les enthousiasmer pour nos techniques (les parents aiment beaucoup notamment la rédaction d'un journal scolaire et la pratique des échanges), réussir aux examens et tranquilliser les inspecteurs, inquiétés parfois de l'audace iconoclaste des chercheurs.

Tout cela ne se fait pas par des mots, mais par la préparation méthodique pédagogique, matérielle et technique des conditions nouvelles de notre enseignement. Nous avons beaucoup fait dans ce sens. Nous dirons dans ces brochures comment, dès maintenant, tout éducateur peut s'engager dans la voie que nous avons tracée.

Nous continuerons cette adaptation parce que nous sommes sûrs d'entrainer avec nous, un jour prochain, l'immense masse du personnel. Et pas seulement les jeunes mais tous les éducateurs. Le jour où, examinant la nouvelle technique, les instituteurs en sentiront les avantages pratiques, le jour où ils comprendront que notre méthode de travail plus rationnelle s'impose pour un meilleur rendement pédagogique, social et humain, lorsqu'ils verront que tant d'efforts aujourd'hui inutiles, et d'autant plus épuisants quils sont arides et vains, peuvent être employés méthodiquement pour que l'école publique prenne tout son sens et acquière sa pleine valeur, ce jour-là, tous les éducateurs viendront à notre technique comme la masse du peuple a progressivement abandonné voitures et chars-à-bancs à mesure que s'organisaient avec toujours plus de perfection les transports automobiles.

Ce n'est pas par des paroles ni par les seuls exemples qu'on vaine la routine et qu'on domine le passé ; c'est en préparant un matériel nouveau avec sa technique, appropriée qui font sentir à tous l'avantage total qu'il y a aux transformations souhaitées...

C'est à présenter ces techniques, c'est à faire connaître et à perfectionner encore notre matériel, que contribueront ces brochures d'Education Nouvelle

Populaire, non pas à établir dans un cadre rigide et ridiculement exigu une méthode plus ou moins personnelle, mais à opérer dans tous les domaines de la pédagogie, à tous les degrés de notre école populaire, le redressement indispensable, à présenter des possibilités plus qu'une doctrine, à créer le vaste mouvement de rénovation, divers et multiple comme doit l'être la pédagogie, et qui ne sera plus le mouvement de l'Imprimerie à l'Ecole, mais la réadaptation idéale de toute notre école populaire.

C. FREINET.

 

MATERIEL et TECHNIQUE

 

Toute technique, suppose un matériel.

La technique traditionnelle possède un matériel rudimentaire certes, mais à la mesure de ses ambitions : le cahier de classe et les manuels scolaires.

Notre technique n'aurait pas pu non plus se développer harmonieusement jusqu'à prétendre remplacer sa devancière si nous n'étions parvenus d'abord à créer, à mettre au point, à vendre ou faire vendre, un matériel adéquat servi par une organisation permettant les pratiques nouvelles.

Il sera donc nécessaire de préciser ici les caractéristiques, les possibilités de fabrication eu d'acquisition, les buts pédagogiques et le mode d'emploi de ce matériel original sans lequel on ne saurait se lancer avec quelque succès sur la voie nouvelle.

Nous disons plus : c'est parce que la pédagogie nouvelle a entraîné des éducateurs enthousiastes sans les munir auparavant du matériel indispensable à la réussite que tant de déceptions ont facilité la besogne de dénigrement actuellement poursuivie par la réaction. C'est au contraire parce que nous avons toujours placé les réalisations pratiques en avant de nos constructions théoriques que tous nos adhérents ont pu, au cours de leurs essais, garder intacts leur enthousiasme et leur foi.

***

L'Imprimerie à l'Ecole et les échanges interscolaires sont, avons-nous dit, au centre de la nouvelle technique. Il nous faut d'abord familiariser nos lecteurs avec cette nouveauté, sans entrer cependant dans tous les détails. Composition, rédaction, tirage et publication d'un journal scolaire périodiques ; organisation des échanges, apparaîtront peut-être à cette lecture comme quelque chose d'anormalement compliqué. Hélas ! nous savons combien les mots sont mineurs en face de l'expérience véritable. Que les sceptiques aillent un jour, si possible, assister à l'activité d'une classe travaillant à l'imprimerie ; qu'ils visitent une des nombreuses, expositions qui sont organisées, chaque année, dam divers coins de France, qu'ils nous demandent des spécimens de nos publications et de nos travaux.

A défaut encore, qu'ils nous fassent confiance quand nous leur assurons que les enfants recevant casse et presse se débrouillent spontanément sans aucun verbiage, et que devant les feuilles fraîchement imprimées, l'échange lui-même acquerra tout son sens et dira toute sa portée scolaire et pédagogique.

***

La casse pour le classement des caractères, les interlignes, l'encre, les caractères eux-mêmes sont des articles courants du commerce typographique. Nous les livrons aux meilleures conditions possibles, mais on peut à l'occasion se les procurer ailleurs.

Certaines pièces de notre matériel, au contraire, ont nécessité dans notre groupe un long travail de mise au point qui nous a amenés, pouvons-nous dire, à la perfection pédagogique. Nous n'allongerons pas cette brochure en disant toutes les étapes de cette adaptation, depuis la Lino avec laquelle nous parvenions péniblement à imprimer 4 ou 5 lignes, puis la première presse Freinet à rouleau presseur, jusqu'au système actuel en passant par les premières presses en bois qui nous ont coûté tant de peine et les presses à système automatique de pression qui ont préparé les réalisations actuelles.

Nous avons tout particulièrement recommandé un modèle.

La Presse volet tout métal, avec un système de pression automatique, d'une simplicité qui ne peut être dépassée, et cependant d'une totale perfection mécanique et d'une solidité à toute épreuve.

La coopérative fait des sacrifices pour la mettre à la portée de toutes les écoles, car c'est vraiment là la presse type de l'Imprimerie à l'Ecole. Elle permet des travaux parfaits.

Elle n'a qu'un seul inconvénient : l'encrage doit se faire à la main par un élève encreur qui risque de se salir. Mais d'autre part, cette besogne d'encreur est affectionnée par les enfants : elle est, que voulez-vous un travail utile. Si on se noircit un peu, on se lave !

Pour les cours complémentaires et les grands élèves en général, nous avons mis en vente un système de presse à encrage et tirage automatique, d'un mécanisme parfait, d'une présentation impeccable et qui donne d'excellents résultats.

Pour les prix de ces appareils Et accessoires, voir les tarifs de la C.E.L.

- Nous livrons pour nos presses à volets une plaque à encrer et un rouleau encreur spéciaux, solides et bon marché.

- Nos composteurs enfin, ne se trouvent pas dans le commerce. Les typographes travaillent avec un composteur spécial sur lequel les caractères ne sont jamais serrés. Un tour de main à acquérir permet de les reporter sur le marbre. Dans nos composteurs en cuivre, une vis serre la ligne terminée qui peut être transportée sans danger. Le porte-composteur assure la sécurité pendant la composition.

- Nous livrons enfin du papier spécial donnant les meilleurs résultats et coupé à un de nos formats standard. (Pour la description complète et le mode d'emploi, voir notre brochure d'Education nouvelle populaire n°8 : « L’Imprimerie à l'Ecole »).

L'illustration des textes : Elle a été une lente conquête de notre groupe. Nos premiers imprimés étaient nus ou à peine rehaussés de quelques dessins polycopiés.

Nous avons étudié, expérimenté, utilisé et mis au point de multiples moyens de confectionner les clichés pour l'illustration typographique : vignettes bois, cuivre, tôle, carton, et surtout linoléum pour la gravure duquel nous livrons des outils spéciaux.

Le limographe, le nardigraphe et la Géline C.E.L. permettent de compléter pratiquement cette illustration.

Un bel album de nos amis Lallemand : La gravure du lino à l'Ecole. (B.E.N.P. n°10) permet de tirer de cette technique d'illustration le maximum d'effets artistiques et pédagogiques. Les livres de vie des enfants, les feuilles imprimées ont besoin d'être classées pour être conservées soigneusement. Nous avons utilisé pendant plusieurs années notre reliure boulons, simple et pratique, montée, au gré des adhérents, sur une couverture toile.

Nous livrons maintenant une reliure invisible, plus pratique et moins chère.

Ces deux systèmes permettent à chaque enfant de se constituer au jour le jour son livre de vie, reflet véritable et intime de la vie de la classe qui est sa propre vie. Nous verions par ha suite comment l'usage de ces reliures speciales peut s'étendre au classement de tous les documents dont l'école a besoin pour ses diverses disciplines : géographie, histoire, sciences, etc...

 

LE JOURNAL SCOLAIRE

 

Chaque jour, il est tiré de l'imprimé un certain nombre de feuilles supplémentaires : 15, 20, 50 qui sont classées et conservées. A la fin du mois, ces feuilles sont agrafées (grâce à notre agrafeuse Cébé) sous une couverture originale : on obtient ainsi le journal scolaire de la classe - journal déclaré officiellement à la Préfecture, avec son titre, ses illustrations suggestives, ses nouvelles, ses jeux - et qui circule au tarif réduit des périodiques.

C'est ce journal qui sera la base, l'élément actif et permanent des correspondances interscolaires, que nous avons organisées.

Nous avons un service d'échanges interscolaires nationaux qui constitue des équipes d'écoles. L'échange se fait à l’intérieur des équipes - et avec d'autres écoles aussi selon l'intérêt des initiatives individuelles. Il nécessite l'envoi régulier du journal scolaire que complète l'envoi de documents divers, de produits du pays, de jouets, etc… Nous dirons plus loin l'intérêt et les avantages pédagogiques de l'échange ainsi pratiqué.

Un service d'échanges interscolaires internationaux permet de mettre les classes françaises en relation avec des classes étrangères possédant on non l'imprimerie (1).

***

Que notre matériel soit aujourd'hui parfaitement au point, de nombreuses attestations enthousiastes, de nouveaux adhérents en témoigneraient. Nous avons, par nos conseils, par la simplification maximum de notre matériel, atteint ce résultat idéal : n'importe quelle école qui reçoit l’imprimerie, quelle que soit l'habileté manuelle de l'instituteur ou de l'institutrice, parvient d'emblée à des résultats parfaits ; et le premier journal édité rivalise souvent avec bien des aînés.

Organisation coopérative, poursuivant des fins pédagogiques et non commerciales, nous ne cherchons nullement à vendre mais nous voulons à tout prix que tous ceux qui s'engagent dans notre groupe participent aussitôt de notre enthousiasme et de notre ardeur, novatrice.

Nous y sommes aujourd'hui parvenus.

Notre groupe comprend plusieurs milliers d'adhérents. Quelques-uns d'entre eux n'impriment pas régulièrement: des changements de poste, de brusques changements classes des difficultés de famille, la maladie, obligent quelques camarades à interrompre provisoirement dans leur classe le travail à l'imprimerie. Ils nous expriment toujours leur regret de devoir céder à des événements regrettables.

Mais nos vieux adhérents du début sont toujours là à nos côtés, vigilants et enthousiastes.

(1) Demander à la C.E.L., à Cannes, la fiche de correspondance à remplir.

Tous déclarent qu'ils ne pourraient plus aujourd'hui faire leur classe sans l'imprimerie. Leur témoignage et leur fidèle collaboration sont pour ceux qui s'apprêtent nous suivre, les plus sérieuses garanties.

Malgré les obstacles pour ainsi dire insurmontables que constituent de plus en plus les frontières, notre technique se répand à l'étranger. Nous avons des adhérents également enthousiastes en Roumanie, en Grèce, en République Argentine, en Suisse. En Espagne, où nous comptions de nombreux adeptes, le mouvement s'étendait rapidement à la suite de la publication d'un livre écrit par notre ami A. Almendros sur la Technica Freinet. Une coopérative d'instituteurs avait été constituée et commençait à fournir le matériel et à organiser les échanges. Les travaux obtenus étaient supérieurs encore à ceux de nos camarades français. La guerre a, hélas, paralysé ce bel élan. Une école Freinet avait été ouverte à Barcelone, gage de l'influence grandissante de notre technique. Le fascisme vainqueur a balayé tous ces espoirs !

La Belgique, pays du Decrolysme, s'oriente aussi vers notre technique. Une coopérative soeur de la nôtre, est constituée et le mouvement d'Imprimerie à l'Ecole se développe considérablement surtout avec le Nouveau Plan d'Etudes.

Tous ces faits montrent que nous avons dépassé le stade de l'expérimentation pour accéder puissamment à celui de la réalisation. La technique, telle que nous allons la développer, est donc assise sur des bases solides, parfaitement à la mesure de nos élèves et de nos classes, parce que née et pratiquée dans ces classes mêmes.

La grande masse des instituteurs suit aujourd'hui nos travaux. Les inspecteurs eux-mêmes doivent se rendre à l'évidence et apprécier les résultats obtenus par nos adhérents. Lentement, mais sûrement, les idées que nous défendons pénètrent et influencent la pédagogie traditionnelle. Et malgré la puissance de la routine, malgré les obstacles qu'un régime oppresseur dresse sur notre route, de nombreux éducateurs s'apprêtent à suivre la voie que nous avons tracée et sur laquelle nous marchons toujours avec prudence et décision.

 

LE TRAVAIL SCOLAIRE

 

 

SELON LA NOUVELLE

 

 

TECHNIQUE

 

En ce début d'année scolaire 1930 nous reprenons notre matériel complet d'imprimerie, d'une valeur de 460 fr. (Ces prix sont à multiplier environ par dix en 1946).

Nous avons changé notre police de caractères usés par uine manipulation permanente de une ou deux années (coût : 80 frs.) Nous avons notre provision de papier et couverture (80 fr. environ). Nous complétons notre, approvisionnement pour lies divers articles accessoires (encre, composteurs, etc.). Une dépense globale de 200 à, 250 fr. noue permettra donc de partir avec un matériel, en parfait ordre de marche, sans dépense supplémentaire en cours d'année.

Nous nous procurons également pour chacun de nos élèves deux reliures invisibles pour le classement des feuilles imprimées et des feuilles reçues régulièrement de l'école correspondante - qui constitueront en fin d'année deux beaux livres de vie (coût deux fois 1 fr. 25 pour chaque élève).

Nous sommes à pied d'oeuvre.

***

En juillet, nous avions rempli, pour les services d'échanges coopératifs, deux fiches de correspondances : nationales et internationales.

