Les ateliers manuels et techniques dans la classe

Avril 2002

 

Les ateliers manuels
et techniques dans la classe ?

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Les classes Freinet se reconnaissaient autrefois au premier coup d'œil : des coins partout pour fabriquer, créer, expérimenter.

Aujourd'hui, la création manuelle et technique est intégrée dans des projets et donne moins lieu à des ateliers installés, fixes, en accès libre.

La création manuelle et technique est pourtant l'activité privilégiée pour croiser coopération, expression, tâtonnement expérimental et travail individualisé. C'est aussi le domaine où chaque enfant peut trouver sa place dans la classe.

De la même façon, l’imprimerie a souvent déserté nos classes, remplacée par les ordinateurs et les logiciels de PAO, alors qu’elle était, à la fois, un formidable moyen pour permettre aux enfants d’entrer dans les savoirs par des portes multiples, et le meilleur vecteur d’organisation coopérative du travail. Interrogations et pratiques se croisent et se répondent dans ce dossier.


Quelle place pour les ateliers manuels et techniques dans la classe ?
L’arrivée dans nos classes de matériels de plus en plus performants, permettant de réaliser journaux, sites web, montages électriques ou robotiques de plus en plus sophistiqués, ne nous a t’elle pas conduits à laisser de côtés des activités plus riches de sens, plus favorables à l’organisation coopérative ; phénomène accentué par l’explosion du nombre d’activités à mener en classe qui laissent souvent peu de place à des travaux ou des aménagements grands consommateurs de temps et d’espace ?

Nous avons toujours eu, en Pédagogie Freinet, une approche originale de la création manuelle et technique par rapport aux instructions officielles.

L'éclatement des nouveaux programmes nous montre que cette activité est transversale par excellence et qu'elle touche de nombreux domaines (sciences, arts plastiques, mathématique, maîtrise de la langue...).

Ce qui en fait une activité importante à nos yeux est qu'elle prend en compte les quatre grands axes de notre pédagogie centrée sur l'enfant. L'organisation d'ateliers de création manuelle et technique permet aux enfants par le tâtonnement expérimental d'émettre, de vérifier et de modifier leurs propres hypothèses, menant à la construction de savoirs personnalisés.

Ces ateliers sont l'objet d'une organisation coopérative pour la gestion du matériel, de travail, la répartition des responsabilités et l'élaboration de règles.

Ils favorisent l'expression et la communication vers les autres.

Enfin, ils permettent la responsabilisation, l'autonomie, la socialisation dans le cadre d'un travail individualisé où chacun peut rester maître de son projet en interaction avec ses pairs et les adultes.

Chaque enfant, grâce à ces ateliers peut trouver sa place dans la classe par la diversité de l'offre et par la prise en compte par le maître et le groupe de toutes les formes d'intelligence.

Denis Demarcy
Patrick Carpentier

L'imagination est plus importante que la connaissance.

Albert Einstein

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Comprendre, c'est inventer ou reconstruire par réinvention. Et il faudra bien se plier à de telles nécessités si l'on veut dans l'avenir façonner des individus capables de production ou de création et non pas seulement de répétition. 

Jean Piaget


Le travail à l’imprimerie scolaire a-t-il encore un sens à l’école ?


Nous avons peut-être trop tendance, même au sein de l'ICEM, à trop intellectualiser la relation au savoir et aux apprentissages. Comment des enfants, divers par leur origine, socio-culturelle, leurs compétences, leurs centres d'intérêt, peuvent-ils se retrouver dans une école où toute relation avec les apprentissages ne passe plus que par une phase intellectuelle ? L’imprimerie a longtemps été la pierre angulaire d’une pédagogie qui se voulait matérialiste ; son abandon au profit des ordinateurs ne signifie-t-il pas la fin d’une éducation qui associait le geste et la parole ? 

La salle de classe Freinet perd son aspect d’atelier

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Actuellement, dans beaucoup de classes Freinet, l’imprimerie a perdu son importance didactique. Elle n’est plus le centre organisateur de la coopération en classe. Pour les enfants, ainsi que pour la plupart d’entre nous, la composition manuelle du texte libre est un modèle dépassé. Dans certaines écoles, ainsi que dans des régions entières, les imprimeries ne s’utilisent plus depuis déjà des années.

Les casses et les presses à bras ont été rejetées et remplacées par une nouvelle génération d’équipements bureautiques. La classe freinet a perdu son identité d’atelier : l’unité évidente entre l’expression libre et la main pensante. Même pour l’acquisition du langage écrit, les cadres de composition et les rouleaux encreurs ne sont plus utilisés : trop de travail !

