En Chantier n°7 : A la rencontre d'un traducteur

 

 

Rencontre avec Jean-Marie St Leu traducteur


Le 26 octobre 2007, Jean-Marie Saint-Leu, traducteur, répondait aux questions d’une classe de 1ère, au lycée Elie Faure, à Lormont (Gironde). Il traduit et défend en particulier les romans de Jordi Soler, écrivain catalan, né au Mexique.



Q.- Pourquoi êtes-vous devenu traducteur ?

R.- Un traducteur c’est un écrivain frustré, qui ne sait pas être écrivain. Mais il ne faut pas généraliser : de très grands écrivains ont été de très grands traducteurs : Baudelaire, Nerval, Mallarmé, Giono. Mais d’une façon générale, ce n’est pas forcément parce qu’on aime une langue étrangère, mais parce qu’ on a la passion de la langue française et l’envie de manifester cette passion. Quand on n’a rien à dire – ce qui était mon cas – on vole ce que disent les autres et on le passe dans sa propre langue. Beaucoup de traducteurs se servent de ce que disent les autres pour s’exprimer indirectement. Les écrivains parlent souvent de l’angoisse de la page blanche. Le traducteur, lui, a l’angoisse de la page noire, qui est là devant lui et il faut qu’il la transcrive dans sa propre langue.

Au départ, c’est un métier un peu culpabilisant, frustrant. Je dis ça pour décourager ceux qui voudraient devenir traducteurs. En plus c’est très mal payé. Quand on a du travail, on peut arriver à peu près à vivre. Un traducteur qui travaille régulièrement – sauf s’il traduit un best-seller comme Harry Potter, et ce n’est pas tous les jours - gagne à peu près le salaire d’une femme de ménage, si on le rapporte au temps travaillé. Evidemment il y a quelques joies, quelques plaisirs à pratiquer la traduction, surtout quand on est un traducteur un peu ancien, comme moi : on a le privilège de choisir ce qu’on va traduire et de refuser ce qu’ on ne veut pas traduire. Alors que, quand on commence, on ne peut se permettre le luxe de refuser quoi que ce soit.

A partir de là, c’est faire tout son possible pour faire ressentir au lecteur français ce qu’on a ressenti soi-même en lisant l’auteur dans la langue originale – l’espagnol dans mon cas-. C’est une question de morale, c’est l’éthique du traducteur : ne pas trahir ce qu’il a lu. Vous connaissez la formule « traduttore traditore… » Oui, le traducteur est un traître. Traduire, ce n’est pas simplement plaquer une langue sur une autre, mais c’est réinvestir tout un patrimoine culturel, littéraire, historique, politique dans son propre patrimoine. C’est pour cela que traduire implique beaucoup plus une connaissance du contexte culturel, social, humain etc. qu’une connaissance de la langue. C’est si vrai qu’il y a de très grands traducteurs qui connaissaient très peu, voire pas du tout, la langue de l’auteur qu’ils traduisaient ! Je vous citerai le cas de Giono qui a fait la plus belle traduction de Moby Dick. Il n’avait vraiment pas les connaissances nécessaires en anglais pour traduire correctement. Il s’est débrouillé parce qu’il avait une fille prof d’anglais et il a travaillé avec elle. Sa traduction est superbe. Un autre cas qu’on cite toujours et qui est encore plus touchant, c’est celui du Faust de Goethe qui a été traduit par Gérard de Nerval, alors qu’il était élève de première, comme vous ! Sa traduction de Faust est bourrée de contre-sens, mais on continue à la lire : personne n’a réussi à en faire une meilleure. Il vaut mieux ne pas faire trop de contre-sens ! Mais la connaissance de la langue d’origine si elle est nécessaire, n’est pas fondamentale. Ce qu’il faut absolument connaître, c’est la génétique du pays dont on va traduire un auteur.

Traduire parfaitement est une illusion totale. Toute traduction est forcément une certaine adaptation de l’original au français. La littérature c’est une affaire de nuances. Les dictionnaires de synonymes sont très utiles. Un traducteur c’est quelqu’un qui passe sa vie à avoir sur le bout de la langue le mot qu’il n’arrive pas à trouver, sauf le lendemain en se rasant …Il trouve le mot qu’il cherchait et il est tout content. Traduire c’est un grand plaisir mais c’est aussi très délicat. Le traducteur est quelqu’un qui s’avance masqué, caché derrière le nom de l’auteur. Une chose que je ne fais jamais : relire mes traductions ! Et apercevoir une horreur. Heureusement, personne ne s’en aperçoit. Mais ça vous donne envie de tout jeter à la poubelle.

 

Ce travail a été réalisé par le groupe Doc2d (Recherche documentaire au second degré)
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