Libérer l'écriture au second degré

Mai 2001
Il arrive que des élèves des élèves que nous rencontrons dans les classes du second degré, se soient éloignés de l'écrit. Comme une personne qui aurait eu de multiples accidents de la circulation et qui se dirait "Je ne veux plus jamais conduire une voiture. " De par leurs échecs à répétition, de par leur sentiment de ne pas pouvoir entrer dans la norme de" l'élève qui rédige bien " ces élèves ont perdu confiance dans ce domaine et ne souhaitent plus s'y risquer. On trouve souvent cet état d'esprit en maths. L'élève qui jette à la figure de son professeur ou de ses parents "J'aime pas les maths", d'une façon définitive. Il suffit souvent d'un déclic, d'un nouveau professeur et l'élève se raccroche.
 
Pour l'écrit, la crise de confiance est plus grave. Il y a souvent refus d'écrire pour certains élèves en difficulté qui ne voient pas écrire leurs parents. "Ils s'en sont bien sortis sans écrire eux ".
 
A nous de trouver les outils pour remettre ces jeunes en réussite dans les activités liées à l'écrit. Le moyen le plus naturel pour redonner du sens à ces textes, c'est de partir d'eux-mêmes de leurs expériences, de leur vécu. Etienne BOVET, professeur de français dans un centre de formation pour apprentis pendant cinq ans, a introduit dans sa classe la pratique du journal de bord où les jeunes, à partir d'une contrainte minimum, se racontent et trouvent un écho bienveillant chez leur lecteur : le professeur.
 
Le « journal de bord »
incitation à l’expression écrite
 
 
Professeur de français dans un centre de formation d’apprentis pendant cinq ans, Etienne Bovet a introduit dans ses classes, la pratique du « Journal de bord », afin d’inciter ses élèves à écrire. Sorte de journal de bord, la consigne est d’y écrire « cinq lignes au moins » pendant la période qui s’écoule entre deux semaines au CFA. Au-delà de la volonté de faire progresser les élèves vers la maîtrise de l’écrit, attendue d’eux aux examens, cette pratique en amène certains à découvrir le plaisir de communiquer par écrit.

 

 
 
Dépasser le constat
 
J’ai été amené à tenir compte de mon mieux des particularités de la formation des apprentis, liées à la fois à l’organisation des études et aux élèves eux-mêmes. Le temps consacré à l’enseignement, dans les centres de formation d’apprentis, est défini par les conditions de l’alternance entre périodes en entreprise et périodes de regroupement scolaire, ces dernières couvrant en général vingt-cinq semaines réparties sur deux ans. Au rythme de quatre heures et demie de français hebdomadaires, les élèves des CFA disposent ainsi, pour préparer le CAP, de moins des deux tiers du temps de formation, dans cette discipline, offerte aux collégiens pour préparer un diplôme de niveau équivalent (le BEPC) à la fin de la classe de troisième. Il n’est guère question, en plus, de leur imposer d’une manière habituelle un travail scolaire à la maison, pendant des semaines en entreprise déjà bien remplies par au moins 39 heures légales de travail - et parfois bien davantage selon les exigences de certains employeurs.
 
A ces difficultés s’ajoutent pour la plupart des apprentis celles qui tiennent à la faiblesse de leur niveau. La décision d’entamer un apprentissage intervient généralement à la suite d’un parcours scolaire constellé de mauvaises notes et scandé par des échecs (redoublements, classes SES, CPA, etc.). De fait, la passation au moment de l’entrée au CFA d’un test calqué sur les évaluations nationales d’entrée en sixième montre que si 90 % des compétences de base en lecture sont acquises, la proportion n’est plus que de 75 % en ce qui concerne le vocabulaire et tombe aux alentours de 60 % pour la connaissance du code d’orthographe et de conjugaison.
 
Ces lacunes expliquent sans doute l’aversion de nombre d’apprentis pour les études et, bien plus paralysante encore, leur conviction de n’être pas doués. Je suis frappé en particulier par l’extrême difficulté qu’éprouvent souvent mes élèves, dès que le sujet qui leur est proposé s’éloigne de leurs préoccupations personnelles, à rédiger des phrases correctes : comme si à force de s’être entendu répéter qu’ « on n’écrit pas comme ça », ils avaient fini par s’interdire de transcrire simplement par écrit les phrases simples qu’ils auraient pu prononcer, croyant nécessaire d’échafauder de compliqués assemblages de mots et trébuchant bientôt dans des embûches grammaticales par eux-mêmes amenés.
 
