Le Nouvel Educateur n° 82

Octobre 1996

A propos d'autogestion pédagogique

Octobre 1996

Aux éditions Yvan Davy vient de pa­raître "Les péda­gogies autoges­tionnaires" sous la direction de Patrick Boumard et d'Ahmed Lamihi.

Nous rappellerons à nos lecteurs que l'Autogestion, telle qu'elle est pratiquée par des camarades "Ecole Moderne" n'est pas une vue de l'esprit. L'autogestion en classe, à l'école, c'est une pédago­gie en actes.
 
Freinet et l'autogestion
 
La pédagogie de Freinet est d'essence autoges­tionnaire.
Dans son livre "L'imprimerie à l'école" de 1932, Freinet écrit :
"Théoriquement, si elle est comprise comme un moyen pratique pour des enfants de s'organiser libre­ment et de gérer leurs propres in­térêts, d'améliorer même leurs conditions de travail, la co­opérative n'est-elle pas entière­ment recommandable et ne peut-on vraiment saluer cette initiative comme un essai pratique de réali­ser l'auto-organi­sation des éco­liers ?"
Et Freinet relie son travail sco­laire à un projet coopératif à Bar sur Loup, aux cô­tés d'ouvriers et de paysans (La co­opérative Abeille baroise) et aussi à un projet poli­tique.
 
Notre aventure au­togestionnaire
 
En 1961, je prends contact avec Georges Gaudin, responsable de la commission "Education spécia­lisée" de l'ICEM. Nous faisons la synthèse d'un "cahier de roule­ment", à propos de la coopérative et de la discipline de travail (10 ca­marades y partici­pent). Il s'agit d'échanges au sein de l'ICEM sur leurs pratiques coopératives, du­rant l'année 1961/1962.
Dans un chapitre "Le conseil de classe", on peut lire : "qu'on l'appelle conseil de classe, conseil de travail ou conseil de coopé­rative, c'est un moment privilégié de la classe, une prise de conscience pro­gressive de l'existence du groupe scolaire et des responsabili­tés qu'il im­plique".
Dans notre classe coopérative (de 1962 à 1964) à Saint Nazaire, fonctionnant en autogestion, l'expression libre met les enfants en prise directe avec les réalités so­ciales et poli­tiques. C'est le début de mon aven­ture autogestion­naire. La commis­sion "Enfance in­adaptée" de l'ICEM a été la première à rendre compte du démarrage des re­cherches par des cahiers de roule­ment, des bulle­tins.
En 1971, la C.E.L publie dans la sé­rie des documents de l'ICEM "Vers l'autogestion". Jean Vial écrit la préface de cet ou­vrage collectif.
Le courant auto­gestionnaire, qui s'élargit à d'autres secteurs de l'enseignement (primaire, secon­daire) est désor­mais très actif au sein de l'ICEM.
Il publie de nom­breux articles, des dossiers dans "L'éducateur". Il organise des ren­contres, des col­loques, des stages où participent des personnalités : M. Lobrot, H. Labo­rit, H. Deroche, M. Mermoz, en France, en Bel­gique.
De 1971 à 1982, les recherches se poursuivent au sein d'une commis­sion nationale, éditant un bulle­tin. Des chantiers "autogestion" se développent au sein de l'Ecole Moderne.
Voilà une expé­rience unique, au sein de l'Ecole Moderne, où des camarades font part de leurs es­sais, posent des questions, échan­gent.
Notre pratique de l'autogestion pé­dagogique est liée à notre conception politique et so­ciale de la so­ciété. L'autogestion reste une idée jeune et neuve. Les difficultés de tous ordres ne doivent pas amener à minimiser la force de l'aspiration qu'elle contient.
L'autogestion n'est pas une uto­pie : elle appa­raît comme une force de renouvel­lement et d'espoir.
Michel Lobrot conclut ainsi son livre "La pédago­gie Institution­nelle" (Editions Gauthier-Villars) :
"Sans une autoges­tion, au moins en germe, à l'école, sans une prise en charge des élèves par eux-mêmes, sans une destruc­tion au moins par­tielle de la bu­reaucratie pédago­gique, il n'y a aucune formation véritable à at­tendre, donc aucun changement dans la mentalité des in­dividus. On voit immédiatement la répercussion sur le plan social. La société s'enfaonce dans des problèmes et des conflits insolubles. Il faut commencer par l'école."

 

 

Des machines introuvables

Octobre 1996

Débusquer les situations dites mathématiques

Octobre 1996

Débusquer les si­tuations dites "mathématiques" dans le vécu quo­tidien de la classe 

Un groupe de tra­vail sur l'enseignement ma­thématique à l'école élémen­taire avait abouti à la conclu­sion suivante :
"notre pratique pédagogique en ma­thématiques n'est pas la même qu'en français".
Il y avait ceux qui s'en accomo­dent et ceux que cela dérangeait. Les rai­sons invo­quées étaient, d'une part le manque de forma­tion et d'autre part l'incapacité à "débusquer" dans le vécu quotidien de la classe les si­tuations dites "mathématiques".
C'est à ce dernier obstacle que nous avons souhaité nous attaquer.
Dans un premier temps, les parti­cipants au groupe de travail sont in­vités à expo­ser, après l'avoir ré­digé au préalable, un moment de leur vie de classe qui avait particuliè­rement mobilisé élèves et maîtres. Cette ac­tivité pouvait se situer dans n'importe quel domaine.
La mise en commun qui a suivi a mon­tré très vite la richesse de cet in­ventaire. Il ne restait plus qu'à "coiffer" ces no­tions de leur ter­minologie mathéma­tique. Ce qui est fait par Anne-Ma­rie Duveau.
Anne Marie M.
 
Dans les tableaux qui suivent, on trouve :
- d'abord le récit du moment choisi par chaque parti­cipant. A côté, ce que le groupe y a vu en chaussant ses "lunettes ma­thématiques". Les activi­tés "scolaires" dé­crites ont un rap­port plus ou moins étroit d'une part avec la réalité de l'expérience rac­tontée, d'autre part avec les ma­thématiques. Elles ne tiennent pas compte du niveau de la classe : à chacun de transpo­ser...
Après les activi­tés mathématiques (décrites à chaque fois par un verbe d'action) on trou­vera les contenus et les domaines mathématiques (décrits par un nom) que la mo­deste "spécialiste" que je suis y a vus. Certains de ces contenus sont poin­tus, et ne se­ront étudiés que bien plus tard, par exemple les bary­centres et les proba­bilités en classe de première ; d'autres sont plus gé­néraux et se développent graduelle­ment de la maternelle au primaire, puis au collège, puis au lycée, par exemple les représenta­tions gra­phiques, les équations, les transfor­mations géomé­triques.
Anne Marie D.
 
Un moment de la vie de la classe qui a mobilisé et motivé élèves et enseignant
 
Les enfants confectionnent ré­gulièrement des gâteaux à l'école.
Au bout de quelques séances, ils ar­rivaient ap­paremment à suivre seuls les re­cettes extraites de J. maga­zine.
Après lecture et explication de la recette choisie, j'ai demandé à trois groupes de deux enfants de se dé­brouiller tout seuls, pensant vé­rifier étape par étape qu'ils avaient bien com­pris les consignes.
Pour commencer il fallait verser trois verres de farine dans une ter­rine (suite page ...)
 
Activités à carac­tère plus ou moins ma­thématique pou­vant se greffer sur ce vécu
 
 
Compter
mesurer
peser
lire les heures, les durées
imaginer les quan­tités pour 2, 3 gâ­teaux
 
Notions mathéma­tiques évi­dentes... ou sous-jacentes
 
numération
notions d'unités de mesure : le verre, les unités de masse, de durée
calcul sur les du­rées
proportionnalité
visualisation gra­phique sous forme de schémas
 
 
Visite au musée du papier peint
Nous avons décidé d'aller visiter le musée du papier peint à Rixheim. L'ensemble de la classe cherche à dé­finir le pro­gramme de la demi-journée : trajet (par où on passe), horaires, matériel à emporter...
Les enfants se po­sent des questions sur ce qui sera vu car ils connais­sent par­tiellement les lieux (mairie de Rixheim : Com­manderie) et sont sensibilisés aux techniques d'impression.
Florence G.
 
repérer sur une carte
lire un horaire de bus
calculer le prix de revient de la sortie : bus, en­trée au musée etc...
observer
recopier les pa­piers peints
 
repère cartésien, coordonnées
calcul sur les unités de durée
modélisation d'un problème
mise en équation
figures géomé­triques
transformations géométriques : sy­métries, transla­tions, rotations
 
Fabrication de pigments.
Un grand projet nous a mobilisés cette année. Sous la direction d'une artiste et cher­cheuse, Claudie Hun­zinger, nous avons récolté des terres dans diffé­rents lieux de Fréland. Nous avons lavé ces terres, nous les avons laissé dé­canter, sécher, nous les avons broyées, tamisées jusqu'à obtention d'une poudre : le pigment.
Avec ce pigment, nous avons fabri­qué de la peinture (avec de l'oeuf) et du papier végé­tal teint dans la masse. Nous avons écrit les noms des ter­roirs avec "leur" couleur et nous avons réalisé une carte, sorte de paysage vu d'avion.
Edith B.
 
trier et classer les terres
doser pour fabri­quer la peinture
peser les ingré­dients
repérer sur une carte
décrire la chrono­logie des manipu­lations
observer des formes
 
relation d'ordre
moyenne, bary­centre
égalité, inégalité
représentations graphiques
codages
tableaux à double entrée
relation d'ordre
géométrie, topolo­gie
 
Spectacle de danse.
Dans le cadre d'un projet "danse", il y eut tirage au sort pour deux rôles un peu "à part". L'un fut attribué à une fille "muette" en classe : elle était "vendeuse de journaux à la criée". L'autre rôle, le héros de l'histoire, fut attribué à un élève en échec scolaire total.
Le choix des autres rôles était inté­ressant : "si je fais ça, je ne pour­rai pas faire ceci ; oui, mais là c'est mieux, alors je le choi­sis".
Une élève "agressive" a été acceptée car elle a joué un rôle (trouvé par elle-même) où elle pro­tégeait les autres.
Pascale R.
 
distribuer les rôles
tirer au sort
fabriquer des cos­tumes d'après pa­tron ou schéma
repérer des dépla­cements sur scène et dans le temps
définir l'ordre de passage
 
correspondance terme à terme
fonctions, bijec­tions
combinatoire
probabilités
échelles
homothéties
repérage dans le plan, dans l'espace
axes, coordonnées, représentation graphique
relation d'ordre
 
Atelier monnaie.
Comment on a mani­pulé à l'atelier monnaie. Vente, arnaque et béné­fice au profit de la classe verte.
Michel B.
 
remplir des chèques en toutes lettres
calculer des prix, la TVA, le béné­fice
comparer des devis
utiliser la ma­chine à calculer
 
numération
pourcentages
modélisation, ré­solution de pro­blèmes
simulations, com­paraisons de si­tuations
problèmes d'optimisation
touches : pourcen­tages, itération, mémoires
 
