Fête de la parole à Nantes : prendre la parole en public...

Janvier 2002

« Fête de la Parole » à NANTES

«  Prendre la parole en public »…
 
A l’initiative du théâtre du Fol Ordinaire, des associations de nature artistique ou citoyenne, deux écoles primaires et des individus se sont réunis autour du thème de la parole afin d’organiser un ensemble de manifestations qui soient un encouragement à prendre la parole en public.
 
 
Pour l’équipe pédagogique de l’école ouvert Ange Guépin*, il s’agissait de mettre les enfants en situation de parole publique construite : proclamer ses idées sur le monde, la vie, l’école... Nous projetions la mise en voix finale sous plusieurs formes : paroles-slogans à proclamer comme des interpellations et discours plus construits, à partir de structures (répétitions, formes rhétoriques…). Le budget : intervention de comédiens, matériel, fournitures diverses…, a été construit grâce à des financements d’actions pédagogiques (Projet d’école, Inspection Académique) ou éducatives (Mairie). L’intervention du Centre de Ressources Ville pour les ateliers d’écriture se faisant dans le cadre de ses missions de service public auprès des écoles.
 
Au cours de la préparation de ce travail, il est apparu que notre participation risquait de réduire « la Parole à l’école » à un spectacle de la Parole, par une mise en valeur de techniques d’expression ou de mise en voix. La question s’est alors posé d’observer et de définir précisément la place de la Parole dans nos classes et nous avons saisi l’opportunité, en parallèle à la « Fête de la Parole », de tourner un film vidéo sur le thème « La Parole à l’école ». Sur la base de ce projet, l’Inspection Académique et l’IUFM ont mis à notre disposition les moyens matériels du tournage ainsi qu’un nombre d’heures de professeur qualifié.
 
Déroulement du projet spectacle «Fête de la Parole»
 
Accumulation de paroles brutes (octobre 2000 à janvier 2001) - La collecte des Paroles s’est faite auprès de tous les enfants de l’école, du CP au CM2. On a réuni des textes, des cassettes audio, les Livres de Vie des 5 classes, les cahiers de conseil, des comptes rendus, des bilans et des «échappées de paroles» notées au jour le jour par les enseignants. Cette première partie du travail nous a permis de repérer précisément tous les temps de parole dans nos classes : aussi bien les temps de parole institués, souvent collectifs, que les autres moments de classe où la parole n’est pas le centre de l’activité mais permet l’échange, la coopération.
 
Mise en forme (février 2001) - Une fois l’ensemble des paroles collectées, une sélection et une remise en forme générale a été faite avec une animatrice lecture-écriture au Centre de Ressources Ville. Reprendre les paroles des enfants avec eux en permet l’analyse, fait émerger les thèmes de débat, les sujets d’écriture. L’écriture ainsi différée s’enrichit de la parole d’autrui associée à la parole originale. Après lectures attentives est ressorti le thème de la couleur, point de départ des ateliers d’écriture qui a permis de symboliser chaque type de parole et de donner une cohérence à l’ensemble.
 
Les paroles blanches (plutôt neutres, le quotidien de la vie de l’école...), paroles noires (l’angoisse, la guerre, la mort, le racisme...), paroles bleues (la confiance, l’espoir, le ciel, la mer...), paroles rouges (la colère, la peur, le feu, la révolte...). En donnant une dynamique à l’enchaînement des paroles, cette étape a eu une importance toute particulière. Elle a permis le passage entre l’écrit et la mise en voix collective, et pour les enfants, elle a permis d’anticiper ce passage vers la représentation de leurs paroles. Vingt-neuf enfants volontaires (du CP au CM2) ont participé aux ateliers d’écriture. 
 
Mise en voix (mars-avril 2001) - Nous disposions alors d’un livret d’une dizaine de pages et il restait la dernière étape importante : la mise en voix. Les comédiens du théâtre du Fol Ordinaire sont intervenus 4 fois à l’école, pour mettre en place les techniques d’articulation, de rythme, de prise de voix et pour adapter le texte à l’oral du discours en y ont apportant quelques aménagements.
Le travail a porté sur la voix plutôt que sur la mise en scène : les enfants ne bougeant quasiment pas, liraient ou diraient leurs paroles de leur place. Unique organisation de l’espace : une répartition sur des chaises sur toute la scène avec une enfant, maître de cérémonie, chargée d’interpeller chaque Parleur par son prénom - créant une dynamique, un flux de parole et un dialogue collectif par les réponses à l’interpellation.
 
