Ecrire quoi ? Ecrire quand ? Avoir envie d’écrire ?
Bernard Collot, membre de l’ICEM et co-fondateur des Centres de recherche des petites strucutures de la communication (CREPSC),questionne l’entrée en écriture, il avance ses éléments de réponse aux interrogations que tout enseignant se pose lorsqu’il désire faire écrire ses élèves.
“Chez moi, “ils” n’écrivent pas”.
“les miens” n’écrivent rien d’intéressant”... combien de fois avons-nous entendu ce refrain. Et combien de fois il a été la cause du découragement et du renoncement.
D’abord il faut tout de suite tordre le coup à cette habitude qui autorise un enseignant à juger de ce qui est intéressant ou non. Nous jugeons intéressant ou pas d’après des critères totalement extérieurs à celui qui écrit. Souvent conformes à notre idée de la culture , à nos envies... ou à l’image de ce que les écrits des enfants donneront de... nous-mêmes. Les poèmes d’un Baudelaire, les tableaux d’un Van Gogh, la musique d’un Morrison ou d’un Berlioz... sont aussi les reflets d’un mal être, de souffrances... et aussi dûrement le moyen pour eux de vivre. Faut-il être malheureux pour écrire, peidre, sculpter... ? Faut-il produire des oeuvres^pour se permettre de créer, pour permettre de créer?
Une fois pour toute, ce qui caractérise une création ce n’est pas l’impact qu’elle aura sur un public mais le simple fait d’avoir été créée. Et c’est dans ce fait seulement qu’elle est bénéficiaire à son auteur. Notre travail d’éducateur n’est pas d’émettre un jugement quelconque sur la valeur, mais de toujours la regarder comme telle.
Ecrire n’est pas évident
Mais écrire n’est pas évident... même et surtout quand on sait écrire. Je suis sûr que chacun d’entre vous en sait un peu quelque chose, vous qui “savez” écrire. Surtout écrire en laissant d’autres vous lire, surtout écrire pour que d’autres le lisent.
L’acte d’écriture en lui-même est un phénomène que l’on devrait mieux analyser.
Nous avons tous pu constater qu’on écrit pas ce qu’on dit ou que l’on ne dit pas ce que l’on écrit. La projection de soi dans les différents langages (corporels, graphiques, oraux... écrits) n’est pas la même et subit un certain nombre de contrôles spontanés et culturels. Ces contrôles pouvant vite devenir et devenant souvent des “blocages”. La forme du langage exprime elle-même une autre version de soi-même ou l’exprime très différemment.
Les écrits font partie de ce que j’appelle les langages différés. Lorsque l’on parle, lorsque c’est le corps qui s’exprime, c’est l’expression instantanée et continue de soi. On a peu le temps de se voir. Ce sont souvent les autres qui nous renvoient l’idée de ce que l’on est de par ce que l’on a dit ou fait. Et ce renvoi est lui-même instantané, continu, diffus, irrégulier, imprévisible, parfois imperceptible. On peut même, ne pas se rendre compte de cette projection de nous-même, ne pas vouloir voir le renvoi des autres. Onn’a pas besoin de se représenter l’autre. On n’a même pas besoin de se “mettre” dans une situation de communication: dès l’instant où l’autre est là, il y a communication, même si elle nous échappe.
Une projection de soi
Avec les écrits, il en est tout autrement. C’est le support qui va recevoir d’abord notre image... et la renvoyer à nous-mêmes. La communication, c’est d’abord avec soi qu’elle va avoir lieu. Et il va y avoir deux décalages:
- celui entre l’élaboration de la pensée, de la communication et le moment où cette pensée sera fixée sur un support et nous sera renvoyée. Entre ces deux moments, nous aurons changé.
- celui entre le codage de la pensée et son décodage, ce dernier renvoie l’image de soi. Et une image forcément déformée ou transformée ou simplifiée ou caricaturée par le langage lui-même.
Accepter de se projeter, accepter que cette projection soit l’image qui va m’être renvoyée et qui va être envoyée aux autres. Il n’est pas possible d’accéder à ce stade de la communication avec une identité incertaine.
Nous ne répéterons jamais assez cette évidence: les langages se construisent dans des groupes, ce sont eux qui permettent au groupe et à l’individu d’exister. Avec cette récuscivité qui rend l’existence de l’un comme l’autre souvent difficilemais sans laquelle rien n’est possible. Les problèmes d’identité ne peuvent se concevoir que par rapport aux autres, et on ne peut être avec les autres que si on perçoit sa propre identité.
Et dans l’écrit, l’Autre, ... c’est d’abord soi, les autres n’tant souvent que des potentialités, voir même des virtualités présentes dans un espace et un temps incertains. Il faudrait que l’un et les autres apparaissent de plus en plus nettement, que leur représentation soit de plus en plus réelle pour que puissent se déclencher les actes d’écriture. Et plonger dans cet espace-temps avec un nouveau langage ne peut être possible que si les autres langages ont déjà permis “d’être” dans un espace physique.
Pas un problème de méthode
Le problème de l’écrire-lire n’a donc pas grand chose à voir avec une quelconque méthode que des aveugles cherchent vainement depuis cinquante ans. Mais lorsqu’on l’aborde en ayant en tête ces quelques “fondamentaus”, tout devient différent.
Voilà aussi pourquoi dans une classe unique, sans méthode savante, tous les enfants apprennent à lire et à écrire ! Le problème de l’écrire-lire est d’abord et avant tout celui de la construction et de l’existence de groupe. l’écrire-lire est alors indispensable pour étendre ses cercles et se rattacher à celui de l’humanité dans l’espace, le temps et l’imaginaire.
Mais en attendant ! En attendant que tout cela se fasse... tout seul, comment faire pour provoquer, inciter à l’acte d’écriture ? Il y a quelques trucs !
Des trucs !
Il y a d’abord le dessin, la peinture. Tout enfantdevrait pouvoir dessiner quand il le veut, à tout moment... et quelque soit son âge. Et sans que cela soit un exercice, sans qu’il y ait des jugements de valeur portés sur son expression. Cela, tout le monde le sait,... mais on ne le considère pas souvent comme essentiel, plus essentiel qu’un exercice quelconque.