Création et mise en scène d'une his­toire collec­tive.
Plusieurs évène­ments et projets m'ont et ont en­thousiasmé les en­fants. Je ne par­lerai que d'un seul : la créa­tion d'une histoire collective, la réalisation de l'album illustré qui raconte cette histoire et la mise en scène de cette histoire avec représenta­tion costumée de­vant le pu­blic de parents.
Cette histoire s'intitule "Dans le verger". Elle raconte l'histoire d'une ruche aux prises avec Glou­ton l'ours. Inter­viennent également des papillons, des cocci­nelles.
Christiane H.
 
mettre en page
mesurer, repérer
attribuer des rôles
définir les étapes et le calendrier de l'activité
fabriquer des cos­tumes
calculer le prix de revient
 
schémas, plans
repère cartésien, axes, coordonnées
bijection, combi­natoire
visualisation, or­ganigramme
figures géomé­triques
topologie
opérations
 
Visite d'une fro­magerie.
Pour fabriquer du Comté, on verse dans de grands tonneaux un cer­tain nombre d'i,ngrédients li­quides dont essen­tiellement du lait, qu'on porte à une tempéra­ture de 55°. Pendant quatre heures on fait tourner des batteurs élec­triques dans cette pête pour la rendre homogène.
Dans la "fruitière à comté" que nous sommes allés visi­ter au cours de notre séjour chez nos correspondants du Doubs, l'opération sus-dite s'effectuait dans quatre grandes cuves contenant chacune mille litres du futur fromage.
 
calculer
comparer des prix
mesurer des tempé­ratures
calculer des vo­lumes
indiquer m'ordre de ...
expérimenter pour confirmer ou véri­fier une hypothèse
calculer la tempé­rature
 
calcul
égalités, inégali­tés, opérations
unités de mesure
calcul de volume, unités de volume
organigramme
visualisation
conception d'un système explicatif
rôle du contre-exemple
vérification d'une hypothèse
moyenne, bary­centre
 
Suite des relations de la page ...
 
Les gâteaux à l'école
- un groupe a mis une cuillère de fa­rine dans le verre et l'a ren­versé aussitôt dans le récipient.
- le deuxième groupe a rempli consciencieusement cinq verres et les a versés sans les compter dans la terrine.
- le troisième groupe a rempli sans arrêt le verre avec la fa­rine : quand il était plein, ils en rajoutaient, la tassant dessus avec la cuillère.
Suite à tout cela, j'ai rassemblé toute la classe et nous avons rempli des verres avec de la farine, du sucre,... en dis­cutant : "un verre de farine, qu'est-ce que ça veut dire ? Quand est-ce qu'il est plein ? Et un demi verre, c'est quoi ? Et si on veut faire deux gâteaux en même temps ?"
Josiane F.
 
Visite d'une fromagerie
Visite riche, comme on l'aura deviné, en données chiffrées, ce qui va nous per­mettre, rentrés en classe, d'exploiter la si­tuation sur la plan mathématique.
Céline (CM2) pro­pose de calculer la production quo­tidienne, hebdoma­daire...
Et puis, mû peut-être par une fré­nésie "additionnaire", Mathieu ima­gine qu'on verse le contenu des quatre cuves dans une cinquième, très grande, qui les contiendrait toutes, et s'interroge sur la température que prendrait l'énorme masse de fromage liquide ainsi ob­tenue. Il ajoute :
"ça ferait 55+55+55+55=220 soit 220°
Les autres élèves, graves et atten­tifs, opinent du bonnet. Rien à dire : logique !
Je réprime une en­vie d'intervenir tout de suite (par le rire, l'étonnement, l'appel à l'expérience, style : "quand même, réfléchis­sez, imaginez...") et laisse la ques­tion au chaud, si l'on peut dire, pour le moment où, rentrés chez nous, nous aurons tout le matériel et le temps pour véri­fier expérimenta­lement cette hypo­thèse. Ce qui se fera donc avec ré­cipients divers, eau à température variable et ther­momètre. Cette opéra­tion renouve­lée plusieurs fois fera apparaître la no­tion de moyenne grâce à un tableau récapitulatif du style :
récipient 1     récipient 2     réci­pient 3
   30°             50°             40°
   25°             30°             27,5°
Cette conclusion est renforcée par une remarque de Magali : "c'est comme le choco­lat, quand il est trop chaud le matin, on rajoute du lait froid. Ca baisse la tem­pérature : on peut le boire".
Martine B.



 
Quelques remarques
 
La dernière co­lonne, celle des conte­nus mathéma­tiques, est cer­tainement à plus d'un titre très barbare. pour les non matheux, cela rappelle peut-être des mauvais souve­nirs. Pour des ma­theux profession­nels, cela res­semble très proba­blement à un bric à brac hétéroclite et peu construit.
J'ai eu beaucoup de difficultés à remplir cette co­lonne, non parce que je manquais de matière, mais au contraire parce que cette matière était trop hétéro­gène à mon goût. Je m'explique... et comme je sais que j'ai affaire à des lecteurs en majo­rité non ma­theux, je vais es­sayer de transpo­ser dans un autre domaine les diffi­cultés que j'ai eues.
Quand j'ai voulu extraire le "jus ma­thématique" d'une action qui avait été citée, par exemple CLAS­SER (des pig­ments), je me suis trouvée dans le même foisonnement que devant ce qu'on pourrait "tirer" en expres­sion écrite de, par exemple, UN PIS­SENLIT.
En effet, voici ce à quoi peut me faire penser un pissenlit, et voici ce à quoi peut me faire pen­ser, dans le do­maine mathéma­tique, l'action CLASSER (voir les schémas).
Il est clair, du moins en ce qui concerne le PIS­SENLIT, mais tout au­tant en ce qui concerne ma lec­ture mathématique de CLASSER, que tout n'est pas à mettre sur le même plan !
De même que "faire de la salade de pissenlit" n'est pas du même ordre que "distinguer pissenlit et pri­mevère", les termes autour du mot CLASSER comme "compter, ordon­ner" et "émettre une hypothèse, imaginer une structure" sont très différents. J'ai envie de dire que les premiers concernent un CONTENU, alors que les seconds concernent le CONTENANT, à sa­voir l'esprit, et les "gestes" qu'il peut faire pour résoudre un pro­blème.
Or, j'aurais voulu, moi, faire quelque chose de simple, clair et précis, pour ne pas rebuter cer­tains lecteurs... et ne pas en hor­rifier d'autres. J'aurais aimé pou­voir mon­trer qu'il y a un chemin simple... qu'il suffit de prendre pour com­prendre. Eh bien ça ne marche pas, il y a une multitude de chemins qui vont de la réalité aux maths et vice versa, des che­mins, des sentiers de chèvre, des voies rapides, et des souterrains, et des voies aé­riennes, et des voies télépa­thiques... etc.
En conclusion, la réalité est bien trop complexe pour qu'on puisse l'examiner simple­ment, la réalité de la réalité (vivre quelque chose avec sa classe), mais aussi la réalité des maths. Il faut que je renonce à mon envie de sim­plification ou de sim­plisme. Comme l'écrit Van Vogt dans "le monde des non-A" (science-fic­tion), "le mot n'est pas la chose, la carte n'est pas le ter­ritoire"...
Et à défaut de vous présenter le ter­ritoire, je dois me contenter de vous présen­ter ma carte (d'autres diraient "ma re­présentation"), avec toutes les imperfec­tions que j'y vois, et que vous ne manquerez pas d'y voir aussi.
Je peux vous dire que faire ce tra­vail m'a "décoiffée", je veux dire que c'est passionnant, mais qu'on se sent toute petite de­vant la mer avec le vent qui vous coupe le souffle.
Et je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelqu'un qui sa­vait de quoi il par­lait, plus que moi :
"Il me semble que je n'ai jamais été qu'un enfant jouant sur une plage, m'amusant à trouver ici ou là un ga­let plus lisse ou un co­quillage plus beau que d'ordinaire, tandis que, tota­lement inconnu, s'étendait devant moi le grand océan de la vérité..." Isaac Newton
Anne Marie D.
 
Ont participé : Anne Marie Mislin, Josiane Ferra­retto, Anne Marie Du­veau, Edith Bernhard, Florence Grie­nenberger, Pascale Roesch, Michel Bonnetier, Martine Bon­court, Chris­tiane Hammer.
 
 
 
Recherche mathéma­tique au CM
 
Pour nos ateliers de T.T.I (temps de travail individualisé), nous devions construire un tableau d'inscription à la semaine de ce type :
PRENOMS ATELIERS
 
 
 
 
en utilisant une couleur différente pour chaque jour.
Cette tâche a été confiée par l'ensemble du groupe classe à deux élèves de CM2 volontaires.
Il fallait, sur un panneau donné, no­ter les ateliers en abscisse, et, en ordonnée, prévoir la place nécessaire pour l'emplacement des 16 étiquettes-prénoms des élèves de la classe (cette trame ayant été bâtie entre les élèves volontaires et moi-même). Il s'agissait alors pour eux de se demander comment faire pour répartir de façon régulière toutes ces infor­mations. La question à résoudre était : y aura-t-il assez de place dans la verticale pour placer les 16 éti­quettes, celles-ci devant être espa­cées les unes des autres comme sur les plaques autocollantes que nous possédons, où 4 étiquettes occupent 12 cm.
Il fallait donc que les enfants pren­nent les mesures, qu'ils calculent l'espace et surtout - ce qui semblait le plus difficile - qu'ils trouvent si oui ou non il était possible de coller les 16 étiquettes.
Après mesure de l'espace vertical (quelques 60 cm dont il fallait en­core retrancher 3 à 4 cm pour ins­crire : PRENOMS), le problème restait entier et ils ont demandé de l'aide à l'ensemble du groupe de CM2. "Comment calculer si l'espace imparti est suf­fisant pour coller 16 étiquettes, sa­chant que 4 étiquettes occupent 12 cm ?"
Vanessa remarque qu'il s'agit d'une situation de proportionnalité. Com­ment, dans l'année, avons-nous déjà résolu ce genre de situation ? Quels moyens mathématiques connaissons-nous ?
Les recherches commencent, par groupe de 2 ou 3, à l'aide des cahiers de ressources où nous notons les consta­tations de ce type, les mécanismes, mes méthodologies de résolution de situations mathématiques. Un élève propose de calculer la place occupée par une seule étiquette et de multi­plier par 16. Un autre groupe a fait un tableau de proportionnalité avec un opérateur :
    étiquettes espace
        4         12
?
        16        ?
             ?
D'autres ont opté pour un croquis qui matérialise le problème. Chacun cherche sa solution puis la présente aux autres.
Les réponses sont les mêmes : la­quelle est la plus rapide, la plus performante ? La solution retenue comme telle sera notée sur la fiche autocorrective dans le fichier pro­blème D utilisé en plan de travail individuel dans la classe. Le pro­blème sera ajouté.
La solution du croquis sera notée au dos pour servir d'aide. L'autre solu­tion sera mentionnée comme solution possible.
Le tableau réalisé et utilisé régu­lièrement par les enfants est une ma­térialisation concrète et utile d'une situation de proportionnalité réso­lue. Ceci devrait aider à fixer dans les mémoires ce genre de situations qui s'avèrent difficiles à intégrer à cet âge. La fiche problème permet de revenir sur cette situation dans le courant de l'année et de retravailler de manière abstraite et purement ma­thématique.
Nikol Bonnissol

 

 

Entretien du matin chez les petits

Octobre 1996

Entretien du matin chez les petits

 
(âge 3/4 ans)
 
 
C'est un moment dont la durée peut varier entre 1O et 20 minutes ; il se situe en début de la réunion du ma­tin.
Voici les grandes lignes de notre dé­but de matinée dans une classe de pe­tits (ceci afin de mieux faire com­prendre la place de l'entretien et le lien qu'il constitue en tant que "passage du milieu familial au mi­lieu scolaire".
* De 8 H 30 à 9 H : accueil des en­fants dans la classe (voir disposi­tion des lo­caux). Les enfants peuvent aller dans les différents coins de jeux installés.
Les parents peuvent rester dans la classe. Ils peuvent lire une his­toire, dessiner ou jouer avec leur enfant ou un petit groupe d'enfants...
Pendant ce moment nous nous efforçons de voir et de parler à chaque enfant individuelle­ment, et éventuelle­ment d'échanger briè­vement avec les pa­rents.
* A 9 heures, c'est le moment où les derniers parents laissent leur enfant et où nous pre­nons en charge le groupe.
Ce moment est impor­tant. Il a lieu chaque matin dans notre coin de ré­union. C'est un moment habituel, at­tendu, nécessaire.
Individuellement nous avions vu chaque en­fant ; maintenant et collec­tivement nous allons voir :
Qui est là ? Qui est absent ?
 