Conformément à notre demande, notre école a été incorporée dans une équipe de huit classes, de niveau à peu près identique à la nôtre, mais qui, par leur situation à la ville et à la campagne, et leur répartition dans les diverses régions de France, nous offrent un merveilleux ensemble complémentaire de possibilités éducatives.

Une de ces classes, celle de Praz-sur-Arly (Haute-Savoie), nous a été désigné comme correspondante journalière. Nous en vivons la vie au jour le jour par l'échange régulier, deux ou trois fois par semaine, d'un stock d'imprimés. Nous savons pour l'instant qu'elle compte 30 élèves (garçons et filles) de la haute vallée de l'Arly et que nous devrons leur adresser un exemplaire de chacun de nos imprimés.

A nos sept autres correspondants mensuels de l'équipe s'ajoutent d'autres écoles avec lesquelles nous correspondons depuis plusieurs années et que nous ne saurions abandonner. Au total, 25 écoles. Nous ferons pour elles un tirage de 25 feuilles de chacun de nos textes. Ces feuilles supplémentaires seront reliées en fin de mois mous une couverture originale et légale pour constituer le journal scolaire de l'école de St-Paul : Les Remparts.

Notre tirage sera donc de : 30+25+31 pour notre école (Classe tous cours, de 7 à 13 ans (1 classe de garçons, 1 classe de filles, 1 classe enfantine) + 15 pour la vente au numéro dans le village ou l'abonnement à ceux qui nous soutiennent, soit au total : 102, moyenne convenable pour notre classe.

Nous n'achetons aucun manuel scolaire. Nous donnons à chacun de nos élèves deux reliures pour Livre de vie, une pour SaintPaul et l'autre, pour Praz-sur-Arly. Pour l'instant, ces livres ne sont que deux classeurs nus : le livre est vide, comme les murs d'ailleurs. Car nous procédons à l'inverse de, l'ancienne école, laquelle accablait les enfants de nouveautés au début de l'année scolaire, au moment où la joie, l'appétit de travail, encore intacts, n'auraient nul besoin d'être stimulés. Nos livres de vie ne sont pour nous qu'une promesse de travail : tout au long de l'année, le facteur nous apportera la nouveauté et la joie.

Si, comme cela se produit trop souvent encore, la Mairie ne paie pas les fournitures scolaires, chaque élève apportera pour chacun de ses livres de vie, 5 fr., soit 10 fr. pour les deux. Nous aurons ainsi, pour cette modique dépense individuelle, un budget de 323 fr. qui nous permettra de payer nos dépenses d'imprimerie et de prévoir encore de livres et de documents pour notre Bibliothèque de Travail ou notre Fichier Scolaire.

Ainsi conçue, on le voit, l'Imprimerie à l'Ecole ne nécessite pas de dépenses supplémentaires, mais seulement un meilleur aménagement, plus productif, de ces dépenses. Dans la période de crise que nous traversons, ces considérations ne sont certes pas à dédaigner.

Nous répartissons les tâches, en liaison le plus possible avec l'organisation de notre Coopérative scolaire : surveillance de la casse d'imprimerie, du papier, de l'ordre dans le matériel, du classement des caractères, etc.

Nous affectons chaque élève au soin de la correspondance avec une école : l'un s'occupera de la correspondance régulière avec Praz-sur-Arly et veillera à l'expédition périodique des imprimés. Il aura un ou plusieurs suppléants. Les autres classes correspondantes auront chacune leur titulaire qui veillera à l'expédition des journaux scolaires en fin de mois et aura un droit de priorité pour la lecture des journaux reçus de « sa classe », répondra aux demandes qui lui seront faites, etc... Un suppléant pourra aussi être désigné, choisi de préférence parmi les élèves moins âgée.

Nous avons pour chacune de nos écoles correspondantes un petit classeur portant sur la couverture le nom et l'adresse du destinataire, le nom du titulaire et du suppléant. L'élève responsable dépose au jour le jour dans ce classeur les travaux imprimés ou les dessins qu'il expédiera à la fin du mois.

Nous préparons une liste de roulement pour la composition. Nous constituons une première liste de « maîtres imprimeurs » chargés de faire le tirage. Ces maîtres imprimeurs pourront s'adjoindre comme « apprentis » les élèves qui se seront montrés capables de faire un travail soigné et qui deviendront à leur tour maîtres imprimeurs - jusqu'à ce que chaque élève, alternativement, puisse assurer à tour de rôle les diverses besognes d'imprimerie : encrage, présentation et réception de feuilles, tirage.

Certaines classes ont préféré constituer des équipes homogènes et permanentes d'imprimerie qui assurent toutes les besognes. L'une et l'autre de ces façons de procéder ont leurs avantages.

Dès les premiers jours nous imprimons à leurs adresses les enveloppes d'expédition pour l'année scolaire. Tout est en ordre. Notre travail normal ne sera plus dérangé désormais par aucune grave préoccupation accessoire. Ce qui ne signifie point que notre vie scolaire sera dépourvue d'imprévus fréquents et éducatifs.

***

Les éducateurs amoureux de la « forme » pourront, certes, s'ils le désirent, adapter l'imprimerie à leurs méthodes de travail. Nous pensons, nous, que, au degré primaire surtout, notre activité doit tout entière être basée sur les besoins fonctionnels des enfants, que « l'école doit sortir de terre avec de la couleur locale et une sève de terroir qui la rende forte » (F. Dubois : Les Barrières, F. Nathan, édit.)  que la vie de l'enfant au milieu de l'intense vie sociale doit être le moteur essentiel et la motivation capitale de notre effort éducatif.

Nous plongeons d'une part dans le terrain ferme, actif et fécond de la vie et des intérêts enfantins pour nous élever puissamment jusqu'aux acquisitions prévues aux programmes et auxquelles nous redonnons un sens créateur et éducatif.

On comprendra cette rénovation par l'exposé que nous allons faire de l'activité d'une classe vivifiée par notre technique.

A la base de cette technique se trouve donc l'expression libre de l'enfant par le langage, la rédaction et le dessin - la matérialisation graphique de cette expression par l'imprimerie - et la divulgation, par nos journaux et nos échanges, de la pensée enfantine.

Au degré maternel, nous montrerons comment naît le récit qui se transforme, la plupart du temps, en imprimé. Maintenant l'enfant commence à écrire : nous n'emploierons qu'accidentellement le texte né d'un récit oral pour tirer le maximum de profit des rédactions libres. Notre technique est cependant extraordinairement souple : l'essentiel est que le texte choisi et imprimé réponde au maximum aux préoccupations dominantes de la classe, quels que soient les moyens par lesquels on l'a obtenu.

***

Les enfants entrent en classe.

Pendant que s'accomplissent les diverses petites besognes matérielles communes à toutes les classes et que nous avons confiées aux responsables désignés par la Coopérative, les élèves qui ont composé la veille, vont reclasser les caractères. Cette besogne qui s'exécute sans bruit et qui n'empêche pas ceux qui s'y emploient d'écouter attentivement, peut se continuer pendant le début du travail scolaire.

Nous faisons débuter notre classe par 15 à 20 minutes de lecture expressive.

Les élèves désignés par une liste de roulement ont préparé la veille au soir une lecture de leur choix : texte puisé dans un livre de la Bibliothèque de Travail ou la plupart du temps dans le journal scolaire reçu de l'école correspondante.

Pendant ce temps, les autres élèves sont autorisés à dessiner, soit sur leur cahier du jour, soit sur une feuille spéciale. Nous avons constaté, en effet, que le dessin libre n'empêche nullement l'enfant d'écouter la lecture du texte. Ah ! certes, si le lecteur est par trop malhabile, si son choix est manifestement défectueux, rien d'étonnant que les esprits se détachent de cette lecture pour se concentrer sur le dessin, expression psychique de l'individu. Mais si, au contraire, l'enfant sait intéresser, des têtes se lèvent brusquement, des yeux s'allument, des questions ou des appréciations jaillissent.

Au point de vue, formel, cette technique si libérale semble bien insuffisante. Pratiquement, elle est la seule capable de permettre à toutes les énergies de se mobiliser dans le sens des nécessités dominantes : le petit lecteur s'applique à la lecture, et ce court exercice vaut plus que les heures de lecture passive ; les autres en font leur profit tout en commençant leur tâche journalière, par cette expression idéale, le dessins, qui, avec le chant, est la plus naturelle et la plus complète des libérations psychiques.

Les programmes et les horaires recommandent, au début de la classe, une leçon de morale.

Il nous est impossible de moraliser à l'ancienne mode, du moment que nous sommes d'une part persuadés de l'inutilité de nos prêches et que nous voulons, d'autre part, redonner à l'enfant la suprématie active dans la classe.

La morale est plus une résultante qu'un moyen : elle est la résultante de l'activité sociale et scolaire, de l'organisation du travail commun, de la vie coopérative. En donnant le Premier plan à ces préoccupations diverses, nous donnons les meilleures des leçons de morale.

Dirons-nous aussi à quel point la libération psychique née de l'expression libre est moralisatrice. Comment, par l'activité scolaire, nous réduisons presque tous les défauts que masquait seulement la morale traditionnelle, et à quel point la disparition de toute tyrannie autoritaire peut améliorer les rapports entre individus ? La place nous manque pour insister sur ces faits pourtant essentiels que ne veulent d'ailleurs pas reconnaître les adultes déformés par la scolastique et pour lesquels il ne saurait y avoir de progrès sans moralisation.

Nous moralisons donc à notre façon :

a) Il arrive assez souvent que des conversations et discussions qui accompagnent l'entrée en classe, de la lecture des journaux scolaires, des lettres reçues des correspondants, résulte une sorte d'enseignement moral. Sans insister autrement, nous le formulons en une ou deux phrases de morale positive et suggestive.

On a parlé d'un acte de brutalité envers un animal, nous écrivons au tableau :

« Je suis bon et gentil avec les animaux. »

b) Si rien de saillant ne ressort, nous écrivons simplement une phrase suggestive préparée d'avance, la même pendant une semaine :

« Mon banc et ma classe sont très propres. »

« Je rends service à mes voisins. »

« Je dis toujours la vérité. »

Ce sont là des formules de suggestion rédigées selon les indications de Coué. L'essentiel est de les formuler positivement, énergiquement, en s'abstenant de toute négation inhibitrice, pour marcher de l'avant.

La formule, écrite au tableau, est répétée par tous les élèves. C'est cette répétition qui produit son effet moralisateur. Elle, est, en même temps, copiée sur le cahier pendant que je jette un coup d'oeil sur les diverses tâches.

***

Il est 8 h. 20 environ. Nous passons à la préparation du texte journalier.

Ce texte peut être obtenu de différentes manières, selon la classe, le milieu le niveau des élèves, pourvu qu'il soit toujours l'expression des enfants eux-mêmes, à l’exclusion de toute composition méthodique imposée par des adultes.

1° Rédaction collective en classe :

« Presque tous les élèves, dit notre ami René Daniel (R. Daniel: Choix des Centres d'intérêt et rédaction des textes destinée à « l'Imprimerie à l'Ecole ». Bulletin de l'Imprimerie à l'Ecole, numéro 11, février 1928.), arrivent, en classe avec une gerbe « d'observations » : « M'sieu, on tire des pierres... le Docteur est à Trévignon... On a téléphoné, etc. »

Les enfants vous lancent sur plusieurs pistes. En tenant compte de la fréquence de certaines d'entre elles pour éviter de trop les répéter, vous en choisissez vite une et vous vous y engagez résolument ; bien rare si toute la meute ne vous suit pas et ne participe activement à la poursuite. Tous aboient : « Moi aussi j'ai... j'avais vu... j'avais été... - non... - si, si.. j'ai entendu »

Avec un crayon ou un bâton de craie, ces exclamations qui fusent de toutes parts sont recueillies, classées. Quelques instants après, les enfants étonnés s'écrient : « On a fait une lecture... Aujourd'hui, on n'a pas été longtemps à faire une lecture ! » Et chacun de répéter, en lisant les morceaux de phrases jaillis d'eux-mêmes à leur arrivée en classe.

- Qui a fait cette lecture ? demandent les uns.

- Tout le monde ! répondent d'autres.

Et des textes comme celui-ci sont, pour les auteurs comme pour leurs correspondants, d'un intérêt certain :

QUI A VU LE RENARD ?

« J'ai vu un renard ; il était tout noir. - Moi aussi : il a des yeux bleus. - Il a une longue queue, un museau pointu, des oreilles dressées. Je voyais ses dents. Il s'est sauvé dans son trou. Mellac dit que c'est un conte. - Non, non, dit François, je l'ai vu, je me suis caché derrière un talus. Nous avons peur nous faisons un grand détour pour venir à l'école. »

R. Daniel a bien raison de dire : « Notre programme, c'est « la vie » et nous y sommes en plein. Le vent qui hurle à nos portes, la rue qui gronde ou resplendit, les champs, la route que nous arpentons chaque jour, les animaux, nos parents, nos travaux et nos jeux... ça n'est pas dans les « programmes » ?

« Dans notre C.E., nous usons largement des exclamations. Elles mettent de la joie dans la lecture des textes imprimés. Elles provoquent une lecture mimique parfois très expressive. Aïa ! Aïa ! »

Chaque fois que cela est possible, nous présentons le texte sous la forme d'un dialogue ; quand une discussion met aux prises des élèves, nous notons rapidement les interventions des uns et des autres et la lecture est rédigée. Nous essayons de reconstituer les scènes : gestes, paroles. Nous parvenons à les revivre pleinement.

LA TAUPE

« Arsène, une taupe, une taupe ! » J'ai sauté sur la taupe ; je l'ai attrapée avec les mains. Arsène essayait de la tuer avec une pierre pointue. Elle criait : « cui, cui ! » Son museau saignait. Elle était encore vivante. Elle m'a mordu deux fois. Je disais : « Je n’ai pas besoin de pièges pour prendre les taupes. Elle était chaude. Je l'ai vendue 1 franc. »

Mais tout cela entraîne beaucoup de bruit, et nous amène du désordre.

