Le Nouvel Educateur n° 91

Septembre 1997

Des points d'ancrage toujours actuels pour favoriser l'expression écrite de l'enfant

Septembre 1997
Patrick Robo, membre de l’ICEM et Conseiller Pédagogique (34) analyse et commente quelques conseils pratiques issus pour la plupart de la brochure “comment démarrer ?” Guide pratique pour le débutant édité par Célestin Freinet. (les extraits de cette brochure sont écrits en caractères gras)
 
Les quelques conseils suivants sont donnés dans un ordre d’urgence, allant du démarrage sans matériel, vers une amélioration liée à l’acquisition d’outils pédagogiques nouveaux. Cet ordre n’est ni strict ni impératif. A chacun d’en tirer ce qui l’aidera le plus et de le personnaliser en fonction de sa classe et du contexte dans lequel il travaille.
 
 
Si vous n’avez aucun materiel dans votre classe et si nul (ni enfant, ni adulte) n’est entraîné à cette technique, vous pouvez introduire tout de suite le texte libre qui remplacera peu à peu les “rédactions imposées”. Vous nous demanderez des exemplaires de journaux scolaires... Pour que vos enfants voient comment d’autres enfants cmme eux s’expriment dans leurs classes.
Il est également conseillé avant de se lancer dans le texte libre, de consulter des ouvrages relatifs à cette technique (1) et, si possible, de rencontrer un praticien du groupe icem, afin de voir de plus près comment elle se pratique et comment elle intègre dans l’organisation coopérative de la classe (ou du moins comment elle peut aider cette organisation à se mettre en place). Mieux encore, est de venir assister à une réunion publique du groupe icem pour entendre des témoignages d’enseignants qui pratiquent déjà le texte libre dans leur classe (des éclairages différents pouvant s’avérer complémentaires). Lors de ces réunions, vous pourrez consulter et demander des journaux scolaires de diverses classes.
 
A jour fixe, une ou deux fois par semaine, les enfants lisent leurs textes libres à la classe. On vote pour choisir celui qui est le plus intéressant. On le met au tableau et vous l’utiliserez comme un texte de manuel pour la grammaire et le vocabulaire.
Le “danger” à éviter, car il tuerait la richesse que peut apporter le texte libre, est de l’utiliser uniquement comme support aux acquisitions scolaires de type grammaire, conjugaison, orthographe... Le texte libre est avant tout un moyen d’expression et de communication. Il est donc peut-être préférable de le mettre au tableau pour procéder à sa mise au point collective afin de le rendre expressif et communicable.
Quant au choix des textes libres, il n’est pas obligatoire de procéder par vote. On peut procéder à un choix suivant un ordre établi en classe . (dans ce cas, il n’est pas question “d’obliger” un enfant qui ne voudrait pas écrire un texte à le faire!) D’autres demandent à l’enfant à qui c’est de tour de choisir lui-même son texte parmi tous ceux qu’il a pu écrire. D’autres possibilités de choix adoptées par la classe, peuvent aussi exister.
 
Ce ne sera qu’un petit coin d’ecole moderne enfoncé dans l’appareil de la scolastique, mais vous en verrez tout de suite la supériorité sur les méthodes traditionnelles et sans vie. Vous n’en tirerez peut-être que 20% de ce que l’on peut attendre dans une classe entraînée, mais ce 20% sera déjà supérieur à ce qui existe actuellement.
Outre le fait que l’acceptation et l’accueil de cette expression libre au sein du groupe-classe permettront une reconnaissance et donc une valorisation (voire une revalorisation) de l’enfant, la technique du texte libre va apporter de la vie en classe et une base concrète, puisque basée sur le vécu, qui aideront l’enseignant à édifier son action éducative. Freinet écrivait en 1949 dans “les dits de mathieu” (en établissant un rapprochement entre les enfants et un fourneau) :
 
Donnez du tirage !... Le texte libre en est un excellent moyen !
Les i.o. Sont en général favorables à cette pratique très mesurée du texte libre dont on a constamment mesuré les avantages.
En 1997, les i.o. Sont plus que favorables au texte libre puisqu’elles le recommandent... Oui, il est permis de penser que le texte libre est devenu obligatoire pour les instituteurs.
Malheureusement et par effet de cascade, il est devenu obligatoire pour les élèves de certaines classes! N’est-ce pas le meilleur moyen de tuer le texte libre que de le rendre obligatoire ? Ne devons-nous pas l’aider à devenir de plus en plus libre dans le sens d’une expression libérée ?
 
Premiere motivation du texte libre:
Si vous ne faites qu’un texte libre scolastique, vous risquez que les enfants n’y prennent qu’un intérêt mineur et qu’ils s’en lassent. Il faut trouver une motivation à leur expression.
Cette motivation n’aura de véritable valeur que si elle est étroitement liée au desir de s’exprimer et de communiquer. D’où l’importance pour l’enseignant de s’attacher à faire naître ou renaître ce désir-là chez l’enfant.
Avant toute chose, ne serait-ce que par le fait de donner du sens au texte libre, sans jamais oublier, comme l’a écrit rené lafitte, qu’on ecrit la lecture des autres et qu’on lit l’ecriture des autres!
1°. Préparez un beau journal de la classe avec reliure à anneaux ou à boulons. Vous y insérerez tous les chefs d’oeuvre de la classe: textes libres choisis soigneusement recopiés et illustrés, beaux dessins, textes non-choisis mais qui avaient obtenu des voix. Ce sera comme un album d’honneur.
Cet outil s’avère indispensable, d’une part pour la classe en tant que technique de vie, mémoire du vécu, matérialisation de réussites, et d’autre part, pour toute personne extérieure à la classe (stagiaires, parents, visiteurs, supérieur hiérarchique) en tant que preuve tangible de ce qui se fait dans cette classe.
 
2°. Donner à chaque enfant un cahier d’expression libre où seront recopiés les plus beaux textes libres que vous aurez au préalable revus et corrigés si nécessaire.
On peut aussi donner un classeur qui jouera un rôle analogue à l’album proposé ci-dessus, mais qui sera individuel.
Les plus beaux textes libres pourront être ceux que l’enfant aura lui-même choisis, car ils seront “beaux” pour lui et surtout représenteront quelque chose dans sa pensée consciente ou inconsciente et sur le plan de son affectivité ! Sans oublier non plus que l’illustration de ces textes, de cet album personnel entre dans le cadre de cette expression libre.
Tout cela est possible dans n’importe quelle classe.
 
Motivation par l’echange interscolaire:
L’échange interscolaire est toujours souhaitable. Le plus délicat est de lui donner vie. La classe est emballée quand vous lui annoncez des correspondants. Et puis les lettres s’espacent; on attend des mois un colis. On perd le contact.
Cette technique de l’échange permettra, outre le fait de donner du sens à l’expression et à la communication, d’ouvrir la classe sur le monde extérieur et ainsi d’être en prise directe sur la vie. Quant à son aspect délicat, il n’est que trop réel sans être un argument de refus de se lancer dans un échange interscolaire. La meilleure façon de l’aborder étant de rencontrer des membres du groupe icem, praticiens de cette technique, et d’échanger avec eux, oralement et pourquoi pas par écrit. Pour trouver des classes avec qui échanger, la solution est là aussi, dans ce groupe icem.
 
Ce que nous apportons de nouveau, c’est une technique d’échange permanent, par...
Le cahier journal
Periodique:
Qui est envoyé régulièrement à vos correspondants qui vous envoient le leur.
Voici un moyen simple de journal scolaire réalisable sans matériel dans toutes les classes:
- vous prenez un, deux ou trois cahiers qui constitueront le journal. Les textes choisis, ou ceux qui en plus, seront reconnus comme intéressants, seront reproduits à la suite et illustrés dans le cahier-journal.
- a la fin du mois, ou même tous les quinze jours, vous envoyez ce journal à la classe correspondante qui vous envoie le sien. Par ce journal, vous prenez avec vos camarades des contacts de travail et de vie.
Pour l’élaboration de ce cahier journal, il n’est pas interdit:
- que l’adulte transcrive lui-même les textes,
- pour les enfants de niveau cp, d’y mettre des dessins libres, des textes se résumant à une seule phrase même courte,
- d’y ajouter quelques comptes-rendus de la vie de la classe, de recherches, d’enquêtes, etc.
 
Pour améliorer cette correspondance, vous ferez un échange de lettres et vous pourrez déjà avoir un rythme bénéfique de correspondance:
- un cahier journal tous les 15 jours,
- des lettres tous les 15 jours ou tous les mois,
- un colis tous les mois,
Tout cela, après entente avec vos correspondants.
 
Pour les lettres, il s’agit de lettres collectives (la classe écrit à la classe généralement pour commencer ce type d’échanges), et de lettres individuelles (un enfant écrit à un enfant) qui sont elles aussi, des textes libres, en totalité ou en partie.
Quant au colis, il peut contenir différentes choses, issues des productions de la classe, productions collectives et/ou individuelles. Ces échanges peuvent difficilement être plus fréquents mais ils peuvent très bien être plus éloignés dans le temps (sans trop quand même pour ne pas faire tomber l’intérêt et le plaisir). Inutile de préciser également que pour l’enrichissement de ces échanges, les enseignants correspondants doivent échanger entre eux à chaque envoi de lettres et même entre.
 
Tour cela est à portée de toutes les classes.
Le cahier journal dactylographie:
3 ou 4 exemplaires. Si machine à écrire, les textes pourront être tapés à 2,3,4 exemplaires (avec carbone), ce qui permettra une intensification des échanges.
Cette technique permettra aussi à chaque classe d’avoir deux ou trois classes correspondantes à la fois !
Bien entendu aujourd’hui on peut utiliser les services de la photocopie !
 
Le journal polygraphié:
Sans rien changer à votre travail, vous arriverez tout naturellement au journal polygraphié au limographe. Le texte élu est tapé ou écrit sur stencil et tiré à 40 ou 50 exemplaires pour les enfants et les correspondants.
Si l’on ne possède pas un limographe (outil de duplication rapide qui utilise la propriété des stencils perforés de laisser passer l’encre spéciale -pour duplicateur à encre- uniquement à l’endroit où ils sont percés. On peut s’en construire un et même plusieurs.
On peut réaliser un journal polygraphié au duplicateur à alcool. Et puis aujourd’hui... La photocopie est de plus en plus utilisée.
Par cette technique, chaque enfant de la classe et des classes correspondantes aura à sa disposition “personnelle” le cahier journal de la classe et celui de la classe correspondante.
 