Or l’épreuve de français du CAP (questions sur un texte suivies d’une rédaction) exige avant tout des candidats qu’ils sachent s’exprimer clairement par écrit (les fautes d’orthographe, tout en étant bien sûr prises en compte par les correcteurs, entraînant au maximum la soustraction de trois points et ne présentant donc pas de caractère éliminatoire). C’est pourquoi le premier objectif me paraît être de faire découvrir aux élèves que l’écriture n’est pas nécessairement le monde inconnu et semé de pièges qu’ils imaginent et se trouve en fait à leur portée. Le moyen est évidemment de les amener à rédiger le plus souvent possible des textes parlant de leurs préoccupations, mais bien d’autres compétences, touchant en particulier la lecture et l’analyse de textes, doivent être acquises en classe et les séances passent vite. De plus, les longs intervalles sans école - puisque les apprentis ne viennent au CFA qu’une semaine sur trois en cours d’année scolaire - ne favorisent pas les effets de consolidation nécessaires.
 
Le journal de bord
 
En complément de ce qui peut être fait en classe, j’en suis arrivé ainsi à demander aux élèves la tenue d’une sorte de journal de bord, « journal demi-intime » comme l’écrivait une jeune coiffeuse en première page de son cahier la consigne est en effet d’y écrire « cinq lignes au moins » pendant la période qui s’écoule entre deux semaines au CFA. Le thème en est totalement libre, récit d’un épisode de détente ou de travail, impressions bonnes ou mauvaises, souvenirs ou projets, commentaire d’une photo découpée dans un journal, etc. Je prends de mon côté l’engagement formel de ne communiquer ces écrits à personne (ni élève ni formateur). Les cahiers me sont confiés par les apprentis le jour de leur arrivée au Centre pour leur être rendus lors du dernier cours de français. Je ne corrige rien et n’ajoute aucune annotation mais je glisse entre les pages de ces recueils, avant de les rendre à leurs auteurs, un message personnel rédigé sur une petite feuille de couleur vive à côté de la reproduction (identique pour tous) d’un poème ou d’une image. La plupart des diaristes collent ces messages à la suite de leurs propres textes.
 
Je souhaite ainsi conduire le plus d’élèves possible à constater qu’ils sont capables de transcrire au moyen de l’écriture des faits ou des sentiments d’une manière parfaitement compréhensible par autrui (moi en l’occurrence). J’espère même contribuer chez certains à la découverte d’un plaisir de communiquer par écrit qui les amène à dépasser les cinq lignes réglementaires et à progresser plus rapidement vers la maîtrise attendue d’eux à l’examen. On peut tenter un premier bilan après deux ans de mise en pratique.
 
Un petit nombre de jeunes se montrent obstinément réticents et ne me remettent jamais ou presque jamais de cahier. Je le signale avec persévérance dans leur « carnet de liaison », document de transmission d’informations entre le CFA, les parents et l’employeur qui doit être signé par ces derniers au cours de chaque période en entreprise, mais je ne recours pas à des sanctions plus sévères : il me semble important que cette forme d’expression ne soit pas l’objet d’une pression trop lourde de ma part. Résignation, donc.
 
D’autres se limitent à des constatations d’ordre très général ou semblent s’ingénier à en faire encore moins que ce qui est demandé, n’allant pas au bout de chaque ligne ou s’arrêtant, à bout d’inspiration, à quatre et demi ; il en est aussi qui griffonnent en hâte leur pensum pendant que je ramasse les cahiers de leurs camarades. Dans tous ces cas-là, c’est à travers mon mini-message que j’essaie d’inciter à plus de prolixité, sans me faire trop d’illusions sur l’efficacité pédagogique d’un labeur exécuté de si mauvais gré.
 
Une troisième catégorie d’élèves tire relativement peu de profit de ces exercices, c’est celle des meilleurs élèves en français, déjà experts en rédaction. Cela ne les empêche pas de paraître y prendre souvent plaisir et de fignoler leurs petits messages.
 
Ils choisissent leurs sujets, faisant suivre par exemple une visite à la ferme de crocodiles de Pierrelatte...
 