Il y a ensuite l’utilisation d’autres outils des langages différés, en particulier le magnétophone. Pour moi, c’est au magnétophone que le premier acte d’écriture conscient est réalisé. Lorsqu’on peut s’en servir librement. Ce qui demande la résolution d’un problème d’organisation. J’ai toujours réussi à installer un atelier enregistrement, même dans un placard avec un casque. Et il faut que chaque enfant puisse y faire ce qu’il y veut, comme il gribouille pendant des jours avant qu’apparaisse une forme sur son papier. Qu’il puisse se ré-écouter, s’effacer, recommencer, faire écouter à un copain, y dire des “bêtises”, rire de ses bêtises.
Et ce peut être aussi le premier acte de communication vraie: que fait la maman lorsque le petit lui fait voir son texte ? Neuf fois sur dix elle lui dit: “lis le moi!” De quoi dégoûter s’escrimer à mettre des mots pour les autres... quand les autres vous les font lire! Mais lorsque le petit apporte à la maman une cassette qu’il a faite à l’école, cette fois, la maman va être obligée de l’écouter ! CA y est, nous sommes dans un processus de communication ! Cet “écrit-lire” a du sens ! Il est très rare qu’un enfantqui peut s’amuser avec un magnétophone ne rentre pas rapidement dans l’écrit gutembérien.
Il y a aussi la vidéo.
Un maître qui écrit
Et il y a des “trucs” liés directement à l’écrit.
Le premier est ...d’écrire soi-même ! Un maître qui se met à écrire des poèmes, mais encore plus des “bêtises”, ça fait de l’effet ! surtout s’il met ses écrits affichés avec ceux des enfants.
Et un maître qui n’écrit pas des choses si terribles que cela, qui danse mal mais qui danse, qui peint mal mais qui peint, qui chante mal mais qui invente des chansons... s’il le fait avec, comme les enfants cela peut être bien mieux que le maître artiste.
Se laisser aller !
Et puis il y a l’écriture automatique.? On l’utilise souvent la première fois que l’on se trouve face à une classe nouvelle qui est encore dans le contexte de “l’exercice”.
Cela commence comme un exercice. Vous pouvez même prendre un air sérieux ou sévère. “Prenez une feuille et un crayon. A mon signal vous devez écrire sans vous arrêter même si c’est n’importe quoi, sans réfléchir”.
Et il faudra probablement que vous soyez très sévère^pour empêcher dans le silence total, les crayons de s’arrêter ! Et les enfants vont souffrir. Au bout de quelques minutes, faites stopper les crayons, demandez à tout le monde de regarder ce qu’il a écrit, mais ne regardez surtout pas vous-même.
Préparez la poubelle et demandez à tout le monde de déchirer et de jeter ce qu’il a écrit. Et régalez-vous de ce qui va se passer, de la stupéfaction, des hésitations puis de la joie. Ils ont tous fait cet exercice comme d’habitude, pour le “maître”. Et c’était pour la poubelle ! On pouvait vraiment mettre n’importe quoi !
Lorsque vous allez le refaire pour la seconde fois, tout va changer. Il faudra encore surveiller les stylos qui se lèvent, les hésitations à écrire n’importe quoi, ême les onomatopées, à répéter dix fois le même mot si rien d’autre ne vient...
Puis peu à peu, tous les écrits automatiques ne seront pas forcément déchirés. Certains voudront garder les leurs, peu à peu certains auront envie de vous les faire voir, peu à peu certains auront envie de les lire aux autres... et la partie sera gagnée !
L’objectif de cet “exercice” est de sortir de l’enfermement “écrire pour le maître”, “écrire comme il faut”, écrire “des choses bien”, “écrire sans fautes”, “écrire après avoir réfléchi”. C’est aussi de se laisser aller à l’écriture, sans plus se préoccuper que du plaisir d’écrire. C’est presque inconsciemment se laisser aller à se projeter et, peu à peu, d’accepter sa projection de soi. Plus tard, on peut travailler cette projection, l’embellir, la compléter, la modifier... la rendre plus communicable, plus percutante...
On peut faire de l’analyse des écrits automatiques. Mais après tout, est-ce que cela a vraiment de l’importance pour nous ?
Rire ensemble
Et puis il y a les jeux d’écriture. Issus comme l’écriture automatique des inventions des surréalistes. Le plus connu est le cadavre exquis. Une série de feuilles circule. On commence une phrase. Elle s’arrête incomplète au premier mot de la seconde ligne, on plie pour que la première ligne ne soit pas visible et on passe à son voisin qui poursuit à partir du mot visible. Au bout d’un tour chacun déplie la feuille et lit un texte... dont il ne sera l’auteur que de quelques mots ! Alors que de rire ! Que de plaisir !
A partir de cette idée, toutes les variantes sont possibles: cela peut être le mot tournant, l’histoire tournante, l’injure tournante etc. (1)On cache, on ne cache pas.
Et puis toutes les possibilités de détournement de proverbe ( “Pierre qui roule n’amasse pas d’allocations familiales”), de vers, de titres, d’articles ...
Il n’y a plus qu’à laisser aller son imagination. Nous avons même fait pendant un an des jeux de ce type par télématique entre deux classes reliées par le fameux EXL100. Le texte de l’autre classe se lisait sur l’écran... et il suffisait de continuer en direct. Chaque séance durant vingt minutes. Vingt minutes de plaisir intense, de création permanente, de rire, de délire. Je me souviens en particulier d’un Zorro, coincé dans un tunnel qui en débouchait sur le dos d’une chèvre, de dialogues téléphoniques entre des interlocuteurs dont chacun ignorait la fonction etc.
Dans cette situation, c’est le groupe qui devient important. De l’ensemble surgit le délire, un délire qui n’est plus intolérable puisqu’il appartient au groupe. Petit à petit on peut se libérer, laisser aller les mots, leur donner du sens. Pendant un temps on oublie la raison, l’orthographe, la syntaxe... l’écriture devient plaisir, nécessité, épanouissement, libération..
Après... après vous avez beaucoup de travail pour corriger toute la production écrite de votre classe !
Bernard Collot
article paru dans: “Ecole rurale, école nouvelle... Communautés nouvelles”
1) Voir de Paul LEBOHEC “Ah ! vous écrivez ensemble”. Supplément à l’éducateur du 15.03.83. PEMF
La Méthode naturelle de lecture-écriture dans la lutte contre l'illettrisme
Voir le fichier en pdf
J'ai une chance d'apprendre.