Le journal imprimé :
Et vous arriverez naturellement, le moment venu, si vous en avez la possibilité, au journal imprimé. (voir toutes les indications techniques sur mon livre: “le journal scolaire” ).
Il existe maintenant d’autres moyens complémentaires permettant de s’équiper et de se lancer dans l’imprimerie en classe et dans le journal scolaire... Sans oublier bien entendu le traitement de texte sur ordinateur. Pour cela se renseigner auprès du groupe ICEM.
Attention la législation française impose à tout éditeur de journal (même scolaire) de le déclarer officiellement. Pour cela, demander les imprimés au groupe ICEM (ce n’est pas compliqué)
 
C’est peu à peu que les maitres et les eleves sentiront la supériorité de ces techniques.
Patrick Robo

 

 

 

 
 
 
Quelques compléments sur le texte libre:
sa définition:
(in vocabulaire de l’éducation, MIALARET G, PUF)
Souvent confondu à tort avec la rédaction libre. L’élève ou le groupe d’élèves écrit ce qu’il veut, quand il veut, sous la forme qu’il veut. Mais, ce morceau de vie, cette expression directe de la pensée intime de l’enfant ou de l’adolescent peuvent être explicitées, affinées, au cours d’échanges critiques, de confrontations entre l’auteur, un groupe de camarades, le maître, à la seule condition que toute intervention écrite s’inscrive dans la sensibilité et la vérité du texte.
Le texte libre ne peut porter tous ses fruits que par la correspondance, le journal scolaire, la coopérative, qui ajoutent à cette technique épanouissante de construction vivante de la langue, une dimension sociale et humaine.
 

 

 

Ecrire quoi ? Ecrire quand ? Avoir envie d’écrire ?

Septembre 1997
Bernard Collot, membre de l’ICEM et co-fondateur des Centres de recherche des petites strucutures de la communication (CREPSC),questionne l’entrée en écriture, il avance ses éléments de réponse aux interrogations que tout enseignant se pose lorsqu’il désire faire écrire ses élèves.
 
Voir l'article en pdf
 

 

 

 

 “Chez moi, “ils” n’écrivent pas”.
 “les miens” n’écrivent rien d’intéressant”... combien de fois avons-nous entendu ce refrain. Et combien de fois il a été la cause du découragement et du renoncement.
 D’abord il faut tout de suite tordre le coup à cette habitude qui autorise un enseignant à juger de ce qui est intéressant ou non. Nous jugeons intéressant ou pas d’après des critères totalement extérieurs à celui qui écrit. Souvent conformes à notre idée de la culture , à nos envies... ou à l’image de ce que les écrits des enfants donneront de... nous-mêmes. Les poèmes d’un Baudelaire, les tableaux d’un Van Gogh, la musique d’un Morrison ou d’un Berlioz... sont aussi les reflets d’un mal être, de souffrances... et aussi dûrement le moyen pour eux de vivre. Faut-il être malheureux pour écrire, peidre, sculpter... ? Faut-il produire des oeuvres^pour se permettre de créer, pour permettre de créer?
 Une fois pour toute, ce qui caractérise une création ce n’est pas l’impact qu’elle aura sur un public mais le simple fait d’avoir été créée. Et c’est dans ce fait seulement qu’elle est bénéficiaire à son auteur. Notre travail d’éducateur n’est pas d’émettre un jugement quelconque sur la valeur, mais de toujours la regarder comme telle.
 
 Ecrire n’est pas évident
 
 Mais écrire n’est pas évident... même et surtout quand on sait écrire. Je suis sûr que chacun d’entre vous en sait un peu quelque chose, vous qui “savez” écrire. Surtout écrire en laissant d’autres vous lire, surtout écrire pour que d’autres le lisent.
 L’acte d’écriture en lui-même est un phénomène que l’on devrait mieux analyser.
 Nous avons tous pu constater qu’on écrit pas ce qu’on dit ou que l’on ne dit pas ce que l’on écrit. La projection de soi dans les différents langages (corporels, graphiques, oraux... écrits) n’est pas la même et subit un certain nombre de contrôles spontanés et culturels. Ces contrôles pouvant vite devenir et devenant souvent des “blocages”. La forme du langage exprime elle-même une autre version de soi-même ou l’exprime très différemment.
 Les écrits font partie de ce que j’appelle les langages différés. Lorsque l’on parle, lorsque c’est le corps qui s’exprime, c’est l’expression instantanée et continue de soi. On a peu le temps de se voir. Ce sont souvent les autres qui nous renvoient l’idée de ce que l’on est de par ce que l’on a dit ou fait. Et ce renvoi est lui-même instantané, continu, diffus, irrégulier, imprévisible, parfois imperceptible. On peut même, ne pas se rendre compte de cette projection de nous-même, ne pas vouloir voir le renvoi des autres. Onn’a pas besoin de se représenter l’autre. On n’a même pas besoin de se “mettre” dans une situation de communication: dès l’instant où l’autre est là, il y a communication, même si elle nous échappe.
 
 Une projection de soi
 
 Avec les écrits, il en est tout autrement. C’est le support qui va recevoir d’abord notre image... et la renvoyer à nous-mêmes. La communication, c’est d’abord avec soi qu’elle va avoir lieu. Et il va y avoir deux décalages:
                - celui entre l’élaboration de la pensée, de la communication et le moment où cette pensée sera fixée sur un support et nous sera renvoyée. Entre ces deux moments, nous aurons changé.
                - celui entre le codage de la pensée et son décodage, ce dernier renvoie l’image de soi. Et une image forcément déformée ou transformée ou simplifiée ou caricaturée par le langage lui-même.
 Accepter de se projeter, accepter que cette projection soit l’image qui va m’être renvoyée et qui va être envoyée aux autres. Il n’est pas possible d’accéder à ce stade de la communication avec une identité incertaine.
 Nous ne répéterons jamais assez cette évidence: les langages se construisent dans des groupes, ce sont eux qui permettent au groupe et à l’individu d’exister. Avec cette récuscivité qui rend l’existence de l’un comme l’autre souvent difficilemais sans laquelle rien n’est possible. Les problèmes d’identité ne peuvent se concevoir que par rapport aux autres, et on ne peut être avec les autres que si on perçoit sa propre identité.
 Et dans l’écrit, l’Autre, ... c’est d’abord soi, les autres n’tant souvent que des potentialités, voir même des virtualités présentes dans un espace et un temps incertains. Il faudrait que l’un et les autres apparaissent de plus en plus nettement, que leur représentation soit de plus en plus réelle pour que puissent se déclencher les actes d’écriture. Et plonger dans cet espace-temps avec un nouveau langage ne peut être possible que si les autres langages ont déjà permis “d’être” dans un espace physique.
 
 Pas un problème de méthode
 
 Le problème de l’écrire-lire n’a donc pas grand chose à voir avec une quelconque méthode que des aveugles cherchent vainement depuis cinquante ans. Mais lorsqu’on l’aborde en ayant en tête ces quelques “fondamentaus”, tout devient différent.
 Voilà aussi pourquoi dans une classe unique, sans méthode savante, tous les enfants apprennent à lire et à écrire ! Le problème de l’écrire-lire est d’abord et avant tout celui de la construction et de l’existence de groupe. l’écrire-lire est alors indispensable pour étendre ses cercles et se rattacher à celui de l’humanité dans l’espace, le temps et l’imaginaire.
 Mais en attendant ! En attendant que tout cela se fasse... tout seul, comment faire pour provoquer, inciter à l’acte d’écriture ? Il y a quelques trucs !
 
 Des trucs !
 
 Il y a d’abord le dessin, la peinture. Tout enfantdevrait pouvoir dessiner quand il le veut, à tout moment... et quelque soit son âge. Et sans que cela soit un exercice, sans qu’il y ait des jugements de valeur portés sur son expression. Cela, tout le monde le sait,... mais on ne le considère pas souvent comme essentiel, plus essentiel qu’un exercice quelconque.
 Il y a ensuite l’utilisation d’autres outils des langages différés, en particulier le magnétophone. Pour moi, c’est au magnétophone que le premier acte d’écriture conscient est réalisé. Lorsqu’on peut s’en servir librement. Ce qui demande la résolution d’un problème d’organisation. J’ai toujours réussi à installer un atelier enregistrement, même dans un placard avec un casque. Et il faut que chaque enfant puisse y faire ce qu’il y veut, comme il gribouille pendant des jours avant qu’apparaisse une forme sur son papier. Qu’il puisse se ré-écouter, s’effacer, recommencer, faire écouter à un copain, y dire des “bêtises”, rire de ses bêtises.
 Et ce peut être aussi le premier acte de communication vraie: que fait la maman lorsque le petit lui fait voir son texte ? Neuf fois sur dix elle lui dit: “lis le moi!” De quoi dégoûter s’escrimer à mettre des mots pour les autres... quand les autres vous les font lire! Mais lorsque le petit apporte à la maman une cassette qu’il a faite à l’école, cette fois, la maman va être obligée de l’écouter ! CA y est, nous sommes dans un processus de communication ! Cet “écrit-lire” a du sens ! Il est très rare qu’un enfantqui peut s’amuser avec un magnétophone ne rentre pas rapidement dans l’écrit gutembérien.
 Il y a aussi la vidéo.
 
 Un maître qui écrit
 
 Et il y a des “trucs” liés directement à l’écrit.
 Le premier est ...d’écrire soi-même ! Un maître qui se met à écrire des poèmes, mais encore plus des “bêtises”, ça fait de l’effet ! surtout s’il met ses écrits affichés avec ceux des enfants.
 Et un maître qui n’écrit pas des choses si terribles que cela, qui danse mal mais qui danse, qui peint mal mais qui peint, qui chante mal mais qui invente des chansons... s’il le fait avec, comme les enfants cela peut être bien mieux que le maître artiste.
 
 Se laisser aller !
 