« L'instituteur, dit Tolstoï, n'aime pas le bruit, quand on parle, le mouvement la gaîté des enfants, tout ce dont ils ont besoin pour s'instruire vraiment ; et dans les écoles qu'on bâtit, comme des prisons, les questions sont interdites, et les conversations et les mouvements. »

C'est bien là le principal effort que nous demanderons,aux éducateurs : Ce travail de collaboration constante avec les élèves suppose une conception nouvelle des rapports scolaires. L'emploi des manuels qui ne nécessite aucun vivant effort de création peut s'accommoder d'un autoritarisme désuet qui va de pair avec la passivité et l'indifférence. Mais, si nous voulons mettre au jour les pensées enfantines, si nous voulons exprimer dans toute sa fraîcheur Et sa spontanéité la vie même de l'enfant il est indispensable, que nous participions à cette vie, que nous nous soumettions aussi aux règles de la société enfantine, que nous vivions, parlions, travaillions avec nos élèves, que nous sachions rire avec eux, nous étonner comme eux, nous mettre à leur mesure - condition indispensable, d'ailleurs, pour qu'il y ait entre l'instituteur et ses élèves la compréhension totale oui, seule, pernet une véritable éducation.

Lorsque l'ambiance est créée, les éléments abondent. Il nous suffit alors de traduire en bon français les phrases des élèves en respectant le plus possible la syntaxe. Qu'importe si le même mot est répété plusieurs fois ! Ecrivons d'abord ; si cette répétition est nécessaire à la parfaite intelligence du texte, nous la conserverons. Sinon, nous montrerons l'emploi des pronoms et des tournures plus expressives. Parfois même, prudemment, nous introduirons dans le texte quelque expression, quelque mot nouveau, à condition que l'enfant comprenne l'utilité de cette modification.

La vie enfantine est tellement riche que nos textes ne souffrent jamais d'indigence. Le problème n'est jamais, pour nous, « comment remplir cette page ? », mais bien « comment dire en 12 ou 15 lignes, comment exprimer avec le matériel dont nous disposons, l'essentiel des idées nombreuses qui nous assaillent ? » Et alors s'impose à nous la nécessité de choisir. Nous avons dit déjà quels seront, pour ce choix, nos critériums. Ils supposent un changement radical dans l'attitude de l'éducateur, sur laquelle nous devons insister : Nous ne sommes plus les demi-dieux infaillibles qui se croiraient déshonorés s'ils montraient à leurs élèves leurs faiblesses ou leurs erreurs. Dans cette collaboration loyale, nous devons marcher, sans nul souci d'amour-propre, vers la perfection éducative. Et nos tâtonnements eux-mêmes y contribueront.

Si notre méthode d'enseignement répond presque toujours parfaitement à l'esprit des Instructions ministérielles relatives au Nouveau Plan d'Etudes (20 juin l923), nous nous séparons totalement de ses conceptions pour ce qui concerne la rédaction libre.

« La véritable rédaction, disent ces Instructions, n'apparaîtra qu'au cours supérieur, c'est-à-dire vers 12 ans... A 10 ans, l'enfant se bornera à la construction d'un paragraphe... Il ne saurait être question de faire composer, à des enfants de 7 ans, de véritables rédactions. »

La voilà, bien la manie pédagogique qui, sous prétexte de « graduer » les difficultés, veut imposer silence, à l'enfant ! Ces pédagogues agissent comme la maman qui interdirait à son enfant de gazouiller tout au long du jour et lui prescrirait à heure fixe, la prononciation de quelques phrases préparées d'avance, à l'exclusion de toute manifestation personnelle. « Si nous n'avons encore obtenu, dans l'enseignement du (…), c'est peut-être parce que, trop ambitieux, nous avons eu tort de faire commencer trop tôt les exercices de rédaction. » (Instructions ministérielles relatives au Nouveau plan d'Etudes (20 juin 1923). Journal officiel français.) Ne serait-ce pas, au contraire, pour la raison inverse ? Ce que les rédacteurs des I.M. disent des élèves du Cours supérieur, ne serait-il donc plus vrai pour les petits débutants ?

« Fournir aux enfants des idées et des expressions toutes faites, c'est refouler leurs pensées personnelles, dont nous avons le devoir de favoriser l'éclosion : c'est stériliser leur esprit que nous avons le devoir de féconder.

D'une manière générale, toute méthode est mauvaise si elle n'inspire pas à l'enfant le désir de traduire ses impressions et de chercher, pour cette traduction, l'expression adéquate. Toute méthode est bonne si elle lui inspire ce double désir. Elle est parfaite si ce désir croît chez l'écolier jusqu'à la passion ou l'enthousiasme » (J. Dewey : Comment nous pensons. (Traduction Decroly). - Flammarion, 1925).

Pour parvenir à ce résultat, pour conserver à l'enfant « l'étincelle sacrée de l'étonnement, attiser, la flamme qui brûle déjà, et cultiver l'esprit de curiosité », pour suivre aussi la méthode naturelle qui réussit si merveilleusement aux mères, nous commencons la rédaction dès le plus jeune âge, avant même que l'enfant sache écrire.

Les textes obtenus des enfants de 5, 6 ans selon la méthode que nous décrivions d'autre part, ne sont-ils pas déjà, en effet, des « rédactions orales » ? Et ne pourrions-nous pas appeler rédactions aussi ces dessins libres par lesquels nos mêmes élèves expriment d'une façon inattendue, leur moi conscient ou subconscient ?

L'étape qui mène à l'expression écrite est bien vite franchie. Un soir, un enfant de six ans, qui commence à peine à écrire, part en disant : « Monsieur, ce soir je fais une rédaction ».

Et, effectivement, le soir même, cédant à bon besoin de s'exprimer par la plume i1 nous écrit son rêve : « je rvé ce jété allé moji, jété surin batou, le bato a haviré, jé cri é osecou ilé vénu bocou de mode ».

Il orthographie à sa façon, mais la traduction nous en sera facile :

« J'ai rêvé que j'étais allé à Mougins. J'étais sur un bateau. Le bateau a chaviré. J'ai crié au secours. Il est venu beaucoup de monde. »

L'écriture d'un enfant non encore initié aux conventions grammaticales n'est cependant pas anarchique ; elle obéit à des lois qu'il nous sera facile de découvrir et qui permettront aux instituteurs de lire sans effort les rédactions des débutants. Le jour où l'enfant a pu se faire comprendre par la plume il sent lui-même qu'une période décisive est révolue : il possède maintenant l'expression écrite, et il est fier de cet enrichissement.

« L'enfant, nous disent encore les Instructions Ministérielles, ne peut rédiger que lorsqu'il possède non seulement une assez riche collection d'idées, mais une assez riche collection d'expressions. »

Une riche collection d'idées ! Il suffit de regarder vivre les enfante pour se convaincre de leur fertile originalité.

Leur collection dexpression n'est certes, pas encore bien fournie; elle leur permet cependant de se faire comprendre parfaitement par leur entourage. Et cet acquis va n'enrichissant chaque jour.

Objectera-t-on que l'enfant qui ne possède encore que quelques éléments d'écriture est obligé de vaincre trop de difficultés pour s'exprimer. Cela serait vrai si, comme le fait l'ancienne école, nous accordions une importance exagérée à la forme au détriment du fond et si nous exigions une demi-perfection orthographique. L'essentiel n'est-il pas que l'enfant vive s'exprime ? Le voit-on souvent se rebuter devant les difficultés du langage et se taire plutôt que de poursuivre son intrépide bavardage ? Il a besoin de s'expliquer, de prolonger, d'élargir son mot par les gestes et la parole ; si le langage adulte est trop difficile, il s'en créera un spécial à sa mesure, il construira au besoin des mots nouveaux, d'une logique grammaticale étonnante, mais il s'exprimera. A nous parents et éducateurs, de nous ingénier à le comprendre, pour l'aider dans son élévation.

Si nous savons donner à l'enfant le même désir puissant de s'exprimer par la plume ou le crayon, il écrira avec une égale facilité. A nous maintenant de faire effort pour lire son orthographe spéciale, en demandant au besoin des précisions sur les mots que nous ne pouvons… deviner. Si, bien ou mal, nous sommes parvenus à lire cette rédaction, si l'enfant a senti que, par l'écriture, il pouvait désormais transmettre ses pensées, alors le miracle est accompli : la seule chose qui importe a été réalisée : l'enfant s'est fait comprendre ; il peut, dès lors, écrire des rédactions tous les jours. Il ira en se perfectionnant et enrichissant chaque jour son langage.

Donner confiance à l'enfant pour qu'il s'exprime : surtout, obtenir à l'école qu'il parle et qu'il écrive, n'est-ce pas la plus essentielle des victoires pédagogiques ? Ne répétons-nous pas volontiers que c'est en forgeant qu'on devient forgeron ? Non, l'enfant n'est embarrassé par son écriture que s'il sait que vous accordez une plus grande importance à la forme qu'à l'expression ; tout comme il est intimidé pour parler devant des messieurs qui exigent de lui un langage impeccable. Mais s'il est libre d'écrire comme il parle, il n'est nullement arrêté par des difficultés orthographiques, et, après une rédaction de trois lignes, il vous apportera aussi bien un récit d'une page si le sujet qu'il a choisi librement l'a enthousiasmé.

Dans une classe entraînée à ce genre de travail, les rédactions individuelles abondent. Nous ne donnons aucun « devoir » le soir. Mais, spontanément nos élèves nous racontent leur vie. Les uns nous écrivent deux, même trois rédactions ; d'autres n'écrivent rien, et ils ne donnent jamais comme raison qu'ils n'ont pas su. S'ils n'ont pas fait de rédaction, c'est tout simplement qu'ils n'en ont pas senti le besoin pressant. Mais ils écriront plus longuement une autre fois. Toujours est-il que, au cours de l'année, on nous a apporté un nombre impressionnant de rédactions : 15 à 20, par jour. Même un soir de fête locale, contre toute attente, il s’est trouvé plusieurs élèves qui, leur joyeuse journée terminée, ont écrit une rédaction. Et Lucien, tout en mangeant des cerises, s'écrit tout à coup : « Ah tiens ! je vais faire une rédaction sur ça ! »

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C'est entendu, nous dira-t-on : vous avez donne à l'enfant le désir de s'exprimer en motivant son effort. Mais en faisant ainsi passer au. second plan l'exactitude orthographique et syntaxique, êtes-vous sûr que les élèves feront suffisamment de progrès et qu'ils ne se complairont pas paresseusement dans leurs habitudes rudimentaires ?

Mais voit-on des enfants normaux s'obstiner à ne pas améliorer leur langage embryonnaire des premières années ? L'enfant écoute parler, il lit, et, naturellement, il s'efforcera à parler, à lire et à écrire comme ses modèles, surtout s'il est amené à se rendre compte que la perfection grammaticale et orthographique est indispensable pour se faire comprendre totalement.

Seules nos méthodes scolaires ont engendré dré la paresse des élèves. Dans des conditions normales, l'enfant sain suit, au contraire et sans cesse, la voie de l'effort physique et intellectuel pour un plus grand enrichissement.

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Avec des élèves plus âgés, d'un C.M. ou supérieur, les rédactions peuvent déjà prendre une tournure moins subjective et plus documentaire. Cette évolution pourrait être plus nettement marquée dans une classe, homogène de ce degré. Dans notre classe à plusieurs cours, nous avons toujours préféré le texte subjectif qui crée dans la classe une atmosphère de vie commune et de collaboration.

A cet effet, la classe reste un tout, une morte d'unité affective pour ce qui concerne la rédaction et le choix des textes. Au début de l'année seulement, nous faisons rédiger un texte séparé aux élèves débutants, texte qu'ils composent avec une casse spéciale et qui est ensuite tiré séparément ou joint à l'imprimé des grands.

Mais nous faisons texte unique pour le C.E., le C.M. et le C.S.

On pourrait croire qu’en procédant ainsi, les grands seuls rédigeront, les jeunes se contentant de suivre. L'expérience a montré au contraire que le texte est rarement choisi pour sa valeur littéraire, mais presque toujours pour son contenu vivant. Et ce contenu vivant, cette capacité de sentir intimement le pouls de la classe ou du village, les plus jeunes enfants la possèdent au moins autant, sinon plus que leurs aînés souvent déformés déjà par la scolastique.

Puérilité pour nos grands élèves ?

L'expérience encore a montré que ceux-ci se passionnent tout autant pour des tiextes d'enfants de 9 ans que pour les leurs propres. Cela serait, oui, si tout notre travail était concrétisé par ce texte. Mais celu-ci n'est que le ferment affectif que l'élément vital qui va nous permettre d'animer toute notre classe.

Nous ne disons pas qu'il ne puisse pas y avoir d'avantage à une autre conception du Travail scolaire. Nous préférons, nous, garder à la classe cette unité psychique qui nous aidera à centrer harmonieusement notre effort.

Nous verrons comment, grâce à la polycopie ou à la machine à écrire notamment, un C.M.ou un C.S. peuvent compléter et mettre à leur mesure technique ces textes enfantins.

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Si un événement exceptionnel invite à la rédaction collective d'un texte, on se met à la besogne. Cela arrive assez fréquemment avec de jeunes enfants, plus rarement dans nos classes de niveau plus élevé.

Nous sommes habituellement en présence d'un nombre variable de rédactions libres ou de rédactions de groupes obtenues comme nous l'indiquerons plus loin.

Chaque auteur vient donc, en tête de la classe, lire sa rédaction. C'est là un exercice d'une portée pédagogique, insoupçonnée. C'est plus que le meilleur des exercices : c'est l'aboutissement des efforts de l'enfant pour extérioriser sa personnalité et élargir son champ d'action. Inutile de dire : Applique-toi à la lecture, lis couramment, donne une bonne intonation. Le jeune auteur se rend très vite compte de ces nécessités pour la mise en valeur de son oeuvre. S'il ne lit pas couramment, il apprend parfois son texte par cœur ; il en accompagne la lecture de gestes expressifs. Il rougit comme sous l'effet d'un effort sans précédent.

S'il sent une réaction prometteuse de son auditoire, il s'en retourne fièrement à sa place, plein d'espoir.

Nous inscrivons au tableau, le titre de chaque rédaction, puis nous passons au vote (il arrive parfois que le nombre de rédactions est tellement grand qu'on doit ajourner au lendemain la lecture d'une partie d'entre elles).

Le vote se fait à main levée, à la majorité absolue de tous les élèves au premier tour, à la majorité relative au second tour.

Et qu'on ne croie pas qu'il s'agit là d'une simple singerie diplomatique. Si nous procédons ainsi, c'est que nous avons reconnu à l'usage que cette façon de procéder est seule capable de déceler avec sûreté le véritable centre d'intérêt de la journée.

L'instituteur pourrait, certes, comme l'ont tenté quelques camarades, ramasser les copies qu'il lirait le soir à tête reposée pour apporter le lendemain et l'offrir à ses élèves, le texte qui lui paraît le meilleur. Il s'étonnerait peut-être au début en constatant que bien souvent ce texte n'éveillerait pas plus d'intérêt que les habituelles pages de manuels.