Pour la première fois
je vais à l'école.
Ernest (27 ans)
Sommaire
- Principe de la motivation
- Principe d'apprentissage
- Démarche pour accéder au code
- Conditions de travail avec des adolescents ou des adultes en difficulté de lecture
- Objectifs et moyens mis en oeuvre
1 er objectif : restaurer l'estime de soi
2 ème objectif : sécuriser
3 ème objectif : donner les moyens d'agir :
- activités d'entraînement
- production d'écrit
- exercices d'entraînement visant à développer la " saisie directe "
- textes à découvrir
- Conclusion
Partant de son vécu, de ses intérêts, celui qui apprend est l'élément dynamique de la construction de son savoir. Il est " détective " face à la langue écrite. Il applique une démarche scientifique : observer, comparer, déduire, cela en interaction avec ses pairs. Il utilise l'écrit : lecture et production d'écrits dans des situations de communication authentiques.
La MNLE pratiquée dans les classes bénéficie des activités de la classe coopérative. Ces activités permettent :
- d'organiser démocratiquement les règles de vie du groupe,
- de réaliser des projets de toutes sortes, des recherches...
- de communiquer, ‚changer, en vraie grandeur : correspondance, réception et production de lettres, documents, compte rendus, textes imaginés, fax, écrans minitel ...
Cela place les enfants face à une variété d'écrits considérable, apportant un sens, nécessaire à la vie de la classe.
Les écrits sont toujours présents dans la classe pour le sens dont ils sont porteurs.
La vie coopérative développe l'habitude de réfléchir, de dire ce qu'on fait, pourquoi on le fait. Le climat de confiance qu'elle instaure permet de communiquer ce qu'on croit, de formuler des hypothèses. La confrontation au groupe permet de vérifier et de réajuster son savoir.
En MNLE, l'enfant est en situation de recherche face à l'écrit. Il prélève tout ce qu'il sait, il observe, il compare, il fait de remarques, les met en relation. Il les fait converger vers son but : comprendre ce que dit le texte. La priorité est toujours le sens.
Dans ces situations d'échange, l'enfant est amené à produire de l'écrit. Ses multiples rencontres avec des expressions, des mots, l'accumulation de ses expériences dans l'écrit, le conduisent à connaître, reconnaître des mots : il se constitue un lexique, en quelque sorte, un dictionnaire mental.
Aux situations de découvertes des écrits s'ajoutent des exercices d'entraînement. Ils visent à entraîner l'enfant à construire du sens à partir de groupes de mots prélevés dans des textes de référence, et à le familiariser avec ces mots, afin qu'il accède plus vite à leur reconnaissance. Il finit par en avoir une image mentale précise qui lui permet de les comparer de plus en plus spontanément et d'en découvrir l'analogie.
C'est alors que " c'est comme " devient l'expression clé de ses découvertes.
Il aborde alors les mots avec une double quête :
1. chercher à reconnaître d'emblée le mot pour son sens
2. chercher à percevoir à l'intérieur des mots des parties de mots connus (par exemple : le " man " de " mange " c'est comme le " man " de " manteau ").
Il est sur le chemin de la découverte du fonctionnement de la langue écrite. A terme, il aura construit des séries d'analogies diverses :
mardi, dimanche, dire
valise, chemise, grise
beaucoup, poule
merci, piqûre
poisson
qui le conduisent à découvrir la fusion des phonèmes (combinatoire).
Ainsi, lorsque l'apprenant remarque la similitude des mots (ex : pour, jour...) et que par ailleurs, il a construit des séries telles que : fille, feu, farine ,
il devient capable d'utiliser la lettre d'attaque de la série " f " et la partie commune " our " de jour et pour ... pour décoder " four ".
Lorsque, ayant découvert cela, il peut le reproduire dans d'autres cas :
homme, comme, somme et papa, puce, pile pour lire " pomme ",
il comprend alors qu'il a découvert le moyen de lire des mots jamais vus.
C'est pour lui un pouvoir nouveau.
Il va, à ce stade, s'essayer à l'appliquer partout. Bien sûr, aux mots qu'il cherche à lire, mais aussi aux mots qu'il reconnaît depuis longtemps et dans lesquels il se met alors à voir les éléments les plus fins du code qui les composent.
A partir de son capital de mots mémorisés, l'apprenant se constitue une liste de parties de mots (" ouge " de rouge, bouge, etc.), de syllabes les plus fréquentes du français, de phonèmes.
Lorsqu'il les retrouve dans des mots inconnus, il les met en relation quasi immédiate avec les mots qu'il a en mémoire.
A ce stade, non seulement il déchiffre de plus en plus aisément, mais surtout il entre dans la phase d'auto-apprentissage des mots (A. Ouzoulias *).
Le mot nouveau " phalange " est perçu par l'apprenant comme étant composé du " ph " de Philippe, de pharmacie, et de " ange " (comme mange).
Ce mot entre dans sa mémoire dès la première rencontre à cause du tri qu'il a dû faire dans ses connaissances pour réussir à le lire.
Ce mot est construit et reconnu avec ses spécifiats orthographiques. A ce moment-là, son dictionnaire mental s'accroît très rapidement.
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(1) A. Ouzoulias : professeur à l'IUFM de Versailles, coordinateur d'une équipe de recherche sur l'apprentissage de la lecture chez les 4-8 ans. Auteur de l'apprenti lecteur en difficulté, Editions Retz, Pédagogie pratique.
Depuis le début de l'apprentissage en MNLE, les apprenants se sont trouvés dans des situations authentiques de lecture et de production d'écrit (correspondance, projets, etc.).
La recherche du sens a toujours été la priorité. Les apprenants ont développé des aptitudes diverses :
- questionner l'écrit
- prélever des indices de plus en plus nombreux et pertinents
- faire des remarques sur le code
- tout cela les conduit à formuler des hypothèses, à les vérifier en fonction de leurs connaissances.
Enfin, comme on l'a vu, ils sont capables de décoder et de construire une mémorisation orthographique des mots.
Ils savent faire converger tous ces savoir-faire pour accéder au sens : ils savent lire.
Principe de la motivation
1. Reconstruire l'estime de soi
Exister par la trace qu'on laisse :
d'où écrits témoignages de - ce qui touche
- ce qui concerne l'apprenant
comme objets d'apprentissage.