 Et puis il y a l’écriture automatique.? On l’utilise souvent la première fois que l’on se trouve face à une classe nouvelle qui est encore dans le contexte de “l’exercice”.
 Cela commence comme un exercice. Vous pouvez même prendre un air sérieux ou sévère. “Prenez une feuille et un crayon. A mon signal vous devez écrire sans vous arrêter même si c’est n’importe quoi, sans réfléchir”.
 Et il faudra probablement que vous soyez très sévère^pour empêcher dans le silence total, les crayons de s’arrêter ! Et les enfants vont souffrir. Au bout de quelques minutes, faites stopper les crayons, demandez à tout le monde de regarder ce qu’il a écrit, mais ne regardez surtout pas vous-même.
 Préparez la poubelle et demandez à tout le monde de déchirer et de jeter ce qu’il a écrit. Et régalez-vous de ce qui va se passer, de la stupéfaction, des hésitations puis de la joie. Ils ont tous fait cet exercice comme d’habitude, pour le “maître”. Et c’était pour la poubelle ! On pouvait vraiment mettre n’importe quoi !
 Lorsque vous allez le refaire pour la seconde fois, tout va changer. Il faudra encore surveiller les stylos qui se lèvent, les hésitations à écrire n’importe quoi, ême les onomatopées, à répéter dix fois le même mot si rien d’autre ne vient...
 Puis peu à peu, tous les écrits automatiques ne seront pas forcément déchirés. Certains voudront garder les leurs, peu à peu certains auront envie de vous les faire voir, peu à peu certains auront envie de les lire aux autres... et la partie sera gagnée !
 L’objectif de cet “exercice” est de sortir de l’enfermement “écrire pour le maître”, “écrire comme il faut”, écrire “des choses bien”, “écrire sans fautes”, “écrire après avoir réfléchi”. C’est aussi de se laisser aller à l’écriture, sans plus se préoccuper que du plaisir d’écrire. C’est presque inconsciemment se laisser aller à se projeter et, peu à peu, d’accepter sa projection de soi. Plus tard, on peut travailler cette projection, l’embellir, la compléter, la modifier... la rendre plus communicable, plus percutante...
 On peut faire de l’analyse des écrits automatiques. Mais après tout, est-ce que cela a vraiment de l’importance pour nous ?
 
 Rire ensemble
 
 Et puis il y a les jeux d’écriture. Issus comme l’écriture automatique des inventions des surréalistes. Le plus connu est le cadavre exquis. Une série de feuilles circule. On commence une phrase. Elle s’arrête incomplète au premier mot de la seconde ligne, on plie pour que la première ligne ne soit pas visible et on passe à son voisin qui poursuit à partir du mot visible. Au bout d’un tour chacun déplie la feuille et lit un texte... dont il ne sera l’auteur que de quelques mots ! Alors que de rire ! Que de plaisir !
 A partir de cette idée, toutes les variantes sont possibles: cela peut être le mot tournant, l’histoire tournante, l’injure tournante etc. (1)On cache, on ne cache pas.
 Et puis toutes les possibilités de détournement de proverbe ( “Pierre qui roule n’amasse pas d’allocations familiales”), de vers, de titres, d’articles ...
 Il n’y a plus qu’à laisser aller son imagination. Nous avons même fait pendant un an des jeux de ce type par télématique entre deux classes reliées par le fameux EXL100. Le texte de l’autre classe se lisait sur l’écran... et il suffisait de continuer en direct. Chaque séance durant vingt minutes. Vingt minutes de plaisir intense, de création permanente, de rire, de délire. Je me souviens en particulier d’un Zorro, coincé dans un tunnel qui en débouchait sur le dos d’une chèvre, de dialogues téléphoniques entre des interlocuteurs dont chacun ignorait la fonction etc.
 Dans cette situation, c’est le groupe qui devient important. De l’ensemble surgit le délire, un délire qui n’est plus intolérable puisqu’il appartient au groupe. Petit à petit on peut se libérer, laisser aller les mots, leur donner du sens. Pendant un temps on oublie la raison, l’orthographe, la syntaxe... l’écriture devient plaisir, nécessité, épanouissement, libération..
 Après... après vous avez beaucoup de travail pour corriger toute la production écrite de votre classe !
 Bernard Collot
article paru dans: “Ecole rurale, école nouvelle... Communautés nouvelles”
 
 1) Voir de Paul LEBOHEC “Ah ! vous écrivez ensemble”. Supplément à l’éducateur du 15.03.83. PEMF

 

La Méthode naturelle de lecture-écriture dans la lutte contre l'illettrisme

Septembre 1997

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 J'ai une chance d'apprendre.

 Pour la première fois
 je vais à l'école.
 Ernest (27 ans)
 
            Sommaire          
                                         
* Spécificité de la Méthode naturelle de lecture-écriture                                                                       
 
* La MNLE : mise en oeuvre dans les classes             
 
* La MNLE en trois tableaux 
 - Principe de la motivation                           
 - Principe d'apprentissage                          
 - Démarche pour accéder au code    
                 
* Pourquoi ? Comment ?
la MNLE, dans la lutte contre l'illettrisme           
 - Conditions de travail avec des adolescents ou des adultes en difficulté de lecture
 - Objectifs et moyens mis en oeuvre                 
                1 er objectif : restaurer l'estime de soi        
                2 ème objectif : sécuriser                        
                3 ème objectif : donner les moyens d'agir :                
- activités d'entraînement                                   
- production d'écrit                                      
- exercices d'entraînement visant à développer la " saisie directe "                         
- textes à découvrir                            
   - Conclusion    
                                    
Annexe : lettre aux familles des stagiaires
 
           
 
 
 
Spécificité de la Méthode naturelle de Lecture Ecriture (MNLE)
 
Partant de son vécu, de ses intérêts, celui qui apprend est l'élément dynamique de la construction de son savoir. Il est " détective " face à la langue écrite. Il applique une démarche scientifique : observer, comparer, déduire, cela en interaction avec ses pairs. Il utilise l'écrit : lecture et production d'écrits dans des situations de communication authentiques.
 
MNLE : mise en œuvre dans les classes
 
La MNLE pratiquée dans les classes bénéficie des activités de la classe coopérative. Ces activités permettent :
 - d'organiser démocratiquement les règles de vie du groupe,
 - de réaliser des projets de toutes sortes, des recherches...
 - de communiquer, ‚changer, en vraie grandeur : correspondance, réception et production de lettres, documents, compte rendus, textes imaginés, fax, écrans minitel ...
Cela place les enfants face à une variété d'écrits considérable, apportant un sens, nécessaire à la vie de la classe.
Les écrits sont toujours présents dans la classe pour le sens dont ils sont porteurs.
La vie coopérative développe l'habitude de réfléchir, de dire ce qu'on fait, pourquoi on le fait. Le climat de confiance qu'elle instaure permet de communiquer ce qu'on croit, de formuler des hypothèses. La confrontation au groupe permet de vérifier et de réajuster son savoir.
En MNLE, l'enfant est en situation de recherche face à l'écrit. Il prélève tout ce qu'il sait, il observe, il compare, il fait de remarques, les met en relation. Il les fait converger vers son but : comprendre ce que dit le texte. La priorité est toujours le sens.
Dans ces situations d'échange, l'enfant est amené à produire de l'écrit. Ses multiples rencontres avec des expressions, des mots, l'accumulation de ses expériences dans l'écrit, le conduisent à connaître, reconnaître des mots : il se constitue un lexique, en quelque sorte, un dictionnaire mental.
Aux situations de découvertes des écrits s'ajoutent des exercices d'entraînement. Ils visent à entraîner l'enfant à construire du sens à partir de groupes de mots prélevés dans des textes de référence, et à le familiariser avec ces mots, afin qu'il accède plus vite à leur reconnaissance. Il finit par en avoir une image mentale précise qui lui permet de les comparer de plus en plus spontanément et d'en découvrir l'analogie.
C'est alors que " c'est comme " devient l'expression clé de ses découvertes.
Il aborde alors les mots avec une double quête :
1. chercher à reconnaître d'emblée le mot pour son sens
2. chercher à percevoir à l'intérieur des mots des parties de mots connus (par exemple : le " man " de " mange " c'est comme le " man " de " manteau ").
Il est sur le chemin de la découverte du fonctionnement de la langue écrite. A terme, il aura construit des séries d'analogies diverses :
mardi, dimanche, dire
valise, chemise, grise
beaucoup, poule
merci,     piqûre
poisson
qui le conduisent à découvrir la fusion des phonèmes (combinatoire).
Ainsi, lorsque l'apprenant remarque la similitude des mots (ex : pour, jour...) et que par ailleurs, il a construit des séries telles que : fille, feu, farine ,
il devient capable d'utiliser la lettre d'attaque de la série " f " et la partie commune " our " de jour et pour ... pour décoder " four ".
Lorsque, ayant découvert cela, il peut le reproduire dans d'autres cas :
homme, comme, somme et papa, puce, pile pour lire " pomme ", 
il comprend alors qu'il a découvert le moyen de lire des mots jamais vus.
C'est pour lui un pouvoir nouveau.
Il va, à ce stade, s'essayer à l'appliquer partout. Bien sûr, aux mots qu'il cherche à lire, mais aussi aux mots qu'il reconnaît depuis longtemps et dans lesquels il se met alors à voir les éléments les plus fins du code qui les composent.
A partir de son capital de mots mémorisés, l'apprenant se constitue une liste de parties de mots (" ouge " de rouge, bouge, etc.), de syllabes les plus fréquentes du français, de phonèmes.
Lorsqu'il les retrouve dans des mots inconnus, il les met en relation quasi immédiate avec les mots qu'il a en mémoire.
A ce stade, non seulement il déchiffre de plus en plus aisément, mais surtout il entre dans la phase d'auto-apprentissage des mots (A. Ouzoulias *).
Le mot nouveau " phalange " est perçu par l'apprenant comme étant composé du " ph " de Philippe, de pharmacie, et de " ange " (comme mange).
Ce mot entre dans sa mémoire dès la première rencontre à cause du tri qu'il a dû faire dans ses connaissances pour réussir à le lire.
Ce mot est construit et reconnu avec ses spécifiats orthographiques. A ce moment-là, son dictionnaire mental s'accroît très rapidement.
 
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(1) A. Ouzoulias : professeur à l'IUFM de Versailles, coordinateur d'une équipe de recherche sur l'apprentissage de la lecture chez les 4-8 ans. Auteur de l'apprenti lecteur en difficulté, Editions Retz, Pédagogie pratique.
 
Depuis le début de l'apprentissage en MNLE, les apprenants se sont trouvés dans des situations authentiques de lecture et de production d'écrit (correspondance, projets, etc.).
La recherche du sens a toujours été la priorité. Les apprenants ont développé des aptitudes diverses :
- questionner l'écrit
- prélever des indices de plus en plus nombreux et pertinents
- faire des remarques sur le code
- tout cela les conduit à formuler des hypothèses, à les vérifier en fonction de leurs connaissances.
Enfin, comme on l'a vu, ils sont capables de décoder et de construire une mémorisation orthographique des mots.
Ils savent faire converger tous ces savoir-faire pour accéder au sens : ils savent lire.
 
