Ecriture, ture-lure...

Mars 2002

 

Ecole de village à une classe, non loin des Pyrénées. Cycle 3, vingt mômes et un instit. Matin d’octobre, un « Quoi de neuf » ordinaire.

Noélia, CE2, a la parole. L’une de ses premières interventions depuis septembre :

- Pendant les grandes vacances, je suis allée à Paris, avec mon frère et mes parents.

- Et t’as vu quoi ?

- On a visité la tour Eiffel, le Louvre, Notre Dame de Paris et la Bibliothèque Nationale.

- C’est quoi, la Bibliothèque Nationale ?

- Hé bé… c’est des grands immeubles où on garde tous les livres.

- Tous les livres de toute la France ?

- Oui, de partout.

- Alors, à chaque fois qu’on fait  un livre, on le met dans cette bibliothèque ?

- Oui.

- Et n’importe qui peut les voir ?

- Oui. Et il y en a même qui viennent d’autres pays pour les lire.

 

Noélia, en toute ingénuité, et dans l’innocence de ses huit ans, vient d’appuyer sur le bouton vert. Le bouton IMAGINAIRE. Personne, à cet instant précis, ne s’aperçoit que la machine s’enclenche. Pas même l’instit. Le « Quoi de neuf » se poursuit, jusqu’au bout de sa logique :

 - Et si nous, on écrivait un livre, il y serait aussi ?

L’instit flaire enfin le danger. Demande la parole :

   - Oui. Mais Noélia a oublié de vous dire qu’il s’agit de livres « édités ». C’est à dire d’un texte qu’un éditeur a aimé, et qu’il a transformé en livre, parce que c’est son métier.

Quelques secondes de réflexion, et puis :

- Alors, si un éditeur aime nos textes, il pourrait en faire un livre, et on serait à la Bibliothèque Nationale ?

- Avec les vrais livres des vrais écrivains ? Ca serait super…

   - Ouais ! Et on pourrait l’écrire comme un grand texte libre avec des suites, ça irait plus vite…

L’instit, vraiment réveillé, vacille devant le gouffre qu’il voit s’ouvrir :

- Mais un livre, c’est énorme ! C’est énorme à écrire ! Ca fait plus de cent pages,  à  l’ordinateur. C’est à dire plus de deux cents pages à la main ! Et encore, pour un PETIT LIVRE ! ! C’est un texte libre gigantesque. Il faut des mois, des années souvent.…

- Oui, mais nous, on est vingt. Et à vingt, c’est plus rapide que tout seul…

- J’aimerais bien qu’on écrive ce livre, rêve un CM2. Un vrai, et qu’il soit à la Bibliothèque Nationale, et que tout le monde le lise….

La classe approuve chaudement. Sauf l’instit qui reste sans voix, et deux ou trois inquiets que le projet effraie aussi :

 - Mais on n’y arrivera jamais ! C’est trop dur !

- Moi je crois que c’est trop long. On n’est pas des écrivains.

- Oui, on n’est que des enfants, quand même…

 - Et moi, j’aime pas écrire. Et nos textes, y plairont pas à … au… au fabricant de livres !

Un aventurier du CM1 trouve alors l’argument imparable :

- Moi je suis d’accord pour écrire ce livre. Parce qu’après, on pourra faire un voyage à Paris.

Regards interrogateurs tournés vers lui. Il explique :

  - Oui, quand on l’aura écrit, le livre, on pourra aller à la Bibliothèque Nationale, voir s’il y est…

Là, c’est une standing-ovation, ou peu s’en faut.

L’instit comprend alors qu’il ne peut que les suivre.

Les voies de l’Ecrit sont impénétrables…

 

Un projet d’écriture fou, issu d’une motivation pour le moins insolite. Le tout porté par une poignée d’enthousiasmes aussi inconscients que juvéniles, et par un instit peu rassuré. L’aventure peut donc commencer.

Après tout, n’est-ce pas l’Utopie qui fait avancer le Monde ?…

 

Bref, le voyage dura six mois, des premiers jours d’octobre aux premières semaines du printemps. L’instit avait fixé des règles de navigation, bien sûr, pour ne pas sombrer dans l’océan de ce grand dessein. Quelle émotion quand l’éditeur signa le contrat ! Ils arrivaient au port. En mai, l’œuvre était née. Et faisait exister chacun des écriveurs, devenus écrivains…

L’année suivante, que croyez-vous qu’il arriva ?

L’école trouva curieusement des correspondants près de Paris, dans les Yvelines.

Pendant le séjour, EVIDEMMENT, visite de la Bibliothèque Nationale.

IL Y ETAIT ! !

Enfin, il allait y être… Dans les quinze jours, a affirmé le responsable informatique. Car vous savez, les enfants, on a tellement d’auteurs à archiver, chaque année…