« Ce sont vraiment des animaux étranges. Ils sont d’une patience, ils peuvent rester des heures entières dans la même position. Ils sont impressionnants. Dans un seul bassin il y a 335 crocodiles. Je vous le conseille car c’est à voir, c’est quelque chose de pas commun. »
 
(Ma réponse, à côté de la silhouette d’un cheval venant de s’élancer hors du catalogue d’images de l’ordinateur : « Quelle curieuse impression on doit ressentir en effet, face à ces centaines de reptiles impassibles... As-tu rapporté des photos ? Ca pourrait faire un exposé très intéressant. E. Bovet ».)
 
...d’un plaidoyer contre la complaisance à l’égard d’une certaine catégorie de faits-divers...
 
« Aujourd’hui j’ai envie de vous faire partager ma colère. Car chaque jour à la télévision ou même à la radio on entend de ces histoires horribles... »
 
(A côté du Cancre de Prévert : « Je trouve ça très beau, ce que tu as écrit ! (et en plus ce n’est pas évident, parce que la plupart des gens adorent les faits-divers). Tu as tout à fait réussi à me faire « partager ta colère ».)
 
...avant de parler le mois suivant des relations difficiles avec leur employeur :
 
« …ma patronne est très spéciale, elle nous raconte des choses pour qu’entre employées on se fâche, alors que c’est mieux de travailler dans une bonne ambiance… » et cette adolescente d’exposer son souhait de changer de maître d’apprentissage.
 
(Ma réponse écrite a été cette fois-là précédée d’un entretien à la fin duquel nous sommes tombés d’accord que le mieux était de parler de ce problème à la formatrice en vente, responsable de cette section et qui connaît bien les commerçants en charge d’apprentis.)
 
Ces sortes de petites rédactions sont souvent précédées d’un titre, comme pour mieux en manifester le caractère délibéré : « Un samedi pas comme les autres », par exemple, ou « Mois de mai trop compliqué » (complainte d’une apprentie serveuse) :
 
« Ah ce mois de mai
entre ses jours fériés
ah ce mois de mai
avec ce temps qui perd la tête
ah ce mois de mai
il n’est pas gai
ah ce mois de mai
qu’est-ce qu’il peut être...
pénible »
 
(L’amoureuse d’Eluard accompagne cette fois un « Dur dur, parfois, de traverser certaines périodes. Heureusement que l’été approche. Je sais que dans la restauration vous allez être encore très occupés mais j’espère que tu pourras profiter quand même de quelques belles journées de vraie détente. »)
 
Les cahiers se remplissent vite et j’évoque parfois avec leurs auteurs l’intérêt qu’ils pourront éprouver à les relire dans vingt ou trente ans ou à les montrer à leurs propres enfants adolescents. Reste que ces forts-en-thème n’auraient pas besoin de ces rédactions pour réussir leur examen.
 
Qu’en est-il des autres élèves ?
 
La majorité d’entre eux s’en tient au minimum exigé. Récits de froid...
 
« Hier soir j’ai fait de la moto, celle d’un collègue j’ai dû faire 80 km. Heureusement qu’il m’avait prêté ses gants parce que j’aurais eu les mains gelées. Dès que je suis arrivé chez moi, je me suis collé contre le chauffage. »
 
(Ma réponse, à côté d’une image d’ours survolé par un aigle : « Tu as l’air d’avoir fait une belle balade ! Vivement le printemps, pour que tu n’aies plus besoin de gants... »)
 
...ou de tiédeur,
 
« Le 13 mai pour la première fois de l’année je me suis baigné à la Cèze avec mes copains. Au fond de l’eau on a trouvé de l’argile bleue. On en a ramené chez nous pour faire des statuettes. »
 
(A côté de Conversation de Jean Tardieu : « C’est sûr que c’est la bonne période pour profiter de la Cèze, avant qu’elle soit trop polluée. Bravo pour l’argile bleue ! »)
 
Nouvelles professionnelles...
 