2. Se sentir Mot à dire
en étant en mesure d'agir de façon de plus en plus autonome
grâce à des techniques d'exploration des écrits (plaisir de la découverte, se sentir capable de...)
Principe d'apprentissage
Activités
d'entraînement
|
de découverte
|
à partir de textes dont le sens est
connu
|
inconnu
|
s'entraîner à se repérer dans ces écrits
|
les explorer pour l'utilité, l'intérêt
|
localiser à coup sûr des mots, des expressions
|
prendre conscience des indices pernents
|
pour les réutiliser pour leur signification dans la production d'écrits
Réutiliser un mot pour son sens dans un contexte c'est
une image graphique liée à une signification
dès le départ l'orthographe est "indicateur de sens " (mère = mer)
Auto-construction du dictionnaire mental
Développement de stratégies de recherche de sens.
Démarche pour accéder au code (combinatoire, déchiffrage)
* Puisque graphie liée au sens, regard attentif sur la graphie d'où peu à peu prise de conscience
- d'analogies (c'est comme maintenant, demain...)
- de différences (ce n'est pas comme une main = mince...)
d'où analyse fine de l'écrit
* combinatoire (dernière étape)
Le déchiffrage est alors un savoir-faire parmi d'autres.
Il est utile
- pour découvrir le mot qui manquait
- pour vérifier une hypothèse de sens.
Il n'intervient qu'en cas de besoin, mais l'apprenant est capable de l'appliquer à tous moments.
Conditions de travail avec des adolescents ou adultes en difficulté de lecture
Dans les associations de lutte contre l'illettrisme, le temps d'apprentissage est le plus souvent de l'ordre de deux à quatre heures par semaine, en relation duelle : un formateur, un apprenant ou en petit groupe. Ces contraintes nous obligent à aménager notre pratique de la MNLE.
On sait que, pour prélever du sens dans des écrits, la reconnaissance de mots est une nécessité. Ces mots constituent les points d'appui qui permettent la formulation d'hypothèses.
Cette reconnaissance d'expressions, de mots, se construit en classe grâce aux situations de vie déjà citées et qui impulsent de nombreuses occasions de les rencontrer et de les réutiliser.
Puisque nous ne disposons pas souvent de ces conditions dans la lutte contre l'illettrisme, à cause des contraintes de temps, d'espace, etc., nous essayons de favoriser la mise en mémoire d'un capital de mots en créant des situations d'entraînement comme celles que nous utilisons en classe mais qui, ici, prendront une plus grande place dans le temps consacré à l'apprentissage.
Objectifs et moyens mis en oeuvre
1er objectif : restaurer l'estime de soi.
Ce qui est déterminant pour que chacun s'approprie son savoir écrire-lire, c'est d'abord avoir la possibilité de partir de ce qu'il sait, de son vécu. Il s'exprime dans sa langue. Elle lui vient de l'intérieur, chaque mot est porteur de sens de l'intérieur, chaque mot est porteur de sens lié à ses expériences, à ses sentiments.
ça ne fonctionne pas à vide.
En effet, commencer à oser s'exprimer, c'est exister, attribuer une valeur à des événements de sa vie personnelle.
Pouvoir les communiquer, être écouté, c'est se sentir digne d'intérêt, c'est l'amorce du processus d'échange qui rend l'apprenant capable de s'intéresser aux autres. C'est le début d'une restauration de l'estime de soi sans laquelle on ne peut entreprendre aucun apprentissage.
2ème objectif : sécuriser.
Ces histoires que chacun raconte ont un double rôle : elles donnent à leur auteur le moyen de se valoriser, de livrer une information qu'il est heureux de faire connaître, elles lui confèrent un moment de pouvoir : source de plaisir.
Au début, l'apprenant n'a que très peu à dire, puis pour retrouver ce plaisir, il devient " énonciateur " de plus en plus précis parce qu'il vit plus intensément des événements de sa vie, ayant le projet de les raconter.
Ces récits, ces témoignages sont transcrits par le formateur et gardés en mémoire dans un recueil qu'on peut appeler " livre de vie ". Cette trace écrite restera ancrée dans la mémoire de l'apprenant, d'autant plus fortement qu'elle sera chargée d'affectivité.
Ces récits issus de sa vie, le placent en terrain connu et réduisent le sentiment d'insécurité face à l'écrit et servent de support de lecture.
Proposer des lectures traitant de données complètement étrangères à la vie des apprenants déclenche l'angoisse et augmente les difficultés d'accès au sens.
Il reste une cause d'insécurité : la démarche proposée est contraire à ses représentations mentales concernant l'apprentissage de la lecture.
Pour lui, lire, c'est connaître les lettres et les "marier".
Ainsi, lorsqu'il reconnaît le nom d'un supermarché, le nom de sa rue, le prénom de ses enfants, il pense qu'il ne lit pas.
Si on lui propose des activités partant des textes, pour prendre conscience qu'ils sont constitués de phrases, pour arriver aux mots, eux-mêmes constitués de sons (phonèmes), il ne pourra pas adhérer à cette démarche.
Cela démontre la nécessité de consacrer du temps à la lui expliquer dans son ensemble, en lui prouvant que les compétences qu'on vise à lui faire acquérir sont celles utilisées à chaque instant par un lecteur chevronné.
Texte proposé aux apprenants :
Pour apprendre à lire,
on fait entrer
beaucoup de mots
dans notre tête.
Un jour, on verra
des morceaux pareils
dans nos mots.
On dira " C'est comme..."
On démontera
tous nos mots,
pour fabriquer
tous les autres mots.
Travaillé comme tous les autres écrits, objets d'apprentissage (voir plus loin), appris par coeur, ce texte les rendait capables d'expliquer à autrui pourquoi et comment ils travaillaient. Cela a constitué un moyen de les aider à adhérer aux exercices proposés et donc un élément important de motivation et de persévérance.
De plus, il faut penser à informer sa famille. En effet, si son entourage familial sait lire, il est prudent de prendre la peine de le faire adhérer aussi à la démarche d'apprentissage de la lecture. Sinon, il risque de nier l'utilité des exercices proposés et ainsi démobiliser l'apprenant.
Voir document annexe (p. ) : lettre aux familles des stagiaires, envoyée après un mois et demi de travail (stage de 6 mois), alors qu'ils partaient pour dix jours de vacances.
