Et si on donnait un nom à notre école?

Novembre 2000

Roland Huguet est l’instituteur de la classe unique du Crozet dans la Loire, il nous présente ici une tranche de vie de sa classe. A travers cette chronique, on retrouve tout ce qui fait la richesse de la classe coopérative : les institutions, la pédagogie de la communication… et la part du maître, là pour accompagner les projets des enfants.

 

 

 

Voilà comment a commencé toute l'affaire, une banale réunion de coopé, et une banale question et surtout une drôle d'idée : donner un nom à une école, pour personnifier l'esprit qui y règne, pour se faire plaisir, pour montrer notre différence, pour montrer qu'on existe..... Qui sait ?


Toujours est-il que nous voilà embarqué dans cette histoire depuis maintenant 6 mois et que ça nous occupe tous les jours. Devant ce curieux projet je décide de me renseigner auprès de mon IEN : « Il faut que vos élèves me fassent un courrier m'expliquant leur projet » . Les enfants se mirent au travail et une lettre fut envoyée.
Mon IEN leur répondit bien volontiers trouvant cette idée originale et intéressante. Il proposa aux enfants de rédiger une sorte de dossier qui exprimerait les raisons pour lesquelles ils veulent donner un nom à leur école.

Donc je reviens à cette lettre de l'IEN qui fut lue lors de la réunion de coopé suivante. Les enfants furent surpris du boulot que cela leur demanderait, ils pensaient que cela se faisait comme ça ! Je leur dis : « Maintenant que l'affaire est lancée vis à vis de l'Administration et vis à vis du Conseil Municipal , il n'est plus question de faire machine arrière ! ». Je les incitai quand même à réfléchir sur le nom qu'ils voulaient prendre et de faire plusieurs propositions .

Réunion de coopé suivante : on a décidé que l'école serait baptisée École Philippe Monnet. Ils étaient tous d'accord, il n'y a pas eu d'autres propositions. Alors pourquoi Philippe Monnet ? Je vous dois quelques explications.

Le grand projet de cette année 1999-2000 était de suivre une famille qui était partie faire le tour du monde en trois ans, on avait discuté des modalités techniques pour les accompagner régulièrement dans cette aventure : envoi de fax, messages internet, communications par satellite Inmarsat. Malheureusement, cela ne marcha pas, des problèmes d'envois parasitèrent l'enthousiasme des enfants.

 

Janvier 2000 : un enfant de l'école regarde l'émission Thalassa et apprend qu'un navigateur appelé Philippe Monnet va partir le 9 janvier faire un Tour du Monde à la voile sans escale et en plus à l'envers : Cap Horn, Antarctique, Australie, Cap de Bonne Espérance.C'est une aventure extrêmement difficile car tout cela se passe contre les vents et les courants dominants.


Enfin bref, cet élève proposa donc à la classe de suivre Philippe Monnet en utilisant Internet. On décida aussi qu' à chaque fois qu'il longerait un continent on ferait un exposé sur celui-ci, c'était une bonne façon de faire de la géographie et des maths. On s'abonna à la mailing liste sur www.70degressud.com pour recevoir les nouvelles régulièrement et aussi les positions du bateau.

J'achetai une grande carte du monde sur laquelle les enfants par groupe de deux chaque jour plaçaient les positions du bateau et lisaient les dépêches sur Internet. On se fit connaître auprès du PC course de Philippe Monnet, auprès de son attachée de presse (les enfants lui téléphonant régulièrement à Paris pour lui demander des posters !). On lui écrivit des messages par Internet, malheureusement, il ne put répondre qu'à un seul message car son matériel fut détruit lors d'une tempête dantesque qui le projeta sur ses ordinateurs.

 

On commença les exposés, puis une histoire longue qui raconte notre Tour du Monde à nous (Nous n'avons pas encore fini !). Je voyais que ce Philippe prenait une place de plus en plus grande, les enfants s'inquiétaient pour lui lors de la lecture des messages, leurs regards se perdaient du côté de l'équateur et son fameux Pot au Noir, puis vers l'Antarctique et ses icebergs, j'ai même vu des enfants rester debouts devant la carte et la regarder, en effleurant du bout du doigt le parcours du navigateur... Puis, avec l'écriture de notre histoire commença notre Tour du Monde, on écrit ça collectivement : «  on s'y croirait ! » me lança un jour un enfant, « tu crois qu'on pourrait faire ça un jour Roland ? »

 

Lundi 5 juin : un coup de fil de France Info, un journaliste venait à l'école pour interwiewer les enfants et pour enregistrer leur dialogue avec Philippe Monnet, on lui retéléphona, cette fois-ci gratuitement ! Il approchait de Brest la fin de son aventure était proche. Il y avait la même intensité dans le regard des enfants, la même passion, le même intérêt.

Jeudi 8 juin, trois stagiaires de l'IUFM sont là dans la classe, les yeux ébahis devant mes élèves qui répondent aux questions d’une journaliste de RTL sur Philippe Monnet. C'est là que j'ai vraiment pu mesurer ce que Philippe représentait pour eux et je ne suis pas étonné de leur choix pour le nom de l'école. Je ne suis pas étonné non plus que ce soit mes CM2 actuels qui aient eu cette idée de donner un nom à l'école, comme pour laisser une trace indélébile de leur passage, de leur vie dans cette école, comme l'ont fait leurs anciens copains avec leurs bateaux, eux aussi ils avaient envie de faire un grand coup, ils sont en passe de réussir leur pari : donner un nom et faire venir Philippe Monnet au Crozet ! Il leur a promis qu'il viendrait inaugurer l'école.