 
 
 
 
La MNLE en trois tableaux
 
Principe de la motivation
 
1. Reconstruire l'estime de soi
    Exister par la trace qu'on laisse :
    d'où écrits témoignages de - ce qui touche                                                                  
                                               - ce qui concerne l'apprenant
 
   comme objets d'apprentissage.
 2. Se sentir Mot à dire      
    en étant en mesure d'agir de façon de plus en plus autonome
   grâce à des techniques d'exploration des écrits (plaisir de la découverte, se sentir capable de...)
 
 
Principe d'apprentissage
 
                                    Activités
 
d'entraînement
de découverte
      à partir de textes dont le sens est
connu
inconnu
s'entraîner à se repérer dans ces écrits
les explorer pour l'utilité, l'intérêt
localiser à coup sûr des mots, des expressions
prendre conscience des indices pernents
 
pour les réutiliser pour leur signification dans la production d'écrits
Réutiliser un mot pour son sens dans un contexte c'est
        une image graphique liée à une signification
         dès le départ l'orthographe est "indicateur de sens " (mère = mer)
Auto-construction du dictionnaire mental
Développement de stratégies de recherche de sens.
 
 
Démarche pour accéder au code (combinatoire, déchiffrage)
 
 
* Puisque graphie liée au sens, regard attentif sur la graphie d'où peu à peu prise de conscience  
- d'analogies (c'est comme maintenant, demain...)
- de différences (ce n'est pas comme une main = mince...)
d'où analyse fine de l'écrit
 * combinatoire (dernière étape)
Le déchiffrage est alors un savoir-faire parmi d'autres.
Il est utile 
- pour découvrir le mot qui manquait
- pour vérifier une hypothèse de sens.
Il n'intervient qu'en cas de besoin, mais l'apprenant est capable de l'appliquer à tous moments.
 
 
Pourquoi ? Comment ? La MNLE dans la lutte contre l'illettrisme
 
Conditions de travail avec des adolescents ou adultes en difficulté de lecture
 
Dans les associations de lutte contre l'illettrisme, le temps d'apprentissage est le plus souvent de l'ordre de deux à quatre heures par semaine, en relation duelle : un formateur, un apprenant ou en petit groupe. Ces contraintes nous obligent à aménager notre pratique de la MNLE.
On sait que, pour prélever du sens dans des écrits, la reconnaissance de mots est une nécessité. Ces mots constituent les points d'appui qui permettent la formulation d'hypothèses.
Cette reconnaissance d'expressions, de mots, se construit en classe grâce aux situations de vie déjà citées et qui impulsent de nombreuses occasions de les rencontrer et de les réutiliser.
Puisque nous ne disposons pas souvent de ces conditions dans la lutte contre l'illettrisme, à cause des contraintes de temps, d'espace, etc., nous essayons de favoriser la mise en mémoire d'un capital de mots en créant des situations d'entraînement comme celles que nous utilisons en classe mais qui, ici, prendront une plus grande place dans le temps consacré à l'apprentissage.
 
 
Objectifs et moyens mis en oeuvre
 
1er objectif : restaurer l'estime de soi.
 
Ce qui est déterminant pour que chacun s'approprie son savoir écrire-lire, c'est d'abord avoir la possibilité de partir de ce qu'il sait, de son vécu. Il s'exprime dans sa langue. Elle lui vient de l'intérieur, chaque mot est porteur de sens de l'intérieur, chaque mot est porteur de sens lié à ses expériences, à ses sentiments.
ça ne fonctionne pas à vide.
En effet, commencer à oser s'exprimer, c'est exister, attribuer une valeur à des événements de sa vie personnelle.
Pouvoir les communiquer, être écouté, c'est se sentir digne d'intérêt, c'est l'amorce du processus d'échange qui rend l'apprenant capable de s'intéresser aux autres. C'est le début d'une restauration de l'estime de soi sans laquelle on ne peut entreprendre aucun apprentissage.
 
2ème objectif : sécuriser.
 
Ces histoires que chacun raconte ont un double rôle : elles donnent à leur auteur le moyen de se valoriser, de livrer une information qu'il est heureux de faire connaître, elles lui confèrent un moment de pouvoir : source de plaisir.
Au début, l'apprenant n'a que très peu à dire, puis pour retrouver ce plaisir, il devient " énonciateur " de plus en plus précis parce qu'il vit plus intensément des événements de sa vie, ayant le projet de les raconter.
Ces récits, ces témoignages sont transcrits par le formateur et gardés en mémoire dans un recueil qu'on peut appeler " livre de vie ". Cette trace écrite restera ancrée dans la mémoire de l'apprenant, d'autant plus fortement qu'elle sera chargée d'affectivité.
Ces récits issus de sa vie, le placent en terrain connu et réduisent le sentiment d'insécurité face à l'écrit et servent de support de lecture.
Proposer des lectures traitant de données complètement étrangères à la vie des apprenants déclenche l'angoisse et augmente les difficultés d'accès au sens.
Il reste une cause d'insécurité : la démarche proposée est contraire à ses représentations mentales concernant l'apprentissage de la lecture.
Pour lui, lire, c'est connaître les lettres et les "marier".
Ainsi, lorsqu'il reconnaît le nom d'un supermarché, le nom de sa rue, le prénom de ses enfants, il pense qu'il ne lit pas.
Si on lui propose des activités partant des textes, pour prendre conscience qu'ils sont constitués de phrases, pour arriver aux mots, eux-mêmes constitués de sons (phonèmes), il ne pourra pas adhérer à cette démarche.
 
Cela démontre la nécessité de consacrer du temps à la lui expliquer dans son ensemble, en lui prouvant que les compétences qu'on vise à lui faire acquérir sont celles utilisées à chaque instant par un lecteur chevronné.
 
Texte proposé aux apprenants :
 
     Pour apprendre à lire,         
     on fait entrer                
     beaucoup de mots                    
     dans notre tête.                 
     Un jour, on verra                
     des morceaux pareils           
     dans nos mots.                   
     On dira " C'est comme..."       
     On démontera
     tous nos mots,                  
     pour fabriquer                   
     tous les autres mots.           
                             
Travaillé comme tous les autres écrits, objets d'apprentissage (voir plus loin), appris par coeur, ce texte les rendait capables d'expliquer à autrui pourquoi et comment ils travaillaient. Cela a constitué un moyen de les aider à adhérer aux exercices proposés et donc un élément important de motivation et de persévérance.
De plus, il faut penser à informer sa famille. En effet, si son entourage familial sait lire, il est prudent de prendre la peine de le faire adhérer aussi à la démarche d'apprentissage de la lecture. Sinon, il risque de nier l'utilité des exercices proposés et ainsi démobiliser l'apprenant.
Voir document annexe (p. ) : lettre aux familles des stagiaires, envoyée après un mois et demi de travail (stage de 6 mois), alors qu'ils partaient pour dix jours de vacances.
 
3ème objectif : donner les moyens d'agir.
 
Les textes objets d'apprentissage sont de deux types :
- ceux formulés par l'apprenant dont il connaît le sens, et qui vont donner lieu à des activités d'entraînement,
- ceux extraits d'écrits aux fonctions très diverses, dont le sens est à découvrir (extraits de journaux, invitations, publicités, lettres, poèmes, etc.) qui vont donner lieu à des activités de recherche.
 
1. Activités d'entraînement
Exemple : le texte de Jean-Michel
 
    Mercredi 16 octobre
    Eric est parti
    de la maison.
 
    Il est allé
    chez son copain
    qui habite à 4 km
    près du Mammouth.
 
    Annie et moi
    on a eu très peur.
    On a appelé la police.
 
    Heureusement, on l'a retrouvé.
 
L'apprenant dicte ce texte au formateur. Celui-ci l'écrit en le fragmentant en groupes de sens (un par ligne) afin d'apporter une aide au repérage.
Pour situer " chez son copain " l'apprenant récite en faisant coïncider ce qu'il dit, ligne par ligne, et ce qu'il montre. Il sait ainsi ce que porte chaque ligne. Il s'arrête de réciter lorsqu'il montre et prononce " chez son copain ".
Pour que l'apprenant puisse agir avec de l'écrit, nous devons le doter d'une technique d'exploration.
 Pour cela, nous allons lui donner des consignes rigoureuses à partir desquelles, dès le départ de l'apprentissage, il sera capable 
- de se repérer dans l'espace du texte,
- de localiser des unités de sens pour les prélever et les réutiliser.
Consignes de la technique d'exploration
- savoir par coeur le texte (la mémorisation est facilitée puisque l'apprenant a vécu l'événement),
- réciter ligne par ligne (sans mot oublié, sans mot ajouté) en suivant de façon synchrone ce qu'il dit et ce qu'il montre,
- s'entraîner à développer ce savoir-faire qui est la première condition d'autonomie puisqu'il permet à l'apprenant, pour chaque texte :
    - de savoir ce qu'il contient au niveau du sens exprimé
    - d'être capable de situer telle expression, tel mot et d'y associer la signification du texte.
Pour l'apprenant, le fait d'avoir en mémoire le sens exprimé par chaque texte et d'avoir une technique pour accéder à l'expression ou mot dont il a besoin, lui donne le pouvoir dès le départ de l'apprentissage, de produire de l'écrit en le réutilisant.
L'apprenant formule ce qu'il veut exprimer. Au début, le formateur l'aide à trouver ce qu'il cherche et qui est contenu dans le texte, puis il donne ce qui manque. Cette démarche de recherche dans l'écrit de référence oblige l'apprenant à de nombreuses relectures du texte origine. Lorsqu'il a situé où est le mot qui lui est nécessaire, il est amené, pour l'écrire, à fixer plusieurs fois son regard sur ce mot modèle.
Ce travail de production d'écrit fait appel à plusieurs mémoires : mémoire du sens du texte, mémoire des actions qu'il réalise pour accéder au mot, mémoire de l'espace du texte (où est situé le mot, avant, après tel autre mot...), mémoire gestuelle de quand il l'a écrit.
Tout cela déclenche un commencement de mise en mémoire visuelle de l'allure graphique du mot. La somme de ces tâtonnements aboutit jour après jour à une mise en mémoire de plus en plus achevée d'un certain nombre de mots qui constituent son capital-mots, son " dictionnaire mental ".
 