L'instituteur devrait-il alors décider sur le champ pour imposer à la classe le texte qui lui paraît répondre le mieux à l'ensemble de nécessités scolaires et pédagogiques du jour ? L'expérience nous prouve encore, avec certitude, que cinq fois sur dix le choix de l'instituteur ne satisfait pas les enfants.

Nous avons naturellement le droit de vote. Or, il arrive fréquemment que nos favoris mordent la poussière. Et cela ne saurait nous étonner. Malgré la révolution pédagogique que nous avons accomplie, nous ne voyons pas encore la vie avec les yeux d'enfants, nous ne vibrons pas au même rythme, que nos élèves et nous risquerions encore de nous tromper bien souvent sur leurs besoins.

Il n'y a qu'un moyen infaillible pour éviter cette erreur capitale qui nous ferait passer à côté de l'intérêt fonctionnel : s'en remettre totalement aux enfants pour le choix du texte. Cela nous est parfois pénible : tel sujet cadrerait si bien avec nos propres préoccupations. Il susciterait tant de possibilités documentaires alors que nous semble si insignifiant le choix obstiné de nos élèves. Qu'y faire pourtant ? Contrecarrer les besoins intimes des enfants, et susciter à nouveau toutes ces attitudes inhibitrices d'activité et de vie, ou suivie hardiment le courant impétueux.

Notre choix est fait ; nous ne l'avons jamais regretté.

Mais ce vote, dira-t-on encore, tout comme tant de votes démocratiques, n'est pas totalement libre. Des considérations étrangères à la valeur du texte entrent en jeu : ... on votera parfois plus pour l'auteur que pour son travail...

Préoccupation bien digne d'adultes déformés par ce souci exclusif de fausses camaraderie. Chez les enfants, à de rares exceptions près, c'est la vie qui domine. Un texte est presque toujours demandé, quelle que soit la personnalité de son auteur. Il exprime vraiment un « moment » de la collectivité. Par contre, lorsque l'intérêt est moins rigoureusement impératif, la camaraderie peut jouer dans une large mesure. Et c'est fort bien. Qu'un mauvais camarade se voit refuser un texte pour la rédaction duquel il s'était tant donné, lui sera une des meilleures leçons que dispense la vie.

Ce que nous pouvons dire toutefois, c'est que dans la pratique, le choix qui résulte de ce vote répond dans l'ensemble aux bcsoins des enfants, bien mieux en tout cas qu'un choix opéré par l'éducateur lui-même.

La foule, dira-t-on encore, est souvent illogique. Les meilleurs élèves emporteront toujours les meilleurs suffrages, les autres, découragés, suivront passivement.

C'est ainsi, en effet, que les faits se pas                        seraient avec des adultes déformés par le charme de la littérature. Les enfants eux vont plus directement à l'idée. Et notre pratique montre encore surabondamment qu'un texte est choisi bien plus pour son contenu actif, vivant et humain, que pour les formes d'expression et d'extériorisation C'est pourquoi, des élèves « forts en rédaction » selon les critères de l'ancienne école se voient si souvent préférer un jeune ignorant, sans aucune technique scolastique d'aucune sorte mais qui, tout comme les bardes illettrés de nos villages d'autrefois sent les besoins obscurs de la masse et apparait comme le porte-parole instinctif de la communauté.

Et s'il y en a qui ne présentent jamais, de rédaction ?

La motivation née de l'imprimerie et des échanges interscolaires est pratiquement si puissante qu'aucun enfant normal n'y résiste. Ah ! certes, tous n'ont pas la même locacité ; de même que, les uns parlent beaucoup et sans raison parfois, d'autres sont concentrés et mesurés. Il en est de même pour la rédaction : les uns éprouvent le besoin d'écrire un texte par jour ou même plusieurs ; d'autres, au contraire, mûrissent longtemps leur pensée avant de la confier au papier. Mais il serait erroné de croire qu'obliger ceux-ci à des rédactions périodiques améliorerait leur nature et modifierait leurs aptitudes. On ne parviendrait qu'à les refouler davantage encore et à leur donner un peu plus cette répulsion instinctive pour la rédaction.

Nous respectons, au contraire, ce rythme particulier. Mais un beau jour, sous l'effet d'un besoin puissant, l'enfant apportera une rédaction qui sera la plus personnelle et la plus intime des extériorisations. L'effort que nécessitera la lecture de l'oeuvre, l'émotion qui accompagne le vote, le triomphe, la joie de voir son oeuvre précieuse imprimée et divulguée, tous ces éléments ne se rencontreraient-ils que deux fois par an, ont plus d'importance et de portés éducative que les rédactions que vous auriez pu imposer deux fois par semaine.

Le fait essentiel est là et la pratique de cette technique dans plusieurs milliers de classes en prouve la supériorité incontestable; par ces procédés, nous mettons à jour avec sûreté le texte qui répond le mieux aux besoins fonctionnels et aux désirs psychiques de la majorité de la classe.

Cette pratique n’est cependant pas obligatoire. Il y a celle de notre ami Roger (Nord), qui laisse les enfants entièrement libres de rédiger, de composer et d'imprimer lorsque bon leur semble, individuelle ment ou par groupes - technique presque idéale qui, malheureusement, s'accommode mal à notre avis, des nécessités pédagogiques dans notre école actuelle.

Il y a les partisans du travail par groupes selon la méthode Cousinet, qui conçoivent, rédigent et impriment par groupes et ne soumettent les textes à leurs camarades que lorsqu'ils ont acquis leur forme définitive.

Nous préférons, quant à nous, une technique moins idéale souvent, mais qui vivifie et anime toute la classe et contribue à la puissante harmonisation de notre activité.

***

Le texte est donc choisi. Cette besogne nous a demandé de 10 à 20 minutes selon l'abondance des travaux. Il s'agit maintenant de donner au texte choisi sa forme parfaite et définitive.

Si nous avions affaire à des enfants parlant un francais déjà très pur, nous pourrions être souvent en face de textes à peu près parfaits, Dans la pratique, dans les campagnes surtout, notre besogne est compliquée par les patois, les dialectes de travailleurs étrangers qui se mêlent aux premières notions de français.

Il en résulte donc que les textes choisis nécessitent presque toujours une mise au point syntaxique et orthographique.

Si l'auteur est un élève du cours moyen, il ira lui-même copier son texte au tableau, sous la surveillance et la collaboration active tous les enfants (excellent exercice, pour l’intéressé) Avec des enfants plus jeunes, l'instituteur peut se charger de cette besogne.

Il ne s'agit d'ailleurs là, nous l'avons dit, que d'une mise au point syntaxique et orthographique, sans modifier en rien le contenu et le sens du texte. Quelques précisions peuvent être, certes, apportées par ci par là par l'ensemble de la classe, avec l'assentiment de l'auteur L'essentiel c'est que nous restions en présence d’une oeuvre d'enfant exprimant dans toute son originalité la pensée enfantine.

Cette mise au point est, on le conçoit, d'un grand intérêt pédagogique : elle montre aux enfants les phases diverses de la construction grammaticale et littéraire, elle fait vivre devant eux les mots et les phrases, les rend sensibles à l'harmonie constructive du tout et les familiarise avec les diverses notions syntaxiques dont l'école ne donne la plupart du temps qu'une idée superficielle et formelle.

Le texte est maintenant prêt.

Nous désignons par notre liste, les élèves compositeurs. Nous donnons à chacun son travail précis, une ligne, deux lignes, un paragraphe.

Ils vont à leur besogne et la classe continue son travail.

***

C'est ici que, l'affaire bifurque et se complique.

Nous avons trouvé le centre d'intérêt susceptible d'intéresser au maximum notre classe, centre d’intérêt qui n'est d'ailleurs pas absolument rigide ; d'autres intérêts surgis lors de la discussion pouvant s'y greffer utilement aux divers degrés.

Les avantages de notre technique ne sont alors qu'amorcés. Si, en effet, nous nous contentions maintenant de composer et d'imprimer ce texte d'une part, pour continuer, d'autre part, dans sa forme scolastique traditionnelle, notre travail ; si nous reprenions les manuels pour la grammaire, le calcul, la géographie, les sciences, nous n'aurions fait que produire dans notre classe une lueur de vie trop tôt éclipsée, nous aurions suscité des espoirs qui, en définitive, ne rendraient que plus difficile l'accoutumance aux pratiques dogmatiques imposées ; nous aurions toujours, d'une part, cette activité fonctionnelle à laquelle on se donne corps et âme et dont les possibilités seraient infinies, et, d'autre part, la scolastique rebutante et morte, inhibitrice des énergies vitales contradiction qui ne peut être que provisoire et qui doit nécessairement se terminer par le triomphe de l'une ou l'autre technique, par la victoire ou la défaite de l'activité et de la vie.

Et c'est le noeud essentiel de notre technique. Comment allons-nous, pratiquement, exploiter pédagogiquement cet intérêt vital ainsi suscité pour que les avantages incontestables de notre activité créatrice puissent vivifier les diverses disciplines ?

Nous allons indiquer ce que nous avons réalisé dans notre classe, ce qu'ont pu réaliser d'autres camarades grâce au matériel coopératif que nous avons conçu et crée. Nous ne cacherons pas certains insuccès, certaines impuissances qui ne feront d'ailleurs que mettre en lumière l'apport considérable de notre technique au problème difficile de l'école prolétarienne vivante et génétique.

***

Il est 8 h. 40 ou 9 h. environ. Un groupe d'élèves compose. Il s'agit de donner immédiatement leur tâche aux diverses divisions.

Nous jetons, tous ensemble, un coup d'oeil sur le texte journalier ; nous faisons si nécessaire, quelque rapide observation et nous inscrivons au tableau, pour chaque division, un petit exercice de grammaire se rapportant au texte et qui s'encastre cependant dans notre schéma global d'études ; le verbe surtout, élément actif de la phrase, a besoin d'être connu au maximum. Aussi faisons-nous de nombreux exercices de conjugaison en partant toujours des idées et des formes dominantes dans le texte. Les petits pourront être occupés à un exercice de reconnaissance de noms, de verbes, etc...

Nos enfants ont tous, alors, du travail pour 15 à 30 minutes :

- Copier sur leur cahier le texte choisi. Cette copie est faite généralement par tous les élèves. Exceptionnellement les grands pourront y substituer d'autres activités que nous allons mentionner.

- Illustrer ce texte sur le cahier ou sur une feuille spéciale, les meilleures illustrations devant être ou polycopiées ou gravées au lino pour accompagner notre page imprimée.

Nous accordons à cette illustration une grande importance psychique. Le dessin est avant tout, expression profonde de l'être Le dessin libre, non asservi ni à la forme, ni même à la pensée qui constitue le centre d'intérêt, fond en une même oeuvre les potentialités diverses, harmonise l'effort, donne aux enfants l'occasion de se réaliser pour repartir avec allant pour la conquête des diverses disciplines.

- Travail de grammaire.

Et effectivement, après cette mise en train en apparence longue et laborieuse, la ruche se passionne maintenant à un travail où chacun met encore le meilleur de lui-même, sans surveillance spéciale ni sanction. L'expérience nous a prouvé, notamment, que la copie du texte est toujours faite avec plus d'application que les copies interminables qu'on impose dans les écoles. De très bonne heure, les enfants parviennent dans cette tâche à une perfection calligraphique et orthographique remarquables.

Nous allons mettre à profit ce répit pour préparer des travaux de calcul se rapportant à notre centre d'intérêt.

Tâche excessivement délicate, une des plus difficiles qui se présentent à nous, pour laquelle nous avons longtemps tâtonné avant d'être à pied d'oeuvre pour les réalisations qui permettront un profond renouvellement dans la discipline arithmétique : un centre d'intérêt est là, il faut, sur le champ, instantanément, présenter aux enfants les calculs, les recherches, les problèmes qui s'y rapportent tout en encastrant notre activité journalière dans le processus d'acquisition nécessité par les programmes.

Si nos classes étaient les domaines de paix que nous rêvons, où les enfants oeuvreraient librement, selon les lignes de leurs intérêts dominants et de leurs possibilités, nous attendrions patiemment. La vie enseigne plus sûrement et plus profondément que le livre ou les fiches. Mais elle n'enseigne pas au gré des hommes ni au gré des programmes et pour la discipline qui nous occupe, elle risquerait souvent, hélas ! de mécontenter nos critiques et nos juges.

Force nous a donc été de trouver un moyen terme entre l'école idéale et les obligations qui nous sont imposées. Ce moyen terme, c'est le fichier de calcul (Voir Fichier de calcul général (F.S.C.), Editions de l'Ecole Moderne, Cannes.) que nous avons imaginé et dont nous avons commencé la réalisation.

Au Cours Préparatoire, nous ne sommes pas encore talonnés par les programmes et les examens. Nous pouvons là, pour peu que, les inspecteurs soient compréhensifs et accommodants, faire une besogne profonde d'initiation mathématique par la vie véritable ; mesures diverses en classe ou hors de classe, pesées (d'animaux que la Coopérative élève), calculs simples sur les sujets qui nous intéressent, et pour les cas où cette initiation vivante ne nous parait pas possible, par notre Initiateur Mathématique Camescasse (En vente à la C.E.L.).

Grâce à ces diverses techniques simples et vivantes, l'enfant peut et doit acquérir sans dogmatisme les notions d'addition et de soustraction et la pratique de ces opérations. Il acquerra de même le sens de la, multiplication et de la division. Mais la technique de ces opérations est plus compliquée et demande déjà, à cet âge, des exercices formels et répétés. Ces exercices sont parfois distribués et imposés au hasard sans qu'une attention nécessaire intervienne pour vaincre avec le moins de peine possible les difficultés multiples.

Nous venons d'éditer (sur fiches) : les travaux précieux réalisés en Amérique par Washhburne (Fichiers auto-correctifs Addition-Soustraction et Multiplication-Division (en vente à la C.E.L.)), de Winetka. Après une enquête approfondie menée sur de nombreux enfants. Washburne a pour ainsi dire taylorisé les efforts nécessaires pour se rendre maîtres de cette technique.

Avec cet outil, plus d'exercices inutiles, plus d'erreurs pédagogiques accumulant les difficultés, mais une montée régulière et permanente vers la maîtrise arithmétique.

Nous ne préconisons d'ailleurs pas l'emploi à dose massive de ce fichier qui sera utilisé en même temps, que notre véritable fichier de calcul. Seulement les enfants qui sentent la nécessité d'acquérir cette technique, auront à leur disposition un outil à peut près parfait.