Pourtant, il existe depuis peu de temps, de la part de la didactique du langage écrit, une étonnante discussion qui se mène sans rapport à la pédagogie Freinet. L’argument principal est la nécessité de former tôt, dès le début de la scolarisation, une conscience du langage écrit. Cette discussion actuelle réclame à grands cris diverses possibilités de pouvoir « prendre le langage dans les mains » : examiner l’inventaire des lettres, découvrir les limites des mots, tourner les lettres et les inverser, épeler les mots de droite à gauche identifier les voyelles qui apparaissent souvent, etc. Autrement dit : si l’imprimerie n’existait pas encore comme moyen de travail, il faudrait l’inventer maintenant. Au moins en début de scolarisation, le travail avec l’imprimerie manuelle paraît avoir de nouveau un sens, si l’on prend au sérieux cette discussion didactique. 

Avons-nous banni trop tôt les casses et les presses à bras de l’enseignement ?

Au moins à l’école primaire, ne devrait-elle pas conserver son caractère d’atelier ? 

Sommes-nous tombés dans la tentative d’habituer trop tôt les enfants au travail bureautique ?

La privation de l’atelier d’imprimerie trompe la main de l’enfant

La salle de classe comme bureau : voici la tentative la plus raffinée de l’école, jusqu’à présent, pour apprendre aux enfants à penser sans les mains. Dans certains endroits, donner la parole aux enfants ne signifie plus que mettre à leur disposition des stations de commandes digitales, à travers lesquelles il leur est permis de communiquer. Loris Malaguzzi objecte que l’enfant a cent langages et cent mains, mais que « l’école et l’environnement lui ont séparé depuis longtemps la tête du corps – 99 mains sont volées ». On sait (et on le trouve souvent dans les écrits d’Elise et Célestin Freinet) que le vieille « école du livre », cérébrale, n’a pas accordé l’espace nécessaire suffisant au développement de la « formation de la main ». Alors faut-il que les enseignants Freinet, pionniers dans la création des coopératives pédagogiques, soient en tête de ligne dans la programmation du cerveau et trompent la main de l’enfant. Pourtant la main est, avec le langage, l’organe le plus important pour l’expression libre.

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Ne privons-nous pas l’enfant, en supprimant un travail « fatigant » de possibilités d’expressions variées ? 

Pourquoi cela ne nous rend-il pas méfiants, que l’enseignement par le livre, d’hier, n’ait été qu’échangé par des logiciels aujourd’hui ? Une erreur historique ne se répéterait-elle pas ainsi ?

Les enfants démystifient l’ordinateur

Le temps de reconnaître notre erreur s’écoule ; chaque mois, on jette des imprimeries scolaires. Une étude récente, réalisée auprès d’enseignantes et d’enseignants sur les perspectives de l’imprimerie scolaire, a révélé des résultats inattendus et surprenants, concernant les pour et les contre des ateliers d’imprimerie, et qui avaient été ignorés jusqu’à présent. Des enfants, qui sur un long espace de temps, avaient appris à apprécier l’imprimerie comme moyen d’expression, refusaient énergiquement l’idée d’échanger les possibilités de l’imprimerie contre les nouveaux médias. Ils voulaient conserver les presses à bras. Apparemment les enfants et les adolescents développent facilement une sensibilité pour déceler la magie trompeuse du logiciel, alors que nous adultes y succombons si vite, de nos jours. Ils vont bientôt deviner les particularités des modes de travail digitaux et découvrir les pièges des nouvelles structures de la communication :  

-Le piège de l’amusement : les nouveaux médias promettent une facilité, un plaisir et une distraction ludique, comme si apprendre n’était plus supportable qu’en tant qu’activité amusante. L’apprentissage en atelier se base en première ligne sur une pédagogie du travail qui ne veut renoncer, ni à l’effort, ni à la peine, ni même à l’épuisement.

-Le piège de la rapidité : les programmes, par exemple dans le domaine du graphisme, offrent un gain de temps et promettent le chemin le plus court, alors que le travail en atelier se définit justement par le fait que l’on peut ralentir les processus d’apprentissage ; des discussions peuvent surgir pendant le processus d’organisation, elles prennent du temps, mais elles permettent à chacun d’approfondir, de grandir. 

-Le piège de la perfection : les nouveaux médias proposent toujours des résultats parfaits, chaque fois plus raffinés et toujours propres. Le travail en atelier conserve une certaine note personnelle, la petite erreur, la « trace biographique », la différence obstinée. C’est l’esthétique de l’imparfait qui fait l’attrait du travail en atelier. 

-Le piège des services : les nouveaux médias mettent à disposition une sur-offre de choix, de fonctions et d’ordres. Même les programmes les plus simples proposent des centaines de polices (le dernier cri étant sa propre écriture, proposée par un producteur de logiciel de Düsseldorf). Ils proposent des milliers de couleur dont les gradations sont à peine perceptibles par l’œil humain. L’atelier d’imprimerie ne peut pas offrir cela – il ne l’a jamais pu et ne le veut pas non plus. 