Affichages et prises de parole (mai 2001) - Le groupe des Parleurs s’est produit deux fois dans le cadre de la « Fête de la Parole » : une fois en matinée pour un public d’enfants et une fois en soirée devant le public varié de la «Fête de la Parole». Inspirés directement du travail du graphiste Gérard Paris-Clavel et du collectif « Ne pas plier », des affiches et autocollants ont été distribués tout au long de la fête : textes marquants et paroles d’enfants transformés en slogans, banderoles et pancartes. Le projet s’est approché - sans l’atteindre réellement - de la manifestation de rue, permettant ainsi un lien avec l’histoire et la réflexion sur les prises de paroles collectives - que l’on prend et que l’on donne. Trente-six enfants ont pris la parole en public. Ce travail a été repris et adapté par d’autres enfants pour la fête de l’école en juin.
 
 
 
La Parole à l’école
 
Au-delà du spectacle, notre ambition est de montrer grâce à un film vidéo quelle pourrait être la place de la Parole en pédagogie Freinet, quelles sont les différentes formes de parole utilisées et «à quoi ça sert de parler en classe ?», comme nous demandait un journaliste.
 
Quand et comment
 
Les différents champs de parole
 
-une parole quotidienne intime et spontanée : au «Quoi de neuf?»
 
-une parole d’organisation, de planification, de gestion, d’évaluation : aux plannings, bilans, présentations de travaux préparées, conseils
 
-une parole d’organisation collective de la classe ou de l’école, parole de pouvoir : aux conseils (de la classe et de l’école)
 
-une parole d’expression, de création (parole vraie, imaginée, rêvée, jouée...) : théâtre, sketches, musique contemporaine et chant, poésie
 
-une parole d’argumentation, pour convaincre, interactions : en apprentissage personnel, recherches, conseil , débats
 
Les différents temps de parole
 
Le travail coopératif implique que le temps de parole, c’est tout le temps... dans le respect des règles de vie collectives et selon les lieux où travaillent les enfants. Apprendre à différencier les formes de parole, les types de langage que l’on emploie, le ton ou le niveau sonore implique de savoir différencier les lieux et les moments où l’on parle. Rien de tout cela n’est implicite et des explications, des affichages sont nécessaires pour identifier les lieux, leurs fonctions et éviter l’errance de la parole. Le non-respect des règles aboutit à une suspension de droit (droit de participer au conseil si on ne respecte pas les règles de fonctionnement du conseil, droit de circuler librement dans la classe ou l’école).
 
C’est l’interaction permanente entre ces champs de parole qui permet à chacun d’être le plus singulièrement lui-même pour exprimer aux autres sa vérité et d’être capable en retour d’entendre les réponses qui l’aideront à se construire. Pour qu’une parole authentique puisse s’énoncer, pour que chacun trouve SA parole propre, celle qui lui permettra d’être écouté et compris, il faut que l’école soit le lieu de toutes ces formes de parole.
 
Ainsi, la confiance dont chacun a besoin pour prendre la parole n’est pas seulement donnée par l’enseignant, ne dépend pas uniquement de la qualité d’écoute du groupe, mais est provoquée par l’enthousiasme même d’une prise de parole particulière.
 
Encore faut-il que l’enfant s’y prépare «dans sa tête», puisse anticiper sa prise de parole, d’où l’importance d’afficher sur l’emploi du temps ces différents moments de parole, l’importance de s’inscrire au cours de la semaine si on veut prendre la parole au conseil ou en présentation de travaux (qui implique des prises de parole précises, argumentées, longues).
 
Les modalités
 
Les règles fondamentales sont «je demande la parole» ; «j’écoute celui qui parle». Chacun a droit à la parole, l’enseignant respecte les règles communes, c’est l’animateur qui donne la parole. L’animateur apprend aussi à refuser les prises de parole intempestives, à vérifier la durée d’un conseil et à interrompre un débat stérile pour demander des propositions, il peut interpeller un enfant qui ne prend pas part au débat alors qu’il est directement concerné. L’animateur apprend non seulement à gérer les prises de parole dans le groupe mais aussi à construire le débat pour aboutir à des conclusions précises. L’enseignant guide l’animateur dans ce rôle difficile et utilise le travail de l’animateur pour faire la synthèse écrite des débats. L’enseignant favorise la prise de parole des enfants par son silence efficace, son écoute active ou sa parole régulatrice ou incitatrice qui met en confiance l’individu au sein du groupe. La réussite de l’animateur est évaluée par le groupe à la fin de chaque conseil ou au bilan.
 
Pourquoi parler en classe ?
 
Parce que communiquer, échanger des points de vue, en appeler à des arguments moraux ou philosophiques, c’est apprendre l’Humanité.
 
«L’exercice de la citoyenneté nécessite un apprentissage» Jean Le Gal
 
Et l’exercice de la parole citoyenne fait comprendre qu’il n’y pas une vérité immuable mais des points de vue différents, parfois antagonistes qui font que les décisions ne se prennent pas arbitrairement ou par des votes rapides mais se construisent sur des argumentations et des propositions variées. Par-là même, on est amené à distinguer la parole manipulatoire, à repérer la parole séductrice ou inconséquente.
 
