Une journée à l'école Freinet de Mexico

Janvier 2001
Mexique

 

Étudiante en Licence de Sciences de l'Education et intéressée par les méthodes actives, Emilie DEROIN-THEVENIN a profité de son voyage au Mexique en 1997 pour voir ce qu'il en était des méthodes Freinet outre-atlantique.
 
Graciela Gonzalez de Tapia lui a fait visiter l’école Manuel Bartolome Cossio.
 
 
 
L'école, créée en 1964 par José et Graciela de Tapia, se trouve au sud de la ville, dans un quartier paisible. Les 280 enfants, âgés de 3 à 12 ans, sont répartis en six niveaux. Ils ont cours de 9h30 à 14h00 avec une récréation de 11h00 à 11h30. L'après-midi est libre et nombreux l'occupent en pratiquant un sport. Le cadre est agréable : les salles de classes, maisonnettes colorées encadrées d'arbustes et de massifs de fleurs égaient la cour de l'école. Les élèves sont issus d'un milieu social aisé puisque l'école est privée et payante.
 
Les activités de l'école
 
La bibliothèque se trouve dans la salle des professeurs de manière à ce que les enfants ayant des recherches à faire puissent leur demander conseil quand ils en ont besoin.
 
Un petit musée a été aménagé ; les thèmes de l'exposition varient tous les deux ans. Cette année les enfants ont fait des recherches sur la culture du maïs, les continents, et les poteries des civilisations anciennes. Un espace est consacré à José de Tapia, surnommé «pépé»; des affaires personnelles y sont exposées et chaque année, le 2 octobre, jour de son anniversaire, des offrandes lui sont déposées. Plus qu'un hommage, on voue un véritable culte au fondateur de l'école.
 
En ce qui concerne l'imprimerie, la vieille presse de l'école a été remplacée par l'ordinateur.
 
Chaque année l'école organise un voyage d'une semaine au cours duquel les élèves de 3ème et de 4ème niveau (8, 9 ans) découvrent les activités économiques d'une région de leur pays : les fermes spécialisées ou les fabriques de Veracruz, de Tuxtla Gutierez, les mines du nord... Ils sont hébergés par leurs correspondants "Freinet" qui viennent à leur tour découvrir la capitale pendant une semaine.
 
Lors du spectacle de fin d'année, des concerts et des expositions sont organisées.
 
Les professeurs spécialisés
 
Ils circulent de classe en classe pour faire de petites conférences sur la chimie, la physique ou la géométrie. Les cours d'informatique, de musique et de sport sont dispensés dans des salles spécialement aménagées. Le jour de ma visite, un biologiste parlait de la pigmentation de la peau et des albinos.
La coopérative
 
C'est une sorte de petite épicerie qui se trouve dans la cour de l'école. L'élève responsable de la coopérative est élu pour l'année lors du conseil de l'école par les élèves et les professeurs réunis. Cette année c'est Frida, une fille de 10 ans (5ème niveau). Elle donne à quelques enfants - à partir du 3ème niveau (7, 8 ans) - des petits cartons remplis de crayons, de boissons et de friandises qu'ils vendent à leurs camarades dans la cour, ceci afin d'éviter d'éventuelles bousculades à la coopérative. Puis ils rapportent les cartons vides (ou non) avec l'argent de la vente. Si les petits de 7, 8, 9 ans ne rapportent pas la somme exacte, on considère qu'ils ont fait une faute de calcul et sont blâmés par un "avertissement" ; au bout de trois, ils n'ont plus le droit d'exercer cette fonction. Pour les plus grands, ils doivent payer de leur poche la différence. Ils sont chargés également d'aider les plus jeunes à gérer leur compte. Les enfants peuvent aussi vendre des objets personnels à la coopérative. Avec l'aide de la comptable de l'école, Frida tient le livre des comptes des produits vendus et achetés dans la journée.
 
Les conseils
 
Il y a deux conseils à Bartolome Cossio : celui de l'école, "la asemblea", et celui de la classe d'Elisa, "la asemblea semanal".
 
"Ainsi nous créons un esprit de démocratie, de justice et de responsabilité qui aide les enfants à grandir.(1)"
 
Lors de "la asemblea", tout le monde se réunit sauf les plus petits (3, 4 et 5 ans). Un président et un secrétaire sont élus pour assurer le bon déroulement de la séance. On y vote les décisions de sorties, les voyages chez les correspondants et l'élection de la responsable de la coopérative…
La "asemblea semanal" n'existe que dans une classe, celle du 4ème niveau (8, 9 ans).
 