Avons-nous suffisamment de résistance esthétique, de conscience et de sensibilité politiques pour reconnaître les intérêts de l’industrie du jouet et du matériel d’enseignement, des trusts de rattrapage et  des secteurs de publicité et ainsi, éviter leurs pièges ? Ou bien s’agit-il de tout autre chose : ignorerions-nous complètement l’imprimerie scolaire, tout simplement parce que cela donne moins de travail ?

Herbert Hagstedt

Mouvement Freinet allemand 

Ce texte, présenté lors de la Rencontre internationale des Educateurs Freinet (RIDEF) d’Ysper en Autriche (juillet 2000), a été publié dans la Multilettre de la Fédération Internationale des Mouvements d’Ecole Moderne.


L'imprimerie est-elle ringarde ?  

Telle est la question qu'un co-lisiter de la liste Freinet se posait, nous posait. Si les nouvelles technologies envahissent peu à peu l'école, la question se pose toujours aujourd'hui, peut-être même de manière plus forte, de la place de l'imprimerie dans les techniques Freinet. L'imprimerie n'a peut-être plus la même fonction que du temps où nous n'avions pas d'ordinateurs, de matériel de reproduction de qualité et d'un coût relativement peu élevé. On peut cependant s'interroger sur la place de l'imprimerie, comme sur celle de la création manuelle et technique dans une société de l'image et des technologies de la communication.  

Nous avons peut-être trop tendance, même au sein de l'ICEM, à trop intellectualiser la relation au savoir et aux apprentissages. Comment des enfants, divers par leur origine, socio-culturelle, leurs compétences, leurs centres d'intérêt, peuvent-ils se retrouver dans une école où toute relation avec les apprentissages ne passe plus que par une phase intellectuelle ? Comment des enfants, qui ont des difficultés à entrer dans l'abstraction, peuvent-ils trouver leur place dans un univers scolastique totalement intellectualisé ? 

Il ne s'agit pas de dire qu'on ne doit pas essayer de les aider à accéder à un stade d'abstraction plus élaboré. Il s'agit plutôt de permettre à chacun de pouvoir exister dans la classe, avec ses compétences, de quelque ordre qu'elle puisse être.
En un mot, replacer l'enfant au centre du système. 

Dans ma classe (un CP d'adaptation) j'utilisais la PAO, les nouvelles technologies, Internet conjointement avec l'imprimerie. Qu'ai-je observé avec les enfants qui utilisaient l'imprimerie ? Tout d'abord un attrait, un intérêt suscité par la technique elle même et par les résultats obtenus, par le fonctionnement induit. Même si au premier abord, l'imprimerie, semble nécessiter un temps de travail plus long, plus important, le texte qui sort en est magnifié (par les illustrations en technique d'impression, les tirages couleur...).

Elle permet l'élaboration d'une coopération par la nécessaire organisation des tirages, de l'utilisation et de la « maintenance » du matériel.  

Les théories de Leroy-Gourhan (« Le geste et la parole ») montrent l'importance de la fonction kinesthésique dans le développement de l'intelligence, et je me dis que cette fonction dans l'éducation est fortement minorée dans notre société. Parce que nombre des enfants de la classe avaient besoin de passer par une phase de manipulation, l'imprimerie me semble un indispensable complément des nouvelles technologies. Composer son texte, passer par une manipulation matériellement palpable des mots, des lettres, des lignes et des phrases facilite la construction des représentations, la fixation par une mémoire « physique » d'un certain fonctionnement de l'écrit. 

Donc, non ! L'imprimerie n'est pas « ringarde » . 

Patrick Carpentier, Maître E, GD 80


Question du temps
Gestion du temps

Informatique, cours de langues, décloisonnement, intervenants en tout genre, le temps de l’élève se morcelle de plus en plus. Quelle place reste t’il alors pour les activités dans lesquelles les enfants peuvent expérimenter, tâtonner, gérer leurs propres projets ?
Denis Demarcy (cycle 3 de l’Ecole de Bonnay dans la Somme) répond sur ce sujet à Patrick Carpentier du Nouvel Éducateur (NE).

NE : Denis, tu as moins d'ateliers de créations manuelles et techniques dans ta classe. 

Denis : C'est vrai. J'en ai eu jusqu'à une dizaine, sans compter l'imprimerie qui me prenait tout le couloir avec huit casses et deux presses. Le problème, c'est le temps. Par exemple, nous avions un journal quotidien depuis 1987. Nous avons dû l'arrêter pour en faire un hebdomadaire : nous n'étions plus assez souvent en classe !

