La philosophie à l'école

Mars 2002

 

La

philosophie

 

à l’école

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Dans les structures de parole, instituées dans les classes Freinet, la réflexion philosophique affleure souvent lorsque les enfants abordent en toute liberté, des thèmes qui les touchent profondément.    

Dans leur classe, des collègues ont choisi de mettre en place des moments de philosophie, bien   distincts des autres moments de parole, convaincus du fait que les enfants ont une capacité à questionner le monde qui lorsqu’elle est accompagnée, leur permet d’acquérir la faculté de penser par eux-mêmes.

Les ateliers philosophiques trouvent toute leur place à l’école, lorsqu’ils sont en cohérence avec les autres pratiques de la classe : respect de la parole de chacun, de la confidentialité des propos tenus, éducation citoyenne reposant sur une pratique quotidienne de la coopération. Le savoir-faire des enfants, acquis par la pratique des Quoi de neuf ? et des conseils permet alors d’articuler une pratique philosophique sur une pratique démocratique.


 

 

Le « moment philosophie »: expérimentation

dans les classes Freinet

 

Novembre 97, quelques membres du Groupe Lyonnais de l’Ecole Moderne se rendent à une invitation d’Agnès Pautard, Jacques Lévine et Dominique Senore. Un projet d’expérimentation de la philo à l’école leur est présenté ainsi qu’un protocole d’expérimentation. Depuis, un secteur philosophie s’est mis en place.

 

Nous avons été intéressés par cette proposition car dans nos classes, la réflexion philosophique affleurait, soit lors des moments de paroles institués, soit lors d’échanges informels. 

Certains d’entre nous se sont engagés dans l’expérimentation proposée, d’autres ont souhaité introduire la philo d’une façon un peu plus souple et échanger sur leur tâtonnement au sein d’un groupe de travail. 

Les objectifs 

Nous souhaitions : 

-démarrer le moment philosophique de façon naturelle (sans contrainte préalable), en tâtonnant, avec des possibilités d’évolutions, d’adaptation aux réactions des enfants, en prenant du temps ; 

-échanger sur nos pratiques en comparant nos procédures : choix du sujet (part de l’enfant, lien entre sujet et vie de la classe, raisons des choix) ; durée, moment, fréquence; intervention de l’adulte ; organisa-tion spatiale ; enregistrement ou pas ? utilisation ; rituels, règles de prise de parole ; articulations avec les autres moments de parole ; production (dessins, textes, traces) à l’issue des discussions ou pas ? etc. 

-vivre entre adultes des moments philo avec l’aide d’un prof de philo intéressé par la démarche ; 

- réfléchir à comment se construire la pensée dans les moments philo et dans les autres mieux de parole (conseil, quoi de neuf...)

Nos pratiques 

Les rituels 

Ils varient selon les groupes mais ils existent.

-du lieu

-des supports (cassettes, affiches, album…)

-de l’origine des questions

-de la distribution de la parole

-du déroulement

Le temps de réécoute

Il permet à la discussion de progresser ; la plupart d’entre nous enregistre la discussion. L’adulte peut aussi redire à la fin le cheminement de la discussion.

Chantal, au cycle 3 utilise une grille d’analyse Les enfants la remplissent en écoutant deux fois l’enregistrement initial. Ce travail d’analyse conduit à savoir dégager des idées. Il est complété : «  Maintenant qu’est-ce que vous en diriez ? ».

La conclusion est une synthèse. Sa formulation donne de la force au débat.

Remarques : les notes des enfants sont cohérentes, les enfants ne posent pas beaucoup de questions, les sujets proposés sont de plus en plus dans le domaine de la philosophie. 

L’organisation du temps

de philosophie à l’école 

Nous avons pour la plupart d’entre nous un moment programmé à l’emploi du temps pour l’atelier de philosophie. Il s’agit de temps classe mais aussi d’organisation entre plusieurs classes (cycle ou école). 

Des outils 

L’enregistrement des débats :

- le magnétophone ;

- le dictaphone ;

- le micro ;

- le MiniDisc. 

Le bâton de parole :

Objet symbolique qui circule dans le groupe et qui est tenu par celui qui prend la parole. Il est donné au suivant ou à celui qui demande la parole quand on a fini son intervention. Le micro ou le dictaphone peuvent tenir lieu de bâton de parole. 

Grille de réécoute et d’analyse d’un débat ( cycle 3)

1.     Question : problématique

2.     Quelle est la première idée ?

3.     Les questions

4.     Les idées

5.     Ma conclusion

Le cahier de philosophie (cycle 3)

Pour chaque sujet il regroupe

1.     La séance

2.     La question

3.     Le compte rendu de discussion

4.     Les citations

5.     La trace personnelle. Cette dernière peut être une reprise de ce qu’ils ont dit, un dessin, une phrase qui résume la discussion , des ressentis personnels.

 

L’album de philosophie (Grande- section)

Pour chaque sujet sont classés dans un album de classe

1.     La question formulée    : Qu’est- ce que ...

2.     La transcription écrite des discussions

3.     Les dessins individuels avec transcription de la parole de l’enfant

La photocopie de la couverture de l’album lu en liaison avec le sujet

Dans les classes 

Le moment philo chez Véronique et Michèle en CM1-CM2 

La philo est inscrite à l’emploi du temps, pour une durée hebdomadaire de 15 min.  Au cours de la première séance de l’année, nous avons tenté de répondre à la question  : «  Qu’est-ce que la philo ? ». Ce qui a abouti à « c’est se poser des questions ». les enfants ont alors formulé diverses questions qui ont été classées en 2 colonnes philo/non philo. De ce classement proposé par les adultes a découlé une conclusion : Quand on fait de la philo, on se pose des questions sur la vie, sur la mort… et on pense. » 

Un vote permet de dégager la question qui sera discutée à la prochaine séance : « Pourquoi l’homme doit-il mourir ? »

La deuxième séance est consacrée aux échanges sur ce sujet. Le micro circule comme un bâton de parole, chacun parle quand il le reçoit, s’il le désire. La séance est enregistrée. 