3ème objectif : donner les moyens d'agir.
Les textes objets d'apprentissage sont de deux types :
- ceux formulés par l'apprenant dont il connaît le sens, et qui vont donner lieu à des activités d'entraînement,
- ceux extraits d'écrits aux fonctions très diverses, dont le sens est à découvrir (extraits de journaux, invitations, publicités, lettres, poèmes, etc.) qui vont donner lieu à des activités de recherche.
1. Activités d'entraînement
Exemple : le texte de Jean-Michel
Mercredi 16 octobre
Eric est parti
de la maison.
Il est allé
chez son copain
qui habite à 4 km
près du Mammouth.
Annie et moi
on a eu très peur.
On a appelé la police.
Heureusement, on l'a retrouvé.
L'apprenant dicte ce texte au formateur. Celui-ci l'écrit en le fragmentant en groupes de sens (un par ligne) afin d'apporter une aide au repérage.
Pour situer " chez son copain " l'apprenant récite en faisant coïncider ce qu'il dit, ligne par ligne, et ce qu'il montre. Il sait ainsi ce que porte chaque ligne. Il s'arrête de réciter lorsqu'il montre et prononce " chez son copain ".
Pour que l'apprenant puisse agir avec de l'écrit, nous devons le doter d'une technique d'exploration.
Pour cela, nous allons lui donner des consignes rigoureuses à partir desquelles, dès le départ de l'apprentissage, il sera capable
- de se repérer dans l'espace du texte,
- de localiser des unités de sens pour les prélever et les réutiliser.
Consignes de la technique d'exploration
- savoir par coeur le texte (la mémorisation est facilitée puisque l'apprenant a vécu l'événement),
- réciter ligne par ligne (sans mot oublié, sans mot ajouté) en suivant de façon synchrone ce qu'il dit et ce qu'il montre,
- s'entraîner à développer ce savoir-faire qui est la première condition d'autonomie puisqu'il permet à l'apprenant, pour chaque texte :
- de savoir ce qu'il contient au niveau du sens exprimé
- d'être capable de situer telle expression, tel mot et d'y associer la signification du texte.
Pour l'apprenant, le fait d'avoir en mémoire le sens exprimé par chaque texte et d'avoir une technique pour accéder à l'expression ou mot dont il a besoin, lui donne le pouvoir dès le départ de l'apprentissage, de produire de l'écrit en le réutilisant.
L'apprenant formule ce qu'il veut exprimer. Au début, le formateur l'aide à trouver ce qu'il cherche et qui est contenu dans le texte, puis il donne ce qui manque. Cette démarche de recherche dans l'écrit de référence oblige l'apprenant à de nombreuses relectures du texte origine. Lorsqu'il a situé où est le mot qui lui est nécessaire, il est amené, pour l'écrire, à fixer plusieurs fois son regard sur ce mot modèle.
Ce travail de production d'écrit fait appel à plusieurs mémoires : mémoire du sens du texte, mémoire des actions qu'il réalise pour accéder au mot, mémoire de l'espace du texte (où est situé le mot, avant, après tel autre mot...), mémoire gestuelle de quand il l'a écrit.
Tout cela déclenche un commencement de mise en mémoire visuelle de l'allure graphique du mot. La somme de ces tâtonnements aboutit jour après jour à une mise en mémoire de plus en plus achevée d'un certain nombre de mots qui constituent son capital-mots, son " dictionnaire mental ".
2. Production d'écrit
C'est vraiment le travail qui accélère, renforce l'aptitude à saisir d'emblée des indices de sens dans le texte, et qui, à terme, permet la reconnaissance sûre et rapide de nombreux mots et expressions.
Ces mots reconnus d'emblée, en saisie directe sont les points d'appui de la construction de sens. C'est grâce à cette compétence qu'on a une lecture rapide qui ne demande au lecteur qu'une faible dépense d'énergie (économie mnésique, comme le dit A. Ouzoulias).
Ces mots fortement mémorisés impulsent des comparaisons spontanées et, de là, la découverte des parties communes dans les mots. Le raisonnement par analogie permet la réalisation de séries qui mettent en évidence des éléments du code, et finalement le " pouvoir déchiffrer " (voir ci-dessus, mise en oeuvre de la MNLE dans les classes).
Ces parties communes ( " man " de " mange ", etc.) sont lues d'emblée comme les mots dont elles sont issues, c'est ce qui permet un déchiffrage aisé. Il est évident que la mise en série de ces parties semblables constitue un classement orthographique. L'apprenant qui trouve que " main " c'est comme " demain " et pas comme " mince ", qui est lui-même comme " chemin " et comme " invite " n'oubliera pas l'orthographe de ces mots, puisqu'il les met en relation pour leur particularité orthographique.
3. Exercices d'entraînement visant à développer la " saisie directe "
En effet, puisque c'est grâce à la saisie directe que la construction du sens et la maîtrise du code sont facilités, nous proposons des exercices d'entraînement.
En début d'apprentissage, le fichier LIRE 1.1 est un auxiliaire précieux qui propose au formateur des batteries de fiches visant à amener l'apprenant à :
- chercher du sens à ce qui est écrit,
- mémoriser des phrases, expressions, groupes de mots (en travaillant surtout la mémoire immédiate : la nécessité de retourner plusieurs fois la fiche oblige à photographier, enregistrer des mots ou groupes de mots),
- comparer pour construire un raisonnement par analogie (c'est comme), déduction ou élimination,
- éduquer la perception visuelle.
Les exercices donnent toujours la priorité au sens.
A partir des textes de références, par permutation des unités de sens, on construit d'autres textes porteurs de sens.
Exemple :
Eric est parti
il est allé
près du Mammouth.
Eric est parti
il est allé
chez son copain.
Eric est parti
on a appelé la police.
Eric est parti
heureusement on l'a retrouvé.
Ils ont pour objectif d'entraîner à construire du sens. La fréquence d'utilisation des mêmes expressions et l'obligation d'appliquer la technique d'exploration dans le texte origine (réciter, situer telle expression) provoque maintes relectures en situation de recherche.
Ces exercices pour chaque texte, et le mélange des expressions de un, deux ou trois textes, tout cela contribue à la mise en mémoire, enrichit le capital mots. Cette mise en mémoire, on l'a vu, aboutit à " pouvoir déchiffrer ".