NE : Pourquoi ce manque de temps ? Quelles sont vos nouvelles activités ? 

Denis : Des activités régulières (et très intéressantes) sont venues occuper plusieurs plages de notre emploi du temps : les cours de langue, les ateliers décloisonnés (un des volets de notre Projet d'école), l'activité piscine. 

NE : Les cours de langue, c'est juste deux fois quarante cinq minutes ? 

Denis : Nous avons un professeur du collège qui vient. Alors si je veux faire du lien avec la vie de classe, si je veux vraiment coopérer avec cet intervenant, ça prend un peu de temps supplémentaire. Nous faisons chaque jour de petites séquences de révision du cours de langue précédent sous forme de jeu et nous préparons des sketchs pour le cours suivant, une surprise pour le professeur.

Le jeudi matin est pris par les ateliers décloisonnés où chaque maître utilise sa compétence.

Enfin le créneau piscine nous prend 2 heures le mardi matin. En tout c'est presque une journée et demie sur l'emploi du temps. Alors quand on ne travaille pas le samedi matin, la semaine passe très vite ! 

NE : Mais il reste encore du temps… 

 

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Denis : Oui, mais je crois que je dois mieux m'organiser pour profiter du temps qu'il me reste en classe avec mes élèves. La pression extérieure de l'IEN, des I.O., des parents, des médias et les « comptes à rendre » aux parents, aux collègues (par le livret scolaire) ont tendance à trop nous fixer sur la recherche d'acquisition de nouvelles compétences, sur la recherche de moyens efficaces pour une acquisition rapide de ces compétences. On est poussé à chercher la performance. 

NE : Comment s'y prendre autrement ? 

Denis : Les enfants ont besoin dans la classe, entre les activités collectives, d'ateliers de « respiration », d'ateliers libres où ils peuvent aller à leur rythme, sans le maître derrière leur dos. Ce sont des ateliers où ils peuvent gérer leurs propres projets, où ils peuvent se construire, se servir de compétences acquises ou en voie d'acquisition pour tâtonner, expérimenter. 

NE : Et tu penses que ces ateliers disparaissent des classes ? 

Denis : Par manque de temps mais aussi par manque de place. Il a fallu au cours des années trouver de la place pour la B.C.D., le matériel informatique et bien souvent la taille des classes n'a pas changé depuis Jules Ferry ! 

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NE : Quels étaient tes ateliers ? 

Denis : J'avais auparavant des ateliers bois, mosaïques, cuir, lattes de bois, créations mathématiques, techno, linogravure, monotype et imprimerie. Les outils existent toujours mais le manque de temps, le manque de place, l'organisation de la classe, les problèmes de rangement, la relation avec la femme de ménage, les ont fait peu à peu disparaître. L'organisation de notre RPI y est aussi pour beaucoup. 

NE : En quoi l'organisation du RPI a eu des répercutions sur la vie de ta classe ? 

Denis : J'avais depuis 1984, quatre cours. Il est extrêmement intéressant dans une telle classe d'avoir des ateliers tampons entre les activités. Cela permet une bonne gestion du temps pour les élèves et le maître.

Depuis quelques années la composition de ma classe change. J'ai parfois tout le cycle 3, parfois 2 cours et certaines fois un seul niveau. Je passe alors beaucoup de temps à rendre les élèves autonomes et j'ai remarqué qu'un trop large éventail de propositions d'ateliers a souvent été un handicap pour ces élèves que je ne gardais qu'un an. Un déséquilibre se produisait dans la classe, les enfants privilégiant ces ateliers mais en voulant tout faire, en papillonnant. Ils ne comprenaient pas l'articulation avec les moments collectifs et n'auraient voulu passer leur temps que dans ces ateliers qui devenaient « occupationnel » et se coupaient de tout objectif de coopération. Alors que dans ma classe à plusieurs cours ils engendraient naturellement de la coopération entre les différents niveaux. 

NE : Comment as-tu remédié à cela ? 

Denis : J'ai commencé à proposer moins d'ateliers et je les ai davantage relié aux besoins de la classe.

J'ai aussi opté pour des ateliers qui proposent des activités courtes. 

NE : Quels sont tes ateliers actuellement ?  

Denis : J'ai un atelier techno avec légos, capsellas, mécanos, matériel électrique, un atelier « jeux », un atelier créations géométriques, un atelier dessin et un atelier informatique. Les enfants ayant moins de temps dans la classe, ces ateliers libres ont glissé vers le temps d'accueil, les temps libres avant et après la cantine surtout les temps de récréation. Ce sont les enfants eux-mêmes qui sont allés vers ces ateliers spontanément à ces moments là. Ce qui m'a montré que le besoin d'effectuer des activités libres, sans contraintes, de manière désintéressée (et non en vue d'une compétence déjà ciblée) était très présent et très fort chez les enfants. 