Donner un nom à son école : marche à suivre

 

Il faut savoir que cette procédure relève de la compétence du Conseil Municipal de la commune concernée, que l'administration a un droit de regard sur le choix du nom donné à un établissement scolaire public. Ce nom peut-être celui d'une personne décédée ou vivante, des arts, des lettres ou du milieu sportif ou scientifique (Il est évident que le choix du nom doit faire l'objet quand même d'une certaine vigilance).



 

En direct avec Philippe Monnet

 

Un jour Marie, son attachée de Presse appelle la classe : « Est-ce que ça vous dirait de parler à Philippe par téléphone satellite ? »

La réponse ne se fit pas attendre. Il régnait une certaine fébrilité ce jeudi 25 Mai, une journée à marquer dans les annales de l'école. On allait parler avec Philippe Monnet, en direct ! On prépara des questions, une bonne vingtaine. On installa le dispositif : un téléphone avec un haut parleur, un magnétophone à cassettes et mes petits autour les yeux rivés sur le téléphone.

10 h 30 : le journaliste du Progrès entre dans la classe, nous sommes prêts.

10 h 45 : premier essai, le téléphone sonne aux antipodes , ça décroche ! : « Allo ? Philippe Monnet ? Ici l'école du Crozet dans la Loire, vous nous recevez ? »

Des bruits bizarres viennent troubler le silence de la classe, pas un bruit, les élèves sont littéralement scotchés sur leurs chaises, le président de coopé tient le cahier des questions et les ordres de passage.

Puis une voix lointaine se fait entendre : « Heu oui , je vous entends ! Excusez-moi, je suis en train de manoeuvrer, rappelez moi dans 5 minutes, j'aurai terminé ma manœuvre. D’accord ? »

On entendait l'eau qui s'écoulait le long de la coque de son bateau : merveilleuse technologie ! On rappela, j'étais aussi ému que les enfants .

- Bonjour Philippe, je suis l'instit du Crozet, mes élèves ont quelques questions à vous poser. »

-Vous êtes du Crozet ? Les îles Crozet ?

-Ah non pas du tout, Le Crozet est un village du Massif Central, on vous suit depuis le 9 janvier…

-Ah d'accord, oui ça y est on m'a averti de cette communication hier exact…

Puis ce fut au tour des enfants, certains bafouillaient, d'autres très à l'aise posaient leurs questions : sur sa vie, sur sa passion, sur son bateau, sur le Tour du Monde. On lui demanda quels animaux il avait vus, si la mer était si sale qu'on le disait : il devait faire le ménage tous les matins sur le pont du bateau pour enlever les sacs plastiques et autres cochonneries que nous jetons en mer. Puis les enfants lui demandèrent s'il était d'accord pour que leur école s'appelle "Philippe Monnet ", il nous confirma son accord. Puis on lui parla de Brest 2000, de notre stand, de nos bateaux, les enfants discutèrent avec lui trois quarts d'heure (Mon Maire a été averti de la note certainement un peu élevée du téléphone ce jour là ).

 

Puis on raccrocha car il devait manoeuvrer à nouveau .



 

Pendant l’été !

 

Nous avons donc participé à Brest 2000, nous étions au salon du patrimoine du Chasse-Marée, les enfants se sont régalés avec Henri Rannou fantastique metteur de bateaux en bouteilles et fabuleux musicien ! Le bilan est positif, de bons contacts avec des passionnés, avec des collègues et avec un partenaire financier, comme on dit, qui serait prêt à nous aider pour faire une escapade sur La Loire… Enfin c'est dans les cartons et sous le coude !

Mes petits ont invité mon IEN en Juin dernier et ont présenté leur projet, il a été enchanté devant leur travail et leur détermination. Puis, ils l'ont présenté lors d'une réunion de conseil municipal début juillet avec les panneaux d'expositions et la cassette audio de nos vacations radios avec Philippe. Vote du conseil municipal : oui à l'unanimité, ils criaient de joie dans les rues du Crozet , ils avaient réussi.

Fin août, coup de fil de l'attachée de Presse de Philippe qui voulait des nouvelles des démarches des enfants : je lui annonce que c'était bon cela était accepté. On fixe une date approximative : Philippe viendra baptiser l'école début novembre et présentera son livre, voilà une année scolaire qui commence bien ! non?

Mais, car il y a un mais ! Le lendemain, coup de fil de la Sous-préfecture de Roanne à la mairie du Crozet, qui demande l'annulation de la délibération du conseil municipal concernant la dénommination de l'école. Refus de la Sous-préfecture, car Philippe Monnet n'est pas mort et que son exploit n'est pas entré dans l'histoire de notre pays ! Je suis écoeuré ! Je ne sais pas comment anoncer la chose aux enfants, je trouve cette attitude proprement scandaleuse et je ne vais pas en rester là ! Voilà comment on bouzille une attitude citoyenne d'enfants responsables et porteurs d'un projet, j'ai du mal à comprendre des adultes qui agissent de la sorte en se retranchant derrière des textes de loi, la secrétaire a essayé de faire comprendre que c'était des enfants qui avaient mené ce projet : qu'est-ce qu'elle n'avait pas dit la pauvre !

 

Il va falloir se battre pour que des enfants soient reconnus et après on parle de respect mutuel !