4. Textes à découvrir.
Parallèlement à tout ce travail qui revient, en somme, à la saisie de données écrites dans le cerveau en même temps qu'on s'entraîne à construire du sens, nous proposons à l'apprenant des textes à découvrir. C'est là qu'il questionne l'écrit, qu'il prend en compte tous les indices de sens non linguistiques (illustration, support, forme, typographie) et les mots reconnus d'emblée, qu'il saisit directement et à partir desquels il formule des hypothèses.
Ce travail de découverte est indispensable. C'est là que l'apprenant est confronté à la variété des écrits qu'il rencontrera dans sa vie quotidienne et dont il aura besoin.
En fonction de son attente, il apprend alors à sélectionner le type d'écrit qui convient, il se familiarise avec la forme et l'organisation de cet écrit, il découvre les indices pertinents qui le conduiront à adapter son comportement et à utiliser la stratégie efficace.
C'est ce qui lui permet d'intégrer divers acquis en une compétence globale, de les relier les uns aux autres en un système qui se perfectionne au cours du temps.
Le travail sur les textes de vie, les exercices d'entraînement visant à lui donner les moyens de saisie directe et les stratégies de construction de sens, les textes à découvrir qui permettent la formulation d'hypothèses et la prise d'indices pertinents, la production d'écrits, l'ont conduit au savoir-lire.
Pour renforcer les stratégies de construction de sens, le fichier LIRE 2.1 apporte au formateur des situations de lecture conçues en fonction d'objectifs très précis.
En conclusion
L'apprenant possède maintenant
" des représentations claires de la lecture et de son apprentissage, cela l'aide à lier ses acquisitions les unes aux autres, à comprendre quelles contributions spécifiques chacune peut avoir dans l'acte de lecture, considéré dans sa totalité, ne pas accorder à l'une de ces compétences plus que ce qu'elle vaut... Faisant l'unité de cet apprentissage complexe, elles sont la boussole de l'apprenant dans son cheminement vers le savoir-lire ".
A. Ouzoulias, L'apprenti lecteur en difficulté, Editions. Retz.
Etant donné que l'apprentissage a eu lieu alors que l'apprenant était en position de recherche face à l'écrit, il s'est construit un savoir personnalisé et autonome.
La dynamique de réussite est lancée. Il ne manquera pas de continuer à s'apprendre à lire/écrire.
C'est un processus vital d'acquisition qu'il pourra appliquer à d'autres apprentissages. Il se sait capable, il a mot à dire dans sa vie.
Chantier outils de l'I.C.E.M
Pour que la famille du stagiaire comprenne son travail au stage, pour que chacun puisse s'entraîner, parler de ce qu'il fait pour qu'il puisse être aidé, encouragé, je vais expliquer :
- Comment nous faisons
- Pourquoi nous pratiquons ainsi
- Comment ça avance pour réussir à lire en comprenant, car "savoir lire" c'est comprendre ce qu'on lit.
Souvent on croit que si on sait le nom des lettres, et si on les accroche, on va lire ! ...
Mais les lettres peuvent s'accrocher de plusieurs manières et en plus elles ne font pas toujours le même bruit (ce, ça etc ...)
Ainsi lorsque vous voyez (ma) vous essayez de dire "ma", et si c'est dans "maison", ça ne va pas.
Si c'est dans "maintenant", dans "mauve" etc ... ça ne va pas et justement c'est très souvent comme cela.
Qu'est-ce qui peut me dire combien de lettres je prends ensemble ?
En faisant comme cela, en s'essayant à accrocher les lettres, on fait des bruits de morceaux de mots, on ne comprend rien, on se décourage.
Et c'est exactement ce qui est arrivé au stagiaire jusqu'à maintenant.
Alors nous, comment allons-nous faire ?
- On va d'abord s'entraîner à retrouver des mots qu'on sait, ça nous dira déjà un peu de quoi parle cette histoire.
- On va s'entraîner à bien savoir tout ce que nous racontent ces textes qu'on connaît (de notre classeur). On s'entraîne pour devenir capable de retrouver dans les textes de plus en plus de mots.
Cela demande environ 3 à 4 mois de travail pendant lesquels on va :
- relire, redire les textes
- s'entraîner à reconnaître les étiquettes
- lire, en s'aidant des textes du classeur, tous les petits textes
inventés avec les mots des textes.
Travail qui consiste aussi à écrire, inventer soi-même des textes avec les mots des textes connus.
Tout ce travail, quand chacun a compris comment s'y prendre, chacun peut s'entraîner tout seul. Il le peut s'il le veut.
Grâce à tout cela, nos yeux, notre mémoire a pris l'habitude de bien regarder les mots, on en reconnaît beaucoup et là, on commence à voir des mots qui ont plusieurs lettres accrochées de la même façon.
Par exemple : parce qu'on sait bien reconnaître main lorsqu'on se trouve en face de demain on est capable de le lire sans hésiter et aussi lorsqu'on rencontre maintenant on voit que c'est comme main, et là on sait tout de suite que dans ce mot ce qui va ensemble, c'est m a i n.
Ainsi lorsqu'on a dans sa tête un bon nombre de mots qu'on reconnaît vraiment bien, on se met alors à voir tous les morceaux de mots
par exemple :
dans /ge/nou
dans rou/ge/
on voit /ge/ on entend ge (genou)
C'est (nou) qui reste
et dans rou ge il reste (rou).
Alors, dans tous les mots connus, le même travail s'effectue et ce jour-là on devient capable d'accrocher les lettres comme il faut sans hésiter, rapidement, parce qu'on y reconnaît des morceaux des mots qu'on connaît bien.
Comme on trouve vite, on comprend mieux.
On lit avec tous les mots qu'on sait et avec tous les mots qu'on peut fabriquer.
On n'hésite pas, parce que dans le mot qu'on cherche, on voit toujours un morceau d'un autre mot qu'on connaît bien, et ainsi, on sait qu'on a le moyen de s'en servir.
En apprenant tous les jours des mots nouveaux, on retrouve des choses qu'on a déjà vues dans d'autres mots, ça devient donc de plus en plus facile de se mettre ces mots dans la mémoire.
En remarquant que dans lapin
c'est comme dans pomme de pin
alors que dans du pain ce n'est pas pareil,
on s'apprend à faire le bruit pin ou pain
mais en plus on sait que si on lit ou si on écrit à propos du pain qu'on mange, il faut p a i n .
on sait écrire le bon mot, la bonne orthographe.