Pour la troisième séance chacun reçoit, la veille, le texte transcrit de la discussion précédente. Chaque enfant l’a relu et a surligné les points sur lesquels il souhaitait intervenir à nouveau. Le micro est donné à celui qui demande la parole, on échange sur un point tant qu’il y a matière à, puis on passe à un autre. 

Pour la quatrième séance deux citations de philosophes sont affichées dès le matin, les élèves en prennent connaissance s’ils le désirent. Au cours de la séance de philosophie, on leur demande de réagir par rapport à ces écrits. Moment de Délice ! Et oui les enfants de ZEP pensent ! 

Ce moment de philo est attendu de façon intense par tous. Il y a des échanges réels entre les enfants qui se questionnent les uns les autres.

Ce travail a été reconduit la deuxième année. La troisième année Véronique a ajouté un cahier personnel qui regroupe les traces des séances. 

Chez Patrick  

La philo se déroule à raison d’une séance hebdomadaire de radio, en direct, présentée par les cycles 3. Deux représentants par classe peuvent y participer. Cela représente six à douze enfants maximum. Certains enfants deviennent des habitués de la séance de philosophie. Le débat est animé par un enseignant de l’école. Le sujet est proposé par un ou des adultes (ça philosophe dur dans la salle des maîtres !) Entre adultes, à la récré, il y a systématiquement des échanges sur le sujet philo. Exemples de sujet : le rêve et la réalité ; ce qui est vrai et ce qui est souhaité… 

Certaines classes préparent le sujet avant la séance, d’autres en parlent après. Lors de l’émission de radio, les élèves échangent d’abord librement, puis à mi-chemin, l’enseignant pose une question qui relance le débat. En fin d’émission, il propose que deux ou trois enfants concluent. 

Dans la classe de Patrick il y a trois temps :

-avant l’émission, une petite discussion

-écoute de l’émission

-discussion après l’émission. Ce troisième temps peut être très riche.

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« Le moment de philosophie vise d’abord à ce que l’enfant s’entende émettre une pensée sur des sujets importants concernant l’Humain ; entende aussi les idées des autres et ce dans le cadre d’une classe communauté qui s’instaure en communauté de penseurs. »

 

Jacques Lévine

 

En maternelle  

Valérie intervient anime un atelier de philosophie avec environ 15 enfants de grande section. La séance se fait en trois temps : 

-deux tours systématiques du bâton de parole pour se lancer dans la discussion. L’adulte n’intervient pas. 

-le bâton de parole va à celui qui le demande. L’adulte peut recentrer, remettre l’idée d’un enfant sur le tapis, reformuler (question ou propos) et même éventuellement, proposer une façon de répondre (non définitive, bien sûr.) 

-dessin et phrase de conclusion. L’adulte repose la question initiale et note la réponse de l’enfant.

 

Un projet langage de l’école permet à Yvette (poste REP) d’animer un atelier philosophie. 

Je travaille avec la grande section sur un projet d'école autour du langage. 

L'objectif est de faire parler les enfants afin qu'ils maîtrisent davantage le langage. 

Dans chaque classe les enfants sont partagés en quatre groupes en fonction de leur capacité à prendre la parole dans le groupe classe. On a donc des groupes de grands parleurs, parleurs, moyens parleurs et faibles parleurs ; cela ne correspond pas forcément à leur niveau de langage. Nous avons donc ainsi des groupes de 6, 7, 8 enfants qui présentent une homogénéité uniquement sur cette capacité et chacun à la possibilité de s'exprimer sans en être empêché par de plus bavards. Les séances sont de 30 minutes et ont lieu une fois par semaine. 

Avec la grande section j'ai choisi d'aborder des sujets de la vie où l'enfant est entraîné à exprimer sa pensée. Ce sont les entretiens philosophiques où la parole de chacun est respectée.

Après quelques mois de travail je constate une évolution. Si au début on avait la plupart du temps des répétitions (l'enfant répète ce qu'il vient d'entendre) ou des juxtapositions (l’enfant parle sans écouter les autres) et des soucis de conformité avec ce que l'adulte est supposé souhaiter, maintenant il y a de petits débats qui s'inscrivent dans ce qui ressemble davantage à une discussion. Nous avons une mémoire collective et dans la discussion certains rappellent ce qu'ils ont dit une fois précédente. Des enfants anticipent  et proposent des sujets pour une séance suivante.  

Lors de l'atelier Philosophie, les enfants s'installent  avec moi autour d'une table ronde dans la petite bibliothèque de l'école.

La séance commence par un court échange qui me permet de sentir le groupe et de saisir des préoccupations actuelles personnelles des enfants pour en tenir compte dans mes propositions de discussion. Ainsi les sujets discutés peuvent venir des enfants ou de mon initiative.  

Je formule clairement le sujet retenu. A partir de ce moment j'interviens dès qu'il y a digression. Après un tour de parole complet je reformule tout ce qui a été dit (je note rapidement ce qui est dit), puis il y a un nouveau tour de parole systématique avant de redonner la parole à ceux qui la demande. 

Les enfants sont invités à dessiner ce qui a été dit. Avant de commencer chacun me dit ce qu'il va illustrer. Lorsque le dessin est terminé j'écris sous la dictée de l'enfant le texte correspondant au dessin.