L'entretien à pro­prement parler
 
Pourquoi cet entretien ?
C'est un moment néces­saire pour que se crée une conscience de groupe. La nécessité s'impose parfois de faire une petite tran­sition vers un retour au calme (avec écoute de musique, chanson, comptine) afin de re­centrer le groupe.
C'est un moment privi­légié où le groupe se met à l'écoute ; cer­tains parlent, d'autres non.
C'est un moment où va se renforcer la connaissance mutuelle des personnes. Chaque enfant arrive avec sa person­nalité, ses émo­tions, ses rêves, son histoire : chacun a le droit à la pa­role ; on respecte les diffé­rences.
C'est un échange constant
- entre l'enfant et l'adulte (surtout en début d'année en sec­tion de petits car les enfants ont tendance à ne s'adresser qu'à l'adulte).
- entre les enfants eux-mêmes par la suite. Nous interve­nons alors le moins possible.
 
Avant de commencer l'entretien
 
...et pour qu'il s'effectue sans inter­ruption
1. Nous proposons à ceux qui le veu­lent d'aller aux toilettes (pas de passage col­lectif).
2. Nous vérifions l'habillement (certains enfants ar­rivent trop ou pas as­sez couverts).
3. Nous demandons aux enfants de ran­ger leur doudou, tétine, petits jeux amenés de la mai­son, afin de privilé­gier l'écoute.
 
Mise en place
 
Les enfants sont assis sur de petits canapés disposés en carré. Ils sont libres de choisir leur place (mais nous intervenons quelque­fois pour sé­parer deux enfants qui ont ten­dance à "chahuter" lorsqu'ils sont voi­sins). Tout le monde se voit. L'adulte est assis à la même hau­teur que les en­fants.
 
Les règles
 
Elles sont mises en place dès le dé­but de l'année (cela nous de­mande du temps et de la patience).
- Chaque enfant, s'il veut parler, doit le­ver la main.
- C'est l'adulte qui donne la parole.
- On n'interrompt pas un enfant qui parle.
- On ne se moque pas.
- On fait des efforts pour parler fort.
 
La part de l'adulte
 
Nous nous efforçons de créer un cli­mat de confiance et de sécu­rité.
En tant qu'adultes, nous sommes ga­rants du respect de la parole (interventions parfois fréquentes de notre part).
Nous interrompons par­fois certains enfants qui parlent trop lon­guement (les mains le­vées des autres en­fants leur permettent de mieux le com­prendre et de mieux l'accepter).
Nous sommes attentives à ce que ce ne soient pas toujours les mêmes qui prennent la pa­role.
Parfois nous sollici­tons les enfants qui n'ont pas levé la main : "et toi, est-ce que tu aurais quelque-chose à raconter ?"
N B : il arrive qu'à l'issue ou en cours d'entretien, les en­fants se po­sent des questions entre eux : un dialogue peut alors avoir lieu.
 
Pendant chaque en­tretien
 
Nous notons les échanges tels quels (parfois en abrégé pour aller plus vite) et nous les retrans­crivons sur le livre de vie en restituant le mieux possible ce qui a été dit. Ce livre de vie est laissé à la disposi­tion des parents en fin de chaque journée.
Lors des échanges, nous n'intervenons pas sur la forme (corrections de lan­gage par exemple), sauf éventuelle­ment pour demander à l'enfant de par­ler plus fort (par exemple), s'il n'a pas été entendu et com­pris.
C'est en effet un mo­ment privilégié de communication où nous donnons la priorité :
- à la liberté de l'expression spon­tanée
- à une situation de langage où prendre la parole a un sens et constitue en soi un acte social. Par­fois nous sommes obligées de clore l'entretien si l'attention n'est pas maintenue (bien qu'il soit difficile pour un enfant de re­noncer à sa de­mande de parole, surtout quand il s'agit de faire partager une émotion !).
Le livre de vie sera le témoin de ce qui s'est dit ; toutefois certaines paroles n'y seront pas retrans­crites si nous esti­mons que c'est trop per­sonnel et que nous devons respecter une certaine "confidentialité"
 
Les thèmes abordés
 
* En début d'année, l'enfant parle le plus souvent de lui, de sa famille :
"A ma maison, maman elle m'a emmenée dans le bain, y avait An­toine, et An­toine il m'a embêtée, et après elle m'a sortie du bain et après mon papa m'a emmenée à l'école". (Julia)
"Moi, ma maman m'a donné des granules pour me soigner et après des crousty" (Mélanie)
"Elle va travailler, ma maman" (Jade)
"Mon papa il va me chercher " (Coline)
"Ma maman est partie sans me faire un bi­sou". (Victor Oct 94)
"Moi je m'ai fait mal". (Clément)
" Quand je fais un cauchemard je vais dans le lit de ma ma­man" (Guillaume)
* Il raconte des évè­nements concrets
"Moi j'ai fait du che­val, on a mis la selle et on a mis un casque parce que c'est obligé" (Bruno)
"A ma maison, l'ascenseur était cassé alors on a pris l'escalier" (Pauline)
"Moi je suis allé dans les Méjanes et j'ai vu un gros dinosaure qui creu­sait la terre" (Hugo)
* ... ou imaginaires
"Eh ben moi il y avait un loup à ma maison il a regardé mes jouets" (Django)
"Moi tu sais il y avait un fantôme dans ma chambre qui me fai­sait peur il m'a cro­qué les dents" (Mélanie M)
* Certains ne s'arrêteraient plus de raconter :
"La voiture de mon papa c'est hyper bien, en plus on va changer de mai­son, et en plus mon papa il fait tou­jours de la purée et des saucisses et mon chat il s'appelle "Plouf". (Elodie)
* Et une parole en ap­pelle une autre :
"Moi mon chat il s'appelle Félix" (Dounia)
"Moi j'ai un crocodile qui m'a mangé mon pan­talon et mon tee shirt jaune" (Mélanie)
"C'était un vilain crocodile" (Léa)
"Moi je suis allé à la neige et il y avait un crocodile sur ma luge..." (Clément)
* Ils racontent aussi leurs trou­vailles et leurs découvertes :
"J'étais allé à la mer et j'ai trouvé des co­quillages" (Django)
" En Bretagne on a vu un tracteur qui prend du blé... et la vache elle mange le blé" (Victor)
"Moi, quand je suis allé chez le papy de ma maman, j'ai pris l'avion et y avait plein de monde dedans" (Victor)
"Tout à l'heure je suis allé dans une ferme et il y avait un tracteur dans le ga­rage" (Hugo)
"Moi j'ai trouvé un marron chez Mamie Glo­ria" (Julia)
 
Une analyse des conte­nus nous permet de constater que tout ce qu'ils ra­content est lié à des situations où "l'affectif" tient une grande place. Ils expriment plus rare­ment (avec des mots) leurs sentiments et leurs émo­tions.
Pour certains enfants, il est impor­tant de dire et de redire la même chose jour après jour presque mot à mot comme un rituel. Pour d'autres peu importe le contenu, seule compte la prise de pa­role et l'écoute de sa parole par le groupe (pour affirmer sa pré­sence ? Son apparte­nance au groupe ?)
En moyenne, on note 10 à 15 prises de parole à chaque entretien sur 28 en­fants présents... En cours d'année, sou­vent davantage.
 
Pour conclure
 
Nous pouvons dire que cet entretien consti­tue
- un rite social, ins­titutionnel, riche au niveau des contenus et des comportements
- un temps de transi­tion entre réa­lité fa­miliale et réalité scolaire qui est né­cessaire, et qui, très sou­vent, "donne le ton" à une journée qui commence...
 
Françoise BOUGAIN et
Hélène STRAUCH
Maternelle La Mares­chale Aix en Pce
 

 

Honte et colère

Octobre 1996

Comment traduire aujourd'hui l'image d'un pays, notre pays, pays des Droits de l'Homme, dit-on,... sinon par un sentiment de honte et de colère ?

Honte et colère lorsqu'on bafoue la dignité humaine au nom de lois inhospitalières, de lois ségrégationnistes, de lois... Pasqua, tout simplement.
Honte et colère lorsque les force de... l'ordre, dit-on, chassent des hommes d'un lieu de culte, en fracassant la porte à coups de hache, avec (je cite) "dignité et humanité".
Honte et colère lorsqu'on expulse des hommes, des femmes, des enfants ayant commis le crime de vouloir devenir citoyens de notre pays.
Comment accepter une société où tout s'achète, où tout se vend, du corps des athlètes, modelé au préalable, transformé en panneau publicitaire, au trafic d'organes, en passant par le corps des enfants ?
Une société où l'on meurt de faim ou de froid ?
Une société où l'on n'a plus ni droit au travail, ni droit au logement, ni droit à la protection sociale ?
Les évènements de décembre 95 ont posé le problème de la société dans laquelle nous voulons vivre. Tout nous pousse plus que jamais à nous interroger sur la part de l'éducation dans la formation de l'Homme du prochain millénaire.
Même si l'on nous dit que vouloir changer la société est une utopie, alors résistons à la fatalité d'un monde sur lequel nous abandonnerions tout pouvoir, d'un monde condamné à la misère, à l'oppression, voire la barbarie, et participons à l'élaboration de nouvelles utopies qui nous permettront d'entrevoir l'avenir.
 