2. Production d'écrit
 
C'est vraiment le travail qui accélère, renforce l'aptitude à saisir d'emblée des indices de sens dans le texte, et qui, à terme, permet la reconnaissance sûre et rapide de nombreux mots et expressions.
Ces mots reconnus d'emblée, en saisie directe sont les points d'appui de la construction de sens. C'est grâce à cette compétence qu'on a une lecture rapide qui ne demande au lecteur qu'une faible dépense d'énergie (économie mnésique, comme le dit A. Ouzoulias).
Ces mots fortement mémorisés impulsent des comparaisons spontanées et, de là, la découverte des parties communes dans les mots. Le raisonnement par analogie permet la réalisation de séries qui mettent en évidence des éléments du code, et finalement le " pouvoir déchiffrer " (voir ci-dessus, mise en oeuvre de la MNLE dans les classes).
Ces parties communes ( " man " de " mange ", etc.) sont lues d'emblée comme les mots dont elles sont issues, c'est ce qui permet un déchiffrage aisé. Il est évident que la mise en série de ces parties semblables constitue un classement orthographique. L'apprenant qui trouve que " main " c'est comme " demain " et pas comme " mince ", qui est lui-même comme " chemin " et comme " invite " n'oubliera pas l'orthographe de ces mots, puisqu'il les met en relation pour leur particularité orthographique.
 
3. Exercices d'entraînement visant à développer la " saisie directe "
 
En effet, puisque c'est grâce à la saisie directe que la construction du sens et la maîtrise du code sont facilités, nous proposons des exercices d'entraînement.
En début d'apprentissage, le fichier LIRE 1.1 est un auxiliaire précieux qui propose au formateur des batteries de fiches visant à amener l'apprenant à :
 - chercher du sens à ce qui est écrit,
 - mémoriser des phrases, expressions, groupes de mots (en travaillant surtout la mémoire immédiate : la nécessité de retourner plusieurs fois la fiche oblige à photographier, enregistrer des mots ou groupes de mots),
 - comparer pour construire un raisonnement par analogie (c'est comme), déduction ou élimination,
 - éduquer la perception visuelle.
Les exercices donnent toujours la priorité au sens.
A partir des textes de références, par permutation des unités de sens, on construit d'autres textes porteurs de sens.
Exemple :
 
Eric est parti                 
il est allé
près du Mammouth.    
 
Eric est parti
il est allé
chez son copain.
 
Eric est parti           
on a appelé la police.
 
Eric est parti
heureusement on l'a retrouvé.         
 
Ils ont pour objectif d'entraîner à construire du sens. La fréquence d'utilisation des mêmes expressions et l'obligation d'appliquer la technique d'exploration dans le texte origine (réciter, situer telle expression) provoque maintes relectures en situation de recherche.
Ces exercices pour chaque texte, et le mélange des expressions de un, deux ou trois textes, tout cela contribue à la mise en mémoire, enrichit le capital mots. Cette mise en mémoire, on l'a vu, aboutit à " pouvoir déchiffrer ".
 
4. Textes à découvrir.
 
Parallèlement à tout ce travail qui revient, en somme, à la saisie de données écrites dans le cerveau en même temps qu'on s'entraîne à construire du sens, nous proposons à l'apprenant des textes à découvrir. C'est là qu'il questionne l'écrit, qu'il prend en compte tous les indices de sens non linguistiques (illustration, support, forme, typographie) et les mots reconnus d'emblée, qu'il saisit directement et à partir desquels il formule des hypothèses.
Ce travail de découverte est indispensable. C'est là que l'apprenant est confronté à la variété des écrits qu'il rencontrera dans sa vie quotidienne et dont il aura besoin.
En fonction de son attente, il apprend alors à sélectionner le type d'écrit qui convient, il se familiarise avec la forme et l'organisation de cet écrit, il découvre les indices pertinents qui le conduiront à adapter son comportement et à utiliser la stratégie efficace.
C'est ce qui lui permet d'intégrer divers acquis en une compétence globale, de les relier les uns aux autres en un système qui se perfectionne au cours du temps.
Le travail sur les textes de vie, les exercices d'entraînement visant à lui donner les moyens de saisie directe et les stratégies de construction de sens, les textes à découvrir qui permettent la formulation d'hypothèses et la prise d'indices pertinents, la production d'écrits, l'ont conduit au savoir-lire.
Pour renforcer les stratégies de construction de sens, le fichier LIRE 2.1 apporte au formateur des situations de lecture conçues en fonction d'objectifs très précis.
 
En conclusion
 
L'apprenant possède maintenant
 " des représentations claires de la lecture et de son apprentissage, cela l'aide à lier ses acquisitions les unes aux autres, à comprendre quelles contributions spécifiques chacune peut avoir dans l'acte de lecture, considéré dans sa totalité, ne pas accorder à l'une de ces compétences plus que ce qu'elle vaut... Faisant l'unité de cet apprentissage complexe, elles sont la boussole de l'apprenant dans son cheminement vers le savoir-lire ".
A. Ouzoulias, L'apprenti lecteur en difficulté, Editions. Retz.
Etant donné que l'apprentissage a eu lieu alors que l'apprenant était en position de recherche face à l'écrit, il s'est construit un savoir personnalisé et autonome.
La dynamique de réussite est lancée. Il ne manquera pas de continuer à s'apprendre à lire/écrire.
C'est un processus vital d'acquisition qu'il pourra appliquer à d'autres apprentissages. Il se sait capable, il a mot à dire dans sa vie.
Chantier outils de l'I.C.E.M
 
 
Lettre aux familles des stagiaires
 
Pour que la famille du stagiaire comprenne son travail au stage, pour que chacun puisse s'entraîner, parler de ce qu'il fait pour qu'il puisse être aidé, encouragé, je vais expliquer :
- Comment nous faisons
- Pourquoi nous pratiquons ainsi
- Comment ça avance pour réussir à lire en comprenant, car "savoir lire" c'est comprendre ce qu'on lit.
Souvent on croit que si on sait le nom des lettres, et si on les accroche, on va lire ! ...
Mais les lettres peuvent s'accrocher de plusieurs manières et en plus elles ne font pas toujours le même bruit (ce, ça etc ...)
Ainsi lorsque vous voyez (ma) vous essayez de dire "ma", et si c'est dans "maison", ça ne va pas.
Si c'est dans "maintenant", dans "mauve" etc ... ça ne va pas et justement c'est très souvent comme cela.
Qu'est-ce qui peut me dire combien de lettres je prends ensemble ?
En faisant comme cela, en s'essayant à accrocher les lettres, on fait des bruits de morceaux de mots, on ne comprend rien, on se décourage.
Et c'est exactement ce qui est arrivé au stagiaire jusqu'à maintenant.
Alors nous, comment allons-nous faire ?
- On va d'abord s'entraîner à retrouver des mots qu'on sait, ça nous dira déjà un peu de quoi parle cette histoire.
- On va s'entraîner à bien savoir tout ce que nous racontent ces textes qu'on connaît (de notre classeur). On s'entraîne pour devenir capable de retrouver dans les textes de plus en plus de mots.
Cela demande environ 3 à 4 mois de travail pendant lesquels on va :
- relire, redire les textes
- s'entraîner à reconnaître les étiquettes
- lire, en s'aidant des textes du classeur, tous les petits textes  
 inventés avec les mots des textes.
Travail qui consiste aussi à écrire, inventer soi-même des textes avec les mots des textes connus.
Tout ce travail, quand chacun a compris comment s'y prendre, chacun peut s'entraîner tout seul. Il le peut s'il le veut.
Grâce à tout cela, nos yeux, notre mémoire a pris l'habitude de bien regarder les mots, on en reconnaît beaucoup et là, on commence à voir des mots qui ont plusieurs lettres accrochées de la même façon.
Par exemple : parce qu'on sait bien reconnaître main lorsqu'on se trouve en face de demain on est capable de le lire sans hésiter et aussi lorsqu'on rencontre maintenant on voit que c'est comme main, et là on sait tout de suite que dans ce mot ce qui va ensemble, c'est m a i n.
Ainsi lorsqu'on a dans sa tête un bon nombre de mots qu'on reconnaît vraiment bien, on se met alors à voir tous les morceaux de mots
par exemple :
dans      /ge/nou
dans  rou/ge/
on voit /ge/   on entend ge (genou)
 C'est (nou) qui reste
 et dans  rou ge il reste (rou).
Alors, dans tous les mots connus, le même travail s'effectue et ce jour-là on devient capable d'accrocher les lettres comme il faut sans hésiter, rapidement, parce qu'on y reconnaît des morceaux des mots qu'on connaît bien.
Comme on trouve vite, on comprend mieux.
On lit avec tous les mots qu'on sait et avec tous les mots qu'on peut fabriquer.
On n'hésite pas, parce que dans le mot qu'on cherche, on voit toujours un morceau d'un autre mot qu'on connaît bien, et ainsi, on sait qu'on a le moyen de s'en servir.
En apprenant tous les jours des mots nouveaux, on retrouve des choses qu'on a déjà vues dans d'autres mots, ça devient donc de plus en plus facile de se mettre ces mots dans la mémoire.
En remarquant que dans   lapin
c'est comme dans  pomme de pin
alors que dans du pain ce n'est pas pareil,
on s'apprend à faire le bruit pin ou pain
mais en plus on sait que si on lit ou si on écrit à propos du pain qu'on mange, il faut p a i n .
on sait écrire le bon mot, la bonne orthographe.
On peut être compris par les autres qui lisent nos lettres.
A la fin de tous ces travaux on sait lire et écrire juste, on sait faire attention aux mots pour mieux les reconnaître.
Alors, allons-y. Lisons, relisons nos textes. Cherchons à reconnaître des mots partout et écrivons, écrivons beaucoup.
 Danielle De Keyzer
                                       
 
 
Bibliographie
Autour de la Méthode naturelle de lecture-écriture...
 
C. Freinet : Méthode naturelle de lecture, in Oeuvres pédagogiques, tome 2, éditions du Seuil. 1994.
 
ICEM : Lire Ecrire (I), les modèles de lecture, vieux débats et lueur d'espoir. Lecture et production d'écrits en maternelle et CP.
ICEM : Lire Ecrire (II), au primaire, ateliers de lecture dans un CE1-CE2. Lecture et mathématiques. Lire au collège.
ICEM : Lire Ecrire (III), Lecture... apprentissage technique ou formation de l'homme ? Lire naturellement. Ateliers de lecture au CM. Etc.
ICEM : Lire Ecrire (IV), s'apprendre à écrire-lire par la Méthode naturelle de lecture.
(Editions ICEM-pédagogie Freinet, 18, rue Sarrazin, 44000 Nantes).
 