Une deuxième séance sur le même sujet me permet de présenter aux enfants leurs textes et dessins regroupés dans l'album collectif avec ceux des autres enfants de la classe. Quelque fois la discussion reprend. Puis je lis un album en lien avec le sujet traité. L'album sera discuté par rapport à notre sujet.

Sujets proposés par les enfants : 

- À quoi sert le doudou ?
- C'est quoi souffrir ?
- Est-ce qu'il n'y a que les bébés qui pleurent ?

- C'est quoi la tristesse ? 

Albums utilisés 

Tom n'a pas peur de Klaus Baum Gart (Magnard jeunesse)
L'édredon Ann Jonas (L'école des loisirs)
Grosse colère Mireille d'Allancé (L’école des loisirs)
Cauchemars cherchent bons lits Gérard Franquin (Milan)
La nuit le noir Dr Catherine Dolto- tolitch (Gallimard jeunesse)
Aya et sa petite sœur Yoriko Tsutsui et Akiko Hayashi (L'école des loisirs)

 

Quelques précisions sur la notion

de « chercheurs philosophes »

pour poursuivre notre travail.

 

1 - Notre recherche est une recherche ouverte, qui débouche sur une recherche de compréhension et non sur une connaissance clôturée, un enseignement. On défend une expérience où l’enfant sujet peut approcher le sens de la condition humaine, en tant qu’interlocuteur valable au sein d’une communauté où tous participent. Il s’agirait, pour être au plus près des mots, d’une « préparation à la pensée philosophique » par le questionnement commun (chacun repart à zéro pour pouvoir expliquer avec un regard neuf, en débanalisant le banal). 

2 - C’est une recherche ouverte main néanmoins suffisamment cadrée et centrée sur un problème à résoudre pour ouvrir la possibilité à chacun d’une pensée  groupale et individuelle. La rigueur du protocole (durée, périodicité, enregistrement...) est une base sur laquelle l’enseignant s’appuie pour proposer une expérience de développement de la pensée qui porte sur le long terme. 

3 - Nos « ateliers de préparation à la pensée philosophique » sont des lieux de parole bien sûr, mais différents des autres lieux de parole puisque l’enseignant y est très présent mais dans son silence. L’enjeu pour les enfants est hors l’efficacité évaluable « scolairement ». Ce temps n’a rien à voir, aussi, avec le « quoi de neuf ? », le conseil ou des moments d’expression spontanée. 

4 - La démarche démocratique est-elle l’un des enjeux des ateliers ? Le mode ou la gestion que nous proposons fait que chaque enfant apprend à prendre place tout en respectant celle de l’autre, ceci non pas par devoir de respecter l’autre, mais par plaisir de se montrer capable de participer à un groupe qui fait avancer la pensée.

Jacques Lévine, Agnès Pautard, Dominique Sénore


À la rencontre d’Albert Jacquard

L’école Anatole France de Vaulx en Velin a été conviée à participer à une rencontre publique avec Albert Jacquard, invité à l’occasion de la sortie de son dernier livre “ A toi qui n’es pas encore né(e) .” Une expérience mémorable dans la pratique de la philo au CM2.

Ravie de l’aubaine, j’ai proposé à une dizaine d’élèves volontaires du CM2 de préparer cette rencontre qui a eu lieu dans une des bibliothèques municipales.

Ces élèves ont pratiqué la philo depuis 3 ans et je leur ai fréquemment lu des extraits de livres d’Albert Jacquard pour illustrer des thèmes abordés.

D’autre part, dans l’atelier sciences, ils ont eu aussi l’occasion d’entendre parler de lui, pour ses travaux en génétique.

J’ai demandé à chaque enfant de poser par écrit toutes les questions qui lui venaient. Puis nous avons regroupé ces questions, les avons classées par thème et transmises aux bibliothécaires. 

Nous avons ensuite eu trois débats à partir des citations suivantes :

- “ Il n’y a pas de démocratie sans partage du savoir. 

- “ L’homme : une erreur dans l’évolution des espèces. 

- “ Deux et deux ne font pas quatre. Deux éléments différents s’associent pour en créer un troisième qui, jusque là n’existait pas. ” 

Le jour J, chacun s’est vu remettre un petit livret dans lequel les bibliothécaires avaient regroupé les questions (les nôtres et quelques-uns unes déposées par des lecteurs).

La rencontre fut magique. Les enfants ont posé les questions chacun à leur tour, et écouté les réponses, sous le charme, captivés par cet homme qui s’adressait à leur intelligence et à leur capacité à s’émouvoir, pour expliquer simplement des affaires compliquées. 

Chacun est reparti avec son livret autographé et, dans la tête, des phrases fortes que je devais entendre dans leurs conversations un peu plus tard. 

Chantal Nay

Questions pour Albert Jacquard 

1ère série

Vous avez choisi de faire deux métiers : scientifique et écrivain. Pourquoi ? ( Audrey et Mériem)

Quand vous étiez petit, vouliez-vous déjà faire ces métiers ? (Johnny)

Depuis quand faites vous ces métiers ? (Marylène)

Est-ce que vous les aimez ? (Toihir)

En quelle année avez-vous écrit votre premier livre ? (Toihir)

Quel âge aviez-vous ? (Mériem)

Quel était son titre ? (Lénina)

2ème série

Que voulez-vous nous dire à travers vos livres ? (Solène)

Est ce que vous vous sentez seul en les écrivant ? (Solène)

Combien en avez-vous écrit ? (Lénina)

Lequel préférez-vous ? (Mériem)

3ème série

Pourquoi avez-vous appelé votre dernier livre comme ça ? (Hatem)

Pourquoi avez-vous voulu écrire sur le futur ? (Mériem-Audrey)