On peut être compris par les autres qui lisent nos lettres.
A la fin de tous ces travaux on sait lire et écrire juste, on sait faire attention aux mots pour mieux les reconnaître.
Alors, allons-y. Lisons, relisons nos textes. Cherchons à reconnaître des mots partout et écrivons, écrivons beaucoup.
Danielle De Keyzer
Bibliographie
Autour de la Méthode naturelle de lecture-écriture...
C. Freinet : Méthode naturelle de lecture, in Oeuvres pédagogiques, tome 2, éditions du Seuil. 1994.
ICEM : Lire Ecrire (I), les modèles de lecture, vieux débats et lueur d'espoir. Lecture et production d'écrits en maternelle et CP.
ICEM : Lire Ecrire (II), au primaire, ateliers de lecture dans un CE1-CE2. Lecture et mathématiques. Lire au collège.
ICEM : Lire Ecrire (III), Lecture... apprentissage technique ou formation de l'homme ? Lire naturellement. Ateliers de lecture au CM. Etc.
ICEM : Lire Ecrire (IV), s'apprendre à écrire-lire par la Méthode naturelle de lecture.
(Editions ICEM-pédagogie Freinet, 18, rue Sarrazin, 44000 Nantes).
L'art de donner
Je donne du fond de moi-même
pour toujours.
Roland
Je trouve que Maxime travaille beaucoup.
Cadeau de Gina
Dans la vie, je donne du fond de mon coeur.
Raymond
Pour moi, donner,
c'est donner beaucoup d'amour,
donner son coeur
et garder ses larmes.
Ernest
Pour moi, donner, c'est partager ce que j'ai avec des gens.
Ce que je donne, je le fais de bon coeur.
Ca me fait plaisir de savoir qu'ils vont manger.
Marie-Ange
Pour moi, donner c'est me faire plaisir
et faire plaisir
aux autres.
Cyril
Donner, c'est donner de l'amour
à mon bébé pour toujours.
Christine
Donner, c'est avoir du coeur,
c'est partager
c'est faire plaisir.
Véronique
Pour être bon, il faut avoir connu la misère.
C'est ceux qui ont le moins
qui donnent le plus.
Jacques D.
On n'a qu'un petit bout de pain,
on peut le partager
la gentillesse
écouter quelqu'un
c'est déjà donner
aider.
Colette
L'école
Aujourd'hui on peut
se défendre
on dirait " on existe "
on est " égal "
on est ici pour apprendre
On peut aider nos enfants.
Texte de groupe
J'avais un peu honte de moi-même.
J'ai été aidé par une amie.
Elle m'a poussé à venir apprendre à lire et à écrire.
Roland
Parallèlement au travail avec les apprenants depuis 1991, Danielle De Keyser a été amenée à assurer la formation des bénévoles à la pratique de la Méthode Naturelle de Lecture-Ecriture, d'abord au sein d'une association localeé puis pour des organismes de formation de la région Poitou-Charente, et aussi pour le collectif d'Alphabétisation de Bruxelles.
Depuis deux ans, elle suit le travail réalisé par les coordinatrices avec les apprenants et les bénévoles ; ces dernières sont arrivées à un niveau de maîtrise certain en ce qui concerne à la fois les objectifs successifs et globaux de la MNLE et sa mise en pratique.
La MNLE est devenue la démarche d'apprentissage de l'association. Elle permet à la fois la formation continue des formateurs, une concertation entre les formateurs et les coordinatrices et une évaluation comparée des avancées des apprenants.
D'après l'enquête sur les conditions de vie en France de l'INSEE, réalisée en 1993-1994 plus de 2300000 personnes adultes déclarent rencontrer des difficultés de lecture, d'écriture, de maîtrise ou de compréhension du français. Parmi celles-ci, 355000 disent ne pas savoir très bien lire, et ne le font presque jamais. D'autres ont de grandes difficultés pour écrire. Plus d'un million disent ne pas savoir rédiger un chèque lisiblement et sans risque d'erreur.
A cette échelle on ne peut pas considérer qu'il s'agit d'une accumulation d'échecs individuels, résultant de problèmes personnels, de troubles mentaux ou de scolarités perturbées. Le problème apparaît d'emblée comme social par ses causes et surtout par ses conséquences.
Source : "Sciences Humaines" N° 57 Janvier 1996
Recherche mathématique : donner la parole aux enfants
La pratique décrite ci-dessous est celle de Jacky Varenne, bien connu pour son travail sur les fichiers de numération opérations édités par les PEMF.
Il s'agit de l'une des facettes du travail dans le domaine des mathématiques dans sa classe, qui ne se limite bien sûr pas à cela.
Accueillir et prolonger l'expression libre des enfants est primordial, dans ce domaine comme dans tous les autres. Ils ne se contentent pas alors d'écouter (plus ou moins bien) les explications du maître, d'appliquer sans forcément tout comprendre, les techniques proposées par celui-ci pour venir à bout d'un problème qui leur est trop souvent étranger.
Ils deviennent ici acteurs, de la proposition des données à la résolution du (ou des) problème (s) qu'elles peuvent poser. Et nous savons que c'est ainsi que l'on apprend le mieux...
Le texte libre banal
C'était le titre d'un article paru jadis dans l'Educateur. Je le reprends en ajoutant le mot "mathématique".
Ceux qui essaient de lancer la méthode naturelle de mathématiques dans leur classe disent souvent :
" Mes élèves ne proposent rien de bien intéressant !"... Comme ceux qui commencent à pratiquer le texte libre, et qui trouvent que les enfants tournent en rond avec les mêmes sujets, ce que Beaugrand appelait "des chiens écrasés".
A cela, on peut répondre :
- Les sujets proposés par les enfants évoluent au fil du temps (comme les textes libres, et surtout si l'enseignant veille à mettre en valeur les idées originales, nouvelles, "décalées"...).
- On peut utiliser des outils incitateurs pour susciter des idées de recherche abordant d'autres thèmes.
- Enfin, il faut bien voir que ces textes libres mathématiques, même s'ils paraissent banaux au maître, sont très intéressants, d'abord pour leurs auteurs, mais surtout pour le travail qu'on peut faire à leur sujet.