« La semaine s’est bien passée même si on finit tard le soir. Samedi nous avons fait la table des sélipater (sic). Nous nous sommes amusés comme des fous. Nous avons dansé. J’ai dansé avec des vieux pots. »
 
(Le chat d’Apollinaire et l’énigmatique félin lino gravé dans la classe coopérative d’un copain instit’ accompagnent mon : « Tu as l’air d’avoir passé une très bonne soirée. C’est bien quand le travail parfois se transforme en grand plaisir. »)
 
ou familiales,
 
« Je me suis fait percer une oreille sans le dire à mes parents. Ma mère n’a rien dit spécialement mais mon père m’a supprimé ma mob pendant quinze jours. A mon avis je ne recommencerai pas. »
 
(Une image de voilier et : « C’est parfois tendu, n’est-ce pas, les relations avec les parents. Mais quel plaisir ça va être de pouvoir rouler à nouveau (comme le vent ?). »
 
Contrat rempli. Il semble que la consigne des cinq lignes incite à la rédaction de phrases brèves (« courtes et impeccables » comme je le demande lors d’exercices en classe) et on peut espérer au fil des textes une certaine intériorisation de ce style clair si les élèves font preuve de persévérance et d’application.
 
J’en arrive enfin à ceux pour qui l’on peut penser que ma demande les a aidés à découvrir une forme d’expression nouvelle. Le frappant est que cette forme (l’écrit) paraisse intimement liée ici, bien plus encore que pour les autres catégories d’élèves, au contenu de journal de bord, le cahier est devenu une sorte de recueil de lettres, pas forcément adressées seulement à l’enseignant d’ailleurs puisque j’ai observé souvent des élèves se communiquer ce qu’ils avaient écrit.
 
« Qu’est-ce qu’on peut faire quand on n’a personne à qui se confier ? » Cette question d’une fillette de dix ans rapportée par Albert Jacquard dans son dernier livre (L’équation du nénuphar), les enseignants y sont souvent confrontés plus ou moins directement. L’auteur d’ailleurs n’a pu donner d’autre conseil à son interlocutrice que celui d’aller à l’école en espérant qu’elle y trouverait la possibilité d’exprimer ce qu’elle avait sur le cœur. Certaines des pages écrites par mes élèves correspondent tout à fait à ce besoin de partager une souffrance :
 
« Quoi penser de la vie : bien ou mal ? Je ne le sais point. J’ai perdu ma mère à l’âge de 8 ans et j’en souffre encore. Je sens que quoi que je fasse elle ne reviendra pas. Si seulement dans ma vie j’arrivais à réussir à faire quelque chose bien je me sentirais mieux. Mais je crois que ce n’est même plus la peine d’essayer. Je suis trop faible d’esprit et même avec la carrure que j’ai se cache un petit enfant faible qui a peur d’un moindre petit geste. Je n’ai jamais été à la hauteur de mes paroles et j’espère qu’un jour je serai délivré de tout cela. Je vous fais mes excuses si mon écriture laisse à désirer mais dans l’état où je suis, je vous dis ce que je pense au plus profond de moi. »
 
ou un deuil :
 
« Aujourd’hui j’ai envie de parler d’une chose à laquelle je pense tous les jours c’est un copain Roger, il y a deux ans il est tombé malade cancer du genou. Pendant ces deux années il a fait hôpitaux en hôpitaux, il avait des hauts puis des bas. Tout au long de sa maladie tout le monde avait espoir, moi je me disais il ne pourra pas mourir. Mais bon le destin a fait qu’il est décédé cet été. Il n’avait même pas 17 ans. »
 
La plupart des messages sont heureusement moins douloureux, mais jamais anodins pour autant : il s’agit de partager des moments forts, des souvenirs ou des projets, parfois de susciter une conversation :
 
« Je vais avoir 18 ans le (…). C’est quelque chose de très important pour moi. Ca changera beaucoup de choses pour moi. Ca signifie que j’ai beaucoup de responsabilités à prendre et des décisions, je (ne) compterai sur personne. Il faudra que je (ne) compte que sur moi. C’est bien parce que je suis libre par rapport à la DDASS et d’un côté ça va être dur dur. Car il va falloir que je me débrouille toute seule. Je vous parle de mes 18 ans parce que je me pose beaucoup de questions et ça me travaille beaucoup. La vie n’est pas facile surtout quand on a personne. Dites-moi ce que vous en pensez. Merci. »
 
Le bonheur d’une rencontre amoureuse est souvent évoqué :
 