4ème série

Que pensez-vous sur la lutte des femmes ? (Solène )

Pourquoi on vit, et après on meurt ? (Hatem)

Pourquoi dites-vous qu’on ne pourra plus se nourrir s’il y a trop de monde sur terre ? (Antoine)

5ème série

Pensez-vous que tout le monde aime ce que vous faites ? (Solène)

Est-ce que cela vous plaît de répondre aux questions des enfants ? (Marylène)

À quel âge comptez-vous vous arrêter ? (Mériem)


 

La philo en classe d’intégration scolaire

Isabelle Perreau, lors de sa formation C.AP.S.A.I.S. (enseignement spécialisé) a fait son stage dans la classe de Patrick Chrétien. Elle avait choisi comme thème de mémoire : la pratique de la réflexion philosophique avec des enfants présentant un handicap mental dans une Cl.I.S., dont nous présentons quelques extraits.

 

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Au début de l’année, l’I.U.F.M. a proposé une réunion d’information sur la pratique de la philosophie de la maternelle au collège. Il m’a alors semblé que la philosophie pouvait tout à fait répondre à ma problématique. En effet, cette discipline ne propose pas de réponses toutes faites, mais invite à réfléchir sur des problèmes existentiels, à s’interroger sur soi-même, à mettre en doute les certitudes.  

Echanger, communiquer,

apprendre à partager,

agir ensemble 

Exercer sa liberté dans une société

 

L’homme ne vit pas seul. L’homme est un parmi d’autres dans une société, il se construit grâce aux autres, même s’il doit aussi s’en distinguer. Il lui faut donc apprendre à vivre avec ses semblables.

 

L’école n’est pas une communauté, elle est une société. Les individus qui la constituent ne se sont pas choisis pour réaliser une tâche commune, chacun poursuit des buts personnels. Il nous faut donc vivre ensemble, travailler ensemble, coopérer sans forcément s’aimer. Comme le souligne Bernard DEFRANCE, “l’enjeu de l’éducation à la citoyenneté est donc d’apprendre à vivre, à coopérer avec d’autres, avec lesquels on n’a pas choisi de vivre”(1). Les Instructions Officielles rappellent l’importance de l’apprentissage du vivre ensemble dans l’éducation à la citoyenneté.

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Pour que vivre ensemble soit possible, il faut que nos divergences puissent s’exprimer autrement que par la violence. Celle-ci, donc, sous toutes ses formes, doit être interdite. “L’interdit de la violence ne se discute pas démocratiquement, il est ce par quoi une discussion démocratique devient possible ”(1). Mais une condition nécessaire est d’avoir la parole, car interdire la violence sans proposer d’autres possibilités d’expression est une violence bien plus grande encore. 

Pour que l’échange dans un groupe soit possible, il est indispensable que les personnes qui le constituent puissent être reconnues par les autres afin de pouvoir exister chacune et co-construire ensemble.

Francis IMBERT rappelle que la tâche principale de l’enseignant est d’ “interposer les dispositifs qui obligent à l’échange, qui mettent en situation de se séparer des images aliénantes (...). L’éducation se développe à travers l’inscription d’interdits, de médiation dont la visée est d’interpeller parole et désir”(2). Pour répondre à cela, le moment philosophie nécessite la mise en place d’un cadre et des attitudes spécifiques. Mais avant tout, il me semble que pour qu’une telle activité prenne tout son sens, elle doit être en cohérence avec les autres pratiques de la classe.

 

Dans la classe, on parlait déjà...

Dans la Cl.I.S. de Patrick, les enfants apprennent à vivre ensemble. La vie de la classe s’organise autour de lois et de règles de vie précises connues des enfants.

Dans une Cl.I.S., plus qu’ailleurs, les enfants ne se sont pas choisis. Ils ne viennent pas forcément du même quartier, ils ont des niveaux scolaires et des âges différents. Et surtout, ce qui les rassemble dans cette classe, c’est ce qui les a exclus des autres classes. 

Pourtant, le groupe existe et fonctionne : on accepte de faire des passes au foot à ceux qui ne savent pas bien jouer, on organise spontanément une petite fête pour un départ, on laisse du temps à ceux qui ont des difficultés pour s’exprimer... Même si parfois, c’est un coup de poing qui part, une insulte qui jaillit… 

Ici, dans la classe,  la parole de l’enfant  trouve toute sa place.  Il y a des moments institués à cet effet :  les temps de parole de la classe comme le Quoi de neuf ? ou le conseil.

Les enfants ont l’habitude de se réunir,  des règles claires permettent au groupe de fonctionner : on lève la main  pour demander la parole ;  on ne coupe pas la parole ;  on dit :  « je suis d’accord » ou « je ne suis pas d’accord » pour se situer par rapport à ce qui vient d’être dit ; on ne se moque pas ; un enfant qui perturbe le groupe est gêneur une fois, la deuxième fois, il est exclu du groupe. 

Bien sûr, on parle aussi en dehors de ces temps de parole, mais pas n’importe comment, pas n’importe quand en fonction du désir de chacun. Le maître peut surseoir à une réponse, renvoyer celui qui l’interroge à une règle ou à un autre enfant et il sait aussi se taire. 

Chacun sait qu’il est reconnu et que sa parole est respectée. Il y a cette assurance que l’on pourra dire et que l’on sera entendu même si ce n’est pas tout de suite, pas forcément par le maître, même si on n’aura peut-être pas gain de cause. On a aussi le droit de se taire,  mais tous, le devoir d’écouter. 

L’adulte aussi s’exprime, il n’a pas toujours raison même s’il reste le garant des règles, de la Loi. On peut avoir un avis différent du sien et lui peut exprimer un point de vue différent. Il bouscule parfois l’enfant qui croit qu’il faut être de l’avis du maître. Il surprend, décontenance pour libérer l’enfant d’une domination ; la sécurité dépend de cette déstabilisation nécessaire. 