         L'art de donner
 
Je donne du fond de moi-même
pour toujours.
                  Roland
 
Je trouve que Maxime travaille beaucoup.
                  Cadeau de Gina
 
Dans la vie, je donne du fond de mon coeur.
                  Raymond
 
Pour moi, donner,
    c'est donner beaucoup d'amour,
          donner son coeur
          et garder ses larmes.
                                              
                  Ernest
 
Pour moi, donner, c'est partager ce que j'ai avec des gens.
Ce que je donne, je le fais de bon coeur.
Ca me fait plaisir de savoir qu'ils vont manger.
                  Marie-Ange
 
Pour moi, donner c'est me faire plaisir
                       et faire plaisir       
                       aux autres.
                                               
                  Cyril
 
Donner, c'est donner de l'amour
à mon bébé pour toujours.
 
                  Christine
 
Donner, c'est avoir du coeur,
        c'est partager
        c'est faire plaisir.
                                                   
                  Véronique
 
Pour être bon, il faut avoir connu la misère.
C'est ceux qui ont le moins
           qui donnent le plus.
                  Jacques D.
 
On n'a qu'un petit bout de pain,
on peut le partager
        la gentillesse
        écouter quelqu'un
        c'est déjà donner
                   aider.
      
                  Colette
 
        L'école
 
Aujourd'hui on peut
se défendre
on dirait " on existe "
            on est " égal "
            on est ici pour apprendre
On peut aider nos enfants.
 
    Texte de groupe
 
 
J'avais un peu honte de moi-même.
J'ai été aidé par une amie.
Elle m'a poussé à venir apprendre à lire et à écrire.
                      Roland
 
 
Parallèlement au travail avec les apprenants depuis 1991, Danielle De Keyser a été amenée à assurer la formation des bénévoles à la pratique de la Méthode Naturelle de Lecture-Ecriture, d'abord au sein d'une association localeé puis pour des organismes de formation de la région Poitou-Charente, et aussi pour le collectif d'Alphabétisation de Bruxelles.
Depuis deux ans, elle suit le travail réalisé par les coordinatrices avec les apprenants et les bénévoles ; ces dernières sont arrivées à un niveau de maîtrise certain en ce qui concerne à la fois les objectifs successifs et globaux de la MNLE et sa mise en pratique.
La MNLE est devenue la démarche d'apprentissage de l'association. Elle permet à la fois la formation continue des formateurs, une concertation entre les formateurs et les coordinatrices et une évaluation comparée des avancées des apprenants.
 
 
D'après l'enquête sur les conditions de vie en France de l'INSEE, réalisée en 1993-1994 plus de 2300000 personnes adultes déclarent rencontrer des difficultés de lecture, d'écriture, de maîtrise ou de compréhension du français. Parmi celles-ci, 355000 disent ne pas savoir très bien lire, et ne le font presque jamais. D'autres ont de grandes difficultés pour écrire. Plus d'un million disent ne pas savoir rédiger un chèque lisiblement et sans risque d'erreur.
A cette échelle on ne peut pas considérer qu'il s'agit d'une accumulation d'échecs individuels, résultant de problèmes personnels, de troubles mentaux ou de scolarités perturbées. Le problème apparaît d'emblée comme social par ses causes et surtout par ses conséquences.
Source : "Sciences Humaines" N° 57 Janvier 1996 
 

 

La maîtrise remarquable de l'écrit comme condition d'accès à la citoyenneté

Septembre 1997
Survivre dans notre société sans l'écrit est sans doute possible, mais peut-on alors exister socialement, et de manière "citoyenne" ?
Pierre Bourdieu, dans son pamphlet "sur la télévision" montre la manière éhontée avec laquelle celle-ci nous berne sans arrêt. Que deviennent les téléspectateurs assidus et sans recul devant ce média très envahissant alors que l'écrit, les écrits, nous permettent une mise à distance des problèmes, l'ouverture et la confrontation à d'autres points de vue?
C'est bien ce qui confère à ce dernier ses enjeux fondamentaux : enjeu social, enjeu citoyen, enjeu politique.
 
l'article en pdf
 
Illettrisme et analphabétisme
 
Les illettrés et les analphabètes n'ont pas accès à l'écrit. Les uns, sont ceux qui n'ont jamais appris à lire malgré la fréquentation de l'école ou qui l'ont désappris, les autres, sont des immigrés qui ne possèdent pas la lecture et l'écriture ni dans leur pays d'origine, ni en France. Les chiffres divergent quant au pourcentage de la population qu'ils représentent, en raison des critères aléatoires utilisés devant la difficulté à les recenser. Rappelons les résultats significatifs de l'évaluation nationale réalisée à l'entrée en 6ème : 20 % des enfants accèdent à ce que l'on appelle la lecture remarquable, c'est à dire qu'ils en perçoivent l'explicite et l'implicite, 30 % comprennent le texte mais n'en font pas une lecture "remarquable", 30 % ne sont pas en mesure de donner un sens global au texte et ne peuvent répondre que partiellement, 20 % ne possèdent pas les compétences de base. A la lumière de ces résultats, il serait juste de se demander si l'école ne fait pas encore plus mal qu'avant. Il est indéniable que le niveau monte pour les meilleurs, mais que, par contre, les écarts se creusent avec les moins bons.
Les élèves en difficulté naissent-ils tous dans des couches socio-culturelles défavorisées et faudrait-il admettre que les pauvres engendrent des non-intelligents ? En fait, l'école reproduit les niveaux dont elle a besoin tout comme dans l'apprentissage de la lecture les mêmes schémas reproduisent les mêmes résultats. Où se situent les futurs illettrés, ceux que l'on va retrouver dans quelques années dans des stages de base, de remise à niveau ou de réinsertion ? A partir de quel moment peut-on qualifier quelqu'un d'illettré lorsque, officiellement, on le définit comme "une personne qui ne peut pas se débrouiller avec l'écrit" ?
Des jeunes de C.F.A (Centre de Formation d'Apprentis) en BEP, option menuiserie ou maçonnerie, interrogés sur leur pratique d'électeurs - ils venaient d'avoir 18 ans et cela se passait entre les deux tours des élections présidentielles - avouaient n'avoir lu aucun journal, aucune profession de foi puisqu'ils n'y comprenaient rien et que cela les ennuyait profondément. A la question : "mais alors, comment avez-vous fait votre choix ?", ils ont répondu à l'unanimité et sans concertation entre eux qu'ils avaient entendu des slogans ici ou là, et qu'il y en avait un qui les avait accrochés (comme par exemple la diminution du service militaire à 6 mois). Quel niveau de lecture possèdent ces jeunes qui ne sont pas considérés comme "illettrés", puisque si on leur donne un texte de dix lignes, simple, ils parviennent à lui donner un sens ? Qu'entendent-ils par "vote", quelle conscientisation ont-ils de leur devoir de citoyen, quel statut ont-ils ? Ils sont ou vont être bientôt insérés dans le monde du travail : avec quelle possibilité de réfléchir leur vie et de la maîtriser ?
Il est facile d' imaginer qu'une part importante de la population en est là de sa fréquentation de l'écrit.
Les méthodes de lecture ont-elles évolué ?
 
La manière d'entrer en lecture n'a pas été modifiée depuis des décennies malgré les apparences. Aucun des manuels d'apprentissage, passés au travers des mêmes grilles d'observation qui mesurent successivement la variété des textes supports, les situations de lectures, les unités linguistiques et enfin les types d'écrits (narratif, descriptif, injonctif etc...) ne résiste. Le départ est plus ou moins global avec un look plus ou moins moderne, mais rapidement, la décomposition en syllabes et sons survient et se poursuit tout au long de l'apprentissage. Les soi-disant textes ne sont que des prétextes à apprendre des sons et lorsqu'ils se veulent un peu plus élaborés,, ils ne sont que de l'oral transcrit. Parmi les types d'écrits rencontrés, on trouve surtout du narratif et de l'injonctif. Il faut déjà être assuré d'avoir à lire ailleurs des écrits passionnants pour se mettre à lire. C'est sans doute ce qui arrive à l'enfant qui ne "fait" aucun sens et qui ne sait pas à quoi va lui servir tout cet ennui plus tard. Il est en possession de toutes les raisons pour ne pas apprendre à lire correctement. Des Inspecteurs Généraux osent encore affirmer sans sourciller que, bien sûr, il faut faire du sens sur de vrais textes, de qualité littéraire et in extenso, mais qu'en parallèle, l'apprentissage du code est réalisé à partir de supports dénués de sens. Combien d'élèves supplémentaires vont accéder rapidement au niveau maximum de la lecture avec de telles pratiques ?
Des jeunes de 16 ans qui aboutissent en classe de 3ème insertion, l'expriment clairement : "A l'école, je m'ennuie depuis la maternelle. Je n'ai jamais rien compris. Que voulez-vous qui change maintenant ?" La situation d'exclusion est évidente : qui exclut l'autre ? L'absence d'écrits qui fera de ces jeunes des exclus ou bien l'exclusion qui en fera des non utilisateurs d'écrits ? A l'école, ou en stages, les résultats obtenus, en général, ne sont pas en rapport avec l'énergie dépensée, la conscience professionnelle et la bonne volonté de tous. Les méthodes d'apprentissage utilisées en stage de "formation de base" ou d'alphabétisation répondent la plupart du temps aux mêmes critiques que celles du CP. Beaucoup de personnes bénévoles sont dans la générosité, la solidarité, voire le charismatique et viennent donner un coup de main à "ces pauvres gens qui en ont bien besoin". Quant aux formateurs, ils sont bien d'accord sur la nécessité d'ancrer les apprentissages sur la réalité, mais la pratique ne résiste pas souvent aux tentations de retrouver les démarches habituelles rassurantes et qui répondent aux représentations de tous. A vouloir rester "au plus près" des demandes des formés, il est fréquent de constater une utilisation minimale de l'écrit. Les formateurs imaginent toujours leurs apprenants comme incapables de rentrer dans le complexe. Lorsque certains d'entre eux, convaincus de la nécessité de transformer les pratiques, introduisent des textes dans leurs cours, il n'est pas rare qu'ils se retrouvent interpellés par leurs stagiaires avec un "quand est-ce qu'on travaille ?" Travailler les représentations des apprenants modifie l'approche qu'ils ont de l'apprentissage. Paolo Freire parle des différentes "représentations magiques" qui conduiraient les apprenants à s'imaginer qu'il suffit de dire que l'on veut apprendre pour savoir, des "représentations fatalistes" qui conduisent à se dévaluer en pensant qu'une fois pour toutes, "c'est pas ma faute, je suis comme ça", des "représentations conscientisées" qui mènent à la compréhension et à l'analyse de ce qui se passe lorsqu'on apprend.
"L'inconscient est une des entraves principales au changement" nous dit Jérôme Bruner.
 