« Aujourd’hui je n’ai que quelques lignes à marquer (qui sont sans importance sûrement pour vous mais qui pour moi sont très importantes. Aujourd’hui cela fait 10 mois que je suis avec André et plus ça va plus je suis heureuse. Tous les matins je me lève de bonne humeur car je sais qu’André va revenir le vendredi car il fait ses études à Montpellier. »
 
provoquant parfois de longs récits qui cesseront subitement en même temps que l’idylle. Les joies de l’amitié sont évoquées aussi, et même celles, au sens propre, de la fraternité :
 
« J’ai invité mon frère au restaurant car dans ma famille, à chaque première paie on invite sa famille au restaurant et mon frère n’était pas là la première fois donc je l’ai invité en tête-à-tête et on a bien rigolé. Je pense qu’il a apprécié, enfin je ne sais pas, mais il avait l’air heureux et moi je l’étais, super-heureux. On a parlé du passé, du futur, des filles, des voitures, de tout et de rien quoi. Voilà c’est fini, mais j’ai quand même passé une bonne soirée et j’aimerais que cela se reproduise plus souvent. »
 
Et puis il y a la fierté de se réaliser, que ce soit dans une passion extra-professionnelle comme chez cet apprenti boulanger…
 
« Depuis que j’ai commencé la boxe je me sens mieux dans ma peau. Je ne vois pas le temps passer, car après avoir fini mon travail vers 12 h 30 ou 13 heures et après avoir dormi deux heures, je vais à l’entraînement jusqu’à 20 h 30. Je prépare un combat pour le 20 décembre. Je souhaiterais continuer à pratiquer ce sport, mais malheureusement avec le métier que je fais c’est très difficile. »
 
ou dans le travail lui-même, très souvent mentionné comme par cette jeune serveuse (je n’ai corrigé, comme dans les citations précédentes, que l’orthographe) :
 
« Vous savez ce que j’ai fait samedi le chef de cuisine m’a laissé servir un repas de 11 personnes et les gens quand ils sont partis ils m’ont fait beaucoup de compliments ils m’ont donné 100 F de pourboire et ils m’ont dit continue comme ça tu travailles bien tu as un joli sourire et une femme m’a dit avec ton sourire tu iras très loin dans ta vie et aussi elle m’a dit continue comme ça. Mon chef était très content et aussi ils m’ont offert des fleurs mais c’est la femme du chef qui a pris les fleurs qu’ils m’ont données je trouve que c’est pas sympa de sa part mais ce n’est pas grave. Peut-être qu’elle était jalouse que j’aie eu 100 F de pourboire et elle non. Si ça lui fait plaisir de les garder je lui laisse. Voilà.
Mr Bovet je vais vous dire un poème qui me plaît. J’espère que ça va vous plaire aussi :
Le verbe aimer se conjugue
à tous les temps
mais le plus beau est au présent. »
 
Elle en a fait du chemin, la petite Nadia qui avait exprimé au début de son travail dans ce restaurant son désarroi face à un employeur très exigeant et souvent emporté. C’est un bonheur de la voir acquérir plus d’assurance et d’être invité de cette manière à partager sa joie. Ecrit en fin de première année d’apprentissage, ce dernier exemple nous renvoie à l’objectif principal de ces pages que je ne corrige jamais : faire découvrir aux élèves qu’ils sont capables de communiquer clairement par écrit - même s’ils le font largement en transcrivant le langage parlé. C’est rappeler là les limites de cette pratique, puisque beaucoup de progrès sont encore nécessaires en ponctuation, syntaxe et acquisition des règles élémentaires d’orthographe - mais aussi son utilité : incités à évoquer des moments forts de leur vie, les jeunes auteurs font spontanément preuve de compétences en construction des phrases, vocabulaire et concordance des temps qu’on n’aurait pas soupçonnées au vu d’évaluations plus classiques. La confiance en eux ainsi acquise peut les aider beaucoup par la suite.
 
Dépasser la relation duelle
 
Une question reste posée dans ma pratique actuelle : je suis le seul destinataire « officiel » des textes (même si, les cahiers circulent parfois entre certains élèves) et cette relation duelle empêche le travail d’écriture ainsi effectué d’être soumis à la critique du groupe classe, avec ses effets possibles d’encouragement pour l’auteur, d’amélioration du texte et d’incitation pour les autres élèves. On se trouve, de ce point de vue, bien loin de la pédagogie institutionnelle. Pourtant, les messages de ces journaux de bord semblent bien avoir quelque chose en commun avec des pratiques Freinet comme celles du texte libre ou même du « Quoi de neuf ? » Je m’efforce actuellement de mettre au point des modalités qui, tout en préservant une stricte confidentialité pour ceux qui le désirent, ouvrent en même temps la possibilité d’un partage et d’une appréciation collective de ces textes.
 