Dans ce cadre précis, connu et souple, l’enfant peut s’exprimer sans crainte et apprend à écouter l’autre.

 Le moment philosophie” peut donc prendre ici toute sa place. L’enfant sait qu’il pourra parler, faire part de ses pensées sans peur d’en être dépossédé, qu’il sera écouté et que chacun pourra exister même par son silence.

 

Le moment philosophie :

un temps, un lien, un cadre

 

Le moment philosophiea lieu en général deux fois par semaine, les mardi et jeudi matin après la récréation. Il dure entre 30 minutes et 1 heure. 

Nous sommes assis sur des petites chaises autour d’une table ovale. Ce sont les petites chaises du Quoi de neuf ? et il faut d’abord aller les chercher. Au centre de la table, se trouve un micro pour enregistrer nos discussions. Les cassettes sont à notre disposition ; on peut les écouter dans le coin bibliothèque. 

La table est dans un coin de l’atelier, près d’un tableau sur lequel sont écrites, depuis le mois de janvier, une dizaine de questions philosophiques remises à jour régulièrement. Je les propose aux enfants mais ils peuvent le faire aussi. Avant de commencer, nous choisissons celle qui nous intéresse en mettant une croix à côté. 

Il y a aussi une grande affiche, la carte », sur laquelle on colle une gommette quand on a fini. A côté, on écrit la date avec le tampon encreur et la question qui a été traitée. 

Les règles sont les mêmes que pour les autres moments de parole. Je distribue la parole. 

A la fin du moment philosophie, chacun peut, s’il en a envie, écrire quelque chose sur sa feuille de route;  je note ce que les enfants ou le maître me dictent.

Depuis la fin janvier, le mardi on réfléchit à une question, et le jeudi on écoute tous ensemble une cassette. Au début, les enfants ne le faisaient pas d’eux-mêmes mais depuis, cela arrive. L’écoute en groupe permet de poursuivre la réflexion. 

Tout le monde peut parler, dire ce qu’il pense, même les adultes. Cela  semble normal aux enfants. Au début, nous ne disions rien et c’est Etienne qui nous a demandé pourquoi. 

J’ai proposé régulièrement aux enfants des bilans du moment philosophie pour leur permettre de se situer dans l’activité. Cela se présentait sous forme de fiches qu’ils pouvaient faire seuls  ou avec moi.   J’en reparlais ensuite  individuellement avec chacun.

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Des attitudes requises

et développées   

Le moment philosophie est un moment d’échange. Il requiert donc des attitudes qui rendront possible la communication. En même temps, la pratique de la réflexion philosophique en groupe va aussi développer ces attitudes relatives au vivre ensemble. 

Pour les enfants de la Cl.I.S., cette rencontre n’est pas simple à accepter ; n’oublions pas qu’ils ont vécu des événements douloureux. Albert JACQUARD considère que “pour parvenir à cet exploit fabuleux qu’est la capacité de se savoir être, il faut bénéficier du regard des autres”(3). Or, pour ces enfants, ce regard est risqué. L’image qu’ils ont d’eux-mêmes est souvent détériorée. La rencontre avec l’autre devient une prise de risque, celle de ne plus exister si l’on fait exister l’autre, celle aussi de rencontrer cet Autre fragile, en souffrance, qu’il vaudrait mieux ignorer, voire rejeter. Ils ont du mal à accepter cet Autre qui représente le miroir de ce qu’ils étaient ou de ce qu’ils sont, cette image peu valorisante d’eux-mêmes. 

Il est donc indispensable qu’ils se sentent en sécurité dans la situation de communication qu’on leur propose, car “la communication, c’est, à chaque fois, tout l’être individuel et social qui est engagé dans un pari : comment acquérir la reconnaissance du droit à la parole, et comment atteindre l’autre moi-même” ? 

L’adulte est le garant de la reconnaissance de chacun comme sujet parlant ayant le droit de communiquer. Mais il est nécessaire que tous les partenaires se reconnaissent ce droit réciproque. Patrick CHARAUDEAU (4) définit quatre principes à la base de cette reconnaissance :

- principe d’interaction : c’est l’acceptation de l’autre en tant que partenaire de communication et donc d’une relation non symétrique (l’un parle, l’autre écoute). “Selon ce principe d’interaction, il y a l’autre et il y a moi, mais en même temps l’autre constitue le moi. L’acte de communication est le résultat d’une co-construction”.

- principe de pertinence : c’est la possibilité d’une compréhension mutuelle.

- principe d’influence : c’est la mise en place de stratégies de parole pour agir sur l’autre. “Le principe d’influence met les partenaires dans un rapport de lutte discursive qui fait que chaque fois que l’un d’eux cède du terrain, il perd un peu de son identité, voire disparaît complètement”. D’où le dernier principe:

- principe de régulation : c’est ce qui permet d’assurer la continuité de l’échange ou sa rupture si les conditions de sa poursuite ne sont pas réunies. 

Ces principes constituent le contrat de communication qui “lie les partenaires dans une sorte d’alliance objective qui leur permet de co-construire du sens tout en s’auto-légitimant”(4). 

Le moment philosophie offre aux enfants la possibilité de se risquer dans la rencontre avec l’autre sans se perdre, rencontre inévitable pour exercer sa pensée. 

La relation de confiance existant entre le maître de la classe et les enfants, entre le maître et moi-même, celle établie progressivement entre les enfants et moi-même font qu’ils se sentent en sécurité dans cette activité.