Tous les jours, la vingtaine d'élèves de CP au CM2 de ma classe travaillaient, pendant 15 à 45 minutes, sur des "idées de recherche apportées par un élève ou nées de la vie de la classe. En voici une liste, relevée sur une quinzaine de jours, exemplaires par leur banalité. Malgré (ou grâce à) cette banalité, elles nous ont permis un travail intéressant et très profitable.
Des idées simples
Les tuiles (envoi des correspondants) : les tuiles de leur école neuve sont livrées par palettes. Sur chaque palette, 4 couches de 3 paquets de 42 tuiles.
Les camions (origine : correspondants) : inscriptions portées sur le côté des camions livrant les tuiles : PV, CU, PTC.
La charpente : 5 grandes poutres de 12 m de long, pesant 400 Kg chacune.
Les canards : achat et vente de canards à la ferme (suite d'opérateurs).
Le fil de fer : Thomas a coupé des bouts de fil de fer d'un rouleau, mais il en reste.
La suite de nombres : Thierry nous propose la suite logique : 0 1 3 6 10..........
Les stylos : Nathalie présente des données un peu confuses : 78 stylos, dont 36 à plumes, pour lesquels il faut 2 cartouches...
La multiplication par 11 : le papa de Julien lui a montré l'astuce pour multiplier par 11 : on essaie.
Les Jeunes Années : on a commandé des Jeunes Années, on établit la facture, le chèque, on remplit notre cahier de comptabilité, on voit notre bénéfice.
L'escalier : Thierry monte dans sa chambre par un escalier de 16 marches...
Les voitures : Nicolas prétend qu'il a beaucoup de petites voitures en jouet, entre 194 et 198 ! Pour les roues, ça va, mais pour les portières...
Les dalles : le papa de Thomas a nettoyé son terrain de tennis. Il faut 30 mn pour nettoyer une dalle au Karcher, et il y a 16 dalles. D'autre part, chaque dalle pèse 11 Kg (?).
Le bloc de dessin : celui d'Elisabeth a 20 pages, et elle a fait 5 dessins (en tout, ou par page ?).
Adhésions : on étudie la fiche d'adhésion à la FOCEPY, on la remplit, on calcule le montant à régler, on fait le chèque, on remplit le cahier de comptabilité...
Le lit : Emmanuel amène les dimensions de sa chambre et de son lit : dispositions possibles ?
Les briques : Johann a relevé les dimensions d'une brique, son poids, et nous explique comment son papa fait un pilier.
Le chemin : pour venir à l'école, au cours du chemin, Nathalie a fait 150 pas de fourmi, 200 pas normaux et 250 grands pas... Et elle n'était pas arrivée, car elle habite à 1 km de l'école. On estime, puis on mesure un pas de chaque sorte, puis plusieurs pour avoir une moyenne.
Notre comptabilité : en liquide, nous avons vendu 6 journaux, acheté une trousse d'outils, versé 2500 F à notre CCP.
Quelques remarques
Durant cette période de l'année, la recherche mathématique, c'était surtout ce qu'il est convenu d'appeler du calcul vivant : pratiquement tout a rapport avec les mesures, les prix, avec la compréhension du réel, à part quelques jeux plus ou moins gratuits sur les nombres.
A d'autres périodes, on sera plus abstrait, on s'intéressera plus aux formes, aux lignes, aux symétries, on travaillera sur les arrangements, les combinaisons, les relations entre différents objets, ou même on abordera des sujets qui n'ont plus de rapport (?) avec les mathématiques : vocabulaire, association de mots, écriture, orthographe, jeux de langue...
D'autre part, on peut remarquer que la présentation de ce qu'on appelle "idée de recherche" peut revêtir plusieurs formes :
- question posée, comme dans un problème classique : voici des données, saurez-vous trouver la (ou plutôt une) solution pour répondre à la question posée de façon plus ou moins explicite. Par exemple pour les tuiles, combien y a-t-il de tuiles dans une palette ?
- des données brutes, avec un lien entre elles, mais où l'idée de ce qui peut être cherché n'est pas du tou évidente. Prenons l'exemple de l'escalier, où le domaine de recherche est beaucoup plus ouvert.
- des "histoires chiffrées" terminées, ou des remarques "fermées", mais qui peuvent permettre un prolongement, par imitation, par extension : les différentes suites de nombres, si on en change la règle, par exemple.
Déroulement d'une séance de travail
Tout d'abord, chacun expose son idée de recherche, le plus brièvement possible. On note seulement les données chiffrées au tableau. Ou même on écrit simplement au tableau une suite de nombres, un dessin, sans commentaire.
Pendant quelques minutes, chacun observe ces données, essaie de tout comprendre, puis pose des questions, demande des éclaircissements, des renseignements complémentaires. Chacun fait ses commentaires, par exemple :
"C'est pas possible que...
- Tu es sûr qu'une brique, ça ne pèse pas plus que ça ?"
Ensuite, pendant un temps variable, de 10 mn à une demi heure, et le plus souvent par groupes de deux, chacun travaille sur les différentes recherches qu'il souhaite traiter. Pas de rédaction très précise, des calculs souvent approchés, sans opérations (sauf si absolument nécessaire, pour la comptabilité, par exemple).
Je me tiens à la disposition de ceux qui rencontrent des problèmes (l'expression est bien choisie !), qui ne comprennent pas certaines choses, ou qui voudraient aller dans une direction, mais ne savent pas comment. Je relance aussi, pour ceux qui n'arrivent pas à démarrer, ou sont bloqués.
Quand une partie des enfants semble avoir épuisé l'intérêt de la recherche, on arrête tout (et certains râlent : "on avait presque trouvé quelque chose d'intéressant !"). on met en commun, très vite, ce qu'on a trouvé, et surtout comment on l'a trouvé, car souvent on arrive au même point par des voies bien différentes. C'est là qu'apparaît l'intérêt de certaines opérations, des méthodes qui simplifient le travail. Ce qui n'a été traité par personne est fait très rapidement, par estimations, calculs approchés. On dit souvent aussi : "on aurait pu chercher..." ou "si on changeait telle donnée, qu'est-ce qui se produirait ?"
Les recherches les plus intéressantes seront proposées aux correspondants ou publiées dans le prochain journal. Dans ces cas, on est amenés à rédiger une mise en forme beaucoup plus soignée de l'énoncé comme des réponses.