NE : Ces ateliers te donnent-ils satisfaction ? 

Denis : Ils sont intéressants parce qu'ils impliquent une coopération entre les enfants mais je souhaite, grâce aux fichiers FTC et CTC dans la classe, redonner leur places à des ateliers de création manuelle et technique. 

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NE : Quels avantages pédagogiques y trouves-tu ? 

Denis : La création manuelle et technique est souvent mise à contribution pour un projet. Son rôle y est alors précisément défini. Exemple, dans un projet de défilé carnavalesque, on doit construire des chapeaux. C'est un projet collectif.  

Ce qui me semble très intéressant dans les ateliers libres de création manuelle et technique c'est que n'importe quel enfant de la classe peut se lancer dans son projet propre puisqu'il va présenter son projet, chercher de l'aide, négocier éventuellement des achats, se servir des compétences du groupe pour arriver à produire son objet. 

Les projets de classe sont souvent très intellectualisés et des enfants en difficulté, loin de ces enjeux risquent de ne pas participer. Avec les ateliers ouverts, des enfants en difficulté dans d'autres disciplines peuvent y réussir, prendre confiance en eux et entamer des processus de socialisation dans le groupe où ils vont trouver leur place. Donner sa place à chacun c'est un des axes importants de notre pédagogie populaire. N'oublions pas la spécificité de la Pédagogie Freinet, la pédagogie matérialiste. Toutes les formes d'intelligence doivent trouver leur place dans l'école. Notre richesse c'est d'offrir une grande diversité de moyen dans nos classes pour permettre à chacun de s'épanouir. 

Maurice Choquet 

Toute une génération d'écoliers a fréquenté la classe de Maurice Choquet, instituteur à Allonville de 1954 à 1977. Une collection de plusieurs centaines d'œuvres émane d'une pédagogie originale qui avait placé la création artistique au cœur de l'enseignement élémentaire. 

Présentes dans la mémoire de ses anciens élèves qui les ont réalisées et de ceux qui les ont un jour découvertes, ces œuvres, qu'il caressait de ses mains robustes, témoignent aujourd'hui de la passion d'un maître pour son métier. Voir l'objet, « l'œuvre », sortir en quelque sorte de l'informe, par une alchimie à laquelle le maître et l'élève avaient contribué, les élevant au-dessus d'eux-mêmes sans que l'on puisse identifier la part de chacun, était un moment d'émotion contenue et fierté partagée. Sublimer les capacités de l'élève, Maurice Choquet s'en était fait une philosophie. Tout ce que le village proposait comme matériau était utilisé, jusqu'aux objets de récupération : terre, charbon, craie, sable, tôles ondulées ou plates, affiches déchirées, goudron, carton, bouchons, toiles, plumes, poils, crin, on faisait flèche de tout bois. Il embrasait l'imagination en s'appuyant sur le tréfonds d'une culture rurale authentique, l'avivait par des images palpables de la vie quotidienne. Il rendait ainsi accessible l'abstrait et les sentiments les plus subtils. La création artistique devenait ainsi la voie de la connaissance, les élèves la percevant avec beaucoup plus de réalité et de force que dans une leçon ordinaire. Il pensait sans aucun doute que la beauté servait la pensée. 

J. M . Gaudefroy


Création manuelle et technique
en lattes de bois

Promouvoir une « pédagogie du concret », responsabilisante et donnant du sens à la recherche, en proposant aux enfants une activité technique simple, facile à mettre en place, même lorsque les conditions matérielles sont limitées, telle est l’idée lancée par le secteur « création manuelle et technique » de l’ICEM et expérimentée par de nombreux collègues.

«Autrefois, l’école était essentiellement rurale et il lui revenait de communiquer le sens de l’abstraction. » constatait Pierre-Gilles de Gennes, interpellé à Europe 1 sur la créativité des Français. «La situation étant aujourd’hui inversée, il lui faudrait redonner le goût du concret. » 

Et, peut-on ajouter, avec la standardisation des modes de vie, l’omniprésence de la télé, des jeux vidéo et des mondes virtuels, autant aux jeunes ruraux qu’aux jeunes urbains. 

Or, l’espace disponible pour la simple fabrication manuelle, si indispensable au développement et à l’équilibre de chacun est aujourd’hui, y compris dans le secondaire, réduit quasiment à rien au niveau des programmes.

L’expérience le prouve pourtant constamment, les enfants, individuellement comme en groupes, sont parfaitement capables de construire ou de créer dans le domaine manuel et technique autant que dans un autre. Il suffit de leur en donner le goût, l’occasion et les moyens.