Le cadre est rassurant et garantit à chacun la liberté d’oser s’exprimer, l’assurance d’être entendu. Les règles, dont j’ai parlé précédemment, imposent le respect, la tolérance de chacun au travers de sa parole. L’adulte intervient pour rappeler ces règles, mais aussi pour permettre une compréhension mutuelle par la reformulation de ce qui n’est pas clair. 

Les conditions favorisant les interactions entre les enfants sont ainsi réunies et ces attitudes nécessaires à la communication vont se développer dans la pratique de l’activité. 

Le vivre ensemble : aide à la construction de la personnalité et condition préalable pour apprendre à bien penser 

Par la pratique de la réflexion philosophique en groupe, l’enfant apprend à comprendre sa propre personne. Il prend confiance en lui et s’affirme. Il est reconnu comme sujet parlant ayant le droit de communiquer. Il peut se décentrer de lui-même et acquiert une ouverture d’esprit face à l’autre. Il peut aller à la rencontre d’autrui qui devient un partenaire valable et indispensable dans l’échange. Il comprend, comme le dit Emmanuel LEVINAS, que “dans l’expression, l’être qui s’impose ne limite pas mais promeut ma liberté, en suscitant ma bonté”(5). 

C’est uniquement lorsque l’enfant a la possibilité d’énoncer clairement ce qu’il ressent ou ce qu’il croit, qu’il devient libre : libre de ses propres idées et libre de devenir ce qu’il est. 

C’est aussi seulement lorsqu’il est.

 

C’est aussi seulement lorsqu’il s’interroge et demande des justifications. Qu’il se libère de l’autre, des préjugés et des croyances. En outre, c’est seulement lorsqu’il se trouve dans une situation concrète exigeant de la cohérence entre acte et pensée, qu’il devient responsable.

 

Isabelle Perreau

 

1-B.DEFRANCE, Colloque en Seine-Saint-Denis, Education à la citoyenneté, Magnard, 1996

2-F.IMBERT, Médiations, institutions et loi dans la classe, ESF, Paris, 1994

3-A.JACQUARD, Petite philosophie à l’usage des non-philosophes, Calmann-Lévy, Paris, 1997

4-P.CHARAUDEAU, Inter-actions

5-E.LEVINAS, Totalité et infini, Nijhoff, Biblio, 1996

Instantanés

 

Prendre la parole, c’est s’exposer à autrui. Pendant les premières séances, quatre enfants intervenaient régulièrement : Etienne, Jordy, Yvan et Slymane. Les autres restaient silencieux. J’ai remarqué à travers les attitudes et les expressions de Jérémy et Michel qu’ils avaient envie de parler, mais ils ne semblaient pas encore prêts à se risquer. Progressivement, s’est installée une certaine confiance dans le dispositif. Les enfants ont pu se rendre compte que les règles instaurées protégeaient leur parole. Lorsque l’un d’eux exprimait de l’intolérance vis-à-vis d’un autre, je pouvais intervenir afin de désaffectiver l’échange et recentrer sur le sujet.  

Par exemple, à propos de l’amitié : 

Slymane : Quand j’ai dit à Yvan « c’est ton copain ? »,

Jordy : toi t’as dit « non, c’est pas mon copain » !

Yvan : On parle pas de causer ou de pas causer, on parle de l’amitié !

Isabelle : Alors, c’est quoi l’amitié ? 

Une autre fois, lors de l’écoute de la cassette sur l’injustice, Etienne a donné un exemple qui impliquait Slymane. Celui-ci s’est senti agressé et ne laissait plus parler Etienne. J’ai rappelé que nous n’étions pas là pour juger ce qui s’était passé mais pour discuter de ce qu’est, à notre avis, une injustice. Slymane s’est calmé et l’échange a pu se poursuivre. 

Tous les enfants ont petit à petit osé se risquer : certains irrégulièrement et ponctuellement, comme Aurélie ou Annette qui est intervenue pour la première fois à la septième séance ; d’autres ont demandé la parole de plus en plus souvent, comme Michel, il a vraiment dépassé ses peurs et, comme Etienne et Slymane, participe avec intérêt aux discussions. Même si ce n’est pas systématique, ils parviennent à entrer dans des débats d’idées en se préoccupant plus de ce qui est dit que de la personne qui parle. Chaque enfant devient un partenaire potentiel pour construire ensemble

À propos de l’injustice :

Etienne : J’suis d’accord mais avec Michel mais parce que quand les enfants mais y travaillent pas et que le maître mais y travaille mais c’est injuste ! Y’a pas que le maître qui travaille, c’est même les enfants.

Slymane : Euh... j’suis pas d’accord avec Michel, parce que dans cette classe euh... des fois, quelqu’un euh... fait son travail personnel et y’en a qui font pas du travail personnel, y fait un autre truc.

Michel : Ouais, mais c’était un exemple, hein. 

En ce qui concerne les attitudes, des changements se sont donc produits au cours de la pratique de la réflexion philosophique en groupe. Il est difficile de définir ce qui est dû précisément au “moment philosophie”, surtout lorsqu’on envisage l’enfant dans sa globalité, c’est-à-dire une personne qui se construit grâce à tout ce qu’elle vit, mais je reste convaincue qu’un tel dispositif développe des attitudes de respect, de tolérance...

 

Ces articles sont issus d’un dossier publié en novembre 2001, par le Groupe Lyonnais de l’Ecole Moderne (GLEM). 