Nicole Bizieau
Jean Marie Fouquer
C.D de l'ICEM

 

La conférence d'enfants

Octobre 1996

Choisir le sujet de la conférence

 
On peut choisir un sujet que l'on connaît, qui nous passionne, et qu'on veut faire découvrir aux autres.
On peut choisir un sujet que l'on ne connaît pas et qui nous intrigue, qu'on a envie de découvrir.
On peut raconter un voyage, ses va­cances, pour les partager un peu avaec les autres.
On peut choisir un sujet parce qu'il est au coeur de l'actualité.
On peut te proposer un sujet à l'école ou à la maison, mais il faut que tu sois d'accord pour préparer une conférence dessus. C'est toi qui décides de ton sujet.
"Le plus important, c'est que je choisisse moi-même mon sujet, et non mes parents".'Sarah)
"Il y a dans un livre... à la télévi­sion... ou quand je fais une vi­site... quelque chose qui m'intéresse, et je décide de faire une conférence". (Morgane)
"Quand je vais dans une ville, ça me donne envie de faire une conférence sur la ville où je suis allée". (Mayuko)
"D'abord, on doit parler de quelque chose qui nous intéresse et aussi ap­prendre des choses aux camarades". (Romy)
"On se décide à faire une conférence en choisissant ce qui est important pour nous et que nous voulons faire connaître aux autres". (Gautier)
 
Préparer la confé­rence
 
Comment procède-t-on ?
 
On va à la recherche de tous les ren­seignements qu'on peut trouver : dans les livres, dans les films, en visi­tant des lieux, en rencontrant des personnes qui peuvent répondre à nos questions...
On retient, on note ce qui nous inté­resse et ce qu'on a appris.
On classe les renseignements : on fait un plan, un sommaire. On choisit les photos à projeter. On essaie de trouver des idées pour rendre sa conférence attractive : une exposi­tion d'objets, des panneaux, un ques­tionnaire...
On fixe sa date de présentation avant d'avoir tout fini, sinon elle va être prise.
On répète sa conférence pour être bien prêt à la présenter.
 
Qu'est-ce que cela apporte ?
 
"Tu as un sujet que tu connais un pe­tit peu... En préparant une confé­rence, tu vas en savoir plus et tu vas apprendre des choses que tu aimes aux autres". (Florent)
"Quand je prépare une conférence, j'apprends plein de mots nouveaux et je fais plein de recherches sur mon sujet". (Aurore)
"Préparer une conférence m'apprend à savoir chercher non seulement mes do­cuments mais aussi dans mes documents (sommaire, index...) J'apprends aussi à mémoriser". (Karina)
"En préparant une conférence, j'approfondis un sujet et je peux ré­pondre à ceux qui me disent le contraire de ce qui est vrai". (Grégory).
"Préparer une conférence, c'est ap­prendre des choses et avoir le plai­sir de les savoir. C'est aussi être content de chercher à l'école, à la bibliothèque..." (Romy)
 
Présenter la conférence
 
Une conférence est présentée trois soirs par semaine, en salle de confé­rence, en présence de la classe des moyens et de la classe des grands (6 à 11 ans).
 
Comment procède-t-on ?
 
Le conférencier apporte ses documents le matin même, de manière à pouvoir tout préparer (exposition, affi­chage...) et répéter la projection des photos avec deux camarades qui manipulent l'épiscope.
Pendant la présentation, il peut être aidé par ses parents ou bien présen­ter sa conférence seul.
Il peut inviter une personne compé­tente qui apporte un complément d'information sur le sujet.
Il peut inviter des auditeurs (famille, amis, anciens élèves, visi­teurs...).
Il évite de lire et explique son su­jet en s'appuyant sur les supports de son choix : photos, diapos, dessins, films, objets, cartes, panneaux...
Il donne la parole à son auditoire, au fur et à mesure de ses explica­tions, et il répond aux questions tout en suivant son plan.
L'auditoire peut aussi apporter des compléments d'information ou des ren­seignements différents sur le sujet traité.
Quand la conférence est terminée, le conférencier demande les "critiques" et "félicites" de son auditoire.
 
Qu'est-ce que cela apporte ?
 
"J'ai la satisfaction d'apprendre quelque chose aux autres. J'apprends à m'exprimer clairement". (Sarah)
"On apprend pour soi, puis pour les autres... On parle en public... On retient des choses pour longtemps". (Gautier)
"On a le plaisir de dire tout ce que l'on sait aux autres, et tout le monde écoute". (Romy)
"Quand tu présentes une conférence, tu apprends des choses aux autres, qui les feront parfois changer de comportement". (Grégory"
"Tu as découvert des mots difficiles que tu fais ensuite découvrir aux autres". (Aurore)
"Tu apprends toi-même à bien parler en public, sans avoir peur, à articu­ler, à te faire comprendre". (Cécile)
"Les critiques et les félicites ser­vent à améliorer ta prochaine confé­rence". (Jennifer)
"Lorsque je présente une conférence, j'ai d'abord le plaisir d'apprendre des choses aux autres. J'apprends à m'exprimer, mais aussi à accepter l'avis des autres". (Karina)
"En présentant une conférence, j'apprends des choses aux autres, et en même temps j'apprends des choses moi aussi". (Mayuko)
 
Assister aux conférences des autres
 
"Ecouter une conférence m'apprend non seulement beaucoup de choses, mais aussi cela m'apprend à me concentrer sur un sujet et sur la personne qui la présente". (Karina)
"On apprend, on écoute, on pose des questions, on juge si c'est bien ou pas, on peut voir et toucher des ob­jets". (Gautier)
"Il y a des sujets qui, au premier abord, ne nous disent rien... et après on a appris beaucoup de choses, ça nous a intéressés". (Jennifer"
"Une conférence, ça nous instruit, ça nous apprend des choses nouvelles dans tous les domaines. Parfois même, certaines sont passionnantes !" (Nicolas)
"A chaque conférence, on apprend quelque chose, même si c'est un sujet qu'on connaissait, car on peut abor­der le même sujet sous des angles différents". (Avril)
"J'aime apprendre des choses, je peux poser des questions quand je ne sais pas, et je découvre des sujets nou­veaux". (Ange"
"Un conférencier peut se tromper. Après la conférence, il y a des re­cherches à faire, des choses à obser­ver, des expériences à réaliser..." (Avril)
"Parfois, deux personnes disent des choses contraires et il faut chercher qui a raison". (Grégory)
"Quand le conférencier ne sait pas tout, on recherche, après la confé­rence, et on apprend aussi beaucoup de choses que l'on peut ensuite ex­pliquer aux autres". (Karina)
"Celui qui présente une conférence est toujours félicité, car tout le monde sait que c'est un vrai travail. Les petites critiques servent à ce qu'il s'améliore, par exemple : par­ler plus fort, regarder le public, ne pas lire..." (Morgane)
"Le conférencier a beaucoup travaillé pour présenter son sujet, alors, je l'écoute bien, et j'apprends ce qu'il a appris. J'apprends à participer et à apprendre". (Sarah)
 
En conclusion
 
"Au début, j'ai toujours le trac de présenter ma conférence, mais à la fin, j'ai toujours envie d'en refaire une autre, parce qu'on est féli­cité... parce que c'est bien de pré­senter une conférence". (Morgane)
"La conférence, c'est une grande ex­périence dans notre vie. On a tout de suite envie de recommencer... Je ne sais pas pourquoi". (Claudia)
"La conférence, c'est une grande ex­périence"(La classe des grands. Ecole Freinet. Vence)
Le but de "la conférence d'enfants" n'est pas le savoir encyclopédique. Ce n'est pas une leçon d'histoire, de géographie, de sciences... déguisée.
Il s'agit simplement de partir de la curiosité naturelle de l'enfant, et de lui permettre, par un échange vi­vant et constant avec les autres, d'affiner ses connaissances, d'aller vers le savoir et de construire sa culture.
 
Carmen Montès (enseignante à l'école Frei­net)
 
Conférences pré­sentées sur une année scolaire
 
Les constellations
L'Andalousie
La mésange
Les cours d'eau
Le tabac
La Belgique
Le cochon
La télévision
La culture des violettes
Les serpents
Les félidés
La géographie de la France
Le temps
Les dinosaures
Le panda
Le crapaud
Le soleil
Le loup
Les débuts de la vie
L'esclavage
Louis Blériot
Les perroquets
Animaus d'Australie
La voie romaine
La philatélie
Les élections présidentielles
Gandhi
Les expressions françaises
La banque
La seconde guerre mondiale
Les fuseaux horaires
Les lucioles
La thalasso-thérapie
Célestin Freinet
Malaga
Le berger allemand
La pêche avec les boeufs
Mythes et légendes
Versailles
La guerre de 14/18
Le Canada
Les Orques
Les OVNIS
L'univers
Les U.S.A
La mythologie
Les premières voitures
La digestion
Le poney
Le chêne
Les pompiers
L'ornitorynque
La terre
Les lapins
Le métier de vétérinaire
Les fourmis
La fabrication des santons
Mozart
L'île de Pâques
La Grèce antique
Le coeur
Les Gaulois
Les hommes préhistoriques
Le squelette
 
"
 

 

La pédagogie Freinet en zone sensible : pourquoi ?

Octobre 1996

Je passerai assez rapidement sur la situation économique, sociale et cul­turelle de vaulx -en-Velin. Les mé­dias, je pense, ont suffisamment re­layé les difficultés que connaît cette cité.

Ce que l'on peut dire, nous, en tant qu'enseignantes et, pour ma part, en tant qu'habitante de Vaulx-en-Velin, c'est que s'accentuent ces dernières années, un certain nombre de phéno­mènes, générateurs de souffrance pour les enfants et les adolescents, pour différentes raisons : la dégradation de l'image du père ; l'absence de re­pères et de limites qu'on pouvait trouver dans les relations de voisi­nage ; un sentiment d'impunité qui entraîne le non rapport à la loi ; le manque de communication dans les fa­milles.
D'où pour les jeunes une perte d'identité et un sentiment d'exclusion qui les mènent vers deux dérives possibles. L'une est relati­vement ancienne, la plus connue et la mieux repérée : la délinquance, avec tous les phénomènes de bande. L'autre, plus récente, mais non moins dangereuse, est la radicalisation et le repli ethnique et même géogra­phique : à Vaulx, on est de tel ou tel quartier en opposition à tel ou tel autre. Ce qui se traduit sur le plan social par deux phénomènes ex­trêmistes : le vote ou le refuge Front-National et l'intégrisme isla­mique (puisque vous nous excluez, on s'exclut encore plus, comme ça, on a une part active dans la situation).
Face à cela, quelle attitude ont adopté les institutions et les pou­voirs publics ?
D'une part, une politique d'animation socio-culturelle effreinée (il faut "occuper" les jeunes) et d'autre part une marginalisation de ces zones qui s'officialise de plus en plus. Ce fu­rent d'abord les ZEP, puis la prime aux personnels dans les ZEP, puis l'identification des établissements "à risques". On demande maintenant que ce soit l'état qui assure les vé­hicules dans ces lieux peu sûrs, on demande aussi la suppression des taxes pour les entreprises qui auront le courage de venir s'y installer etc...
On ne peut que constater l'inadaptation de ces attitudes, puisque les problèmes vont plutôt en s'agravant et que même des nouveaux apparaissent.
Bien sûr, il faut tenir compte du contexte national, qui ne s'arrange pas non plus, mais il y a des atti­tudes qui aggravent les choses et d'autres qui peuvent peut-être les améliorer.
Là où il aurait fallu oeuvrer dans le sens d'une éducation populaire, on s'est employé à acheter la paix so­ciale et on a formé des générations à qui tout est dû. Là où il aurait fallu responsabiliser les associa­tions de jeunes, en les aidant ou en leur laissant leur autonomie, on a préféré aller jusqu'à les combattre parce qu'elles pouvaient remettre en cause le pouvoir établi.
Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Qu'essaie-t-on de faire, nous, dans nos écoles ?
J'ai trouvé, dans un traité poli­tique, philosophique et pédagogique hebdomadaire, qui s'appelle Charlie-Hebdo, pour ne pas le citer, une in­terview de Boris Cyrulnik (éthopsychiatre) à propos d'un tra­vail qu'il a mené sur la montée de l'extrême droite dans le sud de la France. Voici ce qu'il dit :
"Quand on a un moi fragile, il faut s'entourer d'un "nous" fort. Si des gens ont un "moi" fort, ils sont su­jets de leur propre histoire, de leurs paroles, ils savent ce qu'ils veulent et désirent, ils se mettent en chantier pour le réaliser. Ces gens là n'ont pas besoin d'être étayés par un discours politique".
On pourrait ajouter "et religieux".
Il dit par ailleurs :
"Quand on vit dans une "poly-apparte­nance", il faut être souple, pour être à la fois footballeur, catho­lique, quincailler, et pouvoir chan­ger de registre. Quand on est rigide, on est anxieux. Quand on est anxieux, on se sécurise avec des certitudes. La certitude a une fonction tranquil­lisante. Mais elle ne permet plus d'être poly-appartenant.
Lorsqu'on est mono-appartenant, il nous faut un clan, un totem, adorer le même, de façon à haïr l'autre, le différent".
Ce que dit Cyrulnik nous situe bien au coeur du problème et nous y re­trouvons ce que nous permet la péda­gogie Freinet :
"construire un moi fort", nous dirons plutôt, parce que nous ne somme pas psychologues, "construire l'estime de soi", mais dans un réseau multiple de relations qui assure une appartenance multiple génératrice d'acceptation de l'autre.
 