Lire, c'est comprendre
 
La lecture, discipline transversale, conditionne les résultats dans toutes les autres matières et même en mathématiques puisqu'on sait que ceux-ci dépendent beaucoup de la capacité à lire les énoncés (voir Stella Baruk).
Comprendre l'ensemble du déroulement global d'un texte et ce qui se cache derrière les mots, nécessite de s'y entraîner très vite et percevoir les enjeux d'une telle lecture permet de ne pas laisser aux autres des pratiques diversifiées et fines qui augmentent le clivage dont nous parlions plus haut. Lire n'est rien d'autre qu'être capable de lire autrui en comprenant les intentions qui se trouvent derrière les mots afin de mieux se comprendre soi-même. Pour atteindre un tel résultat, il faut se doter des moyens en rapport avec ses ambitions. Voulons-nous que seulement quelques-uns accèdent à cette lecture élaborée qui livre accès à la citoyenneté alors que les autres se débrouilleront avec l'écrit de survie grâce au déchiffrage des "écrits de marquage" ?
 
Lire et produire, mais pas dans le faire semblant
 
"L'Homme de dialogue, qui est un homme critique, sait bien que le pouvoir de faire, de créer, de transformer, appartient aux hommes, mais il sait aussi qu'ils peuvent être, dans la pratique, aliénés et privés de ce pouvoir... Sans cette foi dans l'homme, le dialogue est une comédie. Il se transforme, dans la meilleur des hypothèses, en une douceureuse manipulation paternaliste..." Paolo Freire.
Lire et produire sont les deux pôles inséparables de l'apprentissage. Cette prise de distance sur sa vie, que permet l'analyse de situations, n'existe qu'au travers d'une production d'écrits : structurer le conjoncturel vers un pouvoir conscient. Quelques conditions sont indispensables pour accéder à la maîtrise de l'écrit. La première condition concerne le statut de la personne responsable et engagée dans une action ainsi que son statut de lecteur qui ne sera possible que si on lui donne à lire de vrais écrits. La deuxième condition, c'est de rencontrer l'écrit en situation, quand on en a besoin pour le travail, pour les activités réelles, recherches, productions diverses afin de les comprendre et de les analyser.
"Le faire semblant inspire toute la pédagogie... On apprend pour savoir faire, pas en faisant véritablement... et tout ce qu'on apprend dans ce faire semblant est sans pouvoir sur la réalité, car il y a manque de confrontation globale avec elle, la prise en compte de la fonctionnalité sociale de l'action". Jean Foucambert.
N'avoir aucun pouvoir de décision dans sa vie, ne peut pas inciter à utiliser des écrits pour la réfléchir. N'avoir aucune raison de lire entraîne la non-lecture. L'apprentissage et l'utilisation de ces écrits se situent entre le savoir et la nécessité de lire que l'on a. Souvent, on constate qu'exprimer le désir d'apprendre est un leurre lorsqu'on occupe une place marginale dans la société. Les raisons invoquées sont erronées et cachent des réalités plus complexes. Les formateurs en témoignent fréquemment, en expliquant que depuis de longs mois, et malgré beaucoup d'efforts, "ça ne décolle pas". Si, pendant des années, dans un lieu réservé à cet effet, il n'a pas été possible de passer à la maîtrise de l'écrit, comment imaginer soudain que quatre mois de stage intensif ou quelques heures de cours par semaine, puissent parvenir à modifier le résultat ? La nécessité d'être impliqué dans un projet réel, au travers duquel l'individu acquiert un statut et ressent la nécessité absolue d'utiliser l'écrit, créera la situation d'apprentissage.
Le formateur médiateur reste vigilant à la démarche qui permet l'accès à l'autonomie. Il aide à la prise de distance indispensable - métalexique et métacognitive - à partir des erreurs, des tâtonnements, des réussites.
"Toute pratique éducative qui se propose d'accroître la puissance de l'esprit doit mettre au centre de son activité l'action de penser, l'acte de penser". Jérôme Bruner.
Anne Valin
 
Bibliographie :
 
Sur la télévision, Pierre Bourdieu, Liber Editions
C'est à dire, en mathématiques et ailleurs, Stella Baruk, Seuil
L'éducation, entrée dans la culture, Jérôme Bruner, Retz
L'école de Jules Ferry, Jean Foucambert, Retz
La pédagogie des opprimés, Paulo Freire, Maspéro

 

 

 

Quelle internationalité pour l'année 1997-1998

Septembre 1997

Recherche mathématique : donner la parole aux enfants

Septembre 1997
La pratique décrite ci-dessous est celle de Jacky Varenne, bien connu pour son travail sur les fichiers de numération opérations édités par les PEMF.
Il s'agit de l'une des facettes du travail dans le domaine des mathématiques dans sa classe, qui ne se limite bien sûr pas à cela.
Accueillir et prolonger l'expression libre des enfants est primordial, dans ce domaine comme dans tous les autres. Ils ne se contentent pas alors d'écouter (plus ou moins bien) les explications du maître, d'appliquer sans forcément tout comprendre, les techniques proposées par celui-ci pour venir à bout d'un problème qui leur est trop souvent étranger.
Ils deviennent ici acteurs, de la proposition des données à la résolution du (ou des) problème (s) qu'elles peuvent poser. Et nous savons que c'est ainsi que l'on apprend le mieux...
 
L'article en pdf
 
Le texte libre banal
 
C'était le titre d'un article paru jadis dans l'Educateur. Je le reprends en ajoutant le mot "mathématique".
Ceux qui essaient de lancer la méthode naturelle de mathématiques dans leur classe disent souvent :
" Mes élèves ne proposent rien de bien intéressant !"... Comme ceux qui commencent à pratiquer le texte libre, et qui trouvent que les enfants tournent en rond avec les mêmes sujets, ce que Beaugrand appelait "des chiens écrasés".
A cela, on peut répondre :
- Les sujets proposés par les enfants évoluent au fil du temps (comme les textes libres, et surtout si l'enseignant veille à mettre en valeur les idées originales, nouvelles, "décalées"...).
- On peut utiliser des outils incitateurs pour susciter des idées de recherche abordant d'autres thèmes.
- Enfin, il faut bien voir que ces textes libres mathématiques, même s'ils paraissent banaux au maître, sont très intéressants, d'abord pour leurs auteurs, mais surtout pour le travail qu'on peut faire à leur sujet.
 
Tous les jours, la vingtaine d'élèves de CP au CM2 de ma classe travaillaient, pendant 15 à 45 minutes, sur des "idées de recherche apportées par un élève ou nées de la vie de la classe. En voici une liste, relevée sur une quinzaine de jours, exemplaires par leur banalité. Malgré (ou grâce à) cette banalité, elles nous ont permis un travail intéressant et très profitable.
 
Des idées simples
 
Les tuiles (envoi des correspondants) : les tuiles de leur école neuve sont livrées par palettes. Sur chaque palette, 4 couches de 3 paquets de 42 tuiles.
Les camions (origine : correspondants) : inscriptions portées sur le côté des camions livrant les tuiles : PV, CU, PTC.
La charpente : 5 grandes poutres de 12 m de long, pesant 400 Kg chacune.
Les canards : achat et vente de canards à la ferme (suite d'opérateurs).
Le fil de fer : Thomas a coupé des bouts de fil de fer d'un rouleau, mais il en reste.
La suite de nombres : Thierry nous propose la suite logique : 0 1 3 6 10..........
Les stylos : Nathalie présente des données un peu confuses : 78 stylos, dont 36 à plumes, pour lesquels il faut 2 cartouches...
La multiplication par 11 : le papa de Julien lui a montré l'astuce pour multiplier par 11 : on essaie.
Les Jeunes Années : on a commandé des Jeunes Années, on établit la facture, le chèque, on remplit notre cahier de comptabilité, on voit notre bénéfice.
L'escalier : Thierry monte dans sa chambre par un escalier de 16 marches...
Les voitures : Nicolas prétend qu'il a beaucoup de petites voitures en jouet, entre 194 et 198 ! Pour les roues, ça va, mais pour les portières...
Les dalles : le papa de Thomas a nettoyé son terrain de tennis. Il faut 30 mn pour nettoyer une dalle au Karcher, et il y a 16 dalles. D'autre part, chaque dalle pèse 11 Kg (?).
Le bloc de dessin : celui d'Elisabeth a 20 pages, et elle a fait 5 dessins (en tout, ou par page ?).
Adhésions : on étudie la fiche d'adhésion à la FOCEPY, on la remplit, on calcule le montant à régler, on fait le chèque, on remplit le cahier de comptabilité...
Le lit : Emmanuel amène les dimensions de sa chambre et de son lit : dispositions possibles ?
Les briques : Johann a relevé les dimensions d'une brique, son poids, et nous explique comment son papa fait un pilier.
Le chemin : pour venir à l'école, au cours du chemin, Nathalie a fait 150 pas de fourmi, 200 pas normaux et 250 grands pas... Et elle n'était pas arrivée, car elle habite à 1 km de l'école. On estime, puis on mesure un pas de chaque sorte, puis plusieurs pour avoir une moyenne.
Notre comptabilité : en liquide, nous avons vendu 6 journaux, acheté une trousse d'outils, versé 2500 F à notre CCP.
 
Quelques remarques
 
Durant cette période de l'année, la recherche mathématique, c'était surtout ce qu'il est convenu d'appeler du calcul vivant : pratiquement tout a rapport avec les mesures, les prix, avec la compréhension du réel, à part quelques jeux plus ou moins gratuits sur les nombres.
A d'autres périodes, on sera plus abstrait, on s'intéressera plus aux formes, aux lignes, aux symétries, on travaillera sur les arrangements, les combinaisons, les relations entre différents objets, ou même on abordera des sujets qui n'ont plus de rapport (?) avec les mathématiques : vocabulaire, association de mots, écriture, orthographe, jeux de langue...
D'autre part, on peut remarquer que la présentation de ce qu'on appelle "idée de recherche" peut revêtir plusieurs formes :
- question posée, comme dans un problème classique : voici des données, saurez-vous trouver la (ou plutôt une) solution pour répondre à la question posée de façon plus ou moins explicite. Par exemple pour les tuiles, combien y a-t-il de tuiles dans une palette ?
- des données brutes, avec un lien entre elles, mais où l'idée de ce qui peut être cherché n'est pas du tou évidente. Prenons l'exemple de l'escalier, où le domaine de recherche est beaucoup plus ouvert.
- des "histoires chiffrées" terminées, ou des remarques "fermées", mais qui peuvent permettre un prolongement, par imitation, par extension : les différentes suites de nombres, si on en change la règle, par exemple.
 