La classe d'Elisa
 
Les murs de la classe d'Elisa sont tapissés des lettres de correspondants et de panneaux relatant les événements marquants de la vie de chaque enfant. Dans ce cadre familier, le lundi, "el dia del gobierno", se déroule le conseil pendant 20 minutes après la récréation. Un président et deux secrétaires sont nommés en début d'année par des camarades qu'ils connaissent depuis l'année précédente.
 
Un secrétaire lit le résumé du dernier conseil devant toute la classe. Puis la présidente (qui est aussi la responsable de la coopérative) déclare le conseil ouvert et informe la classe du contenu de chaque papier signé et déposé dans l'urne au cours de la semaine. L'enfant ayant déposé un papier doit se lever pour en expliquer les motifs. On y retrouve des critiques et des félicitations (qui n'entrainent ni récompense ni punition en argent ou en points quelconques) et des propositions d'activités ou de sorties pour lesquelles un vote est organisé. Le second secrétaire écrit au tableau le programme d'activités et du travail de la semaine défini par les élèves.
 
La présidente régule les interventions en interrogeant ceux qui ont la main levée, y compris la professeur.
 
Tous les jeudis, des groupes de deux ou trois élèves préparent des "conferencias", sortes de petits exposés sur un thème libre, préparés en bibliothèque et pouvant faire l'objet d'une sortie ou d'un article de journal. Il peut s'agir du journal de la classe où est inscrit le travail quotidien, ou du journal "el cienpiés", rédigé par les élèves de diverses écoles privées pratiquant des méthodes actives.
 
 
 
1-Extrait de la revue des professeurs de l'école, le Correo del maestro, n°10, mars 97.
 
 
 
Entretien avec
Graciela Gonzales de Tapia
 
Est-ce la méthode Freinet française qui est appliquée dans votre établissement ou bien avez-vous mis en place une pédagogie Freinet mexicaine ?
 
Il n'existe pas de pédagogie Freinet mexicaine pas plus qu'il n'y a de pédagogie Freinet française. Chaque classe Freinet est différente ; tout dépend du professeur, des élèves et de leur milieu social.
 
Ce qui caractérise la technique Freinet c'est sa grande souplesse ; elle peut s'utiliser dans tous les pays du monde, dans n'importe quelle situation.
 
Finalement on peut dire que les méthodes Freinet transmettent avant tout des valeurs universelles telles que le respect, l'autonomie et la responsabilité.
 
Y a t'il une valeur que vous privilégiez particulièrement dans votre établissement ?
 
J’accorde beaucoup d'importance aux relations affectives qui sont très difficiles à gérer. La première idée-force de José de Tapia était de ne pas se contenter de dire les choses mais de les faire, la seconde était de développer la créativité.
 
Les enseignants bénéficient-ils d'une formation spéciale ?
 
Tous les profs ont passé le concours national, ils sont l'équivalent de vos (ex) normaliens. Pour maintenir un bon niveau de connaissances, ils doivent compléter leur formation en effectuant des sorties ou bien en assistant à des séminaires qu'organisent des parents d'élèves. Ceux-ci participent beaucoup à la vie de l'école.
 
Une réunion mensuelle est organisée avec l'ensemble des professeurs afin de discuter du projet pédagogique de l'école, des problèmes rencontrés...
 
En fait les professeurs se fondent dans l'esprit de l'école sans qu'il y ait de formation spéciale académique.
 
Chacun de nous arrive à l'école avec sa propre formation morale et sa propre hiérarchie de valeurs que l'esprit de l'école nous permet d'analyser. Nous prenons conscience que cette formation morale s'enrichit en parallèle avec celle des enfants. Si nous voulons que les enfants acquièrent un certain nombre de valeurs nous devons d'abord vérifier que nous les avons intériorisées.
 
« On ne peut pas donner ce qu'on n'a pas ; pour développer le respect, il faut être respectueux. La formation morale ne s'enseigne pas, elle se vit et sans elle il ne peut y avoir de formation humaine authentique (1)».
 