Nous avons choisi d'intervenir à deux voix car nous pensons qu'il n'y a pas, y compris au niveau de l'éducation à la citoyenneté, de dif­férence de nature dans nos actions, mais simplement des champs plus ou moins larges, des priorités parfois différentes suivant l'âge des en­fants. Nous situerons tout d'abord nos deux écoles. Puis nous donnerons quelques exemples, le plus intéres­sant étant qu'ultérieurement le débat s'instaure, se poursuive si vous nous adressez vos questions et remarques.
Ch. Nay
 
Je travaille depuis quatre ans dans une école maternelle de cinq classes. Depuis sa création en 1978, deux phé­nomènes marquants peuvent être obser­vés :
- l'évolution de la population qui était à l'origine beaucoup plus mixée qu'actuellement, puisqu'elle était constituée de cadres et d'une popula­tion plus modeste. Petit à petit, les cadres ont quitté le secteur, les ef­fectifs ont chuté, et actuellement reste une forte proportion de fa­milles fragilisées par les difficul­tés économiques et sociales qu'elles subissent.
- l'évolution de l'équipe pédagogique qui, après s'être maintenue pendant quatre ou cinq ans à l'ouverture de l'école, a connu de grandes dérives, pour finalement se stabiliser depuis quatre ans.
V. Goujon
 
L'école Anatole France comporte cinq classes primaires et un poste ZEP partagé avec la maternelle. On constate une grande stabilité des en­seignants (quatre sont là depuis 1970). Les six enseignants sont tous engagés à des degrés divers dans une pédagogie coopérative. Les élèves sont recrutés dans la Cité d'urgence et les logements HLM.
Les difficultés se sont posées dès le départ et les enseignants ont très vite essayé de trouver des réponses en équipe.
Ce travail d'équipe nous a amenés de­puis quelques années à une organisa­tion par cycles. Ainsi nous avons deux CP-CE1, et sur le cycle III, les trois enseignantes travaillent avec tous les enfants de CE2, CM1, CM2, qui se trouvent donc la plupart du temps en groupes hétérogènes. Cette organisation n'est pas un gadget mais un choix pédagogique et éducatif qui nous permet de démultiplier les ri­chesses de la classe coopérative.
Ch. Nay
 
Une action pédago­gique qui permet de construire l'estime de soi...
 
Par la prise en compte de l'enfant en tant que per­sonne...
 
Il nous semble très important de par­ler de la prise en compte de la per­sonne chez l'élève.
L'enfant est un être unique et glo­bal, c'est à dire qu'il arrive à l'école avec tous ses problèmes, tout son vécu de la maison.
Accueillir ce petit en maternelle, c'est prendre en compte sa difficulté à se séparer de son milieu familial, c'est être attentif à chaque enfant : respecter ses émotions, son chagrin s'il pleure en arrivant, sa rage s'il refuse d'aller à la cantine.
Mais c'est aussi voir que beaucoup d'enfants sont perdus et aliénés par des problèmes de santé physiques et psychiques qui vont nuire à leurs ap­prentissages et perturber le bon dé­roulement de la classe. Nous y re­viendrons un peu plus loin avec le problème de la santé.
V. Goujon
A l'école primaire, j'illustrerai cette prise en compte de la personne chez l'enfant par un travail que nous menons depuis l'an dernier sur la culture non scolaire.
Nous avons lu les ouvrages de Michel Serres, Michel Authier et Pierre Lévy concernant "les arbres de connais­sance"(1). L'idée est que dans un groupe donné, chacun sait quelque chose et que lorsque l'on met tout en commun, on a un capital de savoirs à partager.
Nous avons donc repris cela en lis­tant tous les savoirs et savoir-faire que déclaraient les enfants, y com­pris les savoirs non scolaires du style : faire du vélo, mettre le cou­vert, aller seul au parc des sports... Parallèlement, nous organi­sons régulièrement des "marchés de connaissances", où les enfants propo­sent de faire partager une compétence aux autres en tenant un "stand".
C'est une façon de valoriser l'enfant en dehors des apprentissages sco­laires. Il y en a d'autres, c'est un exemple.
C. Nay
 
... Par l'expression
 
Un autre élément de la construction de l'estime de soi est l'expression et la communication. C'est un élément qu'on retrouvera d'ailleurs dans la deuxième partie puisque expression et communication supposent le plus sou­vent qu'il y ait relation.
Pour se construire, il faut que l'enfant puisse communiquer des in­formations, des émotions, des idées, émettre des critiques et les en­tendre, défendre son point de vue, agrumenter, faire des propositions. Pour cela, il faut des lieux (c'est un des rôles des Conseils, par exemple). Il faut des outils : trai­tement de texte par exemple, mais aussi la boîte aux lettres devant chaque classe qui permet d'écrire, y compris à ceux qui sont proches, des choses qu'on ne pourrait peut-être pas dire.
L'expression, elle, doit être déve­loppée dans tous les domaines : oral, écrit, bien sûr, mais aussi corporel, artistique. Nous attachons une grande importance à ces activités. Nous uti­lisons au maximum les installations sportives, les possibilités de sor­ties en plein air et chaque semaine, dans l'emploi du temps, on trouve des ateliers en musique, en arts plas­tiques, en théâtre, mime...
Ch. Nay
Il n'y a rien à ajouter de spécifique pour la maternelle, juste insister s'il est besoin sur le souci que nous avons également de développer toutes ces formes d'expression.
V. Goujon
 
... Par des ap­prentissages réus­sis
 
Nous sommes convaincus que des ap­prentissages réussis conditionnent une bonne image de soi.
Pour une grande majorité des élèves qui fréquentent notre école, on constate plusieurs types de difficul­tés.
- Tout d'abord des difficultés à sor­tir de la passivité. Les enfants sont "posés" à l'école comme on pose les paquets. beaucoup de petits de trois ans sont encore véhiculés en pous­sette. En classe, ils peuvent rester inactifs sur un banc, sans rien faire, jusqu'à ce que l'adulte les interpelle.
- Ensuite des difficultés à com­prendre la causalité. Ils sont inca­pables de faire des liens entre deux images d'un livre, par exemple. beau­coup de petits de trois ans ne peu­vent comprendre ce qui lie deux évè­nements entre eux (il pleure parce qu'il s'est fait mal).
- Mais aussi des difficultés à se re­pérer dans le temps et dans l'espace. Ils ont du mal à appréhender la suc­cession des activités, à anticiper. Ils restent dans l'instant présent.
- Enfin des difficultés à se repré­senter les activités, à les évoquer. beaucoup d'enfants, après avoir vécu une situation en salle de gym par exemple, auront du mal à en reparler.
Pour palier tous ces manques, nous avons choisi plusieurs types d'actions.
- Nous essayons de rendre les enfants plus autonomes en leur proposant un choix d'activités variées et adaptées qui les rendent actifs. Nous sommes plus à l'écoute de ce qu'ils savent, nous vérifions qu'ils comprennent ce qu'on leur demande.
- Nous avons choisi de donner prio­rité au travail sur le temps, l'espace, la causalité. Dans toutes les classes un gros travail est fait sur le calendrier, on aide les en­fants à prendre des repères en leur demandant de situer les évènements les uns par rapport aux autres, d'évoquer ce qu'ils ont fait avant ou après telle activité, d'anticiper ce qu'on fera demain.
- Et enfin, pour les aider à mettre des mots sur leurs actions, à réévo­quer, à se représenter une situation qu'ils viennent de vivre, on utili­sera des supports variés : films, photos, éléments magnétiques...
V. Goujon
Réussir les apprentissages à l'école primaire, c'est d'abord les personna­liser, les co-gérer, les co-évaluer.
C'est ce que permet, entre autres, le travail en cycle. On peut, au cycle III, par exemple, envisager globale­ment les apprentissages sur les trois années du cycle, en étant plus souple sur les rythmes. Cela permet à chacun de s'appuyer sur ses savoirs pour les transformer, pour progresser, tout en ayant une connaissance préalable des objectifs. Quand on dit chacun, cela peut être "des chacuns", car parfois les enfants se regroupent à plu­sieurs. Cela permet aussi au cycle II, par exemple, de supprimer la bar­rière de fin de CP pour les enfants qui sont en cours d'apprentissage de la lecture. Bien sûr, les enfants ont des outils pour se repérer : des plannings, des plans de travail, un cahier d'évaluation où sont réperto­riées les compétences à acquérir.
Réussir les apprentissages, c'est aussi les contextualiser par la prise en compte des vécus personnels et collectifs dans l'apprentissage de la lecture. C'est les finaliser, d'où toute l'importance de travailler sur des projets de tye correspondance, journal, sorties...
Enfin, réussir les apprentissages, c'est multiplier les méthodes de tra­vail et les diversifier : recherche, travail de groupe, confrontation, ex­plication...
Ch. Nay
 
