Pauvreté et échec scolaire

Décembre 2000

Champ social

 
Pauvreté et échec scolaire
 
Nous regrettions, lors de notre congrès de Rennes, l’abandon de toute réflexion critique sur l’école.
Pourtant, depuis peu, des chercheurs questionnent à nouveau le fonctionnement de l’école.
Même si nous avons évoqué ces questions dans de précédents dossiers, l’installation du Haut Conseil de l’évaluation de l’école montre qu’elles sont d’actualité. « Un ministère de l’éducation qui ne serait pas pourvu d’un bon système d’évaluation serait un bateau sans boussole » affirme le ministre de l’éducation[1].
On ne court semble-t-il désormais plus le risque d’être accusés d’archaïsme lorsqu’on s’interroge sur le rôle de reproduction des classes sociales et sur la fonction de légitimation joué par l’école dans cette reproduction.
Plusieurs études récentes s’attachent aux raisons de l’échec scolaire. Les résultats sont parfois explosifs !
L’une d’elles[2] pointe, en particulier, « la persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire. » Bien plus, elle affirme que « le revenu des parents a un effet 'causal' important sur les carrières scolaires des enfants. Tout se passe comme si les enfants naissant dans les familles appartenant aux 20% les plus riches partaient avec une ou deux années de maturité supplémentaires sur les enfants naissant dans les familles appartenant aux 20% les plus pauvres. » C’est ainsi que « 62% des enfants de 15 ans appartenant aux 20% des familles les plus modestes sont en retard en troisième, contre seulement 17% des adolescents appartenant aux 20% des familles les plus aisées. »
Pour ces chercheurs qui, pour la première fois, ont mis en relation la réussite scolaire et les revenus des parents, « l'effet revenu domine le capital scolaire des parents. »
Difficile, face à ces chiffres, de ne pas prendre en compte leur interprétation des résultats : « plus les revenus sont élevés, plus les parents sont à même d’offrir à leurs enfants des conditions de vie favorable à leur développement. » Peut-on en conclure mécaniquement, comme ils le font, que : « Toute politique de redistribution de revenus en direction des familles modestes aura pour effet d'améliorer les performances scolaires relatives de leurs enfants » ? Ce n’est peut-être pas aussi simple. Pourtant, ce constat « nous encourage – si besoin était – à poursuivre notre combat pour la redistribution égalitaire des richesses ! »[3]
Même si une autre étude[4] vient, en partie, contredire leurs conclusions en affirmant que « l'inégalité devant l'école s'exprime davantage comme une inégalité culturelle (via le diplôme de la mère ou celui des parents) que sous la forme d'une inégalité strictement sociale », les auteurs ne peuvent nier cette inégalité et concluent d’ailleurs que « les inégalités sociales devant l'école demeurent aujourd'hui fortes. »
Bien sûr, il n’est pas question de considérer la massification comme une erreur. Elle a permis, sans conteste, d’élever le niveau général de toute la population. De 1966 à 1975, le nombre de bacheliers est passé de 11% à 24% d’une génération. Cette tendance s’est accentuée entre 1985 et 1995. Aujourd’hui le taux de réussite au baccalauréat est proche de 80%. Les enfants d’ouvriers ont aujourd’hui 3,5 fois plus de chance qu’il y a dix ans d’effectuer des études supérieures. Toutefois, ils sont plus de 40% à avoir quitté l’école dix ans après leur entrée en sixième contre 20% pour les professions intermédiaires et moins de 5% pour les enfants de cadres et d’enseignants. 55 % de ces enfants redoublent la troisième. De même dans les classes préparatoires aux grandes écoles, 52% des élèves sont des enfants de cadres, de professions libérales ou d’enseignants alors que seuls 6% sont enfants d’ouvriers. En outre, à l’université, les jeunes de milieux populaires choisissent en majorité des études supérieures courtes [5].
Un autre aspect de ces études nous interpelle directement, nous qui avons milité pour la mise en place des cycles à l’école. Dominique Goux et Éric Maurin [6]se sont intéressés aux résultats de cette réforme mise en place en 1991. Leurs conclusions sont peu encourageantes : « Globalement, on ne constate aucune baisse de l'inégalité des chances après la réforme. Elle atteint son objectif de faire baisser les redoublements, mais pas celui de limiter l'inégalité des chances. » Gardons-nous d’en conclure à l’inefficacité de ces mesures. Les causes de l’absence d’effet sur l’échec scolaire sont certainement à chercher ailleurs. On peut effectivement penser comme Éric Dussart [7] que « la mise en place des cycles (…) n’a modifié en rien la pédagogie et le rapport à l’école. Cette remarque est également valable pour les ZEP où les effectifs par classe ont certes été allégés, mais où l’enseignement n’est pas toujours adapté aux enfants de milieux populaires. (…) Bref, il y a coupure entre les savoirs et le sens qui leur est donné. »
Les questions que nous nous posions lors de notre congrès de Rennes sur les pratiques réellement susceptibles de permettre aux enfants de familles défavorisées ou distantes vis à vis de l’école sont donc plus que jamais d’actualité.
 
Jean-Marie Fouquer
 
 


[1] Le Bars, S. (2000) : « L’éducation nationale parie sur l’évaluation pour piloter l’école », dans Le Monde, 17 novembre 2000.
[2] Goux, D. et Maurin, E. (2000) : « La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire », dans France, portrait social ; Paris, INSEE.
[3] Dussart, E. (2000) : « Pauvreté et réussite scolaire », dans L’École Émancipée », n° 4, novembre 2000.
[4] Thélot, C. et Vallet, L.-A. (2000) : « La réduction des inégalités sociales devant l'école depuis le début du siècle », dans Économie et Statistiques, n° 334 ; Paris, INSEE.
[5] Fournier, M. (2000) : « Dynamiques de changement », dans Sciences humaines, n° 111.
[6] Goux, D. et Maurin, E., op. cit.
[7] Dussart, E., op. cit.