Le problème, tel qu’il nous apparaît aujourd’hui se résume donc à essayer de promouvoir une pédagogie du concret technique :

-recentrée sur des productions en vraie grandeur,

-responsabilisant par une démarche de projets décidés, pris en charge et gérés de façon coopérative,

-donnant goût et sens de la recherche à travers un tâtonnement expérimental décomplexé,

-développant l’esprit d’initiative individuel et collectif en privilégiant les situations d’exploration et de créativité. 

En Septembre 86 déjà, la présente  revue évoquait une technique qui fut ensuite expérimentée à différents niveaux par nombre de camarades.

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Une technique simplissime... 

Une technique qui, d’abord, ne nécessite pas d’interminables apprentissages pour le maniement de tel ou tel outil. Pour ne déboucher au bout du compte qu’à la fabrication par tous, à l’identique, du modèle imposé par le professeur ! 

On a simplement à mesurer (mètre), scier des lattes à 45° ou 90° avec une boîte à onglets, à parfois les percer (vrille), les assembler (équerre) et coller (colle à bois, pinceaux et serre-joints), les poncer (cale à poncer et papier de verre) et les cirer. Ici et là un peu de quincaillerie (crochets, charnières, pitons… ) et c’est bien tout. 

… mais quasi universelle 

Une technique surtout qui permette pratiquement tout projet de fabrication qui puisse vous passer par la tête. 

A condition de rester dans le cadre d’un objet en bois et de ne pas dépasser certain volume tout, ou à peu près, est envisageable. 

Aussi bien le jouet que l’objet utilitaire : ustensile de cuisine ou de bureau par exemple. Voire décoratif : cadres, mobiles ou stabiles. Aussi bien les boucles d’oreilles que le garde-manger à fromages, la boîte à crayons, la corbeille à fruits, le dérouleur à papier W.C. ou la cage à grillon. Au gré de l’humeur, du goût, du plaisir ou du besoin de chacun. 

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Un objet original que les parents n’achètent pas pour faire plaisir ou aider l’établissement. Qu’ils désirent d’abord, bien sûr, parce que c’est l’ouvrage propre à leur gosse, mais aussi parce qu’il trouvera sa place dans la maison, vu qu’il est aussi fonctionnel qu’esthétique ! 

Nettement plus que le tableau de nouilles collées en primaire ou le cadre à photo en plastique au collège !           

Une technique qui permette d’acquérir confiance en soi autant qu’en ses copains ! 

Un exemple de réalisation collective en avait été donné avec le projet ‘’maison de poupées‘’ également présenté sur FR3. 

De multiples autres en sont en tous cas disponibles dans le fichier que l’on peut se procurer auprès du secteur ‘’Création Manuelle et Technique’’ de l’I.C.E.M. ou télécharger à partir du site internet du secteur.

 

Contraintes et créativité 

Au début ma position fut plus « directive » qu’elle ne le devint sur la fin. En ce sens que les premières projets sont autant sur « sujet » que sur « matériau » imposés ! 

Mes élèves du Collège Barbey, quartier de la gare à Bordeaux, comme mes premiers collégiens de Vergt, en Dordogne, se virent en effet uniquement proposer de réaliser des dessous de plats, uniquement avec du carrelet de 14 (autrement dit de la latte à section carrée de 14 mm). 

Ce qui n’empêcha nullement les enfants de prendre plaisir à pareille réalisation. Et c’est vrai que je dois avoir, dans trois classeurs, conservé près de mille dessins, tous différents, desdits dessous de plats.

Difficile de ce fait d’imaginer les hésitations à n’en plus finir lorsque j’en suis venu à dire : « Vous disposez de cette soixantaine de lattes diverses pour créer l’objet de votre choix » L’angoisse de la page blanche, pourrait-on dire ! 

Mais les choses se présentent parfois différemment : témoin Nathalie et sa moto. 

En début d’année ils avaient donc à peu près un mois pour décider de l’objet que chacun entendait dessiner avant fabrication. Chaque semaine je leur rappelais la chose.

« - Alors, qu’est-ce que tu as choisi de fabriquer ?

Une moto. 

-En lattes de bois ? Ca ne va pas être évident, tu sais : pas facile à dessiner et le résultat risque de ne pas être terrible 

Bouderie prolongée. La semaine suivante : 

«Alors qu’est-ce que tu décides ?

- Une moto.

- Si tu veux, mais je t’aurai prévenue : ça risque d’être long et décevant. Tu n’as vraiment pas envie de faire autre chose ? 

Bouderie renforcée.

« Alors ?         

Une moto ! » 

En fait, je n’aurais jamais cru que l’on puisse réaliser une moto aussi chouette avec des lattes de bois. J’ai dû finalement le reconnaître et même la féliciter pour son entêtement. 