... Par l'appropriation de la culture
 
Dans la continuité de ce qui vient d'être dit, nous voudrions aussi sou­ligner l'importance que nous accor­dond à la culture, qui est le rempart contre l'obscurantisme.
Il faut savoir que dans la bouche des jeunes, et même assez jeunes, le mot "intello" est devenu une injure. C'est très grave.
Encore une fois, voici quelques exemples de nos actions.
Nous utilisons et faisons la promo­tion de tous les équipements munici­paux. J'ai critiqué auparavant la po­litique municipale, mais je dois tout de même saluer la volonté de dévelop­per à Vaulx en Velin des lieux cultu­rels nombreux et assez variés : des bibliothèques, un planétarium, des ateliers d'arts plastiques, des pro­positions de spectacles...
A l'école nous menos presque tous les ans un projet de comédie musicale, qui nous permet d'aborder un thème sous tous ses aspects : historique, géographique, scientifique, musical, pictural, théâtral (l'abolition de l'esclavage, le cinéma...)
Enfin la BCD de l'école est un lieu central, avec un musée, des anima­tions, une gestion par des enfants et des adultes non enseignants : pa­rents, animateurs.
Ch. Nay
 
... Par l'émancipation, l'autonomie
 
L'estime de soi, c'est aussi par l'autonomie et la responsabilisation que l'enfant la construit.
L'autonomie, c'est permettre aux en­fants de faire des choix.
En maternelle, cela se fera au moment des activités d'accueil où les en­fants auront la possibilité de choi­sir une activité qui leur convient, mais aussi sur les temps d'ateliers où les choix seront plus restreints : soit parce que certaines activités ludiques seront proscrites, soit parce que le décloisonnement concerne tous les enfants quel que soit leur âge.
L'autonomie, c'est aussi avoir un rôle dans le groupe, avoir des res­ponsabilités.
Concrètement, en maternelle, cela se manifeste lorsqu'un grand explique à un petit comment fonctionne un moulin à eua par exemple. Cela se développe aussi avec toutes les formes de ser­vices qui existent dans toutes les classes : arroser les plantes, ranger le matériel, préparer le goûter...
V. Goujon
En ce qui concerne les responsabili­tés, elles continuent bien sûr à l'école primaire d'être partagées par les enfants (sur élections ou sur compétences). Je n'insiste pas.
En ce qui concerne l'éducation au choix, le travail en cycles permet de proposer plusieurs activités en même temps : l'enfant pet choisir par exemple de travailler en histoire, en géographie ou en sciences, suivant le sujet proposé.
Pendant les temps de travail person­nel, il peut choisir de travailler sur telle ou telle notion.
Pendant les temps dit "libres" : l'accueil, les récréations, il peut pratiquement s'autogérer.
Effectuer des choix, c'est prendre des responsabilités, voire des risques, c'est être sujet et non ob­jet : pour certains choix, il faut s'inscrire... et s'y tenir.
Effectuer des choix, c'est aussi se situer dans un emploi du temps. Enfin c'est utiliser des lieux variés, s'y rendre seul, s'y repérer.
Ch. Nay
 
... Dans un sys­tème relation­nel...
 
...Complexe
 
La construction de l'estime de soi ne se fait pas chez un individu isolé. C'est seulement pour la commodité de l'exposé que nous l'avons séparée de l'étude du système relationnel dans lequel chaque individu évolue.
Ce système, pour lutter contre toute forme de repli et pour rejoindre l'idée de Cyrulnik de la poly-appar­tenence, doit être complexe.
En reconnaissant chez l'élève une personne, on reconnaît en même temps qu'il appartient à une famille, à une communauté, à un milieu social.
A l'école il appartient à un groupe classe, on lui reconnaît aussi le droit d'appartenir à un groupe d'affinité.
Là encore, le décloisonnement des classes, en regroupant par exemple des enfants sur un projet, permet un élargissement et une multiplication des relations. On permet la confron­tation d'individus venant de plu­sieurs lieux, ayant vécu des expé­riences différentes. On permet à l'enfant de changer d'image, de rôle, suivant le groupe où il se trouve.
On peut aussi faire prendre conscience de l'appartenance à une ville, à un pays, au monde entier (citoyen du monde).
Par exemple, l'an dernier, mes élèves ont visité le planétarium en avant-première, ils ont aussi étudié le projet de Centre ville, ont émis des critiques, ont écrit dans le journal de la ville.
Autre exemple : tous les quinze jours, un groupe fait une revue de presse qu'il affiche dans l'école et c'est souvent le point de départ de débats sur des sujets d'actualité.
Ch. Nay
En maternelle, nous privilégions le travail en petits groupes en étant vigilantes sur l'âge des enfants.
Cette forme de travail nous permet de multiplier les interactions entre les enfants, mais aussi entre enfants et adultes différents.
Elle fait sortir les plus jeunes de la relation duelle Maître-enfant et permet un regard pluriel sur les en­fants, une confrontation entre adultes.
V. Goujon
 
... construit dans des lieux de pa­role institution­nalisés
 
Pour qu'il y ait des relations entre les individus, il faut qu'il y ait des lieux de parole où se construi­sent ces relations.
Il y a des lieux de présentation. On peut donner comme exemple : spec­tacles montés librement, conférences à la suite d'une recherche documen­taire, on pourrait en citer une mul­titude.
Il y a des lieux de bilan, d'évaluation : chaque présentation est suivie d'une critique ; à la fin de la journée, dix minutes sont consacrées dans chaque classe au bi­lan de chacun.
Il y a aussi des lieux de proposi­tions, de gestion, de discussion, de décision : les conseils.
Il y a un conseil par classe ; un conseil par cycle ; la communication entre le cycle 2 et le cycle 3 se fait par un système de délégation ; des conseils extraordinaires sur un sujet spécifique : la cantine, le terrain de foot... Par la pratique de plusieurs conseils différents, l'enfant fait l'apprentissage des différents lieux de compétences et de décision. On ne peut prendre de déci­sion que sur ce qui nous concerne !
Ch. Nay
Suivant l'âge des enfants, les lieux de parole seront plus ou moins insti­tutionnalisés. Chez les petits, le lieu de parole sous forme de conseil n'existe pas alors qu'il sera mis en place dans la section des grands.
Par contre, dans chaque classe exis­tent des moments de bilans, de pré­sentations de travaux faits par les enfants. Moments plus ou moins longs, plus ou moins construits selon le ni­veau de classe.
Toutes ces structures permettent aux enfants de confronter leurs idées, de défendre leur point de vue, de se dé­centrer.
V. Goujon
 
... régulé par des droits et des de­voirs
 
Les relations dans le groupe doivent être régulées par la connaissance des droits et devoirs de chacun.
De plus en plus, nous subissons la pression des parents qui défendent la loi du talion et de la jungle, qui interviennent directement devant les enseignants lors de conflits entre leurs enfants.
face à ce phénomène qui s'apparente à l'auto-defense et pour lutter contre l'incohérence des familles, il nous semble de plus en plus nécessaire de parler des lois et des règles avec les enfants dès leur entrée à l'école maternelle.
Chez les petits de trois ans, les règles seront dites, écrites, symbo­lisées à partir de photos pour qu'on puisse y faire référence.
Les conflits seront gérés dans l'instant et non différés.
Tout ce travail autour des règles de vie et la construction de ces règles avec les enfants est présent dans chacune de nos classes et pour plus de cohérence élargi à l'ensemble de l'école.
V. Goujon
Les plus grands aussi ont besoin d'un cadre pour exercer leur liberté. La construction des règles est une pro­tection pour l'enfant contre l'arbitraire de l'adulte et contre la loi de la jungle déjà évoquée par Vi­viane.
Le maître, les maîtres (là, la cohé­rence devient incontournable) sont les garants de l'application de la loi et des règles. Il ne faut surtout rien laisser passer : le rapport à la loi se construit sur de toutes pe­tites choses. Nous regrettons parfois que la police qui s'intéresse beau­coup aux problèmes de drogue (et c'est justifié) n'intervienne pas as­sez sur la petite délinquance de tous les jours. Un enfant qui en bouscule un autre doit s'attirer une remarque de l'enseignant.
Un gros travail sur les règles a été fait avec les enfants. Un gros effort pour aller de l'implicite à l'explicite. Un classeur des lois qui les répertorie est à la disposition de tous. Le règlement de l'école est discuté et affiché dans les classes. Et, bien entendu, pour chaque trans­gression une sanction est prévue (retrait du permis de circuler libre­ment dans l'école, exclusion du conseil etc...).
Ch. Nay
 
... basé sur l'entraide
 
Si les relations dans nos écoles sont régies par des règles, elles sont aussi basées sur l'entraide, en oppo­sition avec la compétition. L'entraide, outre qu'elle favorise l'acceptation de l'autre, enrichit les deux protagonistes. C'est aussi pour cela que nous travaillons avec des groupes hétérogènes, que nous avons choisi de former deux CP-CE1, de travailler en cycles.
J'ai déjà cité le Marché des connais­sances, qui peut être considéré comme une forme d'entraide.
Je parlerai aussi des brevets qui sont délivrés après des stages spéci­fiques et qui permettent par exemple de gérer la bibliothèque en accueil­lant les autres enfants, ou bien en­core d'aider les CP dans l'apprentissage de la lecture.
Ch. Nay
 
... ouvert
 
Le système de relations doit être un système ouvert. C'est là tout le rôle des diverses correspondances, proches, lointaines, des rencontres avec d'autres classes pour faire un journal commun...
Nous faisons un gros effort pour dé­velopper dans l'école une politique de classes transplantées. Efforts fi­nanciers pour qu'un enfant puisse partir au moins une fois par cycle, efforts de persuasion envers les fa­milles, dont les réticences autrefois personnels sont de plus en plus télé­guidées par des pressions exté­rieures.
Nous accueillons aussi beaucoup de stagiaires dans les classes, qu'ils viennent de près, de loin, ou même de très loin. Nous avons ainsi reçu des stagiaires bulgares, à la suite de quoi, l'école a commencé une corres­pondance avec une école de Sofia. Les CM2 y sont partis quinze jours en juin dernier.
Ch. Nay
 
La coopération entre adultes
 
En interaction avec les mises en place avec et pour les enfants, il paraît aussi indispensable dans notre travail de mettre l'accent sur la co­opération entre adultes. Je voudrais dire que là encore on va retrouver à la fois l'estime de soi et les rela­tions coopératives.
Je voudrais aussi resituer le rôle des adultes si l'on tient compte des difficultés des jeunes que j'ai évo­quées au tout début, et sur les­quelles je ne reviens pas.
L'adulte doit être authentique, il ne peut pas tricher. Il faut qu'il ait une parole forte : tu ne manges pas de porc, tu n'en as pas le droit, mais moi j'aime ça, et j'en ai le droit. Tu es catholique, tu es musul­man, c'est ton droit, moi je suis athée, c'est mon droit aussi.
Il faut que les enfants aient plu­sieurs modèles d'adultes différents, même s'il y a cohérence entre eux par ailleurs. Les adultes doivent donner l'exemple de la coopération.
Ch. Nay
 
Le travail avec les familles
 
Depuis quelques années, nous avons cherché dans notre école à améliorer la relation que nous avons avec les familles, mais aussi à transformer la représentation que les parents avaient de l'école. En effet, beau­coup la vient à travers l'expérience négative qu'ils ont eue. beaucoup en­tretiennent des rapports de méfiance, voire de rejet qui sont source de tensions pour l'enfant à l'école. Nous avons mis en place des systèmes d'échanges variés comme :
- les réunions de classe
- les portes ouvertes, les classes ouvertes
- les fêtes organisées conjointement
- les conseils d'école ouverts à tous les parents
- les photos, les filme, les cas­settes
- les affichages multiples à l'extérieur de la classe
- le livre de vie relatant les évène­ments marquants de la journée et laissé à disposition des parents
- les contrats élèves/maîtres/parents
- le participation des parents aux activités de l'école, aux sorties
- un temps et lieu d'écoute et d'échanges entre parents et ensei­gnants qui est institué une heure par semaine dans les locaux de l'école.
Actuellement, nous pouvons constater que les choses bougent un tout petit peu :
- nous avons plus de parents aux ré­unions de classes
- le dialogue est renoué avec cer­taines familles
- les parents se mobilisent plus vite
- notre travail en maternelle est da­vantage pris en compte.
V. Goujon
 
Les partenaires de la santé
 
Si construire un réel partenariat avec les parents a été et reste un cheval de bataille, tout le travail autour de la santé nous préoccupe et nous mobilise de plus en plus.
face au mal être de nos élèves et à leurs difficultés de plus en plus nombreuses pour apprendre, nous avons été amenées à renforcer la prévention des handicaps et la détection précoce des déficiences, que ce soit dans le domaine social ou celui de la santé. Pour cela, nous mettons en place plu­sieurs niveaux de concertation :
- des discussions en équipe pédago­gique sur les "cas lourds"
- une recherche d'aide auprès des collègues des réseaux, des parte­naires de la santé (Protection Mater­nelle Infantile, Centres médico-péda­gogiques, Médecine scolaire...) et des partenaires sociaux (assistantes sociales...)
- des convocations d'équipes éduca­tives élargies, réunissant la psycho­logue scolaire, le personnel de l'école, pour une recherche de cohé­rence sur les prises en charge.
V. Goujon
 
Les associations
 
Nous sommes également amenés à tra­vailler en collaboration avec des as­sociations du quartier et de la ville. Je citerai deux exemples parmi d'autres de cette collaboration.
- La Maison des Jeunes et de la Cul­ture : nous avons des projets com­muns, nous essayons d'y amener les enfants pour qu'ils connaissent ce lieu et aient envie de l'investir. Il y a continuité dans les acteurs (il m'arrive de retrouver d'anciens élèves au Conseil d'Administration) et dans les finalités éducatives. Les responsables de la MJC mènent une vé­ritable politique d'éducation popu­laire en responsabilisant au maximum les participants, en leur accordant un maximum d'autonomie.
- Le travail avec une association d'ados du quartier qui, sur l'idée de l'aide aux devoirs, accueillent les jeunes pour leur lire des histoires, jouer avec eux... C'est un peu notre lien avec les familles qu'on ne touche pas forcément dans les ré­unions.
Ils ont parfois des projets d'animation plus ponctuels et de plus d'envergure : des sorties, des pro­jets théâtre... Nous les aidons en leur fournissant un local pour leurs réunions, en soutenant leurs demandes etc... Mais à part cela, leur autono­mie est complète.
Ch. Nay
 
La concertation entre enseignants, la direction col­légiale
 
Enfin, pour terminer, nous voudrions vous décrire la direction collégiale, qui est pour nous une façon de vivre la coopération que nous voulons ins­tituer dans l'école.
Dans nos deux écoles, la geston admi­nistrative et pédagogique se fait co­opérativement. L'ordre du jour des réunions est établi par chacun. Les décisions sont prises en commun, les responsabilités sont partagées et les tâches sont réparties entre tous, chacun appliquant les décisions prises par l'ensemble.
Ch. Nay
 
En conclusion
 
Si tant est qu'il soit possible de conclure sur un tel sujet, je dirai que, même si nous avons conscience de nos limites (l'école ne peut à elle seule assurer l'éducation à la ci­toyenneté), même si certains pensent que notre action est dérisoire vu l'ampleur des problèmes par ailleurs, le travail que nous menons au quoti­dien en nous appuyant sur la pédago­gie Freinet, la pédagogie coopérative est tout à la fois évident, urgent et indispensable.
Viviane Goujon
Ecole Viennot
Chantal Nay
Ecole primaire Anatole france
Vaulx-en-Velin (69)
 
 
 

 

La violence à l'école

Octobre 1996
Denis Drû est CPE au lycée G. Crampe d'Aire sur l'Adour (40). Philippe Ge­neste est professeur de français au lycée Sud Médoc du Taillan (33). Aga­cés par la surmédiatisation de quelques faits bien réels, ils pen­sent que le phénomène de la violence à l'école, même relativisé, reste aussi (et surtout ?) lié à des modes de fonctionnement de l'institution scolaire.

 

 
Le phénomène de la violence en milieu scolaire n'est pas récent (voir les études de Debarbieux et son article dans l'Ecole Emancipée du 5/05/94 pp IV à VII). S'il y a une augmentation de 21,5 % de ce phéno­mène entre 1993 et 1994, il faut gar­der à l'esprit d'une part que les statistiques en ce domaine commencent à peine à être fiables et que d'autre part sont re­groupés sous la dénomina­tion de vio­lence des faits fort hété­roclites. Si on suit les conclusions de Debar­bieux, l'école est moins at­teinte que le reste de la société par la vio­lence. Cela montre qu'au delà des faits bien réels c'est l'exploitation que l'on veut en faire, par le biais de quatre mystifications, qui est po­sée:
- l'école forme mal et génère le chô­mage
- la violence a envahi l'école
- l'Education Nationale est une ma­chinerie trop lourde pour s'adapter, c'est d'ailleurs le propre de toute institution de services publics
- il faut donc briser cette chaîne qui empêche l'évolution positive (ex : les rythmes scolaires et l'attaque contre le statut et le travail des enseignants).
 
Une chaîne d'arrogances
 
Avec l'aggravation de la crise écono­mique, l'environnement socio-écono­mique jusque là contenu hors des murs est entré de plein fouet dans la réa­lité scolaire. Le phénomène n'est pas nouveau et concerne aussi bien l'école primaire (cf les prises d'otages en France, en Angleterre ; cf les agressions entre enfants...) que le secondaire. Se révèle ainsi que lorsque la dignité humaine est bafouée, piétinée, les moyens pour la reconstruire sont sans entrave, boo­merang en faits divers de l'exclusion sociale organisée. Ce n'est pas cette violence faite au peuple qui est dé­noncée par les médias. Tel est l'envers des miroirs brisés de la violence à l'école. Portons nos re­gards sur leur endroit. Cette vio­lence est portée par une chaîne d'arrogances qui viennent brutaliser les rapports humains à l'intérieur de la cité scolaire :
- arrogance des élèves parfois certes via l'incivilité
- arrogance des adultes parfois aussi : combien de propos vexatoires, d'attitudes méprisantes juchées sur un socle d'assurance hiérarchique
- arrogance sociale : à quoi sert un projet lorsqu'en fin de parcours on se fait jeter du circuit social ? De quelle civilité, de quelle discipline parle-t-on quand le quotidien de la vie s'effectue sous le regard de Vi­gipirate ? De la stigmatisation de la jeunesse comme élément de désordre ?
- arrogance sociale des savoirs : l'orgueilleux savoir d'élite sur le­quel se fondent les programmes, or­gueil accusé dans bon nombre de pra­tiques pédagogiques, ne peut qu'être une violence perpétrée - mais ceci n'est pas nouveau - contre les sa­voirs autres, populaires, des groupes sociaux défavorisés, des classes so­ciales constitutives du prolétariat. Le rôle dévolu au latin et au grec au collège dans la réforme Bayrou, la marginalisation de l'image et du film au lycée, confirmée par le programme de lettres de Terminale L paru en mars 96 au BO, en sont des traduc­tions pratiques.
Cette chaîne d'arrogances crée des exclusions et l'exclusion n'est pas un vain mot. On le sait, le slogan "80% d'une classe d'âge au Bac" a vécu. Les filières de relégation s'affirment comme telles : apprentis­sage en hausse (or on sait qu'il n'enraye pas le chômage... pour se placer de ce seul point de vue) ; classe SAS, 3èmes professionnelles préparatoires aux "formations sous contrat de travail" qui conduisent à la précarité, aux petits boulots, à l'absence de boulot... Relégation et exclusion sont synonymes en période de crise.
Mais si l'école exclut, elle légitime aussi l'exclusion puisqu'elle est ré­quisitionnée pour la gérer : ce sont les fameux stages dits d'insertion, les CIPPA etc... Ici se joignent l'Education Nationale stricto sensu, les GRETA, et moult organismes privés de formation (il y a quelques années, en Aquitaine, on comptait plus de cinq cents officines de formation s'occupant de l'insertion !)
 
Sanctuariser l'école... ou l'ouvrir ?
 
Chômage et précarité accrue inscri­vent à nu l'école au coeur du système de reproduction de la force produc­tive via la gestion de l'armée de ré­serve des chômeurs. La fonction so­ciale de l'école est ainsi clairement établie. Penser comme bon nombre de réformistes relayés par les institu­tions de formation et un pan non né­gligeable de la sociologie de l'éducation que l'école peut soigner les méfaits socio-économiques est une illusion idéaliste qui met le monde la tête en bas (il faut que "l'école retrouve sa fonction, pour protéger, fixer les bornes, réinsérer certaines familles dans leur fonction civique" ; les jeunes "doivent avoir la conviction que l'investissement dans l'école leur permettra de sortir des problèmes dans lesquels ils sont". D. Paget, "Contre la violence nos propo­sitions" US 16.02/96 p 6). C'est une illusion qui mène à croire aussi que le savoir échappe aux contradictions sociales.
Si ces raisons socio-économiques de la violence sont bien réelles, elles ne sont pas explicatives à elles seules, car l'irruption du phénomène n'a pas attendu les quatre millions de chômeurs ni la massification de l'enseignement. Comme le rappelle DL Etxeto dans "La Tâche d'encre" (n° 57, février 96 pp 27-31) on ne parle pas des questions de drogue, de ta­baggisme, d'alcool, de fugues, de suicides, conséquences des conditions sociales de vie et aussi des condi­tions de travail des élèves. Cela ré­vèle les choix précis opérés sur les faits pour en arriver à stigmatiser un espace, la banlieue, un groupe so­cial, les immigrés ou jeunes black ou beur. Or c'est là que s'articulent les ministères de l'intérieur, de la justice, des affaires sociales, poli­tique de la ville et ministère de l'éducation nationale. F.Bayrou l'annonce, J.Chirac le souligne : plus d'armée à l'école, plus de flics autour, voire dans (J.Chirac : "La police... doit pouvoir entrer à l'école") l'établissement scolaire ; voilà Vigipirate qui enserre un peu plus le corps social. Pour répondre à cette agression étatique, le syndica­liste doit être porteur d'une volonté de transformation sociale, sinon il va s'enferrer dans l'enceinte sco­laire et du coup faire le jeu du pou­voir.
Le bouclage des établissements, c'est leur sanctuarisation, vieux mythe d'une sécurité antérieure à quoi cor­respond un appel à la restauration de l'ordre (voir article d'O. Vinay Ecole Emancipée n° 8, 4/3/96 PP 8-9). Ce n'est pas qu'un rêve de droite : "il est ... vital, si l'on veut que l'école survive dans une société to­talement mercantile, de lui restituer son caractère sacré, c'est à dire sé­paré, intouchable, et proprement re­ligieux. C'est à prendre ou à lais­ser" J. Julliard, Le Nouvel Observa­teur 23/9/93. Ce type de réaction est à l'opposé des conclusions des prati­ciens enseignant avec des classes dites difficiles. Pour mémoire rappe­lons avec Françoise Ferrere et P. Dauga les conclusions qui se dessi­nent à la lecture de "La violence dans la classe" (1990) de Debarbieux, livre qui poursuivait une commission de travail de l'ICEM :
-"Briser la représentation du lieu clos de la classe, fantasme de dévo­ration, en offrant aux enfants des lieux pour être...
- Rompre avec l'image de la surpuis­sance magistrale en donnant réelle­ment la parole aux élèves, car il faut se rappeler que la violence est souvent une parole non aboutie...
- Libérer le corps... En effet on ou­blie souvent que c'est en bougeant que l'enfant met en place les connexions corticales et les coordi­nations motrices nécessaires aux ap­prentissages...
- Enfin ouvrir l'école sur l'extérieur..." (La Tâche d'encre, N° 48 avril/juin 93).
Ouvrir l'école, ce n'est pas, comme le prône le pouvoir et ses condot­tieres, la soumettre à l'ordre de l'entreprise, ce n'est pas précipiter l'enfant dans les rouages du mode de production capitaliste mais, au contraire, et à l'instar de l'école du travail chère à Freinet, inscrire le travail des enfants dans le com­plexe social. Alors seulement l'école cessera d'être "un couloir à côté de la vie" où par alternance "l'enfant doit nécessairement passer pour deve­nir un homme" (Freinet Ecole Emanci­pée 20/12/1925 N° 13), elle sera de plein droit, de plain-pied dans la vie.
 
La violence in­terne à l'Institution
 
La violence enfin, c'est celle tue par tous, celle interne à la classe, celle interne à l'institution. On a monté en épingle les agressions contre des enseignants mais c'est là un phénomène extrêmement minoritaire. Les agressions concernent surtout les élèves, or on en parle peu, indice supplémentaire opéré ségrégatif entre les générations et entre agents de l'état, de l'ordre d'état, et sujets (apprenants assujettis). Ce sont les premières réactions sécuritaires que la presse, y compris syndicale, a re­layées (voir la couverture de l'US N° 392 du 23/02/96). Le silence sur la violence interne de l'institution fa­vorise la limitation des exigences et propositions syndicales au seul ni­veau - certes juste et nécessaire - de la demande de moyens supplémen­taires. Cette réponse quantitative n'est pas en mesure - parce que trop étroitement corporatiste - de mettre en perspective les enjeux de cette violence tue mais vécue. Ces enjeux portent sur des valeurs scolaires traditionnelles : discipline, hiérar­chie des résultats, univers aseptisés de la connaissance en soi, glorifica­tion du savoir désincarné. Au bout de cela il y a la question de la rela­tion pédagogique et celle de la part de l'élève dans le fonctionnement de l'école.
Par exemple chargé de trop de classes, de trop de copies, non formé au travail d'équipe, l'enseignant du second cycle s'isole dans sa situa­tion individuelle, écarte comme une surcharge de travail la gestion démo­cratique du groupe et du cours. Autre exemple : lorsqu'en lettres et fran­çais les programmes s'alourdissent, le temps consacré à l'échange de pa­roles, donc à la prise de parole par les élèves, s'étiole : qu'est-ce qu'une classe où se trouve exclu du fonctionnement la libération de soi par la parole ? A-t-on mesuré la si­gnification profonde de cet état de fait ? Non prise en charge de la pa­role d'élève puisque rétrécissement de l'espace de paroles libres, sur­charge de paroles professorales : dans le silence des passivités n'est-ce pas une situation explosive - non-dit de la violence interne des plus ordinaires qui montre que violence est mot à être pluralisé en autant de singularités que d'élèves laissés en souffrance de dire - ?
 
Ordre hiérarchique ou pouvoir collec­tif ?
 
Ce qui est remis en cause dans la violence scolaire, c'est l'ordre hié­rarchique des établissements et, à travers l'enseignant, l'ordre de l'état. Nul doute qu'un fonctionne­ment différent basé sur l'autogestion, avec de réels pouvoirs accordés à tous, permettrait une ré­gulation interne des tensions et une mutuelle compréhension des acteurs de l'établissement. Au contraire le mo­dèle dominant de l'entreprise appli­qué à l'établissement renforce le pouvoir des niveaux de direction et favorise les pouvoirs intermédiaires. Dans ces établissements, l'afflux d'informations déversé par la direc­tion accuse en fait un déficit d'échanges qui place hors d'atteinte le niveau où sont prises les déci­sions. La tendance des personnels à s'isoler dans leur situation (et em­ploi du temps) individuelle s'en trouve encore accrue. Ceci est encore plus vrai pour les élèves : comme le disent G.Cohn-Bendit et P. Boumard dans "Les Pédagogies Autogestion­naires" (1995, ed Ivan Davy), "s'il existe un lieu social où la démocra­tie soit absente, c'est bien l'établissement scolaire". Un exemple : le journal lycéen est soumis à la censure du proviseur sans que cela émeuve. Autre exemple : un élève com­met un impair, il est puni par le prof ou le CE ou le surveillant. Pu­nition prise en toute quiétude, car prise au nom de la collectivité... Mon oeil ! Quelle réflexion de la communauté scolaire sur les échelles des sanctions, sur les instances de décision, a procédé à cette démarche punitive ? Finalement, on en est au stade d'un patriarcat où le juge qui tient son pouvoir d'institutions ex­térieures à la communauté décide, où le citoyen accepte. On le voit, la citoyenneté n'est pas du tout une ga­rantie de démocratie interne à l'intérieur de l'école parce qu'elle peut être fondée sur l'assujettissement du sujet. Les voies propres à l'école en matière de violence - insuffisantes à elles seules, même secondaires, mais pou­vant être agissantes ne serait-ce que parce qu'elles peuvent être portées immédiatement par les acteurs - né­cessitent de placer la question des pouvoirs, de la démocratie, (des pro­grammes, des conditions de vie, des services des personnels, des services des élèves...) au coeur de la ré­flexion et des actions pour la trans­formation de l'école en une école po­pulaire pour tous. Sur cette ques­tion, plutôt que de clamer leur im­puissance, les personnels feraient mieux de prendre la parole pour avan­cer collectivement leurs solutions.
Ce n'est pas le moindre des paradoxes que cette société qui se prévaut ici et ailleurs donneuse de leçons de dé­mocratie et qui, dans le lieu d'éducation de ses citoyens, écarte avec rigidité toute forme pratique d'éducation à la responsabilité, à la prise de décision, à la discussion collective.
A l'heure où l'on réduit la dimension socio-éducative dans les établisse­ments scolaires (dixit l'Inspection générale) et après l'assaut lancé en 1985 contre la vie scolaire par une gauche intégriste de la matière (heureuse ambiguïté du mot "discipline" !), les quelques rares instances internes de liage de la communauté scolaire sont vidées de leur sens (voir l'article de Denis Drü "Le lycée et la culture vivante" La Tâche d'encre N° 53 janv 95 pp 15-18 et le dossier de l'Ecole Emancipée "Zones difficiles et fracture so­ciale", mai 1994, N° 10). Il faut un mode de fonctionnement collectif, des lieux, du temps aménagé pour des A.G, pour la délibération des choix. Cela ne règlera pas la question de la vio­lence engendrée par le système capi­taliste mais c'est une voie pour le hic et nunc de briser les souffrances sociales, les cassures socio-affec­tives.
L'école ne doit pas être un lieu de culte social mais un lieu de rela­tions sociales où s'épanouissent les capacités individuelles par la prise en main collective de l'organisation du quotidien - entre autres - .

 

Lire et écrire... au Tchad

Octobre 1996
La zone sahélienne, c'est plat. Quelques arbres, beaucoup de traces des abattages pour faire du bois. Et les silhouettes des femmes portant sur la tête l'indispensable à la vie ; d'où viennent-elles, où vont-elles ? Au milieu de la poussière la Lada évite les trous et essaie de suivre la piste. A dix heures il fait chaud, dèjà chaud. Nous arrivons à Gahoui, le village des potiers ou plutôt des potières du Tchad.
L'instituteur est là pour nous faire visiter la bibliothèque publique du village, l'école, le collège et le musée qui abrite les "restes" des fouilles archéologiques effectuées par Françoise Claustre.
Le responsable est fier : son fichier d'emprunteurs est bien garni et ses nouvelles tables pour la lecture viennent d'arriver. Sur les rayon­nages, les ouvrages français - sou­vent fatigués - sont classés en De­wey. La littérature jeunesse est pré­sente, mais aucun album. Et puis, au mur, face à l'entrée, l'affiche du "Temps des Livres" 1995. Une soirée "contes" et une exposition sont orga­nisées. Dans la cour de l'école, une jante de voiture sert de cloche. Dans les trois classes, les quelques tables doubles, envoyées par la France, ont beaucoup servi ; un ta­bleau posé verticalement contre le mur propose le dernier exercice : "désigner les groupes nominaux et les attributs du sujet"...
Sous l'arbre à palabres, les anciens sont réunis. Les femmes sont très fières de nous montrer les fresques qu'elles réalisent sur les murs de leurs cases, et leurs poteries. Cer­taines continuent de piler le mil ; le dernier né dort, attaché solide­ment dans le dos de maman...
L'instituteur nous montre son groupe électrogène pour faire fonctionner son magnétoscope et sa télé...
La nuit est tombée sur Ndjaména. Dans la cour de la concession, Ali apprend à lire et à écrire à ses petits frères et soeurs. Assis par terre au­tour de la petite lampe à pétrole, les petits répètent la sourate. Ali a une douzaine d'années et est très fier de sa toque, insigne de sa fonc­tion. Il sait lire les sourates, il sait les écrire et les faire ap­prendre.
Avec le roseau taillé, on écrit sur des planchettes de bois munies de deux pieds pour les poser sur le sol et d'une poignée en forme de Lune ; l'encrier est une calebasse ficelée sur une cage de cardan de voiture qui sert de pied ; l'encre est un mélange de gomme arabique, de poussière de charbon de bois et d'eau.
Ali apprend à écrire et à lire comme il a appris. Pour écrire, Ali ne tient pas sa planchette verticale­ment, il ne se sert pas des pieds et de la poignée. Il la fait pivoter de 90° vers la gauche. Puis il montre à écrire l'arabe, de haut en bas. Pour lire, Ali redresse sa planchette de 90° vers la droite et lit son écri­ture de droite à gauche. Les petits s'appliquent à écrire de haut en bas puis à lire de droite à gauche. les fatigués sont vite réveillés par le coup de baguette du grand frère "marabout". Demain ils retrouveront la rue, les marchés, les militaires et leurs "kalach".
Dans la salle de classe de l'école française la climatisation autorise 30 degrés. A la fin de l'animation les élèves du CE1 auront découvert une vingtaine d'albums que nous avons apportés. Tout à l'heure nous lirons "l'oeil du loup" aux CM2 et "Mina, je t'aime" aux CM1.
Ce soir, il n'y a pas de tirs d'armes automatiques ; les derniers hippopo­tames s'ébrouent sur les berges du Chari.