Le Nouvel Educateur n° 82
A propos d'autogestion pédagogique
Aux éditions Yvan Davy vient de paraître "Les pédagogies autogestionnaires" sous la direction de Patrick Boumard et d'Ahmed Lamihi.
Nous rappellerons à nos lecteurs que l'Autogestion, telle qu'elle est pratiquée par des camarades "Ecole Moderne" n'est pas une vue de l'esprit. L'autogestion en classe, à l'école, c'est une pédagogie en actes.
Freinet et l'autogestion
La pédagogie de Freinet est d'essence autogestionnaire.
Dans son livre "L'imprimerie à l'école" de 1932, Freinet écrit :
"Théoriquement, si elle est comprise comme un moyen pratique pour des enfants de s'organiser librement et de gérer leurs propres intérêts, d'améliorer même leurs conditions de travail, la coopérative n'est-elle pas entièrement recommandable et ne peut-on vraiment saluer cette initiative comme un essai pratique de réaliser l'auto-organisation des écoliers ?"
Et Freinet relie son travail scolaire à un projet coopératif à Bar sur Loup, aux côtés d'ouvriers et de paysans (La coopérative Abeille baroise) et aussi à un projet politique.
Notre aventure autogestionnaire
En 1961, je prends contact avec Georges Gaudin, responsable de la commission "Education spécialisée" de l'ICEM. Nous faisons la synthèse d'un "cahier de roulement", à propos de la coopérative et de la discipline de travail (10 camarades y participent). Il s'agit d'échanges au sein de l'ICEM sur leurs pratiques coopératives, durant l'année 1961/1962.
Dans un chapitre "Le conseil de classe", on peut lire : "qu'on l'appelle conseil de classe, conseil de travail ou conseil de coopérative, c'est un moment privilégié de la classe, une prise de conscience progressive de l'existence du groupe scolaire et des responsabilités qu'il implique".
Dans notre classe coopérative (de 1962 à 1964) à Saint Nazaire, fonctionnant en autogestion, l'expression libre met les enfants en prise directe avec les réalités sociales et politiques. C'est le début de mon aventure autogestionnaire. La commission "Enfance inadaptée" de l'ICEM a été la première à rendre compte du démarrage des recherches par des cahiers de roulement, des bulletins.
En 1971, la C.E.L publie dans la série des documents de l'ICEM "Vers l'autogestion". Jean Vial écrit la préface de cet ouvrage collectif.
Le courant autogestionnaire, qui s'élargit à d'autres secteurs de l'enseignement (primaire, secondaire) est désormais très actif au sein de l'ICEM.
Il publie de nombreux articles, des dossiers dans "L'éducateur". Il organise des rencontres, des colloques, des stages où participent des personnalités : M. Lobrot, H. Laborit, H. Deroche, M. Mermoz, en France, en Belgique.
De 1971 à 1982, les recherches se poursuivent au sein d'une commission nationale, éditant un bulletin. Des chantiers "autogestion" se développent au sein de l'Ecole Moderne.
Voilà une expérience unique, au sein de l'Ecole Moderne, où des camarades font part de leurs essais, posent des questions, échangent.
Notre pratique de l'autogestion pédagogique est liée à notre conception politique et sociale de la société. L'autogestion reste une idée jeune et neuve. Les difficultés de tous ordres ne doivent pas amener à minimiser la force de l'aspiration qu'elle contient.
L'autogestion n'est pas une utopie : elle apparaît comme une force de renouvellement et d'espoir.
Michel Lobrot conclut ainsi son livre "La pédagogie Institutionnelle" (Editions Gauthier-Villars) :
"Sans une autogestion, au moins en germe, à l'école, sans une prise en charge des élèves par eux-mêmes, sans une destruction au moins partielle de la bureaucratie pédagogique, il n'y a aucune formation véritable à attendre, donc aucun changement dans la mentalité des individus. On voit immédiatement la répercussion sur le plan social. La société s'enfaonce dans des problèmes et des conflits insolubles. Il faut commencer par l'école."
Des machines introuvables
Débusquer les situations dites mathématiques
Débusquer les situations dites "mathématiques" dans le vécu quotidien de la classe
Un groupe de travail sur l'enseignement mathématique à l'école élémentaire avait abouti à la conclusion suivante :
"notre pratique pédagogique en mathématiques n'est pas la même qu'en français".
Il y avait ceux qui s'en accomodent et ceux que cela dérangeait. Les raisons invoquées étaient, d'une part le manque de formation et d'autre part l'incapacité à "débusquer" dans le vécu quotidien de la classe les situations dites "mathématiques".
C'est à ce dernier obstacle que nous avons souhaité nous attaquer.
Dans un premier temps, les participants au groupe de travail sont invités à exposer, après l'avoir rédigé au préalable, un moment de leur vie de classe qui avait particulièrement mobilisé élèves et maîtres. Cette activité pouvait se situer dans n'importe quel domaine.
La mise en commun qui a suivi a montré très vite la richesse de cet inventaire. Il ne restait plus qu'à "coiffer" ces notions de leur terminologie mathématique. Ce qui est fait par Anne-Marie Duveau.
Anne Marie M.
Dans les tableaux qui suivent, on trouve :
- d'abord le récit du moment choisi par chaque participant. A côté, ce que le groupe y a vu en chaussant ses "lunettes mathématiques". Les activités "scolaires" décrites ont un rapport plus ou moins étroit d'une part avec la réalité de l'expérience ractontée, d'autre part avec les mathématiques. Elles ne tiennent pas compte du niveau de la classe : à chacun de transposer...
Après les activités mathématiques (décrites à chaque fois par un verbe d'action) on trouvera les contenus et les domaines mathématiques (décrits par un nom) que la modeste "spécialiste" que je suis y a vus. Certains de ces contenus sont pointus, et ne seront étudiés que bien plus tard, par exemple les barycentres et les probabilités en classe de première ; d'autres sont plus généraux et se développent graduellement de la maternelle au primaire, puis au collège, puis au lycée, par exemple les représentations graphiques, les équations, les transformations géométriques.
Anne Marie D.
Un moment de la vie de la classe qui a mobilisé et motivé élèves et enseignant
Les enfants confectionnent régulièrement des gâteaux à l'école.
Au bout de quelques séances, ils arrivaient apparemment à suivre seuls les recettes extraites de J. magazine.
Après lecture et explication de la recette choisie, j'ai demandé à trois groupes de deux enfants de se débrouiller tout seuls, pensant vérifier étape par étape qu'ils avaient bien compris les consignes.
Pour commencer il fallait verser trois verres de farine dans une terrine (suite page ...)
Activités à caractère plus ou moins mathématique pouvant se greffer sur ce vécu
Compter
mesurer
peser
lire les heures, les durées
imaginer les quantités pour 2, 3 gâteaux
Notions mathématiques évidentes... ou sous-jacentes
numération
notions d'unités de mesure : le verre, les unités de masse, de durée
calcul sur les durées
proportionnalité
visualisation graphique sous forme de schémas
Visite au musée du papier peint
Nous avons décidé d'aller visiter le musée du papier peint à Rixheim. L'ensemble de la classe cherche à définir le programme de la demi-journée : trajet (par où on passe), horaires, matériel à emporter...
Les enfants se posent des questions sur ce qui sera vu car ils connaissent partiellement les lieux (mairie de Rixheim : Commanderie) et sont sensibilisés aux techniques d'impression.
Florence G.
repérer sur une carte
lire un horaire de bus
calculer le prix de revient de la sortie : bus, entrée au musée etc...
observer
recopier les papiers peints
repère cartésien, coordonnées
calcul sur les unités de durée
modélisation d'un problème
mise en équation
figures géométriques
transformations géométriques : symétries, translations, rotations
Fabrication de pigments.
Un grand projet nous a mobilisés cette année. Sous la direction d'une artiste et chercheuse, Claudie Hunzinger, nous avons récolté des terres dans différents lieux de Fréland. Nous avons lavé ces terres, nous les avons laissé décanter, sécher, nous les avons broyées, tamisées jusqu'à obtention d'une poudre : le pigment.
Avec ce pigment, nous avons fabriqué de la peinture (avec de l'oeuf) et du papier végétal teint dans la masse. Nous avons écrit les noms des terroirs avec "leur" couleur et nous avons réalisé une carte, sorte de paysage vu d'avion.
Edith B.
trier et classer les terres
doser pour fabriquer la peinture
peser les ingrédients
repérer sur une carte
décrire la chronologie des manipulations
observer des formes
relation d'ordre
moyenne, barycentre
égalité, inégalité
représentations graphiques
codages
tableaux à double entrée
relation d'ordre
géométrie, topologie
Spectacle de danse.
Dans le cadre d'un projet "danse", il y eut tirage au sort pour deux rôles un peu "à part". L'un fut attribué à une fille "muette" en classe : elle était "vendeuse de journaux à la criée". L'autre rôle, le héros de l'histoire, fut attribué à un élève en échec scolaire total.
Le choix des autres rôles était intéressant : "si je fais ça, je ne pourrai pas faire ceci ; oui, mais là c'est mieux, alors je le choisis".
Une élève "agressive" a été acceptée car elle a joué un rôle (trouvé par elle-même) où elle protégeait les autres.
Pascale R.
distribuer les rôles
tirer au sort
fabriquer des costumes d'après patron ou schéma
repérer des déplacements sur scène et dans le temps
définir l'ordre de passage
correspondance terme à terme
fonctions, bijections
combinatoire
probabilités
échelles
homothéties
repérage dans le plan, dans l'espace
axes, coordonnées, représentation graphique
relation d'ordre
Atelier monnaie.
Comment on a manipulé à l'atelier monnaie. Vente, arnaque et bénéfice au profit de la classe verte.
Michel B.
remplir des chèques en toutes lettres
calculer des prix, la TVA, le bénéfice
comparer des devis
utiliser la machine à calculer
numération
pourcentages
modélisation, résolution de problèmes
simulations, comparaisons de situations
problèmes d'optimisation
touches : pourcentages, itération, mémoires
Création et mise en scène d'une histoire collective.
Plusieurs évènements et projets m'ont et ont enthousiasmé les enfants. Je ne parlerai que d'un seul : la création d'une histoire collective, la réalisation de l'album illustré qui raconte cette histoire et la mise en scène de cette histoire avec représentation costumée devant le public de parents.
Cette histoire s'intitule "Dans le verger". Elle raconte l'histoire d'une ruche aux prises avec Glouton l'ours. Interviennent également des papillons, des coccinelles.
Christiane H.
mettre en page
mesurer, repérer
attribuer des rôles
définir les étapes et le calendrier de l'activité
fabriquer des costumes
calculer le prix de revient
schémas, plans
repère cartésien, axes, coordonnées
bijection, combinatoire
visualisation, organigramme
figures géométriques
topologie
opérations
Visite d'une fromagerie.
Pour fabriquer du Comté, on verse dans de grands tonneaux un certain nombre d'i,ngrédients liquides dont essentiellement du lait, qu'on porte à une température de 55°. Pendant quatre heures on fait tourner des batteurs électriques dans cette pête pour la rendre homogène.
Dans la "fruitière à comté" que nous sommes allés visiter au cours de notre séjour chez nos correspondants du Doubs, l'opération sus-dite s'effectuait dans quatre grandes cuves contenant chacune mille litres du futur fromage.
calculer
comparer des prix
mesurer des températures
calculer des volumes
indiquer m'ordre de ...
expérimenter pour confirmer ou vérifier une hypothèse
calculer la température
calcul
égalités, inégalités, opérations
unités de mesure
calcul de volume, unités de volume
organigramme
visualisation
conception d'un système explicatif
rôle du contre-exemple
vérification d'une hypothèse
moyenne, barycentre
Suite des relations de la page ...
Les gâteaux à l'école
- un groupe a mis une cuillère de farine dans le verre et l'a renversé aussitôt dans le récipient.
- le deuxième groupe a rempli consciencieusement cinq verres et les a versés sans les compter dans la terrine.
- le troisième groupe a rempli sans arrêt le verre avec la farine : quand il était plein, ils en rajoutaient, la tassant dessus avec la cuillère.
Suite à tout cela, j'ai rassemblé toute la classe et nous avons rempli des verres avec de la farine, du sucre,... en discutant : "un verre de farine, qu'est-ce que ça veut dire ? Quand est-ce qu'il est plein ? Et un demi verre, c'est quoi ? Et si on veut faire deux gâteaux en même temps ?"
Josiane F.
Visite d'une fromagerie
Visite riche, comme on l'aura deviné, en données chiffrées, ce qui va nous permettre, rentrés en classe, d'exploiter la situation sur la plan mathématique.
Céline (CM2) propose de calculer la production quotidienne, hebdomadaire...
Et puis, mû peut-être par une frénésie "additionnaire", Mathieu imagine qu'on verse le contenu des quatre cuves dans une cinquième, très grande, qui les contiendrait toutes, et s'interroge sur la température que prendrait l'énorme masse de fromage liquide ainsi obtenue. Il ajoute :
"ça ferait 55+55+55+55=220 soit 220°
Les autres élèves, graves et attentifs, opinent du bonnet. Rien à dire : logique !
Je réprime une envie d'intervenir tout de suite (par le rire, l'étonnement, l'appel à l'expérience, style : "quand même, réfléchissez, imaginez...") et laisse la question au chaud, si l'on peut dire, pour le moment où, rentrés chez nous, nous aurons tout le matériel et le temps pour vérifier expérimentalement cette hypothèse. Ce qui se fera donc avec récipients divers, eau à température variable et thermomètre. Cette opération renouvelée plusieurs fois fera apparaître la notion de moyenne grâce à un tableau récapitulatif du style :
récipient 1 récipient 2 récipient 3
30° 50° 40°
25° 30° 27,5°
Cette conclusion est renforcée par une remarque de Magali : "c'est comme le chocolat, quand il est trop chaud le matin, on rajoute du lait froid. Ca baisse la température : on peut le boire".
Martine B.
Quelques remarques
La dernière colonne, celle des contenus mathématiques, est certainement à plus d'un titre très barbare. pour les non matheux, cela rappelle peut-être des mauvais souvenirs. Pour des matheux professionnels, cela ressemble très probablement à un bric à brac hétéroclite et peu construit.
J'ai eu beaucoup de difficultés à remplir cette colonne, non parce que je manquais de matière, mais au contraire parce que cette matière était trop hétérogène à mon goût. Je m'explique... et comme je sais que j'ai affaire à des lecteurs en majorité non matheux, je vais essayer de transposer dans un autre domaine les difficultés que j'ai eues.
Quand j'ai voulu extraire le "jus mathématique" d'une action qui avait été citée, par exemple CLASSER (des pigments), je me suis trouvée dans le même foisonnement que devant ce qu'on pourrait "tirer" en expression écrite de, par exemple, UN PISSENLIT.
En effet, voici ce à quoi peut me faire penser un pissenlit, et voici ce à quoi peut me faire penser, dans le domaine mathématique, l'action CLASSER (voir les schémas).
Il est clair, du moins en ce qui concerne le PISSENLIT, mais tout autant en ce qui concerne ma lecture mathématique de CLASSER, que tout n'est pas à mettre sur le même plan !
De même que "faire de la salade de pissenlit" n'est pas du même ordre que "distinguer pissenlit et primevère", les termes autour du mot CLASSER comme "compter, ordonner" et "émettre une hypothèse, imaginer une structure" sont très différents. J'ai envie de dire que les premiers concernent un CONTENU, alors que les seconds concernent le CONTENANT, à savoir l'esprit, et les "gestes" qu'il peut faire pour résoudre un problème.
Or, j'aurais voulu, moi, faire quelque chose de simple, clair et précis, pour ne pas rebuter certains lecteurs... et ne pas en horrifier d'autres. J'aurais aimé pouvoir montrer qu'il y a un chemin simple... qu'il suffit de prendre pour comprendre. Eh bien ça ne marche pas, il y a une multitude de chemins qui vont de la réalité aux maths et vice versa, des chemins, des sentiers de chèvre, des voies rapides, et des souterrains, et des voies aériennes, et des voies télépathiques... etc.
En conclusion, la réalité est bien trop complexe pour qu'on puisse l'examiner simplement, la réalité de la réalité (vivre quelque chose avec sa classe), mais aussi la réalité des maths. Il faut que je renonce à mon envie de simplification ou de simplisme. Comme l'écrit Van Vogt dans "le monde des non-A" (science-fiction), "le mot n'est pas la chose, la carte n'est pas le territoire"...
Et à défaut de vous présenter le territoire, je dois me contenter de vous présenter ma carte (d'autres diraient "ma représentation"), avec toutes les imperfections que j'y vois, et que vous ne manquerez pas d'y voir aussi.
Je peux vous dire que faire ce travail m'a "décoiffée", je veux dire que c'est passionnant, mais qu'on se sent toute petite devant la mer avec le vent qui vous coupe le souffle.
Et je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelqu'un qui savait de quoi il parlait, plus que moi :
"Il me semble que je n'ai jamais été qu'un enfant jouant sur une plage, m'amusant à trouver ici ou là un galet plus lisse ou un coquillage plus beau que d'ordinaire, tandis que, totalement inconnu, s'étendait devant moi le grand océan de la vérité..." Isaac Newton
Anne Marie D.
Ont participé : Anne Marie Mislin, Josiane Ferraretto, Anne Marie Duveau, Edith Bernhard, Florence Grienenberger, Pascale Roesch, Michel Bonnetier, Martine Boncourt, Christiane Hammer.
Recherche mathématique au CM
Pour nos ateliers de T.T.I (temps de travail individualisé), nous devions construire un tableau d'inscription à la semaine de ce type :
PRENOMS ATELIERS
en utilisant une couleur différente pour chaque jour.
Cette tâche a été confiée par l'ensemble du groupe classe à deux élèves de CM2 volontaires.
Il fallait, sur un panneau donné, noter les ateliers en abscisse, et, en ordonnée, prévoir la place nécessaire pour l'emplacement des 16 étiquettes-prénoms des élèves de la classe (cette trame ayant été bâtie entre les élèves volontaires et moi-même). Il s'agissait alors pour eux de se demander comment faire pour répartir de façon régulière toutes ces informations. La question à résoudre était : y aura-t-il assez de place dans la verticale pour placer les 16 étiquettes, celles-ci devant être espacées les unes des autres comme sur les plaques autocollantes que nous possédons, où 4 étiquettes occupent 12 cm.
Il fallait donc que les enfants prennent les mesures, qu'ils calculent l'espace et surtout - ce qui semblait le plus difficile - qu'ils trouvent si oui ou non il était possible de coller les 16 étiquettes.
Après mesure de l'espace vertical (quelques 60 cm dont il fallait encore retrancher 3 à 4 cm pour inscrire : PRENOMS), le problème restait entier et ils ont demandé de l'aide à l'ensemble du groupe de CM2. "Comment calculer si l'espace imparti est suffisant pour coller 16 étiquettes, sachant que 4 étiquettes occupent 12 cm ?"
Vanessa remarque qu'il s'agit d'une situation de proportionnalité. Comment, dans l'année, avons-nous déjà résolu ce genre de situation ? Quels moyens mathématiques connaissons-nous ?
Les recherches commencent, par groupe de 2 ou 3, à l'aide des cahiers de ressources où nous notons les constatations de ce type, les mécanismes, mes méthodologies de résolution de situations mathématiques. Un élève propose de calculer la place occupée par une seule étiquette et de multiplier par 16. Un autre groupe a fait un tableau de proportionnalité avec un opérateur :
étiquettes espace
4 12
?
16 ?
?
D'autres ont opté pour un croquis qui matérialise le problème. Chacun cherche sa solution puis la présente aux autres.
Les réponses sont les mêmes : laquelle est la plus rapide, la plus performante ? La solution retenue comme telle sera notée sur la fiche autocorrective dans le fichier problème D utilisé en plan de travail individuel dans la classe. Le problème sera ajouté.
La solution du croquis sera notée au dos pour servir d'aide. L'autre solution sera mentionnée comme solution possible.
Le tableau réalisé et utilisé régulièrement par les enfants est une matérialisation concrète et utile d'une situation de proportionnalité résolue. Ceci devrait aider à fixer dans les mémoires ce genre de situations qui s'avèrent difficiles à intégrer à cet âge. La fiche problème permet de revenir sur cette situation dans le courant de l'année et de retravailler de manière abstraite et purement mathématique.
Nikol Bonnissol
Entretien du matin chez les petits
Entretien du matin chez les petits
(âge 3/4 ans)
C'est un moment dont la durée peut varier entre 1O et 20 minutes ; il se situe en début de la réunion du matin.
Voici les grandes lignes de notre début de matinée dans une classe de petits (ceci afin de mieux faire comprendre la place de l'entretien et le lien qu'il constitue en tant que "passage du milieu familial au milieu scolaire".
* De 8 H 30 à 9 H : accueil des enfants dans la classe (voir disposition des locaux). Les enfants peuvent aller dans les différents coins de jeux installés.
Les parents peuvent rester dans la classe. Ils peuvent lire une histoire, dessiner ou jouer avec leur enfant ou un petit groupe d'enfants...
Pendant ce moment nous nous efforçons de voir et de parler à chaque enfant individuellement, et éventuellement d'échanger brièvement avec les parents.
* A 9 heures, c'est le moment où les derniers parents laissent leur enfant et où nous prenons en charge le groupe.
Ce moment est important. Il a lieu chaque matin dans notre coin de réunion. C'est un moment habituel, attendu, nécessaire.
Individuellement nous avions vu chaque enfant ; maintenant et collectivement nous allons voir :
Qui est là ? Qui est absent ?
L'entretien à proprement parler
Pourquoi cet entretien ?
C'est un moment nécessaire pour que se crée une conscience de groupe. La nécessité s'impose parfois de faire une petite transition vers un retour au calme (avec écoute de musique, chanson, comptine) afin de recentrer le groupe.
C'est un moment privilégié où le groupe se met à l'écoute ; certains parlent, d'autres non.
C'est un moment où va se renforcer la connaissance mutuelle des personnes. Chaque enfant arrive avec sa personnalité, ses émotions, ses rêves, son histoire : chacun a le droit à la parole ; on respecte les différences.
C'est un échange constant
- entre l'enfant et l'adulte (surtout en début d'année en section de petits car les enfants ont tendance à ne s'adresser qu'à l'adulte).
- entre les enfants eux-mêmes par la suite. Nous intervenons alors le moins possible.
Avant de commencer l'entretien
...et pour qu'il s'effectue sans interruption
1. Nous proposons à ceux qui le veulent d'aller aux toilettes (pas de passage collectif).
2. Nous vérifions l'habillement (certains enfants arrivent trop ou pas assez couverts).
3. Nous demandons aux enfants de ranger leur doudou, tétine, petits jeux amenés de la maison, afin de privilégier l'écoute.
Mise en place
Les enfants sont assis sur de petits canapés disposés en carré. Ils sont libres de choisir leur place (mais nous intervenons quelquefois pour séparer deux enfants qui ont tendance à "chahuter" lorsqu'ils sont voisins). Tout le monde se voit. L'adulte est assis à la même hauteur que les enfants.
Les règles
Elles sont mises en place dès le début de l'année (cela nous demande du temps et de la patience).
- Chaque enfant, s'il veut parler, doit lever la main.
- C'est l'adulte qui donne la parole.
- On n'interrompt pas un enfant qui parle.
- On ne se moque pas.
- On fait des efforts pour parler fort.
La part de l'adulte
Nous nous efforçons de créer un climat de confiance et de sécurité.
En tant qu'adultes, nous sommes garants du respect de la parole (interventions parfois fréquentes de notre part).
Nous interrompons parfois certains enfants qui parlent trop longuement (les mains levées des autres enfants leur permettent de mieux le comprendre et de mieux l'accepter).
Nous sommes attentives à ce que ce ne soient pas toujours les mêmes qui prennent la parole.
Parfois nous sollicitons les enfants qui n'ont pas levé la main : "et toi, est-ce que tu aurais quelque-chose à raconter ?"
N B : il arrive qu'à l'issue ou en cours d'entretien, les enfants se posent des questions entre eux : un dialogue peut alors avoir lieu.
Pendant chaque entretien
Nous notons les échanges tels quels (parfois en abrégé pour aller plus vite) et nous les retranscrivons sur le livre de vie en restituant le mieux possible ce qui a été dit. Ce livre de vie est laissé à la disposition des parents en fin de chaque journée.
Lors des échanges, nous n'intervenons pas sur la forme (corrections de langage par exemple), sauf éventuellement pour demander à l'enfant de parler plus fort (par exemple), s'il n'a pas été entendu et compris.
C'est en effet un moment privilégié de communication où nous donnons la priorité :
- à la liberté de l'expression spontanée
- à une situation de langage où prendre la parole a un sens et constitue en soi un acte social. Parfois nous sommes obligées de clore l'entretien si l'attention n'est pas maintenue (bien qu'il soit difficile pour un enfant de renoncer à sa demande de parole, surtout quand il s'agit de faire partager une émotion !).
Le livre de vie sera le témoin de ce qui s'est dit ; toutefois certaines paroles n'y seront pas retranscrites si nous estimons que c'est trop personnel et que nous devons respecter une certaine "confidentialité"
Les thèmes abordés
* En début d'année, l'enfant parle le plus souvent de lui, de sa famille :
"A ma maison, maman elle m'a emmenée dans le bain, y avait Antoine, et Antoine il m'a embêtée, et après elle m'a sortie du bain et après mon papa m'a emmenée à l'école". (Julia)
"Moi, ma maman m'a donné des granules pour me soigner et après des crousty" (Mélanie)
"Elle va travailler, ma maman" (Jade)
"Mon papa il va me chercher " (Coline)
"Ma maman est partie sans me faire un bisou". (Victor Oct 94)
"Moi je m'ai fait mal". (Clément)
" Quand je fais un cauchemard je vais dans le lit de ma maman" (Guillaume)
* Il raconte des évènements concrets
"Moi j'ai fait du cheval, on a mis la selle et on a mis un casque parce que c'est obligé" (Bruno)
"A ma maison, l'ascenseur était cassé alors on a pris l'escalier" (Pauline)
"Moi je suis allé dans les Méjanes et j'ai vu un gros dinosaure qui creusait la terre" (Hugo)
* ... ou imaginaires
"Eh ben moi il y avait un loup à ma maison il a regardé mes jouets" (Django)
"Moi tu sais il y avait un fantôme dans ma chambre qui me faisait peur il m'a croqué les dents" (Mélanie M)
* Certains ne s'arrêteraient plus de raconter :
"La voiture de mon papa c'est hyper bien, en plus on va changer de maison, et en plus mon papa il fait toujours de la purée et des saucisses et mon chat il s'appelle "Plouf". (Elodie)
* Et une parole en appelle une autre :
"Moi mon chat il s'appelle Félix" (Dounia)
"Moi j'ai un crocodile qui m'a mangé mon pantalon et mon tee shirt jaune" (Mélanie)
"C'était un vilain crocodile" (Léa)
"Moi je suis allé à la neige et il y avait un crocodile sur ma luge..." (Clément)
* Ils racontent aussi leurs trouvailles et leurs découvertes :
"J'étais allé à la mer et j'ai trouvé des coquillages" (Django)
" En Bretagne on a vu un tracteur qui prend du blé... et la vache elle mange le blé" (Victor)
"Moi, quand je suis allé chez le papy de ma maman, j'ai pris l'avion et y avait plein de monde dedans" (Victor)
"Tout à l'heure je suis allé dans une ferme et il y avait un tracteur dans le garage" (Hugo)
"Moi j'ai trouvé un marron chez Mamie Gloria" (Julia)
Une analyse des contenus nous permet de constater que tout ce qu'ils racontent est lié à des situations où "l'affectif" tient une grande place. Ils expriment plus rarement (avec des mots) leurs sentiments et leurs émotions.
Pour certains enfants, il est important de dire et de redire la même chose jour après jour presque mot à mot comme un rituel. Pour d'autres peu importe le contenu, seule compte la prise de parole et l'écoute de sa parole par le groupe (pour affirmer sa présence ? Son appartenance au groupe ?)
En moyenne, on note 10 à 15 prises de parole à chaque entretien sur 28 enfants présents... En cours d'année, souvent davantage.
Pour conclure
Nous pouvons dire que cet entretien constitue
- un rite social, institutionnel, riche au niveau des contenus et des comportements
- un temps de transition entre réalité familiale et réalité scolaire qui est nécessaire, et qui, très souvent, "donne le ton" à une journée qui commence...
Françoise BOUGAIN et
Hélène STRAUCH
Maternelle La Mareschale Aix en Pce
Honte et colère
Comment traduire aujourd'hui l'image d'un pays, notre pays, pays des Droits de l'Homme, dit-on,... sinon par un sentiment de honte et de colère ?
Honte et colère lorsqu'on bafoue la dignité humaine au nom de lois inhospitalières, de lois ségrégationnistes, de lois... Pasqua, tout simplement.
Honte et colère lorsque les force de... l'ordre, dit-on, chassent des hommes d'un lieu de culte, en fracassant la porte à coups de hache, avec (je cite) "dignité et humanité".
Honte et colère lorsqu'on expulse des hommes, des femmes, des enfants ayant commis le crime de vouloir devenir citoyens de notre pays.
Comment accepter une société où tout s'achète, où tout se vend, du corps des athlètes, modelé au préalable, transformé en panneau publicitaire, au trafic d'organes, en passant par le corps des enfants ?
Une société où l'on meurt de faim ou de froid ?
Une société où l'on n'a plus ni droit au travail, ni droit au logement, ni droit à la protection sociale ?
Les évènements de décembre 95 ont posé le problème de la société dans laquelle nous voulons vivre. Tout nous pousse plus que jamais à nous interroger sur la part de l'éducation dans la formation de l'Homme du prochain millénaire.
Même si l'on nous dit que vouloir changer la société est une utopie, alors résistons à la fatalité d'un monde sur lequel nous abandonnerions tout pouvoir, d'un monde condamné à la misère, à l'oppression, voire la barbarie, et participons à l'élaboration de nouvelles utopies qui nous permettront d'entrevoir l'avenir.
Nicole Bizieau
Jean Marie Fouquer
C.D de l'ICEM
La conférence d'enfants
Choisir le sujet de la conférence
On peut choisir un sujet que l'on connaît, qui nous passionne, et qu'on veut faire découvrir aux autres.
On peut choisir un sujet que l'on ne connaît pas et qui nous intrigue, qu'on a envie de découvrir.
On peut raconter un voyage, ses vacances, pour les partager un peu avaec les autres.
On peut choisir un sujet parce qu'il est au coeur de l'actualité.
On peut te proposer un sujet à l'école ou à la maison, mais il faut que tu sois d'accord pour préparer une conférence dessus. C'est toi qui décides de ton sujet.
"Le plus important, c'est que je choisisse moi-même mon sujet, et non mes parents".'Sarah)
"Il y a dans un livre... à la télévision... ou quand je fais une visite... quelque chose qui m'intéresse, et je décide de faire une conférence". (Morgane)
"Quand je vais dans une ville, ça me donne envie de faire une conférence sur la ville où je suis allée". (Mayuko)
"D'abord, on doit parler de quelque chose qui nous intéresse et aussi apprendre des choses aux camarades". (Romy)
"On se décide à faire une conférence en choisissant ce qui est important pour nous et que nous voulons faire connaître aux autres". (Gautier)
Préparer la conférence
Comment procède-t-on ?
On va à la recherche de tous les renseignements qu'on peut trouver : dans les livres, dans les films, en visitant des lieux, en rencontrant des personnes qui peuvent répondre à nos questions...
On retient, on note ce qui nous intéresse et ce qu'on a appris.
On classe les renseignements : on fait un plan, un sommaire. On choisit les photos à projeter. On essaie de trouver des idées pour rendre sa conférence attractive : une exposition d'objets, des panneaux, un questionnaire...
On fixe sa date de présentation avant d'avoir tout fini, sinon elle va être prise.
On répète sa conférence pour être bien prêt à la présenter.
Qu'est-ce que cela apporte ?
"Tu as un sujet que tu connais un petit peu... En préparant une conférence, tu vas en savoir plus et tu vas apprendre des choses que tu aimes aux autres". (Florent)
"Quand je prépare une conférence, j'apprends plein de mots nouveaux et je fais plein de recherches sur mon sujet". (Aurore)
"Préparer une conférence m'apprend à savoir chercher non seulement mes documents mais aussi dans mes documents (sommaire, index...) J'apprends aussi à mémoriser". (Karina)
"En préparant une conférence, j'approfondis un sujet et je peux répondre à ceux qui me disent le contraire de ce qui est vrai". (Grégory).
"Préparer une conférence, c'est apprendre des choses et avoir le plaisir de les savoir. C'est aussi être content de chercher à l'école, à la bibliothèque..." (Romy)
Présenter la conférence
Une conférence est présentée trois soirs par semaine, en salle de conférence, en présence de la classe des moyens et de la classe des grands (6 à 11 ans).
Comment procède-t-on ?
Le conférencier apporte ses documents le matin même, de manière à pouvoir tout préparer (exposition, affichage...) et répéter la projection des photos avec deux camarades qui manipulent l'épiscope.
Pendant la présentation, il peut être aidé par ses parents ou bien présenter sa conférence seul.
Il peut inviter une personne compétente qui apporte un complément d'information sur le sujet.
Il peut inviter des auditeurs (famille, amis, anciens élèves, visiteurs...).
Il évite de lire et explique son sujet en s'appuyant sur les supports de son choix : photos, diapos, dessins, films, objets, cartes, panneaux...
Il donne la parole à son auditoire, au fur et à mesure de ses explications, et il répond aux questions tout en suivant son plan.
L'auditoire peut aussi apporter des compléments d'information ou des renseignements différents sur le sujet traité.
Quand la conférence est terminée, le conférencier demande les "critiques" et "félicites" de son auditoire.
Qu'est-ce que cela apporte ?
"J'ai la satisfaction d'apprendre quelque chose aux autres. J'apprends à m'exprimer clairement". (Sarah)
"On apprend pour soi, puis pour les autres... On parle en public... On retient des choses pour longtemps". (Gautier)
"On a le plaisir de dire tout ce que l'on sait aux autres, et tout le monde écoute". (Romy)
"Quand tu présentes une conférence, tu apprends des choses aux autres, qui les feront parfois changer de comportement". (Grégory"
"Tu as découvert des mots difficiles que tu fais ensuite découvrir aux autres". (Aurore)
"Tu apprends toi-même à bien parler en public, sans avoir peur, à articuler, à te faire comprendre". (Cécile)
"Les critiques et les félicites servent à améliorer ta prochaine conférence". (Jennifer)
"Lorsque je présente une conférence, j'ai d'abord le plaisir d'apprendre des choses aux autres. J'apprends à m'exprimer, mais aussi à accepter l'avis des autres". (Karina)
"En présentant une conférence, j'apprends des choses aux autres, et en même temps j'apprends des choses moi aussi". (Mayuko)
Assister aux conférences des autres
"Ecouter une conférence m'apprend non seulement beaucoup de choses, mais aussi cela m'apprend à me concentrer sur un sujet et sur la personne qui la présente". (Karina)
"On apprend, on écoute, on pose des questions, on juge si c'est bien ou pas, on peut voir et toucher des objets". (Gautier)
"Il y a des sujets qui, au premier abord, ne nous disent rien... et après on a appris beaucoup de choses, ça nous a intéressés". (Jennifer"
"Une conférence, ça nous instruit, ça nous apprend des choses nouvelles dans tous les domaines. Parfois même, certaines sont passionnantes !" (Nicolas)
"A chaque conférence, on apprend quelque chose, même si c'est un sujet qu'on connaissait, car on peut aborder le même sujet sous des angles différents". (Avril)
"J'aime apprendre des choses, je peux poser des questions quand je ne sais pas, et je découvre des sujets nouveaux". (Ange"
"Un conférencier peut se tromper. Après la conférence, il y a des recherches à faire, des choses à observer, des expériences à réaliser..." (Avril)
"Parfois, deux personnes disent des choses contraires et il faut chercher qui a raison". (Grégory)
"Quand le conférencier ne sait pas tout, on recherche, après la conférence, et on apprend aussi beaucoup de choses que l'on peut ensuite expliquer aux autres". (Karina)
"Celui qui présente une conférence est toujours félicité, car tout le monde sait que c'est un vrai travail. Les petites critiques servent à ce qu'il s'améliore, par exemple : parler plus fort, regarder le public, ne pas lire..." (Morgane)
"Le conférencier a beaucoup travaillé pour présenter son sujet, alors, je l'écoute bien, et j'apprends ce qu'il a appris. J'apprends à participer et à apprendre". (Sarah)
En conclusion
"Au début, j'ai toujours le trac de présenter ma conférence, mais à la fin, j'ai toujours envie d'en refaire une autre, parce qu'on est félicité... parce que c'est bien de présenter une conférence". (Morgane)
"La conférence, c'est une grande expérience dans notre vie. On a tout de suite envie de recommencer... Je ne sais pas pourquoi". (Claudia)
"La conférence, c'est une grande expérience"(La classe des grands. Ecole Freinet. Vence)
Le but de "la conférence d'enfants" n'est pas le savoir encyclopédique. Ce n'est pas une leçon d'histoire, de géographie, de sciences... déguisée.
Il s'agit simplement de partir de la curiosité naturelle de l'enfant, et de lui permettre, par un échange vivant et constant avec les autres, d'affiner ses connaissances, d'aller vers le savoir et de construire sa culture.
Carmen Montès (enseignante à l'école Freinet)
Conférences présentées sur une année scolaire
Les constellations
L'Andalousie
La mésange
Les cours d'eau
Le tabac
La Belgique
Le cochon
La télévision
La culture des violettes
Les serpents
Les félidés
La géographie de la France
Le temps
Les dinosaures
Le panda
Le crapaud
Le soleil
Le loup
Les débuts de la vie
L'esclavage
Louis Blériot
Les perroquets
Animaus d'Australie
La voie romaine
La philatélie
Les élections présidentielles
Gandhi
Les expressions françaises
La banque
La seconde guerre mondiale
Les fuseaux horaires
Les lucioles
La thalasso-thérapie
Célestin Freinet
Malaga
Le berger allemand
La pêche avec les boeufs
Mythes et légendes
Versailles
La guerre de 14/18
Le Canada
Les Orques
Les OVNIS
L'univers
Les U.S.A
La mythologie
Les premières voitures
La digestion
Le poney
Le chêne
Les pompiers
L'ornitorynque
La terre
Les lapins
Le métier de vétérinaire
Les fourmis
La fabrication des santons
Mozart
L'île de Pâques
La Grèce antique
Le coeur
Les Gaulois
Les hommes préhistoriques
Le squelette
"
La pédagogie Freinet en zone sensible : pourquoi ?
Je passerai assez rapidement sur la situation économique, sociale et culturelle de vaulx -en-Velin. Les médias, je pense, ont suffisamment relayé les difficultés que connaît cette cité.
Ce que l'on peut dire, nous, en tant qu'enseignantes et, pour ma part, en tant qu'habitante de Vaulx-en-Velin, c'est que s'accentuent ces dernières années, un certain nombre de phénomènes, générateurs de souffrance pour les enfants et les adolescents, pour différentes raisons : la dégradation de l'image du père ; l'absence de repères et de limites qu'on pouvait trouver dans les relations de voisinage ; un sentiment d'impunité qui entraîne le non rapport à la loi ; le manque de communication dans les familles.
D'où pour les jeunes une perte d'identité et un sentiment d'exclusion qui les mènent vers deux dérives possibles. L'une est relativement ancienne, la plus connue et la mieux repérée : la délinquance, avec tous les phénomènes de bande. L'autre, plus récente, mais non moins dangereuse, est la radicalisation et le repli ethnique et même géographique : à Vaulx, on est de tel ou tel quartier en opposition à tel ou tel autre. Ce qui se traduit sur le plan social par deux phénomènes extrêmistes : le vote ou le refuge Front-National et l'intégrisme islamique (puisque vous nous excluez, on s'exclut encore plus, comme ça, on a une part active dans la situation).
Face à cela, quelle attitude ont adopté les institutions et les pouvoirs publics ?
D'une part, une politique d'animation socio-culturelle effreinée (il faut "occuper" les jeunes) et d'autre part une marginalisation de ces zones qui s'officialise de plus en plus. Ce furent d'abord les ZEP, puis la prime aux personnels dans les ZEP, puis l'identification des établissements "à risques". On demande maintenant que ce soit l'état qui assure les véhicules dans ces lieux peu sûrs, on demande aussi la suppression des taxes pour les entreprises qui auront le courage de venir s'y installer etc...
On ne peut que constater l'inadaptation de ces attitudes, puisque les problèmes vont plutôt en s'agravant et que même des nouveaux apparaissent.
Bien sûr, il faut tenir compte du contexte national, qui ne s'arrange pas non plus, mais il y a des attitudes qui aggravent les choses et d'autres qui peuvent peut-être les améliorer.
Là où il aurait fallu oeuvrer dans le sens d'une éducation populaire, on s'est employé à acheter la paix sociale et on a formé des générations à qui tout est dû. Là où il aurait fallu responsabiliser les associations de jeunes, en les aidant ou en leur laissant leur autonomie, on a préféré aller jusqu'à les combattre parce qu'elles pouvaient remettre en cause le pouvoir établi.
Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? Qu'essaie-t-on de faire, nous, dans nos écoles ?
J'ai trouvé, dans un traité politique, philosophique et pédagogique hebdomadaire, qui s'appelle Charlie-Hebdo, pour ne pas le citer, une interview de Boris Cyrulnik (éthopsychiatre) à propos d'un travail qu'il a mené sur la montée de l'extrême droite dans le sud de la France. Voici ce qu'il dit :
"Quand on a un moi fragile, il faut s'entourer d'un "nous" fort. Si des gens ont un "moi" fort, ils sont sujets de leur propre histoire, de leurs paroles, ils savent ce qu'ils veulent et désirent, ils se mettent en chantier pour le réaliser. Ces gens là n'ont pas besoin d'être étayés par un discours politique".
On pourrait ajouter "et religieux".
Il dit par ailleurs :
"Quand on vit dans une "poly-appartenance", il faut être souple, pour être à la fois footballeur, catholique, quincailler, et pouvoir changer de registre. Quand on est rigide, on est anxieux. Quand on est anxieux, on se sécurise avec des certitudes. La certitude a une fonction tranquillisante. Mais elle ne permet plus d'être poly-appartenant.
Lorsqu'on est mono-appartenant, il nous faut un clan, un totem, adorer le même, de façon à haïr l'autre, le différent".
Ce que dit Cyrulnik nous situe bien au coeur du problème et nous y retrouvons ce que nous permet la pédagogie Freinet :
"construire un moi fort", nous dirons plutôt, parce que nous ne somme pas psychologues, "construire l'estime de soi", mais dans un réseau multiple de relations qui assure une appartenance multiple génératrice d'acceptation de l'autre.
Nous avons choisi d'intervenir à deux voix car nous pensons qu'il n'y a pas, y compris au niveau de l'éducation à la citoyenneté, de différence de nature dans nos actions, mais simplement des champs plus ou moins larges, des priorités parfois différentes suivant l'âge des enfants. Nous situerons tout d'abord nos deux écoles. Puis nous donnerons quelques exemples, le plus intéressant étant qu'ultérieurement le débat s'instaure, se poursuive si vous nous adressez vos questions et remarques.
Ch. Nay
Je travaille depuis quatre ans dans une école maternelle de cinq classes. Depuis sa création en 1978, deux phénomènes marquants peuvent être observés :
- l'évolution de la population qui était à l'origine beaucoup plus mixée qu'actuellement, puisqu'elle était constituée de cadres et d'une population plus modeste. Petit à petit, les cadres ont quitté le secteur, les effectifs ont chuté, et actuellement reste une forte proportion de familles fragilisées par les difficultés économiques et sociales qu'elles subissent.
- l'évolution de l'équipe pédagogique qui, après s'être maintenue pendant quatre ou cinq ans à l'ouverture de l'école, a connu de grandes dérives, pour finalement se stabiliser depuis quatre ans.
V. Goujon
L'école Anatole France comporte cinq classes primaires et un poste ZEP partagé avec la maternelle. On constate une grande stabilité des enseignants (quatre sont là depuis 1970). Les six enseignants sont tous engagés à des degrés divers dans une pédagogie coopérative. Les élèves sont recrutés dans la Cité d'urgence et les logements HLM.
Les difficultés se sont posées dès le départ et les enseignants ont très vite essayé de trouver des réponses en équipe.
Ce travail d'équipe nous a amenés depuis quelques années à une organisation par cycles. Ainsi nous avons deux CP-CE1, et sur le cycle III, les trois enseignantes travaillent avec tous les enfants de CE2, CM1, CM2, qui se trouvent donc la plupart du temps en groupes hétérogènes. Cette organisation n'est pas un gadget mais un choix pédagogique et éducatif qui nous permet de démultiplier les richesses de la classe coopérative.
Ch. Nay
Une action pédagogique qui permet de construire l'estime de soi...
Par la prise en compte de l'enfant en tant que personne...
Il nous semble très important de parler de la prise en compte de la personne chez l'élève.
L'enfant est un être unique et global, c'est à dire qu'il arrive à l'école avec tous ses problèmes, tout son vécu de la maison.
Accueillir ce petit en maternelle, c'est prendre en compte sa difficulté à se séparer de son milieu familial, c'est être attentif à chaque enfant : respecter ses émotions, son chagrin s'il pleure en arrivant, sa rage s'il refuse d'aller à la cantine.
Mais c'est aussi voir que beaucoup d'enfants sont perdus et aliénés par des problèmes de santé physiques et psychiques qui vont nuire à leurs apprentissages et perturber le bon déroulement de la classe. Nous y reviendrons un peu plus loin avec le problème de la santé.
V. Goujon
A l'école primaire, j'illustrerai cette prise en compte de la personne chez l'enfant par un travail que nous menons depuis l'an dernier sur la culture non scolaire.
Nous avons lu les ouvrages de Michel Serres, Michel Authier et Pierre Lévy concernant "les arbres de connaissance"(1). L'idée est que dans un groupe donné, chacun sait quelque chose et que lorsque l'on met tout en commun, on a un capital de savoirs à partager.
Nous avons donc repris cela en listant tous les savoirs et savoir-faire que déclaraient les enfants, y compris les savoirs non scolaires du style : faire du vélo, mettre le couvert, aller seul au parc des sports... Parallèlement, nous organisons régulièrement des "marchés de connaissances", où les enfants proposent de faire partager une compétence aux autres en tenant un "stand".
C'est une façon de valoriser l'enfant en dehors des apprentissages scolaires. Il y en a d'autres, c'est un exemple.
C. Nay
... Par l'expression
Un autre élément de la construction de l'estime de soi est l'expression et la communication. C'est un élément qu'on retrouvera d'ailleurs dans la deuxième partie puisque expression et communication supposent le plus souvent qu'il y ait relation.
Pour se construire, il faut que l'enfant puisse communiquer des informations, des émotions, des idées, émettre des critiques et les entendre, défendre son point de vue, agrumenter, faire des propositions. Pour cela, il faut des lieux (c'est un des rôles des Conseils, par exemple). Il faut des outils : traitement de texte par exemple, mais aussi la boîte aux lettres devant chaque classe qui permet d'écrire, y compris à ceux qui sont proches, des choses qu'on ne pourrait peut-être pas dire.
L'expression, elle, doit être développée dans tous les domaines : oral, écrit, bien sûr, mais aussi corporel, artistique. Nous attachons une grande importance à ces activités. Nous utilisons au maximum les installations sportives, les possibilités de sorties en plein air et chaque semaine, dans l'emploi du temps, on trouve des ateliers en musique, en arts plastiques, en théâtre, mime...
Ch. Nay
Il n'y a rien à ajouter de spécifique pour la maternelle, juste insister s'il est besoin sur le souci que nous avons également de développer toutes ces formes d'expression.
V. Goujon
... Par des apprentissages réussis
Nous sommes convaincus que des apprentissages réussis conditionnent une bonne image de soi.
Pour une grande majorité des élèves qui fréquentent notre école, on constate plusieurs types de difficultés.
- Tout d'abord des difficultés à sortir de la passivité. Les enfants sont "posés" à l'école comme on pose les paquets. beaucoup de petits de trois ans sont encore véhiculés en poussette. En classe, ils peuvent rester inactifs sur un banc, sans rien faire, jusqu'à ce que l'adulte les interpelle.
- Ensuite des difficultés à comprendre la causalité. Ils sont incapables de faire des liens entre deux images d'un livre, par exemple. beaucoup de petits de trois ans ne peuvent comprendre ce qui lie deux évènements entre eux (il pleure parce qu'il s'est fait mal).
- Mais aussi des difficultés à se repérer dans le temps et dans l'espace. Ils ont du mal à appréhender la succession des activités, à anticiper. Ils restent dans l'instant présent.
- Enfin des difficultés à se représenter les activités, à les évoquer. beaucoup d'enfants, après avoir vécu une situation en salle de gym par exemple, auront du mal à en reparler.
Pour palier tous ces manques, nous avons choisi plusieurs types d'actions.
- Nous essayons de rendre les enfants plus autonomes en leur proposant un choix d'activités variées et adaptées qui les rendent actifs. Nous sommes plus à l'écoute de ce qu'ils savent, nous vérifions qu'ils comprennent ce qu'on leur demande.
- Nous avons choisi de donner priorité au travail sur le temps, l'espace, la causalité. Dans toutes les classes un gros travail est fait sur le calendrier, on aide les enfants à prendre des repères en leur demandant de situer les évènements les uns par rapport aux autres, d'évoquer ce qu'ils ont fait avant ou après telle activité, d'anticiper ce qu'on fera demain.
- Et enfin, pour les aider à mettre des mots sur leurs actions, à réévoquer, à se représenter une situation qu'ils viennent de vivre, on utilisera des supports variés : films, photos, éléments magnétiques...
V. Goujon
Réussir les apprentissages à l'école primaire, c'est d'abord les personnaliser, les co-gérer, les co-évaluer.
C'est ce que permet, entre autres, le travail en cycle. On peut, au cycle III, par exemple, envisager globalement les apprentissages sur les trois années du cycle, en étant plus souple sur les rythmes. Cela permet à chacun de s'appuyer sur ses savoirs pour les transformer, pour progresser, tout en ayant une connaissance préalable des objectifs. Quand on dit chacun, cela peut être "des chacuns", car parfois les enfants se regroupent à plusieurs. Cela permet aussi au cycle II, par exemple, de supprimer la barrière de fin de CP pour les enfants qui sont en cours d'apprentissage de la lecture. Bien sûr, les enfants ont des outils pour se repérer : des plannings, des plans de travail, un cahier d'évaluation où sont répertoriées les compétences à acquérir.
Réussir les apprentissages, c'est aussi les contextualiser par la prise en compte des vécus personnels et collectifs dans l'apprentissage de la lecture. C'est les finaliser, d'où toute l'importance de travailler sur des projets de tye correspondance, journal, sorties...
Enfin, réussir les apprentissages, c'est multiplier les méthodes de travail et les diversifier : recherche, travail de groupe, confrontation, explication...
Ch. Nay
... Par l'appropriation de la culture
Dans la continuité de ce qui vient d'être dit, nous voudrions aussi souligner l'importance que nous accordond à la culture, qui est le rempart contre l'obscurantisme.
Il faut savoir que dans la bouche des jeunes, et même assez jeunes, le mot "intello" est devenu une injure. C'est très grave.
Encore une fois, voici quelques exemples de nos actions.
Nous utilisons et faisons la promotion de tous les équipements municipaux. J'ai critiqué auparavant la politique municipale, mais je dois tout de même saluer la volonté de développer à Vaulx en Velin des lieux culturels nombreux et assez variés : des bibliothèques, un planétarium, des ateliers d'arts plastiques, des propositions de spectacles...
A l'école nous menos presque tous les ans un projet de comédie musicale, qui nous permet d'aborder un thème sous tous ses aspects : historique, géographique, scientifique, musical, pictural, théâtral (l'abolition de l'esclavage, le cinéma...)
Enfin la BCD de l'école est un lieu central, avec un musée, des animations, une gestion par des enfants et des adultes non enseignants : parents, animateurs.
Ch. Nay
... Par l'émancipation, l'autonomie
L'estime de soi, c'est aussi par l'autonomie et la responsabilisation que l'enfant la construit.
L'autonomie, c'est permettre aux enfants de faire des choix.
En maternelle, cela se fera au moment des activités d'accueil où les enfants auront la possibilité de choisir une activité qui leur convient, mais aussi sur les temps d'ateliers où les choix seront plus restreints : soit parce que certaines activités ludiques seront proscrites, soit parce que le décloisonnement concerne tous les enfants quel que soit leur âge.
L'autonomie, c'est aussi avoir un rôle dans le groupe, avoir des responsabilités.
Concrètement, en maternelle, cela se manifeste lorsqu'un grand explique à un petit comment fonctionne un moulin à eua par exemple. Cela se développe aussi avec toutes les formes de services qui existent dans toutes les classes : arroser les plantes, ranger le matériel, préparer le goûter...
V. Goujon
En ce qui concerne les responsabilités, elles continuent bien sûr à l'école primaire d'être partagées par les enfants (sur élections ou sur compétences). Je n'insiste pas.
En ce qui concerne l'éducation au choix, le travail en cycles permet de proposer plusieurs activités en même temps : l'enfant pet choisir par exemple de travailler en histoire, en géographie ou en sciences, suivant le sujet proposé.
Pendant les temps de travail personnel, il peut choisir de travailler sur telle ou telle notion.
Pendant les temps dit "libres" : l'accueil, les récréations, il peut pratiquement s'autogérer.
Effectuer des choix, c'est prendre des responsabilités, voire des risques, c'est être sujet et non objet : pour certains choix, il faut s'inscrire... et s'y tenir.
Effectuer des choix, c'est aussi se situer dans un emploi du temps. Enfin c'est utiliser des lieux variés, s'y rendre seul, s'y repérer.
Ch. Nay
... Dans un système relationnel...
...Complexe
La construction de l'estime de soi ne se fait pas chez un individu isolé. C'est seulement pour la commodité de l'exposé que nous l'avons séparée de l'étude du système relationnel dans lequel chaque individu évolue.
Ce système, pour lutter contre toute forme de repli et pour rejoindre l'idée de Cyrulnik de la poly-appartenence, doit être complexe.
En reconnaissant chez l'élève une personne, on reconnaît en même temps qu'il appartient à une famille, à une communauté, à un milieu social.
A l'école il appartient à un groupe classe, on lui reconnaît aussi le droit d'appartenir à un groupe d'affinité.
Là encore, le décloisonnement des classes, en regroupant par exemple des enfants sur un projet, permet un élargissement et une multiplication des relations. On permet la confrontation d'individus venant de plusieurs lieux, ayant vécu des expériences différentes. On permet à l'enfant de changer d'image, de rôle, suivant le groupe où il se trouve.
On peut aussi faire prendre conscience de l'appartenance à une ville, à un pays, au monde entier (citoyen du monde).
Par exemple, l'an dernier, mes élèves ont visité le planétarium en avant-première, ils ont aussi étudié le projet de Centre ville, ont émis des critiques, ont écrit dans le journal de la ville.
Autre exemple : tous les quinze jours, un groupe fait une revue de presse qu'il affiche dans l'école et c'est souvent le point de départ de débats sur des sujets d'actualité.
Ch. Nay
En maternelle, nous privilégions le travail en petits groupes en étant vigilantes sur l'âge des enfants.
Cette forme de travail nous permet de multiplier les interactions entre les enfants, mais aussi entre enfants et adultes différents.
Elle fait sortir les plus jeunes de la relation duelle Maître-enfant et permet un regard pluriel sur les enfants, une confrontation entre adultes.
V. Goujon
... construit dans des lieux de parole institutionnalisés
Pour qu'il y ait des relations entre les individus, il faut qu'il y ait des lieux de parole où se construisent ces relations.
Il y a des lieux de présentation. On peut donner comme exemple : spectacles montés librement, conférences à la suite d'une recherche documentaire, on pourrait en citer une multitude.
Il y a des lieux de bilan, d'évaluation : chaque présentation est suivie d'une critique ; à la fin de la journée, dix minutes sont consacrées dans chaque classe au bilan de chacun.
Il y a aussi des lieux de propositions, de gestion, de discussion, de décision : les conseils.
Il y a un conseil par classe ; un conseil par cycle ; la communication entre le cycle 2 et le cycle 3 se fait par un système de délégation ; des conseils extraordinaires sur un sujet spécifique : la cantine, le terrain de foot... Par la pratique de plusieurs conseils différents, l'enfant fait l'apprentissage des différents lieux de compétences et de décision. On ne peut prendre de décision que sur ce qui nous concerne !
Ch. Nay
Suivant l'âge des enfants, les lieux de parole seront plus ou moins institutionnalisés. Chez les petits, le lieu de parole sous forme de conseil n'existe pas alors qu'il sera mis en place dans la section des grands.
Par contre, dans chaque classe existent des moments de bilans, de présentations de travaux faits par les enfants. Moments plus ou moins longs, plus ou moins construits selon le niveau de classe.
Toutes ces structures permettent aux enfants de confronter leurs idées, de défendre leur point de vue, de se décentrer.
V. Goujon
... régulé par des droits et des devoirs
Les relations dans le groupe doivent être régulées par la connaissance des droits et devoirs de chacun.
De plus en plus, nous subissons la pression des parents qui défendent la loi du talion et de la jungle, qui interviennent directement devant les enseignants lors de conflits entre leurs enfants.
face à ce phénomène qui s'apparente à l'auto-defense et pour lutter contre l'incohérence des familles, il nous semble de plus en plus nécessaire de parler des lois et des règles avec les enfants dès leur entrée à l'école maternelle.
Chez les petits de trois ans, les règles seront dites, écrites, symbolisées à partir de photos pour qu'on puisse y faire référence.
Les conflits seront gérés dans l'instant et non différés.
Tout ce travail autour des règles de vie et la construction de ces règles avec les enfants est présent dans chacune de nos classes et pour plus de cohérence élargi à l'ensemble de l'école.
V. Goujon
Les plus grands aussi ont besoin d'un cadre pour exercer leur liberté. La construction des règles est une protection pour l'enfant contre l'arbitraire de l'adulte et contre la loi de la jungle déjà évoquée par Viviane.
Le maître, les maîtres (là, la cohérence devient incontournable) sont les garants de l'application de la loi et des règles. Il ne faut surtout rien laisser passer : le rapport à la loi se construit sur de toutes petites choses. Nous regrettons parfois que la police qui s'intéresse beaucoup aux problèmes de drogue (et c'est justifié) n'intervienne pas assez sur la petite délinquance de tous les jours. Un enfant qui en bouscule un autre doit s'attirer une remarque de l'enseignant.
Un gros travail sur les règles a été fait avec les enfants. Un gros effort pour aller de l'implicite à l'explicite. Un classeur des lois qui les répertorie est à la disposition de tous. Le règlement de l'école est discuté et affiché dans les classes. Et, bien entendu, pour chaque transgression une sanction est prévue (retrait du permis de circuler librement dans l'école, exclusion du conseil etc...).
Ch. Nay
... basé sur l'entraide
Si les relations dans nos écoles sont régies par des règles, elles sont aussi basées sur l'entraide, en opposition avec la compétition. L'entraide, outre qu'elle favorise l'acceptation de l'autre, enrichit les deux protagonistes. C'est aussi pour cela que nous travaillons avec des groupes hétérogènes, que nous avons choisi de former deux CP-CE1, de travailler en cycles.
J'ai déjà cité le Marché des connaissances, qui peut être considéré comme une forme d'entraide.
Je parlerai aussi des brevets qui sont délivrés après des stages spécifiques et qui permettent par exemple de gérer la bibliothèque en accueillant les autres enfants, ou bien encore d'aider les CP dans l'apprentissage de la lecture.
Ch. Nay
... ouvert
Le système de relations doit être un système ouvert. C'est là tout le rôle des diverses correspondances, proches, lointaines, des rencontres avec d'autres classes pour faire un journal commun...
Nous faisons un gros effort pour développer dans l'école une politique de classes transplantées. Efforts financiers pour qu'un enfant puisse partir au moins une fois par cycle, efforts de persuasion envers les familles, dont les réticences autrefois personnels sont de plus en plus téléguidées par des pressions extérieures.
Nous accueillons aussi beaucoup de stagiaires dans les classes, qu'ils viennent de près, de loin, ou même de très loin. Nous avons ainsi reçu des stagiaires bulgares, à la suite de quoi, l'école a commencé une correspondance avec une école de Sofia. Les CM2 y sont partis quinze jours en juin dernier.
Ch. Nay
La coopération entre adultes
En interaction avec les mises en place avec et pour les enfants, il paraît aussi indispensable dans notre travail de mettre l'accent sur la coopération entre adultes. Je voudrais dire que là encore on va retrouver à la fois l'estime de soi et les relations coopératives.
Je voudrais aussi resituer le rôle des adultes si l'on tient compte des difficultés des jeunes que j'ai évoquées au tout début, et sur lesquelles je ne reviens pas.
L'adulte doit être authentique, il ne peut pas tricher. Il faut qu'il ait une parole forte : tu ne manges pas de porc, tu n'en as pas le droit, mais moi j'aime ça, et j'en ai le droit. Tu es catholique, tu es musulman, c'est ton droit, moi je suis athée, c'est mon droit aussi.
Il faut que les enfants aient plusieurs modèles d'adultes différents, même s'il y a cohérence entre eux par ailleurs. Les adultes doivent donner l'exemple de la coopération.
Ch. Nay
Le travail avec les familles
Depuis quelques années, nous avons cherché dans notre école à améliorer la relation que nous avons avec les familles, mais aussi à transformer la représentation que les parents avaient de l'école. En effet, beaucoup la vient à travers l'expérience négative qu'ils ont eue. beaucoup entretiennent des rapports de méfiance, voire de rejet qui sont source de tensions pour l'enfant à l'école. Nous avons mis en place des systèmes d'échanges variés comme :
- les réunions de classe
- les portes ouvertes, les classes ouvertes
- les fêtes organisées conjointement
- les conseils d'école ouverts à tous les parents
- les photos, les filme, les cassettes
- les affichages multiples à l'extérieur de la classe
- le livre de vie relatant les évènements marquants de la journée et laissé à disposition des parents
- les contrats élèves/maîtres/parents
- le participation des parents aux activités de l'école, aux sorties
- un temps et lieu d'écoute et d'échanges entre parents et enseignants qui est institué une heure par semaine dans les locaux de l'école.
Actuellement, nous pouvons constater que les choses bougent un tout petit peu :
- nous avons plus de parents aux réunions de classes
- le dialogue est renoué avec certaines familles
- les parents se mobilisent plus vite
- notre travail en maternelle est davantage pris en compte.
V. Goujon
Les partenaires de la santé
Si construire un réel partenariat avec les parents a été et reste un cheval de bataille, tout le travail autour de la santé nous préoccupe et nous mobilise de plus en plus.
face au mal être de nos élèves et à leurs difficultés de plus en plus nombreuses pour apprendre, nous avons été amenées à renforcer la prévention des handicaps et la détection précoce des déficiences, que ce soit dans le domaine social ou celui de la santé. Pour cela, nous mettons en place plusieurs niveaux de concertation :
- des discussions en équipe pédagogique sur les "cas lourds"
- une recherche d'aide auprès des collègues des réseaux, des partenaires de la santé (Protection Maternelle Infantile, Centres médico-pédagogiques, Médecine scolaire...) et des partenaires sociaux (assistantes sociales...)
- des convocations d'équipes éducatives élargies, réunissant la psychologue scolaire, le personnel de l'école, pour une recherche de cohérence sur les prises en charge.
V. Goujon
Les associations
Nous sommes également amenés à travailler en collaboration avec des associations du quartier et de la ville. Je citerai deux exemples parmi d'autres de cette collaboration.
- La Maison des Jeunes et de la Culture : nous avons des projets communs, nous essayons d'y amener les enfants pour qu'ils connaissent ce lieu et aient envie de l'investir. Il y a continuité dans les acteurs (il m'arrive de retrouver d'anciens élèves au Conseil d'Administration) et dans les finalités éducatives. Les responsables de la MJC mènent une véritable politique d'éducation populaire en responsabilisant au maximum les participants, en leur accordant un maximum d'autonomie.
- Le travail avec une association d'ados du quartier qui, sur l'idée de l'aide aux devoirs, accueillent les jeunes pour leur lire des histoires, jouer avec eux... C'est un peu notre lien avec les familles qu'on ne touche pas forcément dans les réunions.
Ils ont parfois des projets d'animation plus ponctuels et de plus d'envergure : des sorties, des projets théâtre... Nous les aidons en leur fournissant un local pour leurs réunions, en soutenant leurs demandes etc... Mais à part cela, leur autonomie est complète.
Ch. Nay
La concertation entre enseignants, la direction collégiale
Enfin, pour terminer, nous voudrions vous décrire la direction collégiale, qui est pour nous une façon de vivre la coopération que nous voulons instituer dans l'école.
Dans nos deux écoles, la geston administrative et pédagogique se fait coopérativement. L'ordre du jour des réunions est établi par chacun. Les décisions sont prises en commun, les responsabilités sont partagées et les tâches sont réparties entre tous, chacun appliquant les décisions prises par l'ensemble.
Ch. Nay
En conclusion
Si tant est qu'il soit possible de conclure sur un tel sujet, je dirai que, même si nous avons conscience de nos limites (l'école ne peut à elle seule assurer l'éducation à la citoyenneté), même si certains pensent que notre action est dérisoire vu l'ampleur des problèmes par ailleurs, le travail que nous menons au quotidien en nous appuyant sur la pédagogie Freinet, la pédagogie coopérative est tout à la fois évident, urgent et indispensable.
Viviane Goujon
Ecole Viennot
Chantal Nay
Ecole primaire Anatole france
Vaulx-en-Velin (69)
La violence à l'école
Denis Drû est CPE au lycée G. Crampe d'Aire sur l'Adour (40). Philippe Geneste est professeur de français au lycée Sud Médoc du Taillan (33). Agacés par la surmédiatisation de quelques faits bien réels, ils pensent que le phénomène de la violence à l'école, même relativisé, reste aussi (et surtout ?) lié à des modes de fonctionnement de l'institution scolaire.
Le phénomène de la violence en milieu scolaire n'est pas récent (voir les études de Debarbieux et son article dans l'Ecole Emancipée du 5/05/94 pp IV à VII). S'il y a une augmentation de 21,5 % de ce phénomène entre 1993 et 1994, il faut garder à l'esprit d'une part que les statistiques en ce domaine commencent à peine à être fiables et que d'autre part sont regroupés sous la dénomination de violence des faits fort hétéroclites. Si on suit les conclusions de Debarbieux, l'école est moins atteinte que le reste de la société par la violence. Cela montre qu'au delà des faits bien réels c'est l'exploitation que l'on veut en faire, par le biais de quatre mystifications, qui est posée:
- l'école forme mal et génère le chômage
- la violence a envahi l'école
- l'Education Nationale est une machinerie trop lourde pour s'adapter, c'est d'ailleurs le propre de toute institution de services publics
- il faut donc briser cette chaîne qui empêche l'évolution positive (ex : les rythmes scolaires et l'attaque contre le statut et le travail des enseignants).
Une chaîne d'arrogances
Avec l'aggravation de la crise économique, l'environnement socio-économique jusque là contenu hors des murs est entré de plein fouet dans la réalité scolaire. Le phénomène n'est pas nouveau et concerne aussi bien l'école primaire (cf les prises d'otages en France, en Angleterre ; cf les agressions entre enfants...) que le secondaire. Se révèle ainsi que lorsque la dignité humaine est bafouée, piétinée, les moyens pour la reconstruire sont sans entrave, boomerang en faits divers de l'exclusion sociale organisée. Ce n'est pas cette violence faite au peuple qui est dénoncée par les médias. Tel est l'envers des miroirs brisés de la violence à l'école. Portons nos regards sur leur endroit. Cette violence est portée par une chaîne d'arrogances qui viennent brutaliser les rapports humains à l'intérieur de la cité scolaire :
- arrogance des élèves parfois certes via l'incivilité
- arrogance des adultes parfois aussi : combien de propos vexatoires, d'attitudes méprisantes juchées sur un socle d'assurance hiérarchique
- arrogance sociale : à quoi sert un projet lorsqu'en fin de parcours on se fait jeter du circuit social ? De quelle civilité, de quelle discipline parle-t-on quand le quotidien de la vie s'effectue sous le regard de Vigipirate ? De la stigmatisation de la jeunesse comme élément de désordre ?
- arrogance sociale des savoirs : l'orgueilleux savoir d'élite sur lequel se fondent les programmes, orgueil accusé dans bon nombre de pratiques pédagogiques, ne peut qu'être une violence perpétrée - mais ceci n'est pas nouveau - contre les savoirs autres, populaires, des groupes sociaux défavorisés, des classes sociales constitutives du prolétariat. Le rôle dévolu au latin et au grec au collège dans la réforme Bayrou, la marginalisation de l'image et du film au lycée, confirmée par le programme de lettres de Terminale L paru en mars 96 au BO, en sont des traductions pratiques.
Cette chaîne d'arrogances crée des exclusions et l'exclusion n'est pas un vain mot. On le sait, le slogan "80% d'une classe d'âge au Bac" a vécu. Les filières de relégation s'affirment comme telles : apprentissage en hausse (or on sait qu'il n'enraye pas le chômage... pour se placer de ce seul point de vue) ; classe SAS, 3èmes professionnelles préparatoires aux "formations sous contrat de travail" qui conduisent à la précarité, aux petits boulots, à l'absence de boulot... Relégation et exclusion sont synonymes en période de crise.
Mais si l'école exclut, elle légitime aussi l'exclusion puisqu'elle est réquisitionnée pour la gérer : ce sont les fameux stages dits d'insertion, les CIPPA etc... Ici se joignent l'Education Nationale stricto sensu, les GRETA, et moult organismes privés de formation (il y a quelques années, en Aquitaine, on comptait plus de cinq cents officines de formation s'occupant de l'insertion !)
Sanctuariser l'école... ou l'ouvrir ?
Chômage et précarité accrue inscrivent à nu l'école au coeur du système de reproduction de la force productive via la gestion de l'armée de réserve des chômeurs. La fonction sociale de l'école est ainsi clairement établie. Penser comme bon nombre de réformistes relayés par les institutions de formation et un pan non négligeable de la sociologie de l'éducation que l'école peut soigner les méfaits socio-économiques est une illusion idéaliste qui met le monde la tête en bas (il faut que "l'école retrouve sa fonction, pour protéger, fixer les bornes, réinsérer certaines familles dans leur fonction civique" ; les jeunes "doivent avoir la conviction que l'investissement dans l'école leur permettra de sortir des problèmes dans lesquels ils sont". D. Paget, "Contre la violence nos propositions" US 16.02/96 p 6). C'est une illusion qui mène à croire aussi que le savoir échappe aux contradictions sociales.
Si ces raisons socio-économiques de la violence sont bien réelles, elles ne sont pas explicatives à elles seules, car l'irruption du phénomène n'a pas attendu les quatre millions de chômeurs ni la massification de l'enseignement. Comme le rappelle DL Etxeto dans "La Tâche d'encre" (n° 57, février 96 pp 27-31) on ne parle pas des questions de drogue, de tabaggisme, d'alcool, de fugues, de suicides, conséquences des conditions sociales de vie et aussi des conditions de travail des élèves. Cela révèle les choix précis opérés sur les faits pour en arriver à stigmatiser un espace, la banlieue, un groupe social, les immigrés ou jeunes black ou beur. Or c'est là que s'articulent les ministères de l'intérieur, de la justice, des affaires sociales, politique de la ville et ministère de l'éducation nationale. F.Bayrou l'annonce, J.Chirac le souligne : plus d'armée à l'école, plus de flics autour, voire dans (J.Chirac : "La police... doit pouvoir entrer à l'école") l'établissement scolaire ; voilà Vigipirate qui enserre un peu plus le corps social. Pour répondre à cette agression étatique, le syndicaliste doit être porteur d'une volonté de transformation sociale, sinon il va s'enferrer dans l'enceinte scolaire et du coup faire le jeu du pouvoir.
Le bouclage des établissements, c'est leur sanctuarisation, vieux mythe d'une sécurité antérieure à quoi correspond un appel à la restauration de l'ordre (voir article d'O. Vinay Ecole Emancipée n° 8, 4/3/96 PP 8-9). Ce n'est pas qu'un rêve de droite : "il est ... vital, si l'on veut que l'école survive dans une société totalement mercantile, de lui restituer son caractère sacré, c'est à dire séparé, intouchable, et proprement religieux. C'est à prendre ou à laisser" J. Julliard, Le Nouvel Observateur 23/9/93. Ce type de réaction est à l'opposé des conclusions des praticiens enseignant avec des classes dites difficiles. Pour mémoire rappelons avec Françoise Ferrere et P. Dauga les conclusions qui se dessinent à la lecture de "La violence dans la classe" (1990) de Debarbieux, livre qui poursuivait une commission de travail de l'ICEM :
-"Briser la représentation du lieu clos de la classe, fantasme de dévoration, en offrant aux enfants des lieux pour être...
- Rompre avec l'image de la surpuissance magistrale en donnant réellement la parole aux élèves, car il faut se rappeler que la violence est souvent une parole non aboutie...
- Libérer le corps... En effet on oublie souvent que c'est en bougeant que l'enfant met en place les connexions corticales et les coordinations motrices nécessaires aux apprentissages...
- Enfin ouvrir l'école sur l'extérieur..." (La Tâche d'encre, N° 48 avril/juin 93).
Ouvrir l'école, ce n'est pas, comme le prône le pouvoir et ses condottieres, la soumettre à l'ordre de l'entreprise, ce n'est pas précipiter l'enfant dans les rouages du mode de production capitaliste mais, au contraire, et à l'instar de l'école du travail chère à Freinet, inscrire le travail des enfants dans le complexe social. Alors seulement l'école cessera d'être "un couloir à côté de la vie" où par alternance "l'enfant doit nécessairement passer pour devenir un homme" (Freinet Ecole Emancipée 20/12/1925 N° 13), elle sera de plein droit, de plain-pied dans la vie.
La violence interne à l'Institution
La violence enfin, c'est celle tue par tous, celle interne à la classe, celle interne à l'institution. On a monté en épingle les agressions contre des enseignants mais c'est là un phénomène extrêmement minoritaire. Les agressions concernent surtout les élèves, or on en parle peu, indice supplémentaire opéré ségrégatif entre les générations et entre agents de l'état, de l'ordre d'état, et sujets (apprenants assujettis). Ce sont les premières réactions sécuritaires que la presse, y compris syndicale, a relayées (voir la couverture de l'US N° 392 du 23/02/96). Le silence sur la violence interne de l'institution favorise la limitation des exigences et propositions syndicales au seul niveau - certes juste et nécessaire - de la demande de moyens supplémentaires. Cette réponse quantitative n'est pas en mesure - parce que trop étroitement corporatiste - de mettre en perspective les enjeux de cette violence tue mais vécue. Ces enjeux portent sur des valeurs scolaires traditionnelles : discipline, hiérarchie des résultats, univers aseptisés de la connaissance en soi, glorification du savoir désincarné. Au bout de cela il y a la question de la relation pédagogique et celle de la part de l'élève dans le fonctionnement de l'école.
Par exemple chargé de trop de classes, de trop de copies, non formé au travail d'équipe, l'enseignant du second cycle s'isole dans sa situation individuelle, écarte comme une surcharge de travail la gestion démocratique du groupe et du cours. Autre exemple : lorsqu'en lettres et français les programmes s'alourdissent, le temps consacré à l'échange de paroles, donc à la prise de parole par les élèves, s'étiole : qu'est-ce qu'une classe où se trouve exclu du fonctionnement la libération de soi par la parole ? A-t-on mesuré la signification profonde de cet état de fait ? Non prise en charge de la parole d'élève puisque rétrécissement de l'espace de paroles libres, surcharge de paroles professorales : dans le silence des passivités n'est-ce pas une situation explosive - non-dit de la violence interne des plus ordinaires qui montre que violence est mot à être pluralisé en autant de singularités que d'élèves laissés en souffrance de dire - ?
Ordre hiérarchique ou pouvoir collectif ?
Ce qui est remis en cause dans la violence scolaire, c'est l'ordre hiérarchique des établissements et, à travers l'enseignant, l'ordre de l'état. Nul doute qu'un fonctionnement différent basé sur l'autogestion, avec de réels pouvoirs accordés à tous, permettrait une régulation interne des tensions et une mutuelle compréhension des acteurs de l'établissement. Au contraire le modèle dominant de l'entreprise appliqué à l'établissement renforce le pouvoir des niveaux de direction et favorise les pouvoirs intermédiaires. Dans ces établissements, l'afflux d'informations déversé par la direction accuse en fait un déficit d'échanges qui place hors d'atteinte le niveau où sont prises les décisions. La tendance des personnels à s'isoler dans leur situation (et emploi du temps) individuelle s'en trouve encore accrue. Ceci est encore plus vrai pour les élèves : comme le disent G.Cohn-Bendit et P. Boumard dans "Les Pédagogies Autogestionnaires" (1995, ed Ivan Davy), "s'il existe un lieu social où la démocratie soit absente, c'est bien l'établissement scolaire". Un exemple : le journal lycéen est soumis à la censure du proviseur sans que cela émeuve. Autre exemple : un élève commet un impair, il est puni par le prof ou le CE ou le surveillant. Punition prise en toute quiétude, car prise au nom de la collectivité... Mon oeil ! Quelle réflexion de la communauté scolaire sur les échelles des sanctions, sur les instances de décision, a procédé à cette démarche punitive ? Finalement, on en est au stade d'un patriarcat où le juge qui tient son pouvoir d'institutions extérieures à la communauté décide, où le citoyen accepte. On le voit, la citoyenneté n'est pas du tout une garantie de démocratie interne à l'intérieur de l'école parce qu'elle peut être fondée sur l'assujettissement du sujet. Les voies propres à l'école en matière de violence - insuffisantes à elles seules, même secondaires, mais pouvant être agissantes ne serait-ce que parce qu'elles peuvent être portées immédiatement par les acteurs - nécessitent de placer la question des pouvoirs, de la démocratie, (des programmes, des conditions de vie, des services des personnels, des services des élèves...) au coeur de la réflexion et des actions pour la transformation de l'école en une école populaire pour tous. Sur cette question, plutôt que de clamer leur impuissance, les personnels feraient mieux de prendre la parole pour avancer collectivement leurs solutions.
Ce n'est pas le moindre des paradoxes que cette société qui se prévaut ici et ailleurs donneuse de leçons de démocratie et qui, dans le lieu d'éducation de ses citoyens, écarte avec rigidité toute forme pratique d'éducation à la responsabilité, à la prise de décision, à la discussion collective.
A l'heure où l'on réduit la dimension socio-éducative dans les établissements scolaires (dixit l'Inspection générale) et après l'assaut lancé en 1985 contre la vie scolaire par une gauche intégriste de la matière (heureuse ambiguïté du mot "discipline" !), les quelques rares instances internes de liage de la communauté scolaire sont vidées de leur sens (voir l'article de Denis Drü "Le lycée et la culture vivante" La Tâche d'encre N° 53 janv 95 pp 15-18 et le dossier de l'Ecole Emancipée "Zones difficiles et fracture sociale", mai 1994, N° 10). Il faut un mode de fonctionnement collectif, des lieux, du temps aménagé pour des A.G, pour la délibération des choix. Cela ne règlera pas la question de la violence engendrée par le système capitaliste mais c'est une voie pour le hic et nunc de briser les souffrances sociales, les cassures socio-affectives.
L'école ne doit pas être un lieu de culte social mais un lieu de relations sociales où s'épanouissent les capacités individuelles par la prise en main collective de l'organisation du quotidien - entre autres - .
Lire et écrire... au Tchad
La zone sahélienne, c'est plat. Quelques arbres, beaucoup de traces des abattages pour faire du bois. Et les silhouettes des femmes portant sur la tête l'indispensable à la vie ; d'où viennent-elles, où vont-elles ? Au milieu de la poussière la Lada évite les trous et essaie de suivre la piste. A dix heures il fait chaud, dèjà chaud. Nous arrivons à Gahoui, le village des potiers ou plutôt des potières du Tchad.
L'instituteur est là pour nous faire visiter la bibliothèque publique du village, l'école, le collège et le musée qui abrite les "restes" des fouilles archéologiques effectuées par Françoise Claustre.
Le responsable est fier : son fichier d'emprunteurs est bien garni et ses nouvelles tables pour la lecture viennent d'arriver. Sur les rayonnages, les ouvrages français - souvent fatigués - sont classés en Dewey. La littérature jeunesse est présente, mais aucun album. Et puis, au mur, face à l'entrée, l'affiche du "Temps des Livres" 1995. Une soirée "contes" et une exposition sont organisées. Dans la cour de l'école, une jante de voiture sert de cloche. Dans les trois classes, les quelques tables doubles, envoyées par la France, ont beaucoup servi ; un tableau posé verticalement contre le mur propose le dernier exercice : "désigner les groupes nominaux et les attributs du sujet"...
Sous l'arbre à palabres, les anciens sont réunis. Les femmes sont très fières de nous montrer les fresques qu'elles réalisent sur les murs de leurs cases, et leurs poteries. Certaines continuent de piler le mil ; le dernier né dort, attaché solidement dans le dos de maman...
L'instituteur nous montre son groupe électrogène pour faire fonctionner son magnétoscope et sa télé...
La nuit est tombée sur Ndjaména. Dans la cour de la concession, Ali apprend à lire et à écrire à ses petits frères et soeurs. Assis par terre autour de la petite lampe à pétrole, les petits répètent la sourate. Ali a une douzaine d'années et est très fier de sa toque, insigne de sa fonction. Il sait lire les sourates, il sait les écrire et les faire apprendre.
Avec le roseau taillé, on écrit sur des planchettes de bois munies de deux pieds pour les poser sur le sol et d'une poignée en forme de Lune ; l'encrier est une calebasse ficelée sur une cage de cardan de voiture qui sert de pied ; l'encre est un mélange de gomme arabique, de poussière de charbon de bois et d'eau.
Ali apprend à écrire et à lire comme il a appris. Pour écrire, Ali ne tient pas sa planchette verticalement, il ne se sert pas des pieds et de la poignée. Il la fait pivoter de 90° vers la gauche. Puis il montre à écrire l'arabe, de haut en bas. Pour lire, Ali redresse sa planchette de 90° vers la droite et lit son écriture de droite à gauche. Les petits s'appliquent à écrire de haut en bas puis à lire de droite à gauche. les fatigués sont vite réveillés par le coup de baguette du grand frère "marabout". Demain ils retrouveront la rue, les marchés, les militaires et leurs "kalach".
Dans la salle de classe de l'école française la climatisation autorise 30 degrés. A la fin de l'animation les élèves du CE1 auront découvert une vingtaine d'albums que nous avons apportés. Tout à l'heure nous lirons "l'oeil du loup" aux CM2 et "Mina, je t'aime" aux CM1.
Ce soir, il n'y a pas de tirs d'armes automatiques ; les derniers hippopotames s'ébrouent sur les berges du Chari.