Une copie de ladite moto fut même réalisée pour voisiner, dans le garage de la maison de poupée avec un vieux tacot, lui-même assez réussi. 

Autre réalisation remarquable, celle de Lionel, infirme moteur cérébral en fauteuil roulant qui dessina un petit billard japonais, avec billes qui, une fois propulsées par tirette reliée à un élastique, après avoir emprunté une des quatre ouvertures rondes, descendaient la pente ménagée en dessous. Et pouvaient être récupérées dans la gouttière ménagée en bas, à l’avant. 

Il fut bien sûr aidé pour la fabrication par deux fidèles camarades et put partir avec, sur les genoux, son étonnante réalisation. 

En fait, outre ceux des dessous de plat, c’est une douzaine de classeurs de dessins d’objets divers, tous différents eux aussi, imaginés par les jeunes, que j’ai conservés.

 

L’esprit gestionnaire  

Autre chose que cette technique peut apprendre : le sens de la valeur des choses. Par exemple le réflexe, lorsqu’on a besoin de 15 cm de latte de tel type, plutôt que se précipiter sur une latte neuve, d’aller d’abord voir s’il n’en reste pas un bout provenant d’une déjà entamée. Donc prendre l’habitude de ranger ces lattes par catégories. 

Apprendre à calculer le coût d’un objet : par exemple 15 cm de telle latte vendue telle somme les 180 cm plus telle longueur de telle autre, vendue elle à tel prix. Plus 20% pour la colle et l’amortissement de l’outillage. Excellent pour apprendre la règle de trois ! 

Total doublé pour en tirer bénéfice pour d’autres projets de la coopé si, ce n’est pas son inventeur qui achète ce qu’il a fabriqué. 

« Mais comment diable, ai-je aussi parfois entendu, peut-on s’occuper en même temps de tant d’enfants poursuivant des activités si délibérément diverses? » 

J’avoue éprouver quant à moi la même perplexité à l’idée d’une même réalisation voulue au même rythme pour chaque élève alors que certains ont pu être absents une fois, d’autres deux, d’autres trois… et bien sûr jamais en même temps ! 

Ce qui est certain c’est qu’avec tant de lattes différentes et tant d’objets en chantier non moins différents, il nous fallait veiller au grain pour ne pas nous retrouver en manque de telle ou telle latte. Une fois par semaine, parfois deux, il me fallait me rendre au magasin de bricolage le plus proche pour réapprovisionner l’atelier.

 

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Une technique adaptable à l’école primaire            

Cette technique, des camarades du Mouvement Freinet l’ont expérimenté avec des enfants plus jeunes. Les premiers en classe unique : Daniel Cheville d’abord, ‘’cheville’’ ouvrière (!) des fiches éditées par le secteur Création Manuelle et Technique de l’I.C.E.M.  

« Les lattes de bois ont bien marché dans ma classe. Deux raisons principales : fabrication simple et rapide, motivation pour préparer une visite chez les correspondants qui étaient venus avec des cadeaux. » 

Christine Charles ensuite : « L’atelier lattes est coopératif par excellence. Les plus habiles y forment les non initiés. La classe unique permet en outre une réelle coopération entre tranches d’âge. Si certaines réalisations demeurent individuelles d’autres sont l’occasion d’un véritable travail d’équipe. 

« Un village a ainsi été entièrement réalisé, du plan à la finition - ponçage au papier de verre – par un CP et une CM2 sans aucun heurt ni prise de pouvoir. La fille de CM2, maintenant au collège, ne manque pas de montrer cette réalisation aux visiteurs de passage sans jamais oublier de présenter son collaborateur, maintenant au CM1, qui a fait depuis quelques restaurations. 

« Les objets créés : voitures, locomotives, bulldozers, petits véhicules de toutes sortes, maisonnettes, mobilier, dessous de plat, boîtes, jeux de société… sont des supports importants pour des jeux libres.  

« Les réalisations ont été offertes aux correspondants ou aux parents, certaines ont été fabriquées dans un but utilitaire, boîtes de rangement par exemple. 

« Mon rôle d’enseignante, n’intervenant ensuite qu’à la demande, aura été d’amener le matériel et de proposer des exemples de ce qui pouvait être réalisé. » 

Serge Durrieux les proposa à ses CE2 : « Avec des enfants de 8 à 9 ans, je m’attendais à des difficultés. Ma surprise a été de voir une grande variété d’objets conçus et fabriqués par les enfants : plusieurs modèles de voitures, de camions, d’autobus, de tracteurs, de motos, de scooters mais aussi une armoire de poupée, des boîtes à bijoux ou des coffrets de rangement de cassettes. 