Etienne BOVET
et le groupe Ecriture
de l’ICEM du Gard

 

 
 
 
A travers cette expérience, on se rend compte qu'il faudrait envisager l'écrit autrement dans le collège. A l'école élémentaire, les enfants pratiquent beaucoup l'expression libre, s'essayent à tous les types de texte, apprennent à les utiliser en fonction de choix délibérés. Toutes ces activités, pratiquées dans le cadre de projets personnels ou collectifs, donnent du sens aux écrits. Tous les textes sont respectés et reconnus. L'important est que chaque enfant puisse, en toute sécurité, s'essayer à toutes les formes d'écrit et qu'il sache qu'il a droit à l'échec. Dans ce type d'école, l'enfant qui rencontre des difficultés écrit sans complexe. Il ne sera pas jugé sur la forme de son message. Le groupe l'aidera à mettre en forme pour que le fond soit perceptible.
 
Au collège, les activités écrites sont souvent trop éloignées des préoccupations des jeunes qui rencontrent des difficultés à l'écrit. On y confond souvent écrit et littérature et c'est source de ségrégation pour les jeunes qui ne vont pas se reconnaître dans les textes écrits et proposés, ne trouveront pas de points d'accroche, ne percevront pas le sens des activités.
 
Dans cette période de construction de la personnalité qu'est l'adolescence, il faudrait davantage demander aux collégiens et aux lycéens des écrits personnels où ils pourraient se mettre en scène, exprimer leurs émotions, faire partager leurs expériences, échanger, faire émerger leurs questions dans des formes d'expression écrite et de communication diverses.
 
La connaissance des grands auteurs, des philosophes, des écrivains et penseurs contemporains est une chose, mais il ne faut pas la confondre avec l'apprentissage de l'écrit. L'écrit est un moyen qui doit se mettre au service de toutes les autres disciplines. On en a autant besoin en E.P.S, qu'en Sciences ou en Histoire. Il faut aborder tous les types, toutes les formes d'écrits et faire une place essentielle aux écrits personnels. Il faut montrer que chacun peut être reconnu par ses écrits et qu'écrire n'est pas singer les grands auteurs, mais un acte personnel où l'on va se servir de ses lectures, de sa culture, de ses expériences pour s'exprimer.
 
Le comité de rédaction
 

 

 

 

Des questions, des pistes de recherche
 
MAITRISE DE LA LANGUE
Comment mettre la maîtrise de la langue au service des autres disciplines, au collège comme à l'école élémentaire ?
Quel travail en équipe pour développer et améliorer les écrits dans toutes les disciplines ?
 
L'ECRIT
Quels écrits développer au collège ?
Ecrire pour quoi faire ?
Quels écrits sociaux aborder avec les jeunes ?
Le texte libre au collège : quelle place ?
Quelles contraintes pour quels objectifs ?
 
ORGANISATION
Quand écrire, où écrire, sur quels supports ?
Quelle organisation du collège pour favoriser une meilleure communication entre les élèves, entre les élèves et les professeurs et entre les professeurs?
Comment gérer les problèmes liés à l'espace-temps?
Comment éviter le saucissonnage des disciplines au collège ?
 
MOTIVATION
Comment motiver les jeunes pour écrire ?
Comment leur expliquer et leur faire accepter la contrainte ?
Comment assurer la reconnaissance des écrits des jeunes ?
Comment mettre en valeur les écrits ?
Comment rendre le milieu classe stimulant pour écrire ?
 
ACCOMPAGNEMENT
Comment mettre en place un compagnonnage entre celui qui va écrire et celui qui va lire ?
Rôle du professeur-lecteur.
Place du professeur dans les activités liées à l'écrit.
 
LES MOYENS
Utilisation des nouvelles technologies dans l'apprentissage de l'écrit.
Utilisation du CDI.
Les personnes ressources.
 
L’expérience relatée par Etienne Bovet ouvre des pistes de recherche multiples. Le Nouvel Educateur souhaite ouvrir ses colonnes à vos témoignages en matière d’écrit dans le secondaire. A vos plumes !