Car notre fichier de calcul a des assises pédagogiques bien plus sûres et des possibilités autrement éducatives. Il tend à rendre vraiment pratique l'étude mathématique liée à la vie et aux intérêts dominants des enfants.

Le fait suivant n'est plus aujourd'hui un secret pour personne : Si l'enfant ne comprend ni le sens ni la portée des problèmes que vous lui posez ; si ceux-ci ne sont pour lui que des exercices formels qu'il tente de résoudre formellement, non pas avec son intelligence et son coeur, mais avec sa mémoire, l'école travaille pour ainsi dire à vide et les résultats pratiques obtenus sont toujours disproportionnés à la somme de peines et d'efforts que se sont imposés maîtres et élèves. Qu'un jour, au contraire, un événement social ou scolaire fasse sentir aux enfants la nécessité de certains calculs, que soit puissamment motivée leur activité, ils pourront approfondir en quelques minutes ce que des heures de leçons n'avaient pu leur faire comprendre, ils apprendront avidement dans un laps de temps étonamment court tout ce que votre habileté n'avait su obtenir d'eux. C'est le triomphe scolaire de l'intérêt génétique, de la vie qui, seule, réalise et construit, par des voies, souvent encore mystérieuses.

C'est à ces forces nouvelles que nous faisons appel.

Mais il ne suffit pas de prêcher cette nécessité aux éducateurs, encore faut-il leur en rendre possible la pratique. Ce que l'imprimerie à l'Ecole a réalisé dans ce sens pour la rédaction et la lecture, notre fichier de calcul le réalisera pour l'acquisition mathématique.

***

Un centre d'intérêt nous a donc été révélé par la rédaction libre telle que nous l'avons pratiquée. Ce centre d'intérêt n'est pas fortément étroit et rigide. Ce n'est pas parce que notre texte parle aujourd'hui d'une carriole que nous n'accepterons que les intérêts se rapportant directement à la carriole. Ce serait là une conception scolastique et étriquée de notre idée des centres d'intérêt.

Nous suivons l'intérêt de l'enfant Au cours de la mise au point collective, au cours des discussions qui accompagnent souvent cette mise au point, des pistes diverses et multiples surgissent plus objectives avec de jeunes enfants, plus scientifiques, plus savantes déjà avec nos grands élèves.

Des questions sont posées. Nous cherchons les documents dans notre fichier, dans les livres de la Bibliothèque de Travail. Si les réponses ne satisfont pas encore totalement notre curiosité, nous préparons des demandes à nos correspondants, nous déléguons peut-être un ou deux élèves qui vont se renseigner sur place dans un atelier du village, auprès d'un artisan ou d'un commerçant.

Il peut en résulter une certaine déviation de la ligne initiale du centre d'intérêt. Des calculs d'un certain ordre peuvent apparaître comme passionnant tout spécial eurent nos enfants. Voilà la voie idéale dans laquelle nous devons, sans hésitation, nous engager.

Nous avons parlé de recherches de documents.

Nous avons, en effet, prévu dans notre fichier, des fiches documentaires : les unes sont imprimées à l'avance et donnent les indications immuables dont nous avons besoin pour nos différents calculs. D'autres en blanc, ou munies de questionnaires, guideront les recherches des élèves.

L'essentiel est que nous puissions, avec profit puiser dans ces fiches pour y trouver les renseignements sûrs dont nous avons besoin, ou les indications pratiquer pour nous les procurer.

S'il s'agit de carrioles, par exemple, nous devons y trouver, comme permanents, toutes les indications concernant les roues, leur diamètre, leur circonférence, la résistance des bois et des métaux, le calcul du centre de gravité - comme modifiables, selon les régions : charge maxima de tel ou tel véhicule, force déployée par les chevaux attelés de telle ou telle façon, prix des véhicules et des chevaux, prix et poids globaux des charretées de divers produits, etc...

Nous sommes maintenant munis de documents précis, adaptés au milieu et à la vie, tirés de la vie, qui font au maximum corps avec les élèves. Il nous reste à susciter et à faciliter les calculs correspondants.

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Munis de ces documents, nous avons à résoudre une difficulté essentielle qui peut se présenter sous deux formes connexes : il faut que nous soyons en mesure maintenant de bâtir des problèmes qui possèdent les qualités pédagogiques suivantes ; ils doivent répoudre aux nécessités du programme, pousser à l'étude de questions qui correspondent au niveau des enfants, n'être donc ni trop faciles ni trop difficiles, avoir un but et un sens,

Ces problèmes, de plus, doivent pouvoir être établis par les enfants eux-mêmes. A défaut, le maître pourra s'y employer, cette deuxième alternative n'étant qu'un pis-aller.

Nous avons rendu cette pratique possible par ce que nous appelons nos fiches mères qui indiquent les modèles de problèmes pouvant être établis dans tel ou tel sens, par tel ou tel degré, pour un centre d'intérêt donné, Dans l'établissement de ces fiches réside le point délicat de notre fichier.

Muni de ces documents, un de nos grands élèves va collaborer avec les élèves du C.P. et C.E. 1re année pour l'établissement d'un problème lié au centre d'intérêt.

Nous procédons de même à la préparation d'un problème par le C.E. 2ème année. Nous nous mettons ensuite au même travail pour le C.M. et S.

Toutes les fois que c'est possible, nous donnons un problème commun au C.E. 2e année et au C.M. et S. en ménageant, pour ces derniers, quelques difficultés supplémentaires.

Nous attirons l'attention sur l'importance pédagogique de cet effort de préparation des problèmes, souvent aussi profitable que la résolution elle-même. Les quelques ennuis de préparation et de recherche, les imperfections techniques parfois, les erreurs - que nous corrigerons en commun - contribuent à donner à l'enseignement mathématique un sens nouveau, à le rattacher à la vie, à y faire prédominer l'intérêt, la recherche personnelle et l'effort intelligent de création.

Nos élèves sont maintenant au travail. Quand ils auront résolu le problème établi, ils pourront aller chercher dans nos fiches d'exercices des problèmes se rapportant au même centre d'intérêt, correspondant à leur niveau, et dont ils entreprendront librement la résolution.

Cette activité nous a mené aux environs de 9 h. 15- 9 h. 30 selon les jours. Pendant que les uns terminent peut-être leur travail de grammaire, que d'autres font leurs exercices de calcul, que les compositeurs achèvent leur besogne qui ne les a pas empêchés d'ailleurs de suivre la vie de la classe, l'instituteur est libre maintenant pour faire lire le texte au tableau en surveillant individuellement le travail des élèves.

Il lui restera même le temps de préparer le travail subséquent de la manière suivante :

Notre fichier scolaire coopératif (Fichier Scolaire Coopératif : fiches carton 13,5 X 21 imprimées avec classeur. Editions de l'Imprimerie à l'Ecole) est classé selon la méthode décimale qui nous permet de trouver instantanément toutes les fiches se rapportant au centre d'intérêt étudié. Nous recherchons ces fiches, aidés peut-être dans cette besogne par quelque grand élève soigneux et consciencieux. Et nous avons maintenant à notre disposition 15, 20, 30 fiches se rapportant à ce centre d'intérêts et dont l'étude va étrangement élargir notre horizon culturel, répondre merveilleusement à notre soif de connaissance, à cet enrichissement oui est une des raisons d'être, de l'école.

Nous avons là, en effet, des documents pour tous les goûts : des vues historiques ou géographiques, des textes de grands, écrivains, d'enquêtes de correspondants, des relations anecdotiques se rapportant à des films que nous projetterons, des textes de disques que nous allons auditionner, des modèles divers de travaux manuels.

Vous sentez là le noeud de notre travail par l'imprimerie nous avons permis aux besoins fonctionnels de se révéler, à la vie de s'affirmer dans son entière et complexe originalité. Nous avons maintenant de quoi nourrir, dans tous les sens, cet appétit que nous avons su entretenir et motiver.

Tout cela sans dogmatisme. La pédagogie ancienne établissait d'avance, présentait et imposait les études prévues au programme, en essayant d'intéresser superficiellement les patients. Nous suivons, nous, le chemin inverse ; nous conserverons à l'enfant, intégralement, son appétit de savoir. Nous lui présentons les outils, les documents, les techniques qui lui permettront d'assouvir cet appétit.

On voit aussi que nous ne rétrécissons pas sur elle-même la vie enfantine. On nous ferait plutôt le reproche contraire, celui de lui offrir trop d’aliments, de lui ouvrir à la fois trop de portes, d'élargir prématurément son horizon, au risque de le voir papillonner entre des des activités mal coordonnées. Danger véritable pour l'élève passif de l'ancienne école, illusoire pour des enfants qui savent ce qu'ils veulent et le veulent puissamment, avec une décision et une obstination parfois brutales qui nous étonneraient.

« Enseigner peu mais bien », disait la vieille école, habituée au travail imposé dont on se délivre dès que cesse l'obligation. Offrir le maximum de richesses pour que l'enfant y puise son miel, non pas au hasard des rencontres, mais selon les nécessités vitales du puissant intérêt générateur d'activité qui caractérise notre technique.

Ces fiches donc, nous les mettons sous transparent dans nos liseuses spéciales (Liseuses métal face rhodoïd, format 13,5 x 21 ou 21 x 27. (Voir notre tarif)). Les plus intéressantes sont immédiatement exposées au mur ou à l'emplacement réservé pour l'observation si possible. Aux moments libres, dès qu'un travail est fini, en rentrant ou en sortant, pendant les récréations peut-être, les enfants les examinent. C'est comme une sorte de décoration mobile qui a animé les murs des éléments répondant à notre intérêt, une atmosphère nouvelle qui imprègne la classe comme le prolongement naturel de nos recherches, la vie qui a mis bas jusqu'à la décoration traditionnelle de nos classes.

Ces fiches seront ensuite étudiées plus attentivement aux moments de travail libre dont nous allons parler. L'instituteur peut accidentellement lire celles de ces fiches qui répondent le mieux aux questions que nous nous étions naturellement posées au cours de notre travail antérieur, qui complètent notre effort, qui instruisent d'une manière idéale et éminemment profitable.

Cette activité nous mène jusqu'à 9 h. 45, heure de la récréation. Déjà, diront certains élèves qui resteront d'ailleurs en classe, pour terminer leur travail, Déjà ! dira aussi l'éducateur.

Comment, diront quelques camarades, peut-on faire en deux heures tout ce que vous venez ainsi d'énumérer ?

Ah ! certes, notre classe ne ressemble point aux classes habituelles où le maître, assis, surveille ses élèves tous occupés à une tâche monotone. Notre classe est une ruche au travail, où la besogne, collective dans sa ligne, générale, reste éminemment souple pour se mettre au rythme de chaque élève ; celui qui a vite terminé sa copie pourra se plonger longtemps peut-être dans l'exécution de ce dessin ; un tel qui a rapidement liquidé la grammaire, s'attardera au calcul ou contemplera nos fiches. Nous n'affirmons pas qu'il n'y ait parfois, apparemment, un peu de temps perdu : l'Inspecteur dérouté appellera ainsi la minute employée par l'élève à lire une fiche qui lui apporte un incontestable enrichissement ; il ne s'émeut point au spectacle de ces enfants qui piétinent en attendant les autres, s'amusent ou rêvent à leur vie que l'école néglige, mais qui restent sagement assis et se taisent.

Les travaux chez nous s'exécutent rapidement. Comme dans la vie : on fait consciencieusement la besogne qu'on s'est tracée, mais on la fait le plus vite possible pour s'occuper ailleurs. C'est ici à qui travaille le plus, à qui acquiert le plus. Cette nouvelle atmosphère scolaire compense, et au-delà, les quelques petits inconvénients nés des nécessités parfois difficiles du travail en commun.

Et l'éducateur ? Nous lui demandons, certes, davantage, mais nous le délivrons de l'ennui et de la routine ; nous lui redonnons de l'intérêt et de la vie. Tout comme l'enfant, il ne mesure plus sa peine ; il oublie de s'asseoir et de rêver passivement au moment où il sera libre lui aussi. Il travaille ; il vit ! Il vit au milieu des enfants à un rythme et avec une intensité qu'il n'avait jamais connus. Il reprend goût à la pédagogie et à l'école. Et spontanément, il se donne tout entier à son travail…

Si même notre technique avait de graves défauts, nous pensons qu'ils seraient largement atténués par ce dynamisme nouveau dont nous animons l'éducateur, par cette joie collective de l'effort, par cette idéalisation du travail créateur et régénérateur.

Ce ne sont point là des affirmations. Si la place ne nous était mesurée, nous pourrions donner ici par dizaines des attestations enthousiastes et émouvantes de ces adhérents à qui l'Imprimerie à l'Ecole a apporté une raison de se dévouer à leur tâche, une raison de vivre. Cette conquête est pour nous la meilleure des récompenses, la preuve incontestable de l'excellence de notre technique.

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Il faut que nous mentionnions ici l'avantage pédagogique de l'emploi d'une machine à écrire, pour le degré moyen et supérieur surtout.

Parmi les rédactions écartées, il y en a un certain nombre qui seraient d'un grand intérêt pour nos correspondants et qu'il est regrettable de laisser perdre. Dans la plupart dus classes, l'auteur copie ces documents sur un cahier spécial, qui sera communiqué aux camarades éloignés. Mais la copie n'est faite ici qu'à un exemplaire, alors que la machine à écrire donnera au papier carbone sept à huit copies bien plus élégantes et définitives dans leur forme.

Avec de grands élèves, on a assez fréquemment des textes plus spécialement documentaires qui, comme tels justement, parce que trop froids ont été écartés par la masse des élèves. L'auteur les tape à la machine, sur fiche, à plusieurs exemplaires. Il garde un de ces exemplaires dans son livre de vie, les autres exemplaires pouvant être adressés aux correspondants ou distribués aux autres élèves de la même division.

 

Même utilisation pour l'histoire : Les enfants écrivent des textes d'une portée historique incontestable ; ils recherchent dans les livres des documents éparpillés qui gagneraient à être réunis sur fiche et ajoutés à la chronologie mobile d'histoire de France.

 

Si nous ajoutons que la machine, à écrire a, comme l'imprimerie, un puissant attrait, qu'elle apporte une sorte de motivation précieuse à l'effort enfantin, on comprendra que nous recommandions à tous nos camarades qui le peuvent, d'acquérir, pour la mettre, comme l'imprimerie à l'École au service des enfants, une machine à écrire. Nous avions trouvé, en occasion, et pour le prix abordable de 4 à 500 fr., des machines à barillet, marque « Mignon » ou « Génia », pratiques, parce que très solides. Quelques camarades ont trouvé pour 4 ou 500 fr, également, des vieilles machines à clavier qui leur donnent satisfaction.

