Débusquer les situations dites mathématiques

Octobre 1996

Débusquer les si­tuations dites "mathématiques" dans le vécu quo­tidien de la classe 

Un groupe de tra­vail sur l'enseignement ma­thématique à l'école élémen­taire avait abouti à la conclu­sion suivante :
"notre pratique pédagogique en ma­thématiques n'est pas la même qu'en français".
Il y avait ceux qui s'en accomo­dent et ceux que cela dérangeait. Les rai­sons invo­quées étaient, d'une part le manque de forma­tion et d'autre part l'incapacité à "débusquer" dans le vécu quotidien de la classe les si­tuations dites "mathématiques".
C'est à ce dernier obstacle que nous avons souhaité nous attaquer.
Dans un premier temps, les parti­cipants au groupe de travail sont in­vités à expo­ser, après l'avoir ré­digé au préalable, un moment de leur vie de classe qui avait particuliè­rement mobilisé élèves et maîtres. Cette ac­tivité pouvait se situer dans n'importe quel domaine.
La mise en commun qui a suivi a mon­tré très vite la richesse de cet in­ventaire. Il ne restait plus qu'à "coiffer" ces no­tions de leur ter­minologie mathéma­tique. Ce qui est fait par Anne-Ma­rie Duveau.
Anne Marie M.
 
Dans les tableaux qui suivent, on trouve :
- d'abord le récit du moment choisi par chaque parti­cipant. A côté, ce que le groupe y a vu en chaussant ses "lunettes ma­thématiques". Les activi­tés "scolaires" dé­crites ont un rap­port plus ou moins étroit d'une part avec la réalité de l'expérience rac­tontée, d'autre part avec les ma­thématiques. Elles ne tiennent pas compte du niveau de la classe : à chacun de transpo­ser...
Après les activi­tés mathématiques (décrites à chaque fois par un verbe d'action) on trou­vera les contenus et les domaines mathématiques (décrits par un nom) que la mo­deste "spécialiste" que je suis y a vus. Certains de ces contenus sont poin­tus, et ne se­ront étudiés que bien plus tard, par exemple les bary­centres et les proba­bilités en classe de première ; d'autres sont plus gé­néraux et se développent graduelle­ment de la maternelle au primaire, puis au collège, puis au lycée, par exemple les représenta­tions gra­phiques, les équations, les transfor­mations géomé­triques.
Anne Marie D.
 
Un moment de la vie de la classe qui a mobilisé et motivé élèves et enseignant
 
Les enfants confectionnent ré­gulièrement des gâteaux à l'école.
Au bout de quelques séances, ils ar­rivaient ap­paremment à suivre seuls les re­cettes extraites de J. maga­zine.
Après lecture et explication de la recette choisie, j'ai demandé à trois groupes de deux enfants de se dé­brouiller tout seuls, pensant vé­rifier étape par étape qu'ils avaient bien com­pris les consignes.
Pour commencer il fallait verser trois verres de farine dans une ter­rine (suite page ...)
 
Activités à carac­tère plus ou moins ma­thématique pou­vant se greffer sur ce vécu
 
 
Compter
mesurer
peser
lire les heures, les durées
imaginer les quan­tités pour 2, 3 gâ­teaux
 
Notions mathéma­tiques évi­dentes... ou sous-jacentes
 
numération
notions d'unités de mesure : le verre, les unités de masse, de durée
calcul sur les du­rées
proportionnalité
visualisation gra­phique sous forme de schémas
 
 
Visite au musée du papier peint
Nous avons décidé d'aller visiter le musée du papier peint à Rixheim. L'ensemble de la classe cherche à dé­finir le pro­gramme de la demi-journée : trajet (par où on passe), horaires, matériel à emporter...
Les enfants se po­sent des questions sur ce qui sera vu car ils connais­sent par­tiellement les lieux (mairie de Rixheim : Com­manderie) et sont sensibilisés aux techniques d'impression.
Florence G.
 
repérer sur une carte
lire un horaire de bus
calculer le prix de revient de la sortie : bus, en­trée au musée etc...
observer
recopier les pa­piers peints
 
repère cartésien, coordonnées
calcul sur les unités de durée
modélisation d'un problème
mise en équation
figures géomé­triques
transformations géométriques : sy­métries, transla­tions, rotations
 
Fabrication de pigments.
Un grand projet nous a mobilisés cette année. Sous la direction d'une artiste et cher­cheuse, Claudie Hun­zinger, nous avons récolté des terres dans diffé­rents lieux de Fréland. Nous avons lavé ces terres, nous les avons laissé dé­canter, sécher, nous les avons broyées, tamisées jusqu'à obtention d'une poudre : le pigment.
Avec ce pigment, nous avons fabri­qué de la peinture (avec de l'oeuf) et du papier végé­tal teint dans la masse. Nous avons écrit les noms des ter­roirs avec "leur" couleur et nous avons réalisé une carte, sorte de paysage vu d'avion.
Edith B.
 