Vous pouvez le commander sur le site du GLEM http://www.marelle.org/users/glem

Ou en vous adressant à :

Pascal Marié

58 rue de la liberté

69400 Villefranche sur Saône 

 

 

Des enfants qui apprennent

à penser par eux-mêmes

avec la philosophie 

 

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Tous les jeudis, dans la classe de Sylvain Connac à Montpellier, se déroule une « discussion philosophique ». Le thème en a été choisi lors du conseil de la classe. Avec la philosophie, les enfants, qui sont déjà très largement acteurs de leurs apprentissages, deviennent aussi leurs propres auteurs. Si l’on milite pour une plus large citoyenneté, ils ajoutent à la maîtrise des fonctionnements démocratiques la possibilité d’entrer dans les débats et même de les faire évoluer. Pour eux, philosopher n’est pas normal, mais presque …
 

Le jeudi c’est philo 

Jeudi après-midi : un moment très attendu de la semaine. Le président de séance fait entrer les « discutants », les enfants qui vont prendre la parole. Autour d’eux se placent d’autres élèves, les observateurs. « La discussion philosophique est ouverte ! » lance le président. Des métiers sont distribués. Untel devient le journaliste du jour, tel autre le « reformulateur », celui qui sera chargé sur demande de répéter avec ses mots les propos tenus par un camarade. En tant qu’animateur de séance, j’annonce le thème.

Aujourd’hui, nous devons discuter du racisme. C’est ce qui a été décidé lors du conseil de samedi. Plusieurs doigts se lèvent, le président distribue la parole et veille à ce que les règles de la classe soient bien respectées : on ne se moque pas et on demande la parole avant de la prendre.  

Les échanges se font. Plusieurs questions fusent. Certains apportent des affirmations qui sont soit contestées soit renvoyées à de nouvelles interrogations soit simplement écartées. De manière étrange, les élèves ont pris l’habitude de demander des définitions. Ça les oblige, disent-ils, à savoir de quoi on parle. Ainsi, au bout d’une demi-heure qui semble très courte, chacun se voit proposé de faire une dernière intervention, je clos le débat par une rapide synthèse et le président annonce la fin de la discussion avant de nommer son futur remplaçant. La semaine prochaine, les observateurs deviendront « discutants » et vise-versa.

Aujourd’hui, la discussion a tourné autour des origines du racisme, de sa non-utilité et des solutions possibles pour vivre dans un monde moins raciste. Certains enfants se sont référés à un texte de Tahar Ben Jelloun que nous avions étudié la semaine précédente et d’autres, les médiateurs, ont parlé de l’incident de Montgomery, déclencheur de campagne non-violente de Martin Luther King. Cette discussion n’a pas été meilleure qu’une autre. Certains ont beaucoup parlé, il y a même eu quelques muets. Je ne m’en fais pas, leurs yeux ont parlé pour leur bouche…  

Penser par soi-même 

Comme la plupart des autres, je considère cette discussion comme philosophique. Certes, aucun grand nom de la philosophie n’a été prononcé. Aucune idée officiellement reconnue n’a été apportée. En tant qu’enseignant, je ne suis même pas reconnu comme un philosophe (encore moins comme un professeur de philosophie). En fait, ce que nous venons de terminer n’a rien à voir avec ce que peuvent vivre des lycéens de terminale pendant leurs cours de philosophie. Il ne s’agit pas de connaître ou diffuser des idées. Le but n’est également pas d’identifier la philosophie comme une discipline supplémentaire à l’école primaire. La visée très humble que je me fixe est de permettre aux enfants d’arriver à penser par eux-mêmes, à se construire une pensée personnelle et originale, d’aboutir à ce que l’on nomme la pensée réflexive. Pour cela, j’utilise comme tremplin le « philosopher » afin qu’avec son appropriation d’autres modes de pensées se développent et qu’ainsi se constituent la complexité du raisonnement. 

Philosopher, c’est réussir à combiner trois exigences intellectuelles : conceptualiser, problématiser et argumenter. La conceptualisation correspond à l’identification d’un sens commun. Dans les faits, les enfants conceptualisent lorsqu’ils recherchent à définir, lorsqu’ils débattent à partir de définitions et enfin lorsqu’ils s’accordent sur un même sens. Problématiser, c’est rechercher le doute, se demander en quoi ce qui nous est apporté est universel voire même interroger la cohérence d’autres problématisations. Des enfants problématisent au moment où ils posent des questions, où ils soulèvent un doute. La problématisation conduit souvent à la mise en question de ses propres schémas de pensée, de ses certitudes, d’une part de son éducation. Argumenter, c’est bien plus que donner son opinion. C’est surtout tenter de prouver en quoi ce que l’on défend est vrai (c’est à dire convient au genre humain dans sa pluralité) ou réfuter par la pensée des affirmations posées par un camarade. L’argumentation passe d’abord par l’exemple, peut se poursuivre par le contre-exemple et s’achève par la livraison d’arguments fondés par la raison. Enfin, philosopher, c’est arriver à combiner ces trois exigences pour se constituer un mode de pensée personnel. On peut très bien faire référence à des écrits ou à des dires extérieurs, mais ces éléments ne seront que la manifestation d’un raisonnement qui nous est propre.  

Parce que les enfants ne « philosophent » pas seuls, les interactions conduisent très souvent à une optimisation des engagements individuels. On dit que les élèves ainsi réunis constituent une « communauté de recherche » dont le but est d’assurer une construction commune des savoirs, l’intention éducative étant toujours de permettre les apprentissages individuels.

Quels enjeux ? 

Dans une classe où la coopération est une valeur défendue, susciter la forme de cette communauté de recherche est plus aisé. Les élèves sont tous habitués à participer à des conseils, à prendre la parole dans leurs équipes, à écouter des « Quoi de neuf ? », à respecter un président de séance. Pour faire de ces réunions des discussions philosophiques, il reste à susciter le philosopher, c’est à dire à passer pour consignes les trois exigences présentées ci-dessus.  