C’est aussi en apprenant à recourir à la parole que les enfants apprennent à ne pas recourir à la violence. Là encore, on voit que moins l’enfant maîtrise le langage, moins il peut faire appel à sa raison, moins il peut se contrôler et plus il est susceptible de violence. C’est en apprenant à différer sa violence pour vider sa querelle par le langage dans un cadre institué et sécurisant, qu’il apprendra à distinguer le Bien du Mal, le Juste de l’Injuste et qu’il sera considéré alors positivement dans le groupe.
 
Pour apprendre à parler, à écouter, à être écouté et compris.
 
«Individualiser consiste à adapter un processus éducatif à la personnalité, aux caractéristiques individuelles de chaque apprenant... mais contrairement à un certain nombre de présupposés, l’élément fondamental de cette approche ne peut justement s’exercer qu’à travers l’interaction avec les autres». F.Le Ménahèze
 
Cette interaction, indispensable à notre démarche, rend obligatoire l’échange verbal précis et exigeant. Et non seulement le sens, l’explication juste et précise déterminent le langage de celui qui explique, mais le langage lui-même, à son tour génère du sens pour celui qui parle. C’est pourquoi nous sommes souvent amenés à constater que, lors des échanges entre élèves, celui qui apprend à d’autres réapprend aussi pour lui-même. On peut dire que le langage s’exerce dans la raison et que la raison s’exerce dans le langage et avec lui.
 
Pour s’autoriser pudiquement à donner une part d’intimité.
 
L’enfant qui arrive à l’école le matin doit y prendre sa place d’élève, il doit savoir que c’est ce qu’on attend de lui. C’est plus ou moins simple, n’est-ce pas ? ... et certains ne peuvent tenir cette place qu’en se positionnant d’abord comme extérieur à la classe et en parlant, en racontant une partie de leur vie en dehors de l’école Être attentif à cette parole, la valoriser par l’écrit du «Livre de vie», réinvestir ces apports personnels dans les activités de la classe, c’est aider l’enfant et le groupe d’élèves à se construire. C’est reconnaître l’enfant et l’élève.
 
Pour s’émouvoir et partager l’émotion avec les mots des autres ou se donner un rôle
 
Donner son opinion, expliquer, convaincre, parler de soi, c’est toujours prendre la parole en son nom. Le théâtre, la lecture à voix haute, la récitation, l’improvisation, le spectacle sous des formes diverses peut permettre de prendre la parole en public sur un autre registre. Paradoxalement, cette forme de prise de parole peut être plus rassurante pour les timides et leur fournir un tremplin pour d’autres formes de parole.
 
Comme l’écrit Paul le Bohec : «pour que le parlant soit à l’aise, il faut qu’il ait pu se promener à son gré dans toutes les dimensions de la parole». C’est pourquoi dans nos classes, loin de nous focaliser sur la parole signifiante, nous devons prendre en compte toutes les formes de parole et les accueillir dans toute leur complexité.
 
Catherine Ouvrard
Ecole Ange Guépin, Nantes
Groupe départemental 44
 
 
*L’école ouverte Ange Guépin de Nantes est une école primaire à cinq classes. L’école n’est pas soumise à la carte scolaire, elle est classée «école à favoriser» compte-tenu du nombre croissant d’enfants en difficulté qu’elle accueille. Presque la moitié de l’effectif est constitué d’enfants de la ZEP qui jouxte l’école. Les enseignants fonctionnent en équipe pédagogique et en direction collégiale et adhèrent tous à la pédagogie Freinet. Le film vidéo «la parole à l’école» a été présenté en avant première au Salon des Apprentissages organisé par l’IDEM44 les 28 et 29 novembre 2001.
 
 
 
 
 





Des paroles

« universelles et intimes »

 

Les paroles d’enfants ont pris des formes différentes : des textes argumentés d’une certaine longueur (une ou deux pages), des dialogues ou des saynètes et des slogans isolés par leur force ou leur double valeur « universelle et intime » signalée par Gérard Paris-Clavel : « Il ne suffit pas de reproduire la parole des gens, de la restituer comme ça. Avant, il faut la retravailler pour en tirer des éléments de sens. » Plusieurs slogans ont fini en autocollants : « Je fais tout pour », « Si je dis tout, j’y suis encore demain ! », L’amour, c’est beau comme un rouge à lèvres », « - Moi, je dis que l’argent, il nous pourrit la vie. », « Je suis en colère ». Il restera à réfléchir aux effets complexes de cette pratique de l’association « Ne pas plier » (autocollants, cartes postales, affiches…) : la présence de telles paroles sur un revers de veste, sur une porte, sur une bibliothèque.