Quelle est l'histoire de la diffusion des méthodes Freinet au Mexique ?
Dès le début de sa carrière en Espagne, mon mari José de Tapia, décédé en 1993, utilisa les techniques Freinet et notamment l'imprimerie. Il a connu les camps d’internement en France pendant la guerre civile d'Espagne et en même temps qu'il devait travailler pour les allemands, il était maquisard. A la fin de la guerre civile il décida de suivre son ami, exilé au Mexique, Patricio Redondo qui avait créé "la escuela expérimental Freinet" dans l'état de Veracruz. Il a fait partie de la vague d'immigrés espagnols qui arrivèrent au Mexique à partir de 1939. Puis nous nous sommes rencontrés. Moi-même ayant fait un stage en France sur les techniques Freinet, je lui ai proposé de fonder une école privée où nous serions plus libres d'appliquer les techniques Freinet. D'autres prirent le relais dans de nombreux états du Mexique: Baja California, Chiapas etc.
Pendant un temps il y avait aussi de nombreuses classes Freinet à Cuba. Actuellement elles n'existent plus car l'appartenance politique de Freinet au communisme lui causa des problèmes en France et affecta pour un temps son mouvement. Je possède quelques textes libres sur la révolution cubaine et c'est très émouvant de voir comment les enfants la percevaient.
 
Ici, comment est perçue la pédagogie Freinet? En France certains disent qu'elle est dépassée.
 
Tout se dit sur la pédagogie Freinet : qu'elle est dépassée, qu'elle est la pédagogie du futur, qu'elle ne s'applique qu'avec des enfants doués ou qu'au contraire elle n'est valable que pour les classes de réadaptation. A chacun sa version.
 
1-Extrait de la revue Correo del maestro, n°10 mars 1997.
 
 
 
Bref aperçu de l’éducation
au Mexique
 
Au Mexique où tous les enfants n'ont pas la possibilité d'aller à l'école, les élèves de Bartolome Cossio font figure de privilégiés. La directrice est fière de développer les valeurs de la démocratie dans un pays où elles ne sont pas vraiment respectées. Grâce aux conseils et aux élections, les enfants apprennent à défendre leurs droits.
 
L'Etat autorise les initiatives privées qui en s'occupant de l'instruction des enfants des classes moyennes le seconde dans sa lourde tâche. Pourtant il reste défaillant et des milliers d'enfants sont dans la rue toute la journée. Très tôt, ces enfants apprennent à gagner leur vie par eux-mêmes en effectuant de petits travaux. En renonçant à l'école ils sauvent ce qu'ils arrivent à gagner péniblement aujourd'hui, mais sacrifient tout espoir de promotion sociale pour l'avenir.
 
Il ne semble pas y avoir de politique de fond menée par l'Etat pour donner aux enfants les mêmes chances d'accès à l'éducation. En revanche de petites opérations ponctuelles menées ici et là témoignent d'une prise de conscience de l'importance de l'instruction et d'un intérêt certain pour la vie éducative des jeunes.
 
Le 6 juillet 1997 ont eu lieu les élections législatives. Pour la première fois les habitants de Mexico allaient élire leur propre gouverneur. Pour la première fois aussi les enfants âgés de 6 à 12 ans allaient voter; ils avaient à choisir la mesure, qui à leurs yeux, devait être prise en priorité par le gouvernement : la lutte contre la pollution, une alimentation saine, l'interdiction du travail pour les enfants en-dessous de l'âge légal...
 
A cette occasion, chaque classe de son établissement a rédigé un petit fascicule à l'attention du nouveau gouvernement dans lequel les élèves exprimaient leurs souhaits (abolition du travail pour les enfants...).
 
Une exposition sur le droit des enfants organisée par l'UNICEF s'est tenue au Musée d'Anthropologie de Mexico : des textes, des photos et des reportages dénonçaient le travail des enfants causant la maladie ou la mort de la plupart d'entre eux, volant leur enfance et leur dignité. Ils rappelaient également le droit d'avoir un nom, de quoi manger, du temps pour jouer ainsi que le droit à l'éducation.
 
Dans le métro des affiches indiquent que des concours de dessin sont régulièrement organisés par la ville pour les enfants de 6 à 12 ans.
 
Des messages sur la vie politique, économique et sociale sont peints sur les murs de la ville ; I'un d'eux disait "La éducation ayuda a vivir" (L'éducation aide à vivre).
 
Au niveau de l'enseignement supérieur nombreux sont les étudiants qui n'ont pas de place à l' université. Un concours d'entrée est censé sélectionner les meilleurs, mais beaucoup y accèdent grâce à leurs "relations".
 
Finalement, du début à la fin de leur parcours, les études de qualité semblent réservées à la même classe sociale, celle des privilégiés.
 
Pour conclure sur une note optimiste, laissons la parole à José de Tapia qui utilisait la métaphore de la métamorphose du papillon pour évoquer l'évolution des choses :
« Du flou et de l'incompréhension du monde actuel naîtra un monde meilleur. »
 
Emilie DEROIN-THEVENIN

 



 



Emilie DEROIN-THEVENIN,
étudiante en Sciences
de l’éducation