Le limographe C.E.L. qui permet le tirage rapide de certains textes, est aussi un excellent complément à l'imprimerie à l'Ecole.

Récréation. Le texte est composé. Il est déjà prêt sur la presse. Si tout n'est pas entièrement au point, les responsables terminent, car ils sacrifient volontiers à cette besogne quelques minutes de leur récréation.

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Dix heures. Le travail reprend. Jusqu'à 11 heures, notre activité sera une des plus fécondes de la journée.

Il s'agit d'abord d'illustrer avec un cliché linoléum ou à la polycopie, le texte prêt à être imprimé. Nous examinons les dessins libres produits dans la matinée. Nous faisons si possible les enfants juges de ceux qui méritent d'être reproduits. Et l'auteur se met à graver ou à repasser son dessin à l'encre spéciale. Ce travail sera terminé, si nécessaire, à 11 h. ou avant la rentrée de 13 h.

Nous corrigeons ensuite rapidement les exercices de grammaire, donnés le matin, puis nous passons au véritable travail grammatical, nouveauté profonde inaugurée et permise par notre technique.

« On n'enseigne pas la langue en l'expliquant, mais en la vivant », disait J. Ligthart. L'ancienne école ne comprenait la grammaire que comme une explication et une analyse apparemment scientifique. Nous construisons, nous, une langue vivante et souple, et c'est dans l'enthousiasme de cette construction que les enfants acquièrent subconsciemment d'abord, formellement ensuite, les principales notions grammaticales.

Ce faisant, nous restons totalement dans l'esprit des Instructions ministérielles françaises de 1923 :

« De même qu'il doit être simple, disent ces Instructions, l'enseignement grammatical doit être concret. Le maître doit partir des textes placés sous les yeux des enfants pour leur faire comprendre la fonction habituelle du nom, de l'article, de l'adjectif, du pronom et du verbe. Il ne s'agit pas de formuler des définitions abstraites dont une connaissance plus approfondie de la langue ferait vite apparaître le caractère artificiel. Il s'agit d'amener les enfants, par la pratique du langage parlé ou écrit, à classer avec une suffisante précision les formes verbales sous les rubriques que les grammairiens ont imaginées pour lui un peu d'ordre dans le chaos des réalités linguistiques. »

C'est la condamnation formelle du procédé grammatical qui consistait à « apprendre les mots puis les principes grammaticaux sous forme de règles et finir par la syntaxe pour arriver à parler et à écrire (Dr Decroly : Revue de l'Enseignement, numéro du 29 janvier 1928).

« Le procédé grammatical est en effet le procédé classique préféré par beaucoup de professeurs. Ce qui semble cependant établi par la pratique, c'est qu'il est un moyen peu sûr pour faire acquérir le maniement de la langue usuelle et que, lorsqu'il y réussit, on ne peut affirmer que d'autres facteurs n'y aient contribué pour une part plus ou moins large. Ce qui est évident, c'est que peu de cerveaux s'y adaptent avec facilité et que beaucoup ont, à cause de lui, un dégoût pour l'étude (Dr Decroly : L'application de la fonction globale dans l'enseignement. (Numéro du 21 mars de la Revue de l'Enseignement).

Les études sur la stylistique et sur la grammaire elle-même, par Bailly, de Saussure, Sénéchaie, Brunot et d'autres, ont bien montré l'impuissance où l'on est d'atteindre par le travail grammatical habituel, la structure, des formes verbales les plus courantes et les plus intéressantes. »

Nous allons même plus loin. Nous savons que, l'enfant apprend normalement et naturellement à parler une langue parfaite sans aucune lecon scolastique sans même la moindre remarque sur la structure de cette langue. Son esprit d'imitation, son vivant besoin de perfection y suffisent. Nous sommes persuadés, de même que l'enfant peut et doit arriver à écrire une langue parfaite par le seul exercice vivant de cette langue, sans aucune leçon scolastique. Et ce n'est que pour satisfaire aux programmes et aux inspecteurs que nous enseignerons aux enfants à distinguer la nature et la fonction des mots employés, à analyser les parties du discours, certains que nous sommes que cette connaissance, ne leur apportera aucune facilité nouvelle pour écrire sans erreur. C'est peut-être même le contraire qui se produira ; pour la majorité de ces élèves destinés à rester ouvriers et paysans, la possession subconsciente et comme instinctive de la langue serait plus précieuse qu'une demi-connaissance formelle qui amène souvent l'hésitation, le trouble et le doute dans la pratique de l'écriture.

Nous suivrons donc le conseil de Tolstoï :

« Ecartez les définitions grammaticales et syntaxiques, les subdivisions des parties et des formes du discours et des règles générales, mais obligez l'élève à faire usage des formes du discours, sans les lui nommer, principalement à lire le plus possible en comprenant ce qu'il lit, et à écrire quelque chose de son invention. » (Cité par Ch.-L. Baudoin : Tolstoï éducateur (Delachaux, édit.).).

Nous ne pouvons pas entrer ici dans le détail de cette technique de l'initiation grammaticale technique qui fera l'objet d'une brochure spéciale (Grammaire française en quatre pages (Editions de l'Ecole Moderne).).

Nous nous contenterons de donner la ligne générale de notre technique et les recommandations qui vous permettront de tirer de nos textes le maximum de profit grammatical et syntaxique.

Le principal devoir de grammaire, et le plus profitable est la rédaction individuelle, par groupes ou en collaboration avec le maître, pourvu que cette rédaction ne soit pas un devoir mais bien l'expression d'une pensée qui a besoin de jaillir.

Commençons par bien examiner le texte au tableau, démontons-le, en quelque sorte devant les enfants pour en montrer la structure génétique, arrêtons-nous sur la fonction des mots, sur leur rôle dans le discours, sur les conséquences orthographiques de ces fonctions.

Nous faisons cet examen chaque jour sur le texte choisi et nous trouvons que c'est là un des exercices les plus intéressants au point de vue grammatical et des plus profitables.

Dans les cours élémentaires, moyen et supérieur, puisqu'il faut un minimum de grammaire formelle, donnez à conjuguer aux temps usuels, accidentellement à quelques temps plus exclusivement scolastiques, quelques verbes et expressions tirés du texte. Le verbe, surtout en français, a des formes tellement variables et baroques qu'il n'est pas inutile, pour l'orthographe en particulier, d'en montrer toute l'année les difficultés. Mais que ce travail n'ait jamais la forme d'une conjugaison morte, qu'il soit toujours basé sur l'intérêt du jour et se présente à l'esprit de l'enfant comme une nécessité.

Cela ne nous empêche pas de suivre l’ordre des leçons d'un manuel pour ce minimum d'acquisition formelle, pourvu que. Celle-ci passe toujours au second plan et que s'affirme la conquête vivante de la langue.

Nous faisons ainsi leçon de grammaire deux fois par semaine et leçon de vocabulaire les trois autres jours.

Mais pour ce qui concerne l'acquisition du vocabulaire, nous avons réalisé le même changement radical d'orientation.

L'école avait jusqu'à ce jour la prétention d'enseigner des mots aux enfants, sans se préoccuper du besoin que ceux-ci pouvaient en avoir, de l'usage, qu'ils en feraient. Nous avons pensé qu'il est au moins inutile d'enseigner mécaniquement des théories de mots nouveaux et nous avons complètement banni de notre classe ce genre d'exercices de vocabulaire. Seuls sont nécessaires à l'enfant, seuls sont pour lui un enrichissement les mots dont il connait, dont il désire du moins l'emploi, parce que ces mots s'intégrent aussitôt dans sa vie et s'incorporent à sa personnalité.

Est-ce à dire que nous nous abstiendront systématiquement d'enseigner tous mots nouveaux ? Nous voyons sur deux plans notre tâche d'apprentissage du vocabulaire. L'enfant qui nous arrive connait déjà un nombre considérable de mots. Qu'il les connaisse en patois, en italien ou en français, peu importe. Notre devoir n'est-il pas de partir de cet acquis pour traduire en bon français les éléments familiers ? Ce sera justement l'objet de nos travaux de rédaction individuelle et collective.

La première conséquence de cette orientation nouvelle, basée sur l'expression enfantine, de notre travail scolaire, est que nos imprimés sont toujours parfaitement à la mesure de nos classes. Ils sont du même coup compréhensibles aussi pour tous les enfants, de même, niveau, qui les recevront. Seuls, quelques mots techniques ou locaux nécessitent parfois une explication. Hors cela nous n'avons presque, jamais rien à ajouter aux imprimés d'échange, toute lecture expliquée devient superflue. Habituer l'enfant à utiliser correctement les nombreux mots qu'il possède, n'est-ce pas le vrai fondement du vocabulaire ?

Nous cherchons cependant à agrandir ce fonds primitif. La vie elle-même se charge de cet enrichissement. L'enfant ne souffre pas un piétinement grammatical. Lorsque son rayonnement social s'étendant, il sent la nécessité de mots nouveaux, il ne se rebute jamais et sait au besoin faire le grammairien créateur. Notre tâche est justement de l'aider à ce moment-là pour qu'il ne fasse pas, fausse route et n'attribue pas aux mots une signification erronée, qu'il serait ensuite difficile de corriger.

Enfin, les lectures libres sur nos livres de bibliothèque accroissent chaque jour le vocabulaire de nos élèves, nous dispensant de tous exercices méthodiques.

De ce fait, nous intitulons nos exercices de vocabulaire chasse aux mots. Ils n'ont point pour but d'enseigner des mots nouveaux, mais d'organiser de préférence les connaissances actuelles, de créer des groupes selon certaines caractéristiques de façon à préciser la structure et l'emploi des mots connus : terminaisons, racines, consonnes doubles, formation du pluriel, etc... Nous nous abstenons toujours dans ce travail de prononcer nous-mêmes des mots nouveaux. Nous ne faisons que classer les connaissances qu'a enseignées la vie scolaire ou sociale.

Préoccupation peu ambitieuse, certes, qui est du moins à la mesure de nos élèves et dont on ne saurait contester la grande valeur pédagogique. Elle s'harmonise sans réserve avec l'idée qui guide nos efforts ; partir de l'enfant, l'aider à enrichir sa personnalité et non plus dispenser du haut de, notre suffisance adulte des richesses verbales qui ne parviennent jamais jusqu'à l'âme de nos enfants.

Ce travail de grammaire ou de vocabulaire, suivi, si nécessaire, d'une courte copie de formule grammaticale, ou plus rarement, d'un rapide exercice vivant, nous a menés aux environs de 10 h. 30.

Notre emploi du temps prévoit alors calcul, alternativement pour les différents cours. initiation mathématique pour les plus jeunes (cubes camescasses ou jeux divers, ou fiches auto-correctives) - exercices collectifs pour le C.E. ou travail également sur fiches correctives.

Ces fiches auto-correctives sont particulièrement précieuses dans nos classes à plusieurs cours. Notre fichier de calcul dont nous avons parlé, en comportera un certain nombre. Mais chaque instituteur peut s’en constituer très facilement des séries graduées, depuis les opérations les plus simples, jusqu'aux problèmes du certificat d'étude. On prend un livre du maître de calcul, on découpe les demandes et les réponses qu'on colle séparément sur des fiches 10,5x13,5 de couleurs différentes. On place les demandes dans une boîte, les réponses dans l'autre, et on numérote chaque fiche (Nous pouvons livrer du carton souple spécial pour ces fiches ainsi que des classeurs spéciaux (voir tarif).

L'enfant va librement prendre la demande, la copie sur un cahier spécial ou sur un cahier journalier, il fait l'exercice puis va librement contrôler sur la réponse.

Pour le travail du soir, il arrive fréquemment que des élèves emportent librement plusieurs fiches. Ils contrôlent librement leur travail le lendemain matin.

Cette activité a pour elle l'attrait de la liberté ; elle met en jeu en même temps une sorte d'esprit de compétition, avec soi-même d'abord, avec les autres ensuite. Dans une classe bien entraînée au travail sérieux, les tricheries sont moins rares qu'on ne croit puisqu'il n'y a pas obligation. Une surveillance discrète de l'instituteur, quelques conseils judicieusement distribués donnent à cette technique le maximum d'attrait et de rendement.

La correction des problèmes conçus, réalisés et résolus le matin selon la technique indiquée, nous demande, à chaque cours, un temps parfois assez long, par suite de la nécessité où nous sommes de donner souvent encore ces explications, de poser peut-être quelques problèmes rapides dont la nécessité se fait sentir, de donner des explications sur les points spéciaux non parfaitement assimilés.

Mais nous ne faisons pas de leçons de calcul : nous avons abandonné totalement l'exposé dogmatique, apparemment ordonné logiquement, faisant partie d'un tout dont l'élève ne sent point l'enchaînement. Notre véritable leçon de calcul c'est le travail que nous faisons le matin quand nous tirons, du centre d'intérêt, les études de la journée. Nos leçons sont toujours essentiellement pratiques, génétiques et vivantes. Comme pour la grammaire, ce n'est point la règle qui les suscite et les prépare. La vie les fait naître : la règle n'en est que la conclusion et l'aboutissement critique.

Avant 11 heures, nous faisons quelques minutes de calcul rapide et voilà une matinée bien remplie. Nos enfants peuvent partir ânonner leur catéchisme.

***

Les élèves qui, soit qu'ils soient classés par équipes, soit qu'ils soient désignés par une liste de roulement, doivent imprimer, s'arrangent pour que tout soit prêt avant la rentrée, de 13 heures. L'instituteur peut, discrètement donner un coup d'oeil à l'installation.

Si un cliché est joint au texte, l'auteur aura, s'il le faut, travaillé après 11 heures pour le terminer (et cela ne, lui coûte pas beaucoup, tellement a d'attrait ce travail). S'il s'agit de la polycopie d'un dessin, l'original établi avant 11 heures aura séché et sera prêt à être reporté sur la Géline.

De sorte qu'à 13 heures, pendant que la classe recommence, l'imprimerie fonctionne aussitôt, mettant à profit les minutes de mise en train ainsi que les 10 à 15 minutes que nous consacrons d'ordinaire à l’audition de quelques disques de la discothèque, avec, lorsque c'est possible, répétition d'un chant en partant du disque.