Déroulement d'une séance de travail
 
Tout d'abord, chacun expose son idée de recherche, le plus brièvement possible. On note seulement les données chiffrées au tableau. Ou même on écrit simplement au tableau une suite de nombres, un dessin, sans commentaire.
Pendant quelques minutes, chacun observe ces données, essaie de tout comprendre, puis pose des questions, demande des éclaircissements, des renseignements complémentaires. Chacun fait ses commentaires, par exemple :
"C'est pas possible que...
- Tu es sûr qu'une brique, ça ne pèse pas plus que ça ?"
Ensuite, pendant un temps variable, de 10 mn à une demi heure, et le plus souvent par groupes de deux, chacun travaille sur les différentes recherches qu'il souhaite traiter. Pas de rédaction très précise, des calculs souvent approchés, sans opérations (sauf si absolument nécessaire, pour la comptabilité, par exemple).
Je me tiens à la disposition de ceux qui rencontrent des problèmes (l'expression est bien choisie !), qui ne comprennent pas certaines choses, ou qui voudraient aller dans une direction, mais ne savent pas comment. Je relance aussi, pour ceux qui n'arrivent pas à démarrer, ou sont bloqués.
Quand une partie des enfants semble avoir épuisé l'intérêt de la recherche, on arrête tout (et certains râlent : "on avait presque trouvé quelque chose d'intéressant !"). on met en commun, très vite, ce qu'on a trouvé, et surtout comment on l'a trouvé, car souvent on arrive au même point par des voies bien différentes. C'est là qu'apparaît l'intérêt de certaines opérations, des méthodes qui simplifient le travail. Ce qui n'a été traité par personne est fait très rapidement, par estimations, calculs approchés. On dit souvent aussi : "on aurait pu chercher..." ou "si on changeait telle donnée, qu'est-ce qui se produirait ?"
Les recherches les plus intéressantes seront proposées aux correspondants ou publiées dans le prochain journal. Dans ces cas, on est amenés à rédiger une mise en forme beaucoup plus soignée de l'énoncé comme des réponses.
 
 
 

 

Tous intelligents !... mais selon des formes différentes des dominantes et des faiblesses pour chacun

Septembre 1997

En ce début d'année scolaire, avec la conjonction d'évènements socio - politiques et de remises en causes diverses de l'éducation des jeunes qui reviennent au premier plan, il nous paraît intéressant de revenir sur l'une de ces remises en cause : "la conception standard de l'intelligence" selon laquelle il existerait cette forme générale de l'intelligence, mesurable par les tests de Q.I.

C'est la théorie des intelligences multiples élaborée par Howard GARDNER (1). Issue des travaux de neurobiologie et de l'observation de nombreux enfants cette théorie semble corroborer certaines intuitions de C. Freinet et les raisons de nos tendances vers une personnalisation des apprentissages que nous cherchons à développer dans nos pratiques quotidiennes.
 
L'article en pdf
 
"Ma théorie influence de plus en plus l'éducation car elle est en accord avec l'observation commune des enseignants et des parents selon laquelle les enfants diffèrent les uns des autres sur le plan cognitif. Nous possédons tous différentes forces et faiblesses dans divers domaines intellectuels. La plupart des efforts antérieurs en éducation ont nié ces différences et valorisé le mode de pensée basé sur le langage et la logique. C'est particulièrement le cas de l'esprit cartésien en France. A l'inverse, mon approche met en avant les différents profils intellectuels. Je suggère que l'éducation prenne en compte ces différences pour essayer d'enseigner avec le maximum d'efficacité.
Si nous voulons enseigner à tous les enfants et pas seulement à ceux ayant des aptitudes logiques et langagières, nous devons tenir compte des découvertes mises en avant par la théorie des intelligences multiples...”
 
En fondant les méthodes naturelles d'apprentissage sur l'expression libre et la recherche libre dans tous les domaines, C. Freinet a toujours conçu l'éducation comme le développement de l'individu afin que chacun ait l'occasion de découvrir et de réaliser au maximum ses propres potentialités mais au sein d'une communauté, en interactivité d'intelligences, d'intérêts et de savoirs avec les pairs et les adultes, ce qui oriente cette éducation vers un modèle à la fois biologique et social.
C'est pourquoi il s'est toujours préoccupé de la pleine réalisation des capacités de chacun, d'une organisation coopérative des activités favorisant le respect et l'exploitation des différences et des multiplicités de situations et de potentialités.
Souvent, il l'exprimait sous une forme métaphorique, comme des injonctions d'action telles que les Dits de Mathieu dont nous donnons deux courts extraits.(3)
Prendre la tête du peloton
"... Regardez les coureurs du Tour de France. Ou bien ils prennent à quelque moment la tête du peloton et arrivent en bonne place au classement, ou bien ils abandonnent. Parce que la course n'a pour eux ni sens ni avantage si elle ne leur permet pas, ne serait - ce qu'un instant, de se réchauffer au soleil de la réussite et de la gloire...
... Ne découragez pas les coureurs. Il y a le grimpeur qui tiendra la tête à la montée du col, le rapide qui file dans les plaines ; celui qui s'envole au départ et celui qui gagne au sprint. Que chacun de vos élèves puisse, lui aussi, à quelque moment, prendre la tête du peloton et exceller dans une des multiples tâches que l'Ecole Moderne offre à ses disciples : vous aurez le maître écrivain, le poète, le dessinateur,le conteur, le comptable, le tragédien, le comique, l'imprimeur, le graveur, le menuisier, l'ajusteur, le classeur, l'amoureux de l'ordre, le musicien, le chanteur, le jardinier, le commissionnaire, l'allumeur de poêle... Il vous sera facile de trouver trente fonctions éminentes pour vos trente enfants..."
Ouvrez des pistes
"... Ainsi la vie offre - t - elle sa plénitude à qui veut l'affronter. Ne réduisez pas arbitrairement, d'avance, l'infinité des tâtonnements et la multiplicité des solutions aux problèmes complexes qu'elle nous impose...
... Ne désespérez pas vos enfants en faisant de votre école un défilé à voie unique, soigneusement encadré de barrières, de blocs branlants et de précipices, sans espoir de voir enfin au tournant s'ouvrir l'éventail généreux des sentiers qui montent vers la plénitude de la vie.
Dés maintenant, et chaque matin, ouvrez des pistes, même si vous n'êtes pas toujours sûrs qu'elles mènent au col. Qu'il y en ait pour tous les tempéraments et pour tous les goûts : pour la sage brebis qui suivra la voie centrale déjà longuement tracée, pour le bélier orgueilleux qui a besoin de montrer ses cornes infatigables, pour qui monter et grimper semble souvent un but fonctionnel." (3)
                                                                              Montage réalisé par
J & E Lèmery
 
(1) Howard Gardner, membre de diverses sociétés savantes, enseignant - chercheur, est professeur de sciences de l'éducation à la Harvard Graduate School of Education, professeur de psychologie à l'université de Harvard, professeur de neurologie à la faculté de médecine de Boston, auteur de nombreux articles scientifiques et de 17 ouvrages dont quatre traduits en français :
- Les intelligences multiples RETZ - L'intelligence et l'école ; la pensée de l'enfant et les visées de l'enseignement RETZ - Histoire de la révolution cognitive ; la nouvelle science de l'esprit PAYOT -
Gribouillages et dessins d'enfants, leur signification MARDAGA
(2) Citations extraites d'une interview parue dans le numéro n° 69   Sciences Humaines de Février 1997
(3) C. Freinet - Les Dits de Mathieu - Delachaux et Niestlé - 1959 
 

 

...Je pense que nous passons beaucoup trop de temps à évaluer et classer les enfants et trop peu de temps à les aider. Pour moi, la seule justification de l'évaluation des intelligences est d'aider les élèves à mieux apprendre, à la fois en utilisant les intelligences qui sont fortes et en renforçant celles qui en ont besoin...
... Par ailleurs, je voudrais découvrir d'autres intelligences et comprendre comment elles fonctionnent. Je voudrais également mieux comprendre comment la "même" intelligence s'exprime dans différents environnements culturels. J'aimerais aussi savoir comment les multiples intelligences arrivent à travailler avec aisance. Enfin, comment développer ces intelligences, séparément et en lien les unes avec les autres, et explorer les relations existantes entre les intelligences, la créativité et le leadership." (2)
 
La théorie des intelligences multiples
Howard Gardner (1) a initialement repéré sept formes d'intelligence, ajouté une huitième, émis l'hypothèse d'une neuvième, résumées ici succintement.
Précisons qu'un individu ne dispose pas "d'une seule intelligence", mais que telle ou telle forme peut être développée, dominante, et telle autre faible.
Une idée centrale de cette théorie est que chacune d'elles est autonome, indépendante des autres.
L'intelligence musicale : Ses composantes de base sont le ton, le rythme, le timbre...
Certaines zones cérébrales de l'hémisphère droit jouent un rôle important dans la perception et la production de la musique.
L'intelligence kinesthésique : Elle favorise l'utilisation précise de son corps pour effectuer des gestes adéquats ( sportifs, artistes, comédiens, manuels...chirurgiens...), pour reproduire, imiter, décrire...
L'intelligence logico- mathématique : appelée habituellement "l'intelligence" (tests de Q.I).
C'est le raisonnement logico - mathématique. Elle est présente dans le raisonnement scientifique mais aussi lors de certains exploits en matière de calcul...
L'intelligence langagière : Celle qui existe dans l'expression linguistique - construction de phrases oralement et par écrit - (poètes, écrivains, orateurs...) ; elle fait appel à des compétences sémantiques, syntaxiques ...
L'intelligence spatiale : Elle est constitutive du sens de l'orientation mais aussi présente dans les activités artistiques , architecturales ... (navigateurs, sculpteurs, peintres, architectes... )
L'intelligence interpersonnelle : d'ordre social
Intelligence des personnes "intuitives" qui leur permet d'être très sensibles aux différences d'humeur, de motivation, d'intention des autres et de coopérer.
L'intelligence intrapersonnelle : Dans l'analyse de ses émotions, ses sentiments, c'est 'aptitude à la connaissance introspective de soi pour mieux orienter son comportement.
L'intelligence naturaliste ( la huitème ajoutée) : Ce sont les diverses capacités à s'intéresser, à reconnaître, à distinguer les êtres vivants végétaux, animaux... et à analyser le rôle éminent de la nature environnante.
L'intelligence existentielle ( 9 ème) : serait la capacité à se poser des questions sur les problèmes fondamentaux de l'existence telles que : d'où venons - nous ? de quoi le monde est - il constitué ? ....