Les enjeux sont grands parce qu’avec la philosophie, nos jeunes coopérateurs, qui sont déjà très largement acteurs de leurs apprentissages, deviennent aussi leurs propres auteurs. Si l’on milite pour une plus large citoyenneté, ils ajoutent à la maîtrise des fonctionnements démocratiques la possibilité d’entrer dans les débats et même de les faire évoluer. Ils trouvent à l’école une activité vivante supplémentaire qui, sans apporter de réponse définitive, répond à des besoins humains : donner plus de sens à sa vie et ainsi à la vie en général. Les enfants se posent de nombreuses questions. Souvent, elles sont d’ordre philosophique. Pour eux, philosopher n’est pas normal, mais presque … 

Nous touchons ici le plus profond de l’être des enfants mais n’est-ce pas un des premiers soucis de l’éducateur qui souhaite faire du sur-mesure pédagogique ? 

Sylvain Connac

Ecole élémentaire Antoine Balard

Document de présentation technique de la discussion philosophique

Ä      Public concerné : classes de cycle II et III

Ä      Lieu de la discussion :  la salle de classe.

Ä      Durée de la discussion : 30 minutes de discussion + 10 minutes d’analyse

Ä      Fréquence des discussions : 1 fois par semaine avec permutation des discutants et observateurs.

Ä      Disposition générale : deux cercles concentriques : celui du centre est réservé aux discutants et celui de l’extérieur aux observateurs.

Ä      Choix des thèmes : les thèmes sont choisis en conseil à partir d’une discussion ou d’une liste proposée (Cf. document des thèmes) ou à partir de propositions d’enfants.

 

Etapes de la discussion :

Ä      Exploitation de la discussion : Les articles de la discussion paraissent dans le journal de classe. Chaque discutant est amené à poser par écrit ce qu’il a retenu de cette discussion.

 

 

5’

0 – Installation des discutants et des observateurs.

1 – Ouverture de la discussion par le président.

2 – Désignation des reformulateurs et du synthétiseur (en fonction des ceintures de philosophe).

3 – Enoncé des règles de fonctionnement.

4 – Présentation du thème par l’animateur.

20’      

5 – Succession des prises de paroles avec interventions éventuelles des reformulateurs et du synthétiseur (sur demande de l’animateur)

5’        

6 – « Dernière intervention » 5 minutes avant la fin : ceux qui souhaitent exprimer une dernière idée prennent la parole.

7 – Synthèse du synthétiseur.

8 – Désignation du prochain président et du prochain animateur (en fonction des ceintures de philosophe).

9 – Fermeture de la discussion.

10’      

10 – Prise de parole de chaque discutant.

11 – Prise de parole de chaque observateur.

12 – Echanges.

 

Plan d’une séquence de philosophie

 

1 – Choix du thème de discussion

 

Lors d’un conseil de coopérative, les élèves émettent des propositions de thèmes pour les discussions philosophiques. Ces propositions sont votées et celles qui obtiennent une majorité de voix sont retenues. Si plusieurs thèmes sont élus, ils sont ordonnés dans le temps.

 

2 – Séance 1 : Représentations et fondements de la thématique

 

Tous les élèves sont réunis et répondent aux mêmes consignes.

 

Etape  1 : Expression des représentations

 

Consigne 1 : « Ecrivez tout ce que vous voulez dire sur ce thème. Si vous n’avez rien à dire, écrivez-le. »

Chaque enfant pose par écrit ce qu’il souhaite exprimer sur le sujet. Chaque texte est identifié puis relevé par l’enseignant.

 

Etape 2 : Lecture du texte philosophique

 

Ce texte philosophique, apporté par l’enseignant, répond à plusieurs critères :

·Il s’adresse à des enfants et donc, utilise un vocabulaire et une syntaxe adaptées.

·Il présente une thèse correspondant au thème choisi qui, par essence philosophique, peut très bien être contestée lors des discussions futures.

·Il apporte les bases théoriques au débat.

 

Chaque enfant lit individuellement le texte avant qu’il soit repris collectivement.

Une exploitation collective est ensuite proposée.

 

Consigne 2 : « Expliquez ce que vous avez compris ou demandez ce que vous n’avez pas compris dans ce texte. Ne donnez pas encore votre avis, vous le ferez lors des discussions. »

 

Chaque enfant apporte ses compréhensions et ses interrogations. Une question peut être complétée par une réponse d’un autre élève, une réponse d’un adulte ou renvoyée à la discussion.

 

3 – Séance 2 : Discussion philosophique du premier groupe

 

La moitié des élèves de la classe discute, l’autre moitié observe. Ces deux groupes sont constitués à partir des ceintures de philosophe. Le premier groupe rassemble les enfants qui possèdent les ceintures les plus fortes.

 

4 – Séance 3 : Discussion philosophique du second groupe

 

Les observateurs deviennent discutants et les anciens discutants deviennent observateurs.

 

5 – Séance 4 : Modification des représentations

 

Chaque élève reprend le document où se trouve le premier texte.

 

Consigne : « Ecrivez tout ce que vous voulez dire sur ce thème. Si vous n’avez rien à dire, écrivez-le. »

 

Chaque enfant pose par écrit ce qu’il souhaite exprimer sur le sujet. Ce qui est dit peut reprendre ou compléter les premières représentations. Ces textes sont généralement enrichis des échanges effectués lors des discussions et des cheminements de pensées personnelles. Au terme de ce travail, les élèves volontaires peuvent communiquer à l’ensemble de la classe leurs réflexions. Ces textes sont repris par les adultes comme indicateurs pour l’attribution des ceintures de philosophes. Ils peuvent également être utilisés par les journalistes pour la rédaction de leurs articles.