« Ma seconde surprise a été de voir que tous les projets ont abouti, grâce, il est vrai à beaucoup d’aide de ma part mais aussi de l’entraide de ceux qui avaient acquis des savoir-faire. Magie de voir leur esquisse sur papier se transformer petit à petit en un objet qui est beau et qui fonctionne. 

« C’est vraiment une activité complète et très riche de recherche, de création et de réalisation technique faisant appel à de multiples savoir-faire : imaginer un objet en volume, copier un modèle, mesurer, découper, poncer, coller, assembler, calculer (le prix de revient par exemple) mais aussi : s’entraider, expliquer, guider… »

                       

Voire en maternelle ! 

C’est Dominique Marchal qui est allée le plus loin en le proposant en atelier à ses élèves de moyenne section ! 

« On croit trop souvent les petits incapables de trop de choses. Bien à tort la plupart du temps : il suffit de leur faire confiance ! » écrivait-elle. 

Elle a, bien sûr, bien préparé le travail des enfants en mettant d’abord à leur disposition une série de morceaux de différents types de lattes préalablement coupés par elle. Des chûtes récupérées d’autres réalisations auraient aussi pu faire l’affaire. 

Elle a distribué, comme déclencheur, des photocopies du recto d’une fiche élaborée avec Daniel Cheville sur de mutiples automobiles imaginables à partir de semblables chûtes. Qui servit aussi de logo illustratif pour désigner l’atelier. 

Les roues font souvent problème : diverses solutions ont été envisagées au niveau de leur fabrication ou de leur fixation. Elles ont d’ailleurs été montrées dans des fiches SBTJ. Dominique s’en tira en les simulant à l’aide de quarts de rond ou de diverses sortes de rondelles. 

Ses élèves n’ont pas eu à percer ou à couper. Simplement à assembler des chûtes de lattes pour figurer corps du véhicule, cabine, roues, etc… avant de proposer un projet non collé à la maîtresse. Il leur fallait donc, pour réaliser ce qu’ils avaient en tête, choisir d’abord les morceaux, réfléchir, essayer, les bouger pour tester où et comment les coller… 

Certains ont même proposé des objets non prévus sur la feuille « déclencheur » : camions, bus, tanks, bateaux …

Ils ont eu ensuite à poncer tous les morceaux à la main, ce qu’ils faisaient avec sérieux et application. Ils ponçaient debout, ils ponçaient assis mais toujours dans la bonne humeur. Parfois pourtant ça ne marchait pas : encore fallait il utiliser le bon côté du papier ! Et frotter dur : « faut que ce soit bien lisse pour qu’on puisse coller ! » 

Ils avaient d’abord tendance à ne pas mettre assez de colle, puis trop. Ce qui les obligeait à enlever ce qui débordait avec un chiffon. On mettait de la colle partout … même sur les doigts. Heureusement ce n’était que de la colle blanche, de la colle à bois. Parfaitement sans danger même si indiqué ‘’à prise rapide’’. 

Ici le serrage n’était pas indispensable : on posait un morceau sur l’autre, on appuyait un petit moment après avoir essuyé la colle ayant débordé. Mais il s’avérait dur d’attendre que ce soit sec. 

Les objets sont restés à l’école pour l’expo de fin d’année. Les enfants ont plaisir à les montrer.                                                

Alex LAFOSSE

Secteur création manuelle et technique

Site de téléchargement des fiches (réservé aux adhérents du site)

https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/22435

https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/23721

Aline et Marie France, collégiennes à Vergt ont présenté cet atelier, cette année là sur FR3 Limoges.

 

Marie-France : « Pour fabriquer des objets en lattes, il faut d’abord, bien sûr, des lattes. On en trouve de très nombreuses sortes dans les magasins de bricolage : des rondes, grandes ou petites, des ½ rondes, des ¼ de rond, des carrées de diverses sections, des rectangulaires plates ou épaisses.

Aline : « On en trouve aussi de, disons : « biscornues » parmi lesquelles une qui sert assez souvent : la « langue de chat » ou latte à 2 bords ronds.

Marie France : « La première des choses est sans doute de dessiner ce qu’on a en tête de faire

Aline : « Pour couper ces lattes, il faudra une boîte de coupe et une scie à dos (gros plans)

Marie France : « Pour les assembler vous utiliserez une colle blanche appelée aussi colle vinylique, vendue en différents pots dans les magasins de bricolage.

Aline : « Attention : il faudra enlever soigneusement les bavures de colle avant de laisser sécher les assemblages, maintenus le temps du séchage entre des élastiques ou des serre-joints.

Marie-France : « Mais attention aussi à ne pas blesser le bois avec le métal des serre-joints : interposer des cales en bois ou du carton épais »