 

Selon les lieux, selon les personnes, selon l’ensemble du contexte, ces paroles « universelles et intimes» prennent de nouveaux sens et produisent des effets sur l’environnement difficiles à cerner et à qualifier. Les thèmes abordés reflètent les préoccupations des enfants : la pollution, la maltraitance (« A quoi ça sert de faire des enfants si c'est pour leur faire ça ? «), la colère et la dispute, la mort, la misère, la faim dans le monde, la solitude, l’amour, la confiance, le quotidien, les espoirs pour l’avenir, le racisme et la peine de mort aux USA : « - C'est Bush le nouveau président des Etats-Unis. - Bush ? Le raciste ? - Non, c'est celui qui est pour la peine de mort ! - C'est le même ! - Et bien moi, j'aimerais pas être américain... Raciste et pour la peine de mort... - Faut pas qu'un noir fasse des conneries ! »

 

Certains écrits à tendance véritablement politique sont marqués par une de nos suggestions : interpeller le public, haranguer la foule. « - Je veux vous lire ce texte pour qu'il vous marque. Pour qu'il vous fasse réfléchir, réagir. Je veux que vous compreniez. Dans de nombreux pays, des gens meurent (...) » L’interpellation débouche pour finir sur la mobilisation collective : » (…)Nous en France, nous sommes très riches par rapport à des pays beaucoup plus grands où les gens crèvent de faim, de froid, des guerres. Pourquoi ne les aidons-nous pas ? Moi je dis : unissons-nous. Aidons les pays en guerre, les pays où règnent le froid et la famine. Aidons-nous ! »

 

Face aux sujets de société, la vie quotidienne a une place importante. D’autres paroles, directement issues de notes prises pendant des conseils d’enfants, abordent des questions à la fois collectives et intimes : l’entretien des toilettes de l’école et leur fonction sociale d’isolement - inattendue et rarement évoquée - posant à l’école la question du privé et du public, de l’intime et du collectif : «- Les toilettes, elles sont sales, le papier est gaspillé. - Quelquefois ça tombe, ça gaspille le papier. - Moi, j’y vais jamais, je me retiens ! - Certains y vont quand ils sont fâchés ou tristes.- Ça sert à s’isoler les toilettes, quelquefois. - Ou alors il faudrait un autre coin pour s’isoler.»

 

Les paroles consacrées à l’actualité du monde ne sont pas majoritaires : pour les plus jeunes en particulier, plusieurs poésies ont permis de célébrer l’affection maternelle, la beauté de l’océan et du ciel… Si la thématique des couleurs a fait accumuler toute une palette de sentiments, il s’y glisse des paroles pas toujours « fleur bleue » : « Le rouge c’est l’amour et c’est pour ça qu’on est en vie », « La guerre apporte un ciel gris... », « La vengeance sera rouge et cruelle... », « Le noir c’est la couleur de ma peau et c’est les enfants d’Afrique qui n’ont rien à manger... », « Le bleu c’est le ciel et la mer qui nous regardent dans l’horizon.. »

 

En ouvrant la porte à l’expression, des paroles incontrôlées se sont engouffrées : récits éclatés comme des jeux vidéo : « J’ai vu le diable. Il est fait de colère, de haine, de mort et de sang. Il essaie d’infiltrer dans notre planète... » ou apocalyptiques « Je suis dans l’empire du feu. En ce moment j’ai quelques flammes aux fesses mais il faut faire avec. Dans mon empire il y a la guerre (...)»

 

L’angoisse a aussi pris sa place par l’évocation de ce qu’on a nommé « idées noires » : « La mort, ça fait peur quand on perd des personnes que l’on aime. C’est une tristesse. Quand on est triste, on a l’impression d’être enfermé dans une toute petite boîte noire avec personne pour nous parler, personne pour nous consoler, personne pour nous accompagner (...) » Évoquer le temps qui passe, c’est aussi poser la question du temps : « le temps c’est l’heure qui passe... - Le temps c’est si on ne va pas assez vite, alors on perd tout son temps. - Le temps c’est le réveil qui passe avec le temps en même temps.» Évoquer le temps qui passe, c’est enfin poser la question de demain, « quand je serai grand... » : « - Quand je serai grande, je serai seukeuzeuveu. », « - C’est bien d’être grand pour apprendre tout. », « - Moi, je vais grandir tout petit ! », « - J’voudrais être en CP quand je serai grand ! », « - Moi, quand je serai grand, je serai grand. »

 

Fin 2001, la publication d’un livret d’une quarantaine de pages rassemblera l’intégralité des paroles des deux écoles.

 

Hervé Moëlo

Centre Ressources Ville de Nantes