Nous avons ensuite organisé cette première heure de l'après-midi de façon originale et un peu osée, peut-être - que tous nos camarades ne voudront pas imiter. De 13 h. 15 à 14 h. 15, nous avons prévu 3 périodes de 20 minutes, ou, parfois, deux périodes de 30 minutes, au cours desquelles une division part sous le préau attenant à la salle de classe ou dans la cour, devant les fenêtres, faire du travail libre.

Individuellement ou par groupes, les enfants doivent se consacrer à ce qui les intéresse, selon le plan de travail établi chaque lundi.

Nous surveillons seulement s'ils travaillent et sommes heureux quand nous les voyons se passionner à une besogne quelle qu'elle soit.

Ce travail n'est d'ailleurs pas quelconque : par notre centre d'intérêt du matin, nous avons tracé une ligne, remué des énergies qui ne demandent qu'à s'employer ; par nos recherches de calcul adaptées à ce centre d'intérêt, par la mise à jour de documents de notre fichier s'y rapportant, nous avons motivé bien des activités... Restent encore l'histoire, la géographie, les sciences, etc...

Dans la pratique, j'envoie au travail libre notre première division, de 13 h. 15 à 13 h. 40 pendant que je m'occupe plus spécialement des deux autres divisions auxquelles je fais alternativement du calcul et du vocabulaire, concrets le plus possible.

Pendant ce temps, que font les grands au travail libre ? Ces possibilités sont illimitées mais nous allons donner un aperçu cependant des occupations choisies : travail manuel artisitique, découpage et coloration de contre-plaqué notamment - examen des fiches mises à leur disposition et répondant à notre centre d'intérêt - rédaction collective, par groupes d'affinités. et se rapportant soit à un sujet choisi d'avance ou spontanément imposé, soit au compte rendu de l'examen des fiches et documents divers - étude d'un animal, d'une plante, apportée par les élèves, expérience de physique et de chimie exécutées par les enfants eux-mêmes, d'après des fiches établies d'avance et dont nous reparlerons, avec un matériel adéquat à cette utilisation, travaux d'histoire ou de géographie avec recherche de documents dans les divers livres de la Bibliothèque de Travail.

Je surveille, de loin en loin, en ouvrant de temps en temps la porte. Mais il est rare que j'ai à intervenir autrement que pour donner parfois un conseil ou un renseignement.

Il est certain que le préau ou la cour ne se prêtent pas merveilleusement à ce travail, surtout lorsqu'il fait froid. Le rêve serait d'avoir, attenant à la salle de classe, une ou plusieurs pièces de travail libre, où seraient mis à la disposition des enfants, fiches, bibliothèques de travail, instruments de physique, de chimie, de mesure, etc... outils pour le travail manuel, avec tables et bancs. Certains collègues qui peuvent disposer d'une pièce inutilisée près de leur casse pourrait lui donner cette affectation.

Mais, même dans de mauvaises conditions, nous recommandons la pratique, sinon journalière, du moins fréquente, de ce travail libre ; à ces moments-là, l'enfant sent que, l'école est à lui, hors de la tyrannie du maître ; il peut mieux affirmer ses tendances, travailler à son rythme. Il en emporte toujours un extraordinaire potentiel de vie, un encouragement à se donner ensuite à des besognes plus rebutantes.

Les inspecteurs - et certains collègues craignent naturellement que hors de la surveillance permanente de l'instituteur, les enfants ne perdent leur temps ou fassent des sottises. Et cela serait dans les classes traditionnelles. Mais nous avons, chez nous, soulevé tant d'intérêts, aiguisé tant de curiosité, ouvert tant de portes, que les enfants sentent tous la nécessité de se donner intimement à une tâche. Dans la pratique, malgré ces inconvénients nés surtout du manque d'installation matérielle convenable, nous n'avons jamais eu qu'à nous louer de ces moments de travail libre. Nous y gagnions, de plus, la possibilité d'alléger momentanément notre classe formelle et de pouvoir nous consacrer plus entièrement aux divisions qui restent.

***

A 13 h. 40, changement d'équipe. Deux ou trois minutes de va-et-vient. Une des divisions restantes, les deux mêmes suivant le nombre d'élèves et l'emploi du temps prévu, partent au travail libre.

Leurs occupations sont ordinairement moins complexes que celles des grands : rédaction individuelle ou collective, dessin à grande échelle, modelage, découpage, lecture souvent de livres aimés de la Bibliothèque de Travail ou de journaux scolaires d'échanges, exercices de mesure dans la cour, ou même, aux abords, pesées effectives avec balances, petites expériences physiques, parfois enquêtes dans le village comme suite à des questions posées en classe. (Un système de fiches préparées d'avance, aide les enfants à choisir leurs occupations).

Pendant ce temps, avec les grands, nous corrigeons les problèmes du soir (si nous avons été obligés d'en donner ; nous donnons quelques explications arithmétiques ce qu'on pourrait appeler des leçons ; nous faisons quelques exercices d'application, ou bien nous procédons, vers la fin de l'année surtout, à quelques dictées avec questions.

Vers 14 heures, nous envoyons quelques instants les tout-petits en travail libre, s'ilê n'y sont déjà. Ils lisent surtout des livres de la Bibliothèque de Travail, rédigent de petits textes, ou dessinent, ou mesurent.

Vers 14 h. 15, séance collective de lecture, Les imprimeurs ont terminé leur besogne. Chaque élève a reçu sa feuille imprimée qu'il incorpore à son livre de vie. On lit, silencieusement, des yeux, le texte imprimé. Quelques élèves le lisent à haute voix avec, la meilleure intonation possible.

Si nous avons une fiche du fichier scolaire se rapportant à ce centre, d'intérêt, nous en donnons un exemplaire à chaque élève. Cette page, la plupart du temps écrite par un grand écrivain, vient donc se juxtaposer à la feuille imprimée en classe. Nous la lisons de même, mentalement d'abord, puis à haute voix après avoir donné les explications qui s'imposent.

Si nous n'avons pas de fiche semblable à distribuer, nous avons du moins dans le fichier ou dans la bibliothèque de travail, des documents graphiques se rapportant à notre sujet. Des enfants les lisent à leurs camarades à tour de rôle.

Et on voit la portée profonde de la lecture de tels documents : ce n'est plus la pensée adulte qui vient s'imposer anarchiquement à l'esprit des enfants; c'est la science et l'expérience adultes qui sont appelées par la curiosité naturelle, de nos élèves pour nous apporter les connaissances que nous désirons, pour enrichir nos personnalités, pour aider à notre épanouissement harmonieux dans le sens des intérêts dominants révélés par notre activité précédente.

On comprend alors qu'une telle lecture, si puissamment motivée, ne soit plus un exercice scolastique passif et mort, mais une action vivante à laquelle on se donne au maximum et qui est bien plus profitable à tous points de vue que les rituelles leçons de lecture.

Ce n'est pas tout : nous prenons ensuite le livre de vie de nos correspondants de Praz-sur-Arly. Le facteur nous a apporté le matin un stock d'imprimés de cette école : nous en donnons un exemplaire à chaque élève qui le lit mentalement avec avidité, en manifestant bruyamment parfois les sentiments complexes que lui apporte la feuille imprimée. Minute émouvante, où l'intérêt est à son comble, tant nos élèves vivent intimement avec leurs camarades. Et le plus petit détail familier est celui parfois qui les réjouit le plus. Quelques élèves lisent à haute voix, on discute, on extériorise les projets, en cherche encore, quelques documents....

L'heure de la récréation arrive à la surprise des enfants qui ont passé, de la façon la plus vivante, ces heures si mornes dans la plupart des classes.

Cette demi-heure de lecture peut d'ailleurs être parfois distraite de sa destination pour être consacrée à d'autres besognes moins classiques mais plus vivantes encore.

Deux fois par mois environ, nos correspondants nous envoient des lettres personnelles auxquelles il nous faut répondre. Chacun de nos élèves a choisi dans la classe correspondante un élève, dont il reçoit les lettres à qui il répond. Si un garçon peut correspondre avec une fillette, comme cela arrivait dans nos échanges avec Praz-sur-Arly, c'est plus passionnant encore.

Non pas que ces lettres ajoutent quelques documents nouveaux à ceux qui nous arrivent par les imprimés, mais la lettre est une lettre, un écrit intime qui vous est spécialement destiné, auquel on répond aussi intimement, en employant quelques mots d'amitié transportent et éduquent.

On joint à la lettre des images, des photos, des nouvelles de toute la famille. Périodiquement, une fois par mois en moyenne, on échange des colis expédiés par gare, solidement emballés et ficelés, portés au train avec une émouvante amitié. Ces colis : nous expédions des kakis, des figues, du raisin, des bouteilles de bon vin, des branches d'olivier, tout ce qui peut faire plaisir à nos correspondants. Ceux-ci, dans la neige de leur haute montagne des Alpes, n'ont aucun fruit à nous offrir, mais ils fabriquent à notre intention des luges, des skis, des bobsleighs, que nous recevons avec une joie indicible. Et si un jour nous trouvons dans le colis un pain de montagne ou quelques noisettes rien au monde ne nous semble aussi délicieux... Pour leurs correspondants, nos élèves se dépossèdent généreusement de leur couteau, de leur sifflet ou de jouets divers tout aussi précieux.

Les envois de cartes postales, de photos de famille complètent cet échange. A tel point que, en fin d'année, ce sont de vraies amitiés qui se sont liées, resserrées parfois par des visites personnelles. Il faut croire en tous cas que l'influence psychique de ces échanges est bien profonde puisqu'à des années de distance, nos élèves se souviennent encore du nom, de l'âge, des habitudes de leurs correspondants.

L'échange dont nous venons de parler ne se limite d'ailleurs pas, à notre école correspondante de Praz-sur-Arly. Nous correspondons, nous l'avons dit, avec une vingtaine d'autres écoles, des diverses régions de France. Les journaux mensuels que nous en recevons nous apportent des questions, des demandes de documents. L'élève qui a la charge de cette école doit y répondre avec l'aide si nécessaire de ses camarades. Il en reçoit peut-être un jour un gros colis de pommes qu'il partage avec toute la classe, et je vous prie de juger de l'inoubliable aventure de l'arrivée, un jour, par la poste, d'un beau paquet de crêpes bretonnes, fines et dentelées, sucrés, beurrées, délicieuses. Castelli, l'heureux destinataire, porta une crêpe entière pour faire goûter à ses parents et à ses soeurs.

Je me surprends ici à dire nous fréquemment en parlant de cette activité. C'est que, à vrai dire, l'instituteur prend à cet échange sa part de curiosité et de joie. Et je vous assure que, en mangeant les bonnes pommes de Domfessel, 19 châtaignes de Pontarion, en buvant le vin de Suris, en savourant les crêpes de Trégunc ou de Lannéanou, je me sentais une âme d'enfant, je participais entièrement à la joie commune, je prenais un bain profond de nouvelle pédagogie : l'école enfin avait pour moi aussi un sens nouveau et un attrait dont l'influence vitale ne saurait être sous-estimée.

Il y a tous les mois aussi, les journaux à agrafer et à expédier. Encore quelques minutes perdues, mais récupérées au centuple par cette activité extraordinairement dynamique dont on ne soupçonne pas l'intensité si on n'en a pas été témoin, par cette concentration de vie et de joie autour de préoccupations essentielles Qui sont la meilleure des éducations.

Nos lecteurs comprennent maintenant l'importance et la portée de ces échanges interscolaires. Nous croyons utile cependant de rappeler encore une fois la part essentielle et prépondérante qui revient à l'imprimerie.

On pourrait être tenté de croire, en effet, que lettres et colis peuvent tout aussi bien être échangés entre écoles ne possédant pas l'imprimerie. N’y a-t-il pas même des organisations nationales ou internationales qui préconisent les échanges sur ces bases ?

Nous pouvons, pour les avoir pratiqués avant notre expérience, en délimiter la portée.

Certes, toute, réception de lettres, de documents et, plus encore, de colis, soulèvera toujours dans une classe quelque enthousiasme, ne serait-ce, que par la perspective d'un heureux remue-ménage qui délivre un instant de la morne atmosphère scolaire:. Nous ne disons pas d'ailleurs que ce soient des pratiques inutiles : tout ce qui rompt la monotonie scolaire, tout ce qui mêle l'école à la vie est, pour nous, souhaitable. Mais nous tenons à préciser que, seule, notre technique donne, à ces pratiques un sens et un but éducatifs.

L'échange par lettre ne permet jamais, en effet, à un élève, à une classe de connaître intimement la vie de ses correspondants. La lettre, surtout avec des enfants, est trop incomplète, trop capricieuse, trop subjective l'envoi et la réception en sont trop espacés. Elle ne permet pas de suivre des correspondants.

L'imprimé, au contraire, le journal scolaire, nous apportent régulièrement, comme automatiquement la vie au jour le jour des autres écoles. Il ne dépend même plus du maître ni des élèves d'arrêter ce courant de vie. On est pris dans une organisation nouvelle du travail scolaire dont les échanges sont un des éléments essentiels qu'on ne saurait négliger sans bouleverser l'activité de toute la classe.

L'envoi de lettres, de colis, cesse alors d'être une « distraction », c'est un élément de notre nouvelle vie, participant puissamment de cette concentration d'énergie que notre technique a mobilisée autour des intérêts dominants des enfants.

C'est cette incorporation des échanges à notre vie scolaire qui a valu à cette pratique la permanence et l'intérêt pédagogique qui caractérisent nos correspondances. Depuis plusieurs lustres, des écoles travaillent ainsi avec l'imprimerie et les échanges. Loin d'en être fatigués, les éducateurs eux-mêmes affirment qu'ils ne sauraient plus aujourd'hui s'en passer, preuve certaine qu'il ne s'agit pas d'une pratique, mineure, d'un passe-temps comme tant d'autres, mais d'un élément essentiel et harmonisateur de notre nouvelle vie (Aux camarades qui, pour des raisons matérielles, ne peuvent pas, pour l'instant, introduire l'imprimerie dans leur classe, nous recommandons d'acheter une Géline, ou, mieux, un limographe C.E.L. et d'éditer un journal scolaire polycopié qui leur permettra de participer à nos échanges.).

Cette activité nous a menés à la récréation. A 15 heures, nous reprenons le travail.

La dernière heure de la classe était la plupart du temps sacrifiée par moi à l'ancienne pédagogie.

De 15 heures à 15 h. 30, sciences trois fois par semaine, géographie deux fois par semaine. Il y a un programme à voir, noue le voyons. Il y a des notions à acquérir, nous les acquérons tant bien que mal, en mémorisant même, s'il le faut, quelques résumés.

De 15 h. 30 à 16 h. 30, histoire trois fois par semaine, cinéma deux fois par semaine. Pour l'histoire aussi, plus que pour les sciences encore, c'est l'heure triste où le programme reprend ses droits. Nous allons dire comment nous tendons à, vivifier également, cet enseignement indépendamment de la besogne superficielle d'acquisition que nous sommes contraints de faire durant ces quelques heures. Pour ne rien changer cependant à l'atmosphère libérale de la classe, nous ne donnons pas de lecons à apprendre par coeur. L'élève se contente de lire couramment le résumé à mémoriser. Ainsi disparaît cette, hypocrisie d'un instituteur qui, livre ouvert devant lui, contrôle et punit l'élève qui ne peut répéter un texte livre fermé. Quant à savoir si le profit scolastique d'uns telle pratique nous paraît suffisant, nous nous contenterons ici de garder notre scepticisme : sauf quelques rares exceptions, tous les élèves de nos classes profèrent les mêmes énormités quand on les interroge en histoire aux examens; et l'immense majorité d'entre eux ont tout oublié - et tant mieux pour eux - à leur arrivée au régiment.

Nous nous contenterons donc de nous prémunir seulement contre les échecs aux examens, en sachant d'avance l'inutilité et la nocivité de ces pratiques.

Car nos leçons de sciences, de géographie ou d'histoire se pratiquent différemment.

Pour les sciences notamment nous pensons que le verbiage devait totalement céder le pas à l'expérimentation. Toute mémorisation est là bien inutile, tout résumé manque son but profond s'il n'est pas la concrétisation d'une notion vraiment acquise par l'observation et l'expérimentation.

Pour la chimie et la physique notamment, les leçons devraient être exclusivement expérimentation personnelle.

Nous disons expérimentation personnelle pour bien rappeler que ces manipulations faites par le maître lui-même, avec des appareils compliqués, à un rythme toujours accéléré ne diffèrent que fort peu de la pratique qui consiste à lire dans un manuel ou à voir au cinéma les expériences prévues, avec leurs conclusions, scientifiques - verbiage dangereusement dissociateur de la pensée saine, qui substitue l'accessoire à l'essentiel et donne aux spectateurs une notion profondément erronée de l'effort scientifique et de l'harmonie naturelle souveraine.

Il n'y aura enseignement normal des sciences à l'école primaire que lorsque l'enfant naturellement curieux, en qui nous aurons, par nos techniques, ménagé l'élan de vie et la soif de connaître, pourra, à l'aide d'appareils simples, à sa mesure, chercher et expérimenter lui-même, tâtonner, se tromper, recommencer, en tenant comptes certes des conseils de ses maîtres et des renseignements des livres, mais en reconstruisant totalement et personnellement la science. Les acquisitions seront alors moins foudroyantes, mais on bâtira sur l'inébranlable : on ne donnera pas de faux espoirs nés d'une science minimisée qui n'est que la caricature de la connaissance. Il en sera ici comme pour les fondements certains - et simples - de la science : qui sentira les lois naturelles qu'il faut plier à nos exigences, sera capable alors de s'élever, sans aucun risque d'échec, jusqu'aux notions suprêmes.

Mais il nous faut du calme, de la confiance et la joie de l'effort et la satisfaction de la connaissance acquise.

Il y faut aussi du matériel.

Le matériel scientifique actuel est conçu et réalisé pour être manoeuvré par le maître. Nous avons lancé l'idée d'un matériel d'expérimentation pour le travail libre des enfants, matériel dont nous étudions la composition et la fabrication en attendant de passer à la réalisation dès que possible.

Un système de fiches directrices permettrait aux enfants d'utiliser ce matériel de façon logique et rationnelle et les aiderait à tirer de leurs travaux les conclusions qui s'imposent. Nous avons déjà publié dans « l'Educateur » quelques-unes de ces fiches et nous avons commencé la livraison, sur fiches d'un travail d'une portée exceptionnelle de Faure et Guillard pour la Technique Moderne d'Enseignement scientifique.

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La géographie, par contre, a été totalement renouvelée par notre technique.

Car il y a là aussi cette géographie formelle qui consiste à mémoriser des noms et des formules pour répondre aux questions d'examen, mais qui néglige tout le côté vivant et humain d'une science que l'école seule s'obstine à rabaisser ainsi au niveau d'une discipline.

La géographie, c'est la connaissance totale de notre village, de notre contrée, de notre province, de la France, du monde - connaissance qui a nécessairement un but humain : la meilleure utilisation sociale de l'intercompréhension et de la coopération des individus.

Les éléments que l'ancienne école imposait aux enfants : les noms de villes, de fleuves, de caps, de golfs, de pics et de cols sont justement ceux qu'un oeil exercé trouve facilement sur une des nombreuses cartes qui inondent aujourd'hui le commerce. L'automobiliste qui parcourt une contrée nouvelle ne connaît aucun nom, et pourtant, grâce à sa carte - pourvu qu'il sache la lire - il saura trouver le nom des cours d'eau traversés, des villes rencontrées, des pics neigeux qui se profilent à l'horizon.

La partie humaine de la géographie est une acquisition autrement délicate et difficile, et ce ne sont pas les cartes qui nous en apporteront l'initiation. C'est donc avec raison que, par notre technique, nous mettons l'accent sur ce côté spécial de l'enseignement géographique.

L'école traditionnelle s'appliquait à reporter sur des Espaces inconcevables pour l'enfant sa soif de connaissance et elle négligeait la nature environnante, le village et la région. Par l'imprimerie c'est cette étude au contraire, qui est le centre permanent de notre activité éducative.

Nos correspondants veulent connaître le coin où nous vivons. Dès le début de, l'année, nous en dressons le plan que nous leur adressons ; nous étudions pour eux la superficie de notre village, la nature de son sol, ses cours d’eau, ses cultures le mode de vie des habitants. Tout au cours de l'année, d'ailleurs, indirectement par nos imprimés, s'exprimera la vie des ouvriers et des paysans, cette vie chevillée au sol et aux possibilités naturelles.

Par les échanges, nous élargissons naturellement notre horizon. Nous étudions, par la vie et l'intérêt spontané, la géographie véritable d'autres villages de France ; nous confrontons les climats, les cultures, les modes de vie. L'échange de photographies, de cartes postales, d'arbres et de produits caractéristiques, complète cette connaissance, à tel point que, après un an de correspondance, nos élèves connaissent comme leur village les villages de leurs petits amis.

Ces points d'appui absolument sûrs, jetés un peu partout sur le territoire de la France, et même du monde, sont les assises solides d'un enseignement géographique plus général pour lequel nous utiliserons avec profit les documents divers de notre Fichier Scolaire Coopératif, le cinéma et, si possible, la caméra.

Nous envoyons des colis, des lettres ; nos journaux scolaires partent régulièrement dans les diverses directions. Les enfants aiment suivre en pensée leurs envois où ils ont mis tant d'eux-mêmes. Il nous sera facile d'utiliser cet intérêt comme base d'étude des régions traversées. Et ainsi, soit directement, soit par élargissement sympathique de nos centres d'intérêt, nous arrivons à motiver totalement notre enseignement de la géographie qui sera alors extraordinairement vivant et profitable.

L'idéal, n'est-ce pas que, grâce à nos techniques, nos élèves ne commettent plus ces erreurs grossières qui caractérisent les victimes de l'enseignement livresque, qu'ils jugent sainement et sachent profiter de leurs connaissances pour une meilleure conduite de leur vie; qu'ils aient appris aussi à se servir des livres et des cartes pour découvrir ce que nous ne nous sommes pas obstinés à leur imposer,

Si nous affirmons que, par notre technique, nous parvenons à cet idéal, on comprendra toute la portée pédagogique de ces innovations.

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Nous serions de même en mesure de donner un enseignement historique et humain aussi solidement fondé pédagogiquement s'il ne nous était imposé une histoire de mots et de dates, de guerres, de traités, dans un passé que l'enfant ne parvient jamais à se représenter avec quelque certitude.

Par contre, quels précieux fondements de cette étude familière du passé, nous permet l'imprimerie à l'Ecole !

Car l'enfant se passionne tout spécialement aux récits de la vie d'autrefois ; il aime entendre ses parents ou grands-parents raconter leurs travaux, leurs peines et, leurs joies. Des documents divers, familiaux ou communaux viendront d'ailleurs préciser cette connaissance que fixeront de nombreux imprimés. Par le même processus qui nous a valu une connaissance naturelle et intime de la géographie des divers pays, nous acquerrorns des notions historiques précieuses qui, de proche en proche, nous permettront de nous hisser jusqu'aux grandes et amples considérations humaines.

Les documents nombreux de notre fichier nous aideront aussi à élargir le cercle de nos connaissances, à approfondir nos recherches et à tirer des faits le maximum d'enseignements. Et cela, sans aucun dogmatisme, par la vie nouvelle rendue possible par notre technique, (Voir notamment nos belles collections : Histoire du Livre, Histoire du Pain, Histoire des moyens de locomotion à traction animale, etc...).

Tous nos camarades poursuivent naturellement cette besogne, qui ne les dispense pas, hélas ! du bourrage systématique exigé par les programmes et les examens.

Comme nous ne saurions nous contenter d'idéal inaccessible, nous avons essayé d'obvier (??) dans la mesure du possible à ce dilemme tragique qui, ici, limitait nos innovations. Nous avons publié, dans notre fichier scolaire, une Chronologie mobile d'histoire de France d'une conception parfaitement originale.

Nous avons inscrit 25 années par fiches et nous avons indiqué, en face des dates essentielles - sans oublier celles imposées par les programmes - les événements correspondants. Nous avons réduit au minimum le nombre de ces dates afin de laisser aux éducateurs à aux élèves la plus grande latitude possible dans le choix de ces documents. Nous nous sommes contentés de créer le cadre sur lequel nos élèves fixeront les documents à acquérir.

Alors, l'histoire même officielle peut être vivifiée. Des dates importantes au point de vue humain peuvent être placées sur le même     plan que les dates de guerres ou d'avènements ; les faits locaux eux-mêmes auront leur place à côté des grands événements historiques qu'ils ont trop longtemps éclipsés.

Et surtout la disposition sur fiches permet d'intercaler des fiches documentaires se rapportant à l'histoire de la civilisation : vie des ouvriers et des paysans, techniques, industries, luttes ouvrières, ces documents, puisés dans les livres par les élèves ou reçus de correspondants sont copiés et imprimés sur fiches et incorporés à la chronologie d'histoire.

En fin d'année nos élèves possédent ainsi un véritable manuel qui est tout à la fois le plus précieux des aides pour le certificat d'études et le résumé vivant des recherches de l'année. En le feuilletant les siècles, les ans réapparaissent avec leur physionomie spéciale consignée dans les documents que nous y avons joints. Nos élèves acquièrent ainsi la notion de recul historique en même temps qu'ils corrigent dans une certaine mesure ce qu'avait d'incomplet et de partial l'enseignement officiel de l'histoire.

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Il nous restait à indiquer l'emploi original que nous faisons des instruments nouveaux que la science a mis à la disposition de l'école : cinéma, caméra, radio, disques, etc...

Tous ces outils, s'ils sont seulement juxtaposés à la vie de l'école, restent des jouets, susceptibles de distraire l'enfant, de l'instruire parfois. Mais ils n'ajoutent pas à la formation individuelle ; ils ne contribuent point à cette harmonie créatrice que nous avons posée, comme un des buts à notre éducation.

Notre technique nous a révélé les besoins profonds de nos élèves : notre principal souci a été d'utiliser tout le matériel scolaire à la satisfaction de ces besoins. Et ces outils nouveaux n'échappent pas à la règle.

Nous avons fait un vaste effort pour mettre ainsi le cinéma au service de l'enfant. Nous avons été les premiers en France il y a près de dix ans, à recommander hardiment l'emploi dans les écoles, du Pathé-Baby, considéré alors comme un jouet peu digne de l'austérité scolastique. Mais nous avons recommandé le Pathé-Baby parce que lui seul nous permettait pratiquement de constituer dans nos écoles prolétariennes des petites cinémathèques où nous puiserions selon nos besoins - cinémathèques élargies et renforcées par notre Cinémathèque Coopérative, la première en France, et qui a rendu de si grands services à des milliers d'écoles.

Nous avons fait mieux : Grâce à la caméra Pathé-Baby, achetée par l'école ou par un groupe d'Ecoles, nous avons filmé la vie même des enfants. Et les échanges de films ainsi obtenus ont donné la mesure de ce qu'on pourrait, attendre d'un emploi rationnel et pédagogique du cinéma scolaire. Car nous touchons là, comme avec nos livres d'enfants, à un intérêt puissant insoupçonné jusqu'à ce jour : ces films, qui sont la vie véritable de camarades qu'on connaît d'autre part, par nos échanges réguliers, ont toujours le maximum de succès. Même techniquement imparfaits, ils remuent l'être profondément, ils aident notre effort éducatif, ils ajoutent à nos possibilités constructives.

Nous avons réalisé dans le même sens en préconisant, les premiers en France, l'usage pédagogique du phonographe : constitution d'une discothèque circulante. L'idéal serait, comme pour le cinéma, que le disque apporte à notre technique une sorte de couronnement artistique, d'une portée considérable qu'à notre désir éducatif révélé et maintenu tout au long du jour, réponde un beau disque qui s'adapte au souci enfantin, élargisse jusqu'à l'infini ses préoccupations, l'élève et l'idéalise.

Si nous n'avons pu réaliser totalement nos désirs, ce n'est pas tant notre technique qui en est cause que la misère croissante de nos écoles (qui ne nous permet pas, d'acquérir le matériel indispensable) d'une part, que la pauvreté pédagogique des productions cinématographiques et phonographiques actuelles. Grâce à l'éveil que nous avons donné, un pas important a été fait. Nous tâcherons de toujours stimuler l'effort commercial en faveur de nos techniques (Pour l'édition des disques C.E.L., écrire à l'Ecole Moderne, pl. H.-Bergia, Cannes.).

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Il y aurait beaucoup à dire sur l'emploi de l'imprimerie dans les Cours complémentaires et les Ecoles Primaires supérieures, dans les Cours d'adultes, pour les diverses besognes extra et périscolaires qui s'accumulent autour de l'école ; sur l'utilisation dans les écoles d'anormaux, avec les sourds-muets, etc... Ce sera le sujet de brochures à paraître dans cette collection.

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