trier et classer les terres
doser pour fabri­quer la peinture
peser les ingré­dients
repérer sur une carte
décrire la chrono­logie des manipu­lations
observer des formes
 
relation d'ordre
moyenne, bary­centre
égalité, inégalité
représentations graphiques
codages
tableaux à double entrée
relation d'ordre
géométrie, topolo­gie
 
Spectacle de danse.
Dans le cadre d'un projet "danse", il y eut tirage au sort pour deux rôles un peu "à part". L'un fut attribué à une fille "muette" en classe : elle était "vendeuse de journaux à la criée". L'autre rôle, le héros de l'histoire, fut attribué à un élève en échec scolaire total.
Le choix des autres rôles était inté­ressant : "si je fais ça, je ne pour­rai pas faire ceci ; oui, mais là c'est mieux, alors je le choi­sis".
Une élève "agressive" a été acceptée car elle a joué un rôle (trouvé par elle-même) où elle pro­tégeait les autres.
Pascale R.
 
distribuer les rôles
tirer au sort
fabriquer des cos­tumes d'après pa­tron ou schéma
repérer des dépla­cements sur scène et dans le temps
définir l'ordre de passage
 
correspondance terme à terme
fonctions, bijec­tions
combinatoire
probabilités
échelles
homothéties
repérage dans le plan, dans l'espace
axes, coordonnées, représentation graphique
relation d'ordre
 
Atelier monnaie.
Comment on a mani­pulé à l'atelier monnaie. Vente, arnaque et béné­fice au profit de la classe verte.
Michel B.
 
remplir des chèques en toutes lettres
calculer des prix, la TVA, le béné­fice
comparer des devis
utiliser la ma­chine à calculer
 
numération
pourcentages
modélisation, ré­solution de pro­blèmes
simulations, com­paraisons de si­tuations
problèmes d'optimisation
touches : pourcen­tages, itération, mémoires
 
Création et mise en scène d'une his­toire collec­tive.
Plusieurs évène­ments et projets m'ont et ont en­thousiasmé les en­fants. Je ne par­lerai que d'un seul : la créa­tion d'une histoire collective, la réalisation de l'album illustré qui raconte cette histoire et la mise en scène de cette histoire avec représenta­tion costumée de­vant le pu­blic de parents.
Cette histoire s'intitule "Dans le verger". Elle raconte l'histoire d'une ruche aux prises avec Glou­ton l'ours. Inter­viennent également des papillons, des cocci­nelles.
Christiane H.
 
mettre en page
mesurer, repérer
attribuer des rôles
définir les étapes et le calendrier de l'activité
fabriquer des cos­tumes
calculer le prix de revient
 
schémas, plans
repère cartésien, axes, coordonnées
bijection, combi­natoire
visualisation, or­ganigramme
figures géomé­triques
topologie
opérations
 
Visite d'une fro­magerie.
Pour fabriquer du Comté, on verse dans de grands tonneaux un cer­tain nombre d'i,ngrédients li­quides dont essen­tiellement du lait, qu'on porte à une tempéra­ture de 55°. Pendant quatre heures on fait tourner des batteurs élec­triques dans cette pête pour la rendre homogène.
Dans la "fruitière à comté" que nous sommes allés visi­ter au cours de notre séjour chez nos correspondants du Doubs, l'opération sus-dite s'effectuait dans quatre grandes cuves contenant chacune mille litres du futur fromage.
 
calculer
comparer des prix
mesurer des tempé­ratures
calculer des vo­lumes
indiquer m'ordre de ...
expérimenter pour confirmer ou véri­fier une hypothèse
calculer la tempé­rature
 
calcul
égalités, inégali­tés, opérations
unités de mesure
calcul de volume, unités de volume
organigramme
visualisation
conception d'un système explicatif
rôle du contre-exemple
vérification d'une hypothèse
moyenne, bary­centre
 
Suite des relations de la page ...
 
Les gâteaux à l'école
- un groupe a mis une cuillère de fa­rine dans le verre et l'a ren­versé aussitôt dans le récipient.
- le deuxième groupe a rempli consciencieusement cinq verres et les a versés sans les compter dans la terrine.
- le troisième groupe a rempli sans arrêt le verre avec la fa­rine : quand il était plein, ils en rajoutaient, la tassant dessus avec la cuillère.
Suite à tout cela, j'ai rassemblé toute la classe et nous avons rempli des verres avec de la farine, du sucre,... en dis­cutant : "un verre de farine, qu'est-ce que ça veut dire ? Quand est-ce qu'il est plein ? Et un demi verre, c'est quoi ? Et si on veut faire deux gâteaux en même temps ?"
Josiane F.
 
Visite d'une fromagerie
Visite riche, comme on l'aura deviné, en données chiffrées, ce qui va nous per­mettre, rentrés en classe, d'exploiter la si­tuation sur la plan mathématique.
Céline (CM2) pro­pose de calculer la production quo­tidienne, hebdoma­daire...
Et puis, mû peut-être par une fré­nésie "additionnaire", Mathieu ima­gine qu'on verse le contenu des quatre cuves dans une cinquième, très grande, qui les contiendrait toutes, et s'interroge sur la température que prendrait l'énorme masse de fromage liquide ainsi ob­tenue. Il ajoute :
"ça ferait 55+55+55+55=220 soit 220°
Les autres élèves, graves et atten­tifs, opinent du bonnet. Rien à dire : logique !
Je réprime une en­vie d'intervenir tout de suite (par le rire, l'étonnement, l'appel à l'expérience, style : "quand même, réfléchis­sez, imaginez...") et laisse la ques­tion au chaud, si l'on peut dire, pour le moment où, rentrés chez nous, nous aurons tout le matériel et le temps pour véri­fier expérimenta­lement cette hypo­thèse. Ce qui se fera donc avec ré­cipients divers, eau à température variable et ther­momètre. Cette opéra­tion renouve­lée plusieurs fois fera apparaître la no­tion de moyenne grâce à un tableau récapitulatif du style :
récipient 1     récipient 2     réci­pient 3
   30°             50°             40°
   25°             30°             27,5°
Cette conclusion est renforcée par une remarque de Magali : "c'est comme le choco­lat, quand il est trop chaud le matin, on rajoute du lait froid. Ca baisse la tem­pérature : on peut le boire".
Martine B.



 
Quelques remarques
 
La dernière co­lonne, celle des conte­nus mathéma­tiques, est cer­tainement à plus d'un titre très barbare. pour les non matheux, cela rappelle peut-être des mauvais souve­nirs. Pour des ma­theux profession­nels, cela res­semble très proba­blement à un bric à brac hétéroclite et peu construit.
J'ai eu beaucoup de difficultés à remplir cette co­lonne, non parce que je manquais de matière, mais au contraire parce que cette matière était trop hétéro­gène à mon goût. Je m'explique... et comme je sais que j'ai affaire à des lecteurs en majo­rité non ma­theux, je vais es­sayer de transpo­ser dans un autre domaine les diffi­cultés que j'ai eues.
Quand j'ai voulu extraire le "jus ma­thématique" d'une action qui avait été citée, par exemple CLAS­SER (des pig­ments), je me suis trouvée dans le même foisonnement que devant ce qu'on pourrait "tirer" en expres­sion écrite de, par exemple, UN PIS­SENLIT.
En effet, voici ce à quoi peut me faire penser un pissenlit, et voici ce à quoi peut me faire pen­ser, dans le do­maine mathéma­tique, l'action CLASSER (voir les schémas).
Il est clair, du moins en ce qui concerne le PIS­SENLIT, mais tout au­tant en ce qui concerne ma lec­ture mathématique de CLASSER, que tout n'est pas à mettre sur le même plan !
De même que "faire de la salade de pissenlit" n'est pas du même ordre que "distinguer pissenlit et pri­mevère", les termes autour du mot CLASSER comme "compter, ordon­ner" et "émettre une hypothèse, imaginer une structure" sont très différents. J'ai envie de dire que les premiers concernent un CONTENU, alors que les seconds concernent le CONTENANT, à sa­voir l'esprit, et les "gestes" qu'il peut faire pour résoudre un pro­blème.
Or, j'aurais voulu, moi, faire quelque chose de simple, clair et précis, pour ne pas rebuter cer­tains lecteurs... et ne pas en hor­rifier d'autres. J'aurais aimé pou­voir mon­trer qu'il y a un chemin simple... qu'il suffit de prendre pour com­prendre. Eh bien ça ne marche pas, il y a une multitude de chemins qui vont de la réalité aux maths et vice versa, des che­mins, des sentiers de chèvre, des voies rapides, et des souterrains, et des voies aé­riennes, et des voies télépa­thiques... etc.
En conclusion, la réalité est bien trop complexe pour qu'on puisse l'examiner simple­ment, la réalité de la réalité (vivre quelque chose avec sa classe), mais aussi la réalité des maths. Il faut que je renonce à mon envie de sim­plification ou de sim­plisme. Comme l'écrit Van Vogt dans "le monde des non-A" (science-fic­tion), "le mot n'est pas la chose, la carte n'est pas le ter­ritoire"...
Et à défaut de vous présenter le ter­ritoire, je dois me contenter de vous présen­ter ma carte (d'autres diraient "ma re­présentation"), avec toutes les imperfec­tions que j'y vois, et que vous ne manquerez pas d'y voir aussi.
Je peux vous dire que faire ce tra­vail m'a "décoiffée", je veux dire que c'est passionnant, mais qu'on se sent toute petite de­vant la mer avec le vent qui vous coupe le souffle.
Et je ne résiste pas au plaisir de vous citer quelqu'un qui sa­vait de quoi il par­lait, plus que moi :
"Il me semble que je n'ai jamais été qu'un enfant jouant sur une plage, m'amusant à trouver ici ou là un ga­let plus lisse ou un co­quillage plus beau que d'ordinaire, tandis que, tota­lement inconnu, s'étendait devant moi le grand océan de la vérité..." Isaac Newton
Anne Marie D.
 
Ont participé : Anne Marie Mislin, Josiane Ferra­retto, Anne Marie Du­veau, Edith Bernhard, Florence Grie­nenberger, Pascale Roesch, Michel Bonnetier, Martine Bon­court, Chris­tiane Hammer.
 
 
 
Recherche mathéma­tique au CM
 
Pour nos ateliers de T.T.I (temps de travail individualisé), nous devions construire un tableau d'inscription à la semaine de ce type :
PRENOMS ATELIERS
 
 
 
 
en utilisant une couleur différente pour chaque jour.
Cette tâche a été confiée par l'ensemble du groupe classe à deux élèves de CM2 volontaires.
Il fallait, sur un panneau donné, no­ter les ateliers en abscisse, et, en ordonnée, prévoir la place nécessaire pour l'emplacement des 16 étiquettes-prénoms des élèves de la classe (cette trame ayant été bâtie entre les élèves volontaires et moi-même). Il s'agissait alors pour eux de se demander comment faire pour répartir de façon régulière toutes ces infor­mations. La question à résoudre était : y aura-t-il assez de place dans la verticale pour placer les 16 éti­quettes, celles-ci devant être espa­cées les unes des autres comme sur les plaques autocollantes que nous possédons, où 4 étiquettes occupent 12 cm.
Il fallait donc que les enfants pren­nent les mesures, qu'ils calculent l'espace et surtout - ce qui semblait le plus difficile - qu'ils trouvent si oui ou non il était possible de coller les 16 étiquettes.
Après mesure de l'espace vertical (quelques 60 cm dont il fallait en­core retrancher 3 à 4 cm pour ins­crire : PRENOMS), le problème restait entier et ils ont demandé de l'aide à l'ensemble du groupe de CM2. "Comment calculer si l'espace imparti est suf­fisant pour coller 16 étiquettes, sa­chant que 4 étiquettes occupent 12 cm ?"
Vanessa remarque qu'il s'agit d'une situation de proportionnalité. Com­ment, dans l'année, avons-nous déjà résolu ce genre de situation ? Quels moyens mathématiques connaissons-nous ?
Les recherches commencent, par groupe de 2 ou 3, à l'aide des cahiers de ressources où nous notons les consta­tations de ce type, les mécanismes, mes méthodologies de résolution de situations mathématiques. Un élève propose de calculer la place occupée par une seule étiquette et de multi­plier par 16. Un autre groupe a fait un tableau de proportionnalité avec un opérateur :
    étiquettes espace
        4         12
?
        16        ?
             ?
D'autres ont opté pour un croquis qui matérialise le problème. Chacun cherche sa solution puis la présente aux autres.
Les réponses sont les mêmes : la­quelle est la plus rapide, la plus performante ? La solution retenue comme telle sera notée sur la fiche autocorrective dans le fichier pro­blème D utilisé en plan de travail individuel dans la classe. Le pro­blème sera ajouté.
La solution du croquis sera notée au dos pour servir d'aide. L'autre solu­tion sera mentionnée comme solution possible.
Le tableau réalisé et utilisé régu­lièrement par les enfants est une ma­térialisation concrète et utile d'une situation de proportionnalité réso­lue. Ceci devrait aider à fixer dans les mémoires ce genre de situations qui s'avèrent difficiles à intégrer à cet âge. La fiche problème permet de revenir sur cette situation dans le courant de l'année et de retravailler de manière abstraite et purement ma­thématique